Accueillir l’étranger, le défi.

Jamais notre monde n’a autant facilité les communications et les circulations, et simultanément le retour des frontières et la construction de murs.

L’association Confrontations a organisé avec de multiples concours, un colloque qui a réuni 200 personnes, intitulé : Accueillir l’étranger, le défi.

Le sort des migrants interpelle notre société, dérange les responsables politiques ; il déchaîne les controverses et trouble les esprits. Il inspire la compassion et la solidarité ou bien suscite les peurs et le rejet. Accueillir l’étranger relève aujourd’hui d’un vrai défi.

 

Echanges et bénéfices

Le défi est d’abord celui de la compréhension. Il s’agit de savoir de qui et de quoi on parle. Par-delà les causes économiques et politiques, mais également environnementales, il est utile de préciser ce que ces mouvements induisent pour les pays d’accueil : n’y a-t-il pas aussi échanges, et donc des bénéfices ? Evoquer des clandestins ou des réfugiés, des murs ou des ponts, l’assimilation ou l’intégration, c’est déjà faire parler les mots.

 

Phénomène global

Le défi interpelle également les politiques menées par les Etats et les collectivités publiques. Depuis la commune rurale, dérangée par l’arrivée de quelques réfugiés, jusqu’à l’Europe en crise, bousculée à ses frontières, le phénomène migratoire concerne tout le monde. C’est à tous les niveaux que se pose la question de l’accueil, dans son esprit comme dans ses moyens. Ce phénomène sera durable ; il ne peut se circonscrire à des réponses d’ordre sécuritaire.

 

Hospitalité. De Kant à Ricœur

Enfin, le défi est aussi éthique. Les migrants et les réfugiés sont des personnes en quête d’aide : ils ont des droits comme chacun. Là où ils fuient, ils découvrent des communautés souvent sensibles à leur sort mais parfois désarmées par les difficultés que leur situation implique. Ces tensions mettent en jeu la manière de concevoir l’accueil, de répondre par l’hospitalité. C’est une responsabilité qui relève pleinement d’une approche humaniste. Les chrétiens ne peuvent jamais y rester étrangers.

L’hospitalité est certes très présente dans la Bible et les textes judéo-chrétiens, mais c’est Emmanuel Kant qui a été le premier philosophe à poser clairement le droit à l’hospitalité universelle. Cette hospitalité signifie le droit pour un étranger de ne pas être traité de manière hostile quand il arrive sur un autre sol que le sien. Mais pour Kant ce droit est limité : un Etat ou un individu n’est pas obligé d’héberger durablement un hôte.

Nos démocraties ont d’ailleurs toujours pensé des dispositifs pour contrôler les effectifs et les entrées. Seulement aujourd’hui l’image véhiculée est celle d’un débordement, et bon nombre de forces politiques sont portées par le discours de rejet de l’autre et par un projet de repli sur l’Etat et plus exactement sous sa forme d’Etat-nation.

Les compromis sociaux et politiques hérités des 7O ans qui viennent de s’écouler – après 60 ans tout juste de construction européenne- .semblent en difficulté pour redéfinir le « vivre ensemble ».

Les migrations sont essentiellement appréhendées en termes de risques :

  • Sociaux, les dépenses sociales,
  • Civils, le terrorisme, la criminalité, l’insécurité,
  • Culturels, le soupçon que l’assimilation n’est pas possible.

Pourtant malgré les contrôles, les rejets, les entraves aux déplacements, de nombreux migrants sont bien présents sur notre sol et s’intègrent plutôt bien. Sauf à noter que se développent aussi des « jungles », des squats, des campements, des bidonvilles ; une visibilité de mendiants, de migrants vivant dans la rue sinon dans la boue.

La cohabitation conflictuelle produit de la peur et de l’inquiétude identitaire, mais en même temps on assiste à des indignations, à des appels à l’entraide, à l’accueil digne, à la protection des plus vulnérables y compris en risquant des poursuites judiciaires.

Force est de constater cependant que même dans les pays les plus accueillants, même les groupes les plus généreux, même les passeurs les plus fraternels, semblent aujourd’hui plus hésitants. Une partition morale entre « bons  réfugiés » et « mauvais  migrants », apparaît. C’est bien pourquoi l’accueil des migrants qui concerne tous les échelons de l’Etat aux communes, des institutions et des associations aux citoyens est un véritable défi. L’hospitalité est une vertu morale, souvent individuelle ; peut-elle être la base d’une politique collective et si oui à quelles conditions ?

Dans un article récent d’Etudes, Véronique Albanel citait Paul Ricœur, qui distingue trois figures de l’hospitalité dans un ordre de tragique croissant :

  • le visiteur de plein gré,
  • le travailleur étranger qui réside chez nous,
  • le demandeur d’asile ou réfugié.

Pour Ricœur, l’Etat, les institutions locales et internationales, doivent être les garants et les soutiens d’une politique juste, d’accueil ; mais c’est aux citoyens de clarifier leur compréhension de leur appartenance nationale, en refusant de fonder une identité collective sur une logique destructrice du « vivre ensemble », celle du « nous » face à « eux ».

