État d’urgence sanitaire : le droit à l’éducation pour tous

Pour cette huitième lettre de l’observatoire de l’état d’urgence sanitaire, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) examine les difficultés rencontrées par les différents acteurs de notre système éducatif : élèves, étudiants, parents et personnels éducatifs.

Cette lettre s’inscrit dans la suite de l’avis «  Etat d’urgence sanitaire : le droit à l’éducation à l’aune de la Covid-19   » adopté le 26 mai 2020, et entend mettre en lumière les difficultés concrètes auxquelles ces acteurs ont été confrontés pour mettre en œuvre le droit à l’éducation en cette période de crise sanitaire.

DES FAMILLES DÉSEMPARÉES ET DES INÉGALITÉS ACCRUES ENTRE LES ENFANTS.

Les familles, pour qui l’école joue un rôle fondamental pour les apprentissages, ont dû jouer partiellement un rôle d’enseignant, mais aussi d’animateur ou d’autre encadrant scolaire. Pour beaucoup cette situation a été particulièrement délicate à gérer. Les familles logées dans des conditions insalubres, dans des espaces surpeuplés, ne maitrisant pas la langue française ont souvent été très désemparées face à des responsabilités qu’elles ne se sentaient pas capables d’assurer.

La capacité pour les familles d’accompagner les élèves dans ces circonstances a été inévitablement très variable, et dans certaines d’entre elles les difficultés ont été considérables, renforçant les inégalités entre les enfants. Aux difficultés matérielles, psychologiques ou culturelles dont la Commission s’est fait l’écho dans son avis du 26 mai, se sont ajoutées des différences de traitement et de consignes suivant les établissements : alors que dans certaines écoles les enseignants et chefs d’établissement se sont employés à maintenir le lien avec les familles par tous les moyens possibles, dans d’autres, les contacts avec les familles ont été limités au minimum.

Les familles qui n’ont eu que peu, ou pas de lien avec leur établissement ont pu se trouver déconcertées lors de la sortie du confinement. Si certains parents ont été soulagés que le retour à l’école, quand leurs enfants pouvaient être accueillis, s’effectue sur la base du volontariat, d’autres se sont sentis dépourvus alors que les discours scientifiques s’opposaient sur l’opportunité de la réouverture des écoles. Ce déplacement de responsabilité a pu être durement vécu par les familles plus vulnérables (monoparentales, touchées par le chômage, migrantes…), tiraillées entre la peur que leur enfant prenne du retard scolaire et le risque d’une contamination, entre des pressions liées à leur situation professionnelle (télétravail ou retour sur site) et le souci de préserver la santé de leurs enfants.

LE PERSONNEL ÉDUCATIF FACE À UN DÉFI PÉDAGOGIQUE.

Durant le confinement, les personnels éducatifs, en particulier enseignants et directeurs d’établissement, ont été mis à rude épreuve. Prise dans l’urgence, pour faire face à la situation sanitaire, la fermeture des établissement scolaires a laissé les personnels déconcertés. Du jour au lendemain, la nécessité a conduit nombre d’enseignants à adapter leurs pratiques professionnelles pour assurer pour la première fois un enseignement à distance.
Ces enseignants ont dû faire face à un véritable défi pédagogique. Aidés des supports déjà existants sur Internet, beaucoup ont développé de nouveaux supports, réinventé leur cours et mis en place des méthodes d’accompagnement en ligne dans un dialogue interactif avec leurs élèves. Beaucoup ont été confrontés à des difficultés matérielles et techniques. Ainsi, tous n’étaient pas outillés numériquement pour assurer la « continuité pédagogique »: ordinateurs, webcam, imprimante, scanner, connexion internet haut débit…. Certains enseignants travaillent habituellement dans leur établissement scolaire et ne sont pas équipés à leur domicile.

Plus largement, il conviendrait d’ouvrir le débat de la numérisation de l’enseignement et d’interroger la pertinence du numérique à l’école (ces questions seront abordées dans un prochain avis de la CNCDH sur le droit à l’éducation).

Devant l’afflux de connexions, certains enseignants ont eu des difficultés pour accéder aux ressources qui avaient été mises à leur disposition, à l’espace numérique de travail. Il convient de saluer l’effort fourni par le ministère de l’Éducation nationale pour adapter les serveurs de l’éducation nationale afin qu’ils parviennent à soutenir autant de connections simultanées.

Ces conditions de travail étaient en tout état de cause dégradées par les conditions de confinement : certains personnels étaient obligés de s’occuper de leurs propres enfants ou de proches malades, dans des conditions de logement parfois inadaptées. Il y a lieu de saluer l’investissement des enseignants qui ont cherché à renforcer les relations personnelles avec chaque élève, pour qu’ils puissent tous poser leurs questions et bénéficier d’un suivi adapté. Très chronophage pour l’enseignant, ce suivi personnalisé s’est avéré extrêmement positif dans de nombreux cas.

La réouverture des établissements n’a pas permis une amélioration des conditions de travail, puisque pour respecter les règles de distanciation, les élèves ne peuvent pas être tous accueillis, si bien que les enseignants assurent à la fois leur travail en classe avec une partie des élèves et le suivi à distance des autres.

