Il ne faut pas que Justice et Paix désarme !

Entretien de Dominique Quinio avec Mgr Yves Boivineau, au moment où il transmet la présidence de la Commission Justice et Paix France à Mgr Jacques Blaquart.

 

Huit ans de présidence. Ce mandat vous est cher, n’est-ce pas ?

 

Nommé en 2011 pour six ans, on m’a demandé de prolonger un an, puis encore un an… Il est important aujourd’hui qu’un regard neuf soit porté sur la Commission par son nouveau président. Quand j’ai été nommé, cela m’a surpris. Je ne l’avais pas cherché. Il m’a fallu du temps pour situer la Commission dans l’organigramme de la Conférence des évêques, à sa juste place. J’y ai beaucoup appris, avec le sentiment constant que j’avais tout à apprendre. J’ai rencontré une équipe très motivée : ce qui me frappe, ce n’est pas seulement l’addition des compétences, mais leur croisement. Et j’ai été impressionné par la diversité des sujets traités : la sécurité, la défense, l’armement, le développement, l’écologie, la finance, la traite des êtres humains… La Commission, ce n’était pas seulement les questions de défense : on y parlait de justice et de paix. Cela m’a ouvert les yeux : ces sujets nous concernent tous. « Tout est lié » !

Comment faites-vous dialoguer ces deux mots, justice et paix ?

« Justice et paix s’embrassent », dit le psaume 84. Pas de paix sans justice. Les conflits prennent leur source dans les injustices. La paix est toujours devant nous, jamais acquise : « recherche la paix et poursuis-la » ; le psaume 34 nous incite à cette quête inlassable. C’est le rôle de la Commission de nous le faire comprendre et de donner des outils pour saisir les enjeux et permettre d’agir.

La Commission a-t-elle l’écho qu’elle devrait avoir ?

Membre du Conseil Pontifical Justice et Paix, j’ai été amené à rencontrer des délégations étrangères. J’ai compris que, sous le même « label », se vivaient des réalités très différentes. Certaines mettent l’accent sur les questions sociales ; elles sont présentes sur le terrain, dans les diocèses. En France, notre commission est très active, mais trop peu visible. Ainsi, la Lettre permet de faire le point sur une question de façon approfondie et accessible. Elle mériterait être davantage lue, y compris par nous-mêmes, évêques. L’approche spécifique de Justice et Paix est précieuse. Cela m’a servi sur le terrain.

À Justice et Paix, nous travaillons avec d’autres – services d’Église ou associations – c’est important ; sont essentiels nos liens avec le Conseil National Famille et Société. En revisitant les statuts de la Commission, nous avons retravaillé l’articulation avec la Conférence des évêques : nous avions tout à y gagner. Mais il ne s’agit pas de tout niveler. Que Justice et Paix reste Justice et Paix ! Il ne faut pas que Justice et Paix désarme, si j’ose dire ! Elle doit garder sa petite touche particulière afin d’irriguer la réflexion plus générale. Il ne faut pas que Justice et Paix désarme ! Un exemple : le débat autour du nucléaire. La Commission a fort bien travaillé ; elle a permis de prendre du recul. J’ai retrouvé une tribune que nous avions publiée dans La Croix, en
2012, après un colloque sur la bombe atomique organisé avec Pax Christi : ce texte est toujours actuel. Il ne s’agit pas de remplacer les journaux, de nous situer sur l’actualité immédiate, mais d’aider à réfléchir.

Quels furent les temps forts vécus au cours de ces années ?

 

Je voudrais souligner le travail réalisé avec la série « Finances et éthique » : des fiches travaillées et accessibles. Elles n’ont pas eu l’écho qu’elles méritaient. Les questions financières ont à voir avec la paix, je l’ai touché du doigt. Je citerai aussi les petits livrets réalisés avec divers partenaires : « le défi de la paix », pour plus de justice en Palestine et en Israël ; « l’économie au service de l’humanité », pour un meilleur encadrement des multinationales ; ou encore, « habiter la création autrement », dans le sillage de Laudato Si’ – ce dernier avec nos frères protestants et orthodoxes. Ces opuscules très pédagogiques sont des outils utiles pour approfondir un sujet.

Qu’apporte à un évêque la participation à une telle instance ?

Bien sûr, il y a la difficulté de la distance et de la charge diocésaine, quand on est à Annecy ou ailleurs. Mais la participation à une commission est indispensable. Un évêque risque parfois de rester le nez sur le guidon ; il lui faut prendre le temps de lever les yeux pour regarder ce qui se vit ailleurs. Les gens qu’on rencontre, la qualité de ce qu’on entend dans un cadre de confiance, avec des gens venus d’horizons divers, m’ont considérablement enrichi. Cela m’a servi sur le terrain. Malgré la fatigue, je ne regrette rien. Il faut dire qu’un président, vous savez, il préside ! Beaucoup dépend de l’articulation avec le secrétaire général, qui est compétent, informé, a un bon carnet d’adresses et des gens qu’il peut solliciter ponctuellement.

Quels vœux formulez-vous pour l’avenir ?

Je serai toujours un défenseur de Justice et Paix, parce que j’y ai beaucoup reçu. Cette commission est indispensable à l’Église. Qu’elle continue à explorer ces sujets peu traités ailleurs que sont la sécurité, l’armement, la défense… Que la Commission Justice et Paix n’ait pas peur d’être visible. Qu’elle n’hésite pas, parfois, à lancer des alertes. Elle doit avoir conscience qu’elle a véritablement une mission. Je souhaite bien sûr beaucoup de joie à Mgr Jacques Blaquart dont le profil est parfaitement accordé à la tâche. Et je remercie de tout cœur tous ceux et celles que j’ai croisés à Justice et Paix.