 

Un manifeste

A l’issue de ce colloque un a été adressé à « ceux qui aspirent à nous gouverner ».

La violence de la guerre ou des injustices les a poussés jusqu’à nos frontières. Ils sont exilés. Leur présence sur notre sol interpelle notre société. Elle déchaîne les controverses et trouble les esprits ; elle inspire la compassion et la solidarité ou bien suscite les peurs et le rejet.
Nous sommes conscients que leur accueil est aujourd’hui un vrai défi.

Le défi de la compréhension.

Il s’agit de comprendre et de faire comprendre la réalité des faits. Ces exilés ont chacun un nom, une famille, une histoire. Quelle que soit leur situation, leur dignité et leurs droits humains fondamentaux  doivent être préservés. Cette attention concerne en particulier les plus fragiles : mineurs isolés, femmes seules, personnes âgées.

Comprendre cette réalité, c’est lutter sans naïveté contre les fantasmes et les préjugés. C’est reconnaître que ces migrations seront durables, qu’elles font partie de notre histoire et que notre pays a le potentiel pour accueillir les quelques milliers de personnes qui s’y présentent. La recherche de boucs émissaires face aux difficultés économiques et aux tensions sociales est trop commode. Tous les moyens permettant de promouvoir et de renforcer la cohésion et la solidarité doivent être mis en œuvre. Il faut écarter les risques de fractures sociales.

 

Le défi des politiques

Elles sont menées par l’État et les collectivités locales.
L’accueil des migrants concerne tous les échelons de la sphère publique, de l’Etat aux communes. Il implique de mettre en œuvre avec humanité le cadre juridique qui organise le séjour des étrangers en France. La tâche est exigeante : assurer un accueil digne, traiter avec célérité et justice les demandes d’asile, stabiliser et sécuriser le droit au séjour, protéger les plus vulnérables (mineurs non accompagnés, femmes seules, malades), respecter le droit de vivre en famille.

Autant de mesures qui sont la condition d’une intégration réussie. Assurer la sécurité des citoyens n’est pas incompatible avec l’indispensable accueil de ceux qui arrivent. Ils ont droit à se loger, se soigner, apprendre notre langue, se former. Leur refuser ces droits serait aussi nous priver de leur participation à la vie de notre société.

Une politique d’accueil digne de ce nom n’est pas compatible avec le harcèlement, l’intimidation ou la répression des personnes étrangères les plus précaires ni des citoyens qui leur viennent en aide.

Le défi de l’accueil des migrants n’interpelle pas seulement notre pays. Il revient au gouvernement français d’accroître son engagement auprès des instances européennes pour élaborer enfin une politique qui soit à la hauteur des enjeux. En finir avec des mesures conjoncturelles avant tout répressives et attentatoires aux droits fondamentaux des exilés, ne pas laisser se refermer durablement les frontières nationales avec de nouveaux murs. Reconnaître qu’il est injuste et inefficace d’abandonner aux États placés aux avant-gardes (Italie, Grèce) toute la charge de cet accueil. Il est urgent d’accepter une répartition plus équitable des exilés en Europe.

Aucun pays ne peut gérer à lui seul cette question. La priorité devrait être à de nouvelles formes de coopération internationale, où les questions migratoires seraient gérées dans l’intérêt des personnes migrantes, des pays de départ et des pays d’accueil.

 

Le défi éthique.

Les tensions actuelles autour de l’accueil des exilés résultent en partie du désarroi et des craintes de nombreux citoyens dans une Europe bousculée par les crises et les guerres qui ravagent des continents proches.

En France, les mobilisations de solidarité prouvent que de nombreux citoyens sont sensibles au sort de ces migrants. Mais beaucoup d’autres se sentent désarmés ou craintifs, et une minorité agissante prône le repli et le rejet.

Ce qui est en jeu fondamentalement c’est l’attachement aux valeurs de l’hospitalité.
L’hospitalité perçue comme un échange implique un enrichissement réciproque et permanent, capable de faire vivre tout ce qui construit l’identité et la culture de ce pays.

L’accueil des étrangers concerne des valeurs essentielles pour la République, celles qui au nom de la fraternité et de la solidarité concourent au vivre ensemble et au partage du bien commun. La France s’est construite avec des apports multiples de femmes et d’hommes venus d’ailleurs.

Un pays attaché aux droits de l’homme doit pleinement assumer et illustrer ces valeurs humanistes. Les chrétiens, eux aussi, veulent les défendre et les promouvoir. Leur histoire s’est construite à partir d’un exode et d’un exil. Elle s’est toujours nourrie d’un Évangile tourné vers les déracinés et les plus démunis.

L’accueil des exilés est bien aujourd’hui un enjeu majeur. Il est révélateur d’un choix de société, entre repli et rejet ou ouverture et accueil de « l’autre ». Tous ceux qui vont exercer des responsabilités politiques auront à relever ce défi.