La protection juridictionnelle des libertés et droits fondamentaux est au cœur de toute société démocratique.

Lors de deux récentes réunions la Commission Justice et Paix s’est intéressée tant à la nécessité de mettre en place des pratiques et des politiques de sécurité qu’à celle de respecter les libertés individuelles et collectives.

La déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 affirme d’une part dans son préambule, « Considérant que la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde » et d’autre part à son article 3 que «Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne. »

Le droit à la sureté personnelle (protégé par la Constitution) est la garantie pour toute personne, française ou étrangère, de ne pas faire l’objet d’une détention sans titre légal, sans nécessité, sans assurer le respect des droits de la défense et sans l’intervention d’un juge judiciaire.

L’équilibre peut être délicat entre sécurité à promouvoir et libertés à toujours construire, d’autant plus que si le juge judiciaire est le garant des libertés il n’en est pas l’unique gardien, il doit dialoguer avec le juge administratif.

 

Depuis une trentaine d’années la recherche de la sécurité conduit à l’adoption de mesures plus restrictives pour les libertés publiques individuelles et collectives. Le respect de la personne a tendance à paraître moins important que la sécurité publique.

Après les actes terroristes de 1986 le Parlement français a mis en place progressivement une procédure pénale d’exception visant le terrorisme et la criminalité organisée. Suite aux attentats du 11 septembre 2001 aux États Unis, le Conseil de sécurité des Nations Unies a délégué aux États la mission de lutter contre le terrorisme sur la base d’orientations qu’il définit et dont son Comité contre le terrorisme suit la mise en œuvre. Ces orientations, qui visent d’abord à renforcer la coopération policière, judiciaire et des services de renseignement, favorisent une approche excessivement large et purement répressive du terrorisme, considéré comme une des menaces les plus graves contre la paix et la sécurité internationales.

Par ailleurs depuis les années 1970 et plus encore depuis le début des années 1990, les États cherchent à répondre au besoin de régulation des relations internationales par des déclarations relevant du droit mou ou souple (soft law en anglais). Ces déclarations engagent politiquement leurs signataires mais n’ont pas de caractère juridiquement contraignant. Le recours au droit mou ou souple est en plein développement actuellement. Un texte crée du droit mou quand il se contente de recommander des actions en formalisant un accord politique sans poser d’obligation juridiquement sanctionnée (voir responsabilité sociale des entreprises, droit de l’environnement, conclusions des grandes rencontres diplomatiques dans le cadre des G7, G20, OSCE, etc.). Il fait reposer la régulation internationale et interne sur la bonne volonté des pays ou acteurs privés les plus puissants.

 

En France

Une accumulation d’évolutions conduites par tous les gouvernements successifs y est susceptible d’ouvrir la voie à une restriction voire à un déclin des libertés :

  • Des mesures restrictives liées à la sécurité portent atteinte aux droits fondamentaux. (Voir les dispositions des lois sur l’état d’urgence qui rentrent peu à peu dans le droit commun et le suivi des mesures anti-terroristes de la loi du 21 juillet 2016).

 

  • Le contrôle a posteriori du juge administratif sur la privation de liberté prend le pas sur le nécessaire contrôle a priori par le juge judiciaire. Les assignations à résidence devraient être examinées par le juge des libertés et de la détention.

 

  • La montée de politiques de « tout carcéral » néglige les peines alternatives plus efficaces pour les délits les moins graves. Il s’agit surtout de satisfaire l’opinion publique.

 

  • La situation carcérale, surpopulation, locaux insalubres, conditions de vie indignes, conditions de travail, etc., prive de sens la peine de prison. Sept responsables nationaux des aumôneries et présidents d’associations interpellaient en avril 2017 Emmanuel Macron et Marine Le Pen sur la question Ils avancent quatre propositions : associer les divers acteurs (parquet, juges et les prisons locales) à la gestion coordonnée des flux d’entrées et de sorties de prisons ; développer les peines alternatives pour certains délits mineurs ; revoir la conception des prisons pour en faire « des lieux d’insertion, de reconstruction et d’ouverture sur la société civile » ; limiter l’encellulement à deux.

 

  • Le droit pénal fondé sur l’acte délictueux glisse vers la répression de la dangerosité potentielle de la personne.

 

  • La vidéosurveillance a été autorisée par la loi du 21 juillet 2016 pour les personnes placées en détention provisoire dans le cadre d’une affaire criminelle ; elle peut être décidée par le ministère de la Justice à l’égard des personnes dont « l’évasion ou le suicide pourraient avoir un impact important sur l’ordre public et égard aux circonstances particulières à l’origine de leur incarcération et à l’impact de celle-ci sur l’opinion publique ». Selon la Commission nationale consultative des droits de l’homme c’est la première fois qu’un texte de loi aborde la protection de la vie selon une logique instrumentale (la conçoit non comme une fin en soi mais comme le moyen de parvenir à une fin jugée supérieure, le maintien de la personne à la disposition de la justice).