Il est regrettable que la réouverture des établissements ait été décidée sans prendre le temps de la concertation avec les professionnels et surtout sans leur laisser le temps de s’adapter, alors que tous les personnels d’encadrement sont concernés : médecins et psychologues scolaires, ATSEM (agents territoriaux spécialisés en école maternelle), AESH (accompagnants des élèves en situation de handicap). Ainsi, le lourd protocole sanitaire pour la réouverture des écoles maternelles et primaires, document de plus de 56 pages, n’a été diffusé que quatre jours ouvrés avant la date officielle de reprise, ne laissant que très peu de temps aux personnels pour s’organiser, mais aussi aux municipalités dont dépendent notamment les agents en charge du nettoyage des locaux ou les animateurs du périscolaire.

UN PARCOURS D’ORIENTATION RENDU PLUS COMPLIQUÉ PAR LE CONFINEMENT

Alors que se poursuit la sortie du confinement, et que seule une partie des élèves reprend le chemin de l’école, il ne reste que quelques semaines pour finaliser les vœux d’orientation et d’affectation. Le confinement a isolé les élèves de leurs enseignants entravant le dialogue sur l’orientation, et les services d’orientation qui reçoivent habituellement les jeunes et leurs familles sont fermés, même si des permanences par téléphone, par courriel, par tchat ont certes été organisées. Dans ces conditions, il est difficile pour des adolescents, et pour leurs parents, de poursuivre la réflexion sur leur projet d’orientation.

Dans ces domaines, les familles se trouvent parfois démunies ; trop peu d’informations ont été fournies et le soutien apporté par le ministère a été insuffisant. Sur le site du ministère, le vadémécum publié dès le 20 mars1 n’aborde presque pas la question de l’orientation, indiquant seulement que le calendrier d’orientation est maintenu et que des contacts réguliers seront organisés avec les professeurs principaux pour accompagner les élèves dans leurs choix. La page internet « Quel accompagnement pour le projet d’orientation après la 3e pendant la fermeture du collège ? » reprend simplement le descriptif habituel de l’année de troisième en donnant des ressources en lignes2. Dans la pratique, la possibilité du maintien des liens école-élèves-familles a été très variable selon les établissements et les territoires. La situation dans certains secteurs comme les lycées professionnels ou les SEGPA (sections d’enseignement général et professionnel adapté) étant particulièrement critique. Les ruptures de contacts ont été encore plus marquées dans les zones les plus défavorisées.

FOCUS

PRÉCARITÉ ÉTUDIANTE

Avant même la crise sanitaire, 20% des étudiants vivaient sous le seuil de pauvreté en France, selon un rapport de l’Union nationale des étudiants de France (UNEF). Or depuis le début du confinement, nombreux sont les étudiants qui ont vu leurs revenus diminuer, voire disparaître, soit parce qu’ils ont perdu leur emploi étudiant ou leur stage, soit parce qu’ils ne peuvent plus bénéficier d’aides comme celles des restaurants universitaires.

La situation est vite devenue dramatique avec des étudiants se retrouvant dans l’incapacité de subvenir à leurs besoins essentiels, en particulier pour se nourrir. Les étudiants, enseignants et personnels universitaires se sont fortement mobilisés pour leur venir en aide avec un foisonnement d’initiatives locales, mais ce n’est que le 4 mai qu’a été annoncée une aide exceptionnelle pour 800 000 jeunes en situation de précarité, dont la moitié d’étudiants. Cette aide, évidemment bienvenue, est apparue tardive et insuffisante.

Enfin, la CNCDH s’inquiète beaucoup du sort des étudiants se trouvant dans l’incapacité de suivre un enseignement à distance. Les universités resteront fermées jusqu’à la rentrée, ainsi que beaucoup de bibliothèques universitaires, et les cours et devoirs sont assurés via l’outil numérique. Or les étudiants les plus précaires n’ont pas accès au matériel nécessaire et ne peuvent acheter les livres et manuels souvent onéreux.

Par ailleurs, il est essentiel pour la CNCDH que les familles ne soient pas privées de leur participation aux décisions engageant la vie de leurs enfants. Il convient donc de s’assurer que la possibilité pour les parents d’intervenir sur l’orientation des enfants soit préservée et exercée avant juillet 2020, en particulier pour l’enseignement professionnel3.

Pour ce qui concerne l’orientation post-bac, avec l’annulation des concours post-bac, beaucoup de candidats pensaient que le calendrier de Parcoursup pourrait aussi être impacté. Mais le ministère de l’Enseignement supérieur a confirmé que le fonctionnement de la plateforme d’admission post-bac resterait le même. Les élèves avaient donc jusqu’au 2 avril pour saisir leurs vœux. Or le confinement a pu empêcher certains élèves de terminer correctement leur inscription sur Parcoursup, notamment ceux qui se trouvaient en zone blanche ou qui n’avaient pas accès à un ordinateur ou une connexion Internet.

1. https://www.education.gouv.fr/sites/default/files/2020-03/coronavirus-covid-19-vademecum-continuit-p-dagogique-66201.pdf 2. https://www.education.gouv.fr/quel-accompagnement-pour-le-projet-d-orientation-apres-la-3e-pendant-la-fermeture-du-college-303372

3. Voir CNCDH, Avis « État d’urgence sanitaire : le droit à l’éducation à l’aune de la Covid-19 », 26 mai 2020, https://www.cncdh.fr/node/2092