 

  • L’usage des armes par les policiers, donc en milieu urbain, est plus dangereux qu’en milieu rural où opèrent principalement les gendarmes. La présomption de légitime défense est pratiquement applicable aux policiers depuis la loi relative à la sécurité publique du 23 février 2017.

 

  • Des mesures attentatoires aux libertés sont contenues dans les lois successives concernant les réfugiés et les migrants. En particulier le développement de la rétention administrative, la pénalisation des sans-papiers et celle de ceux qui les aident, etc. Les citoyens doivent prendre conscience que ce qu’ils perçoivent comme des micro atteintes à leurs libertés, puisqu’ils n’ont « rien à se reprocher », fait partie d’un processus évolutif qui peut être dangereux.

 

Au plan international

Les évolutions s’y inscrivent dans un contexte lui aussi régressif en termes de libertés, de sécurité commune et de respect de la dignité de la personne :

  • « Les États utilisent souvent des définitions des actes terroristes très générales, vagues et visant des actes non constitutifs des crimes les plus graves ; la participation à une association de malfaiteurs devient un acte terroriste passible de la peine de mort dans plusieurs Etats. ». Rapport du Haut-Commissaire aux droits de l’Homme, de l’ONU du 30 décembre 2016.

 

  • Les progrès de la régulation internationale semblent dangereusement remis en cause. L’émergence de compétiteurs stratégiques de l’hyperpuissance américaine comme la Russie ou la Chine, et la difficulté croissante des États-Unis à faire prévaloir leurs intérêts en dehors de leurs alliances traditionnelles (Europe, Japon) face à la multiplication des centres de pouvoir autonomes (Turquie, Arabie Saoudite, par exemple) sont autant de facteurs d’instabilité en l’absence de règles du jeu acceptées par tous. L’espoir d’un « ruled based liberal order » fait place à la crainte d’un monde « apolaire » plus que multipolaire.

 

  • Parallèlement le mécontentement grandit dans les électorats d’Europe et des États-Unis à l’égard des inégalités induites par la mondialisation. Les institutions internationales voient s’effriter leur légitimité et partant leur efficacité en matière de production de normes de droit. L’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis et les progrès de l’extrême droite en Europe en sont largement le reflet.

 

  • S’agissant du système de sécurité collective des Nations Unies, il est à présent fréquemment paralysé par l’absence d’accord entre les cinq membres permanents du Conseil de sécurité détenteurs du droit de veto. D’où une incitation aux actions coercitives unilatérales en violation de la Charte (cas de la Syrie, en raison du désaccord russe ou de la Corée du Nord en raison du désaccord chinois).

 

  • L’expérience des conflits en cours fait apparaître des violations, parfois flagrantes

 

  • Du Droit international humanitaire / DIH (par exemple en Syrie, bombardements indiscriminés par les forces gouvernementales et celles de leurs alliés, usage de gaz toxiques, attaques délibérées des autorités et des insurgés contre la population civile).

 

  • du droit international des droits humains (en particulier par un recours quasi-systématique – et souvent revendiqué – de la torture et de traitements cruels, inhumains ou dégradants) ; du côté américain et dans plusieurs pays impliqués dans la « guerre contre le terrorisme », emploi de drones de combat sans respect des principes du DIH y compris sur le sol de pays extérieurs au conflit et sans l’accord de leur gouvernement, destructions d’infrastructures civiles, notamment d’approvisionnement en eau et en énergie, etc.). Ces violations de la légalité internationale ne sont pas sanctionnées.

 

  • La négociation et le dialogue régressent comme outils de règlement pacifique des conflits.

 

  • Le désarmement, notamment nucléaire, et le contrôle des armements (par exemple des ventes d’armes) semblent passer au second plan derrière la nouvelle course aux armements qui s’engage.

Des moyens pour la justice

Deux commissions, la commission sénatoriale pluri partisane pour le redressement de la justice, emmenée par le sénateur LR Philippe Bas, et la commission sur l’avenir des prisons conduite par Jean-René Lecerf, ex-sénateur LR, ont rendu récemment des conclusions sans appel : « La justice va mal. », trop lente, trop complexe et trop peu accessible.

Et M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux va dans le même sens en publiant courant avril une lettre de cinquante-huit pages soumettant à son successeur «dix chantiers pour réparer le présent et préparer l’avenir» dont bien sûr l’amélioration des moyens de la justice et la mise en œuvre de méthodes de travail modernes.

S’il est vrai que les circonstances exceptionnelles permettent des atteintes aux droits fondamentaux qui seraient illégales en période ordinaire, la responsabilité des Etats, des pouvoirs exécutifs, législatifs et judiciaires, comme celle des sociétés civiles, chacun dans son mode propre d’action et d’intervention, est d’être attentifs aux questions de sécurité et de respect du droit.

Il faut pour cela que la justice non seulement demeure indépendante mais qu’elle dispose de vrais moyens efficaces, tant en France, qu’en Europe et aussi au plan international où la Cour pénale internationale est actuellement menacée.)