Malaise chez les surveillants pénitentiaires ?

Le récent mouvement social des surveillants pénitentiaires nous a rappelé la difficulté de cette profession qui peine à recruter et le paradoxe de prisons où la société voudrait toujours plus de places, tout en ignorant ce qui s’y passe.

 

La prison concentre toutes les contradictions de notre société. Les surveillants, qui se situent en bout de chaîne, sont confrontés dans les coursives à l’absurdité de la sanction, dont le manque de moyens affaiblit le sens. L’inscription de l’individualisation du sens de la peine dans la loi pénitentiaire ne suffit pas à en faire une réalité.

 

Image paradoxale

J’entends souvent des personnes étrangères à l’univers carcéral utiliser le terme de « maton » pour désigner les surveillants, comme si l’argot de films policiers définissait la profession dans l’imaginaire collectif. Pire, les jeunes détenus disent « SS » quand ils en parlent, terme particulièrement violent, que seule l’ignorance peut expliquer sinon excuser.

Paradoxe que cette image mal-aimée d’agents du service public, confrontés au quotidien à la perte de l’autorité, à l’exacerbation de la violence, à une population souvent déstructurée et atteinte de troubles psychiatriques. Une directrice disait que « la prison est un accélérateur de la maladie mentale ».

Souvent, des détenus sans trouble psychologique doivent prendre des médicaments pour supporter l’enfermement. Que dire de ceux qui sont déjà fragiles ou perturbés avant l’incarcération ? Le sous-effectif accroît les difficultés de la gestion de la détention : trop souvent un seul surveillant doit gérer une coursive, là où les normes en imposent deux, problème régulièrement pointé par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté lors de ses visites.

 

Démission

Certains surveillants n’osent pas dire à l’extérieur le métier qu’ils font, d’autres tentent dès que possible de changer d’administration. Une étude de 2011, réalisée par l’École Nationale de l’Administration Pénitentiaire relative au taux de démission des surveillants sur 11 promotions, faisait état d’un taux moyen de 6,1% d’abandons au bout d’un an de titularisation, les régions les plus touchées étant Paris, Lyon et Dijon. Et si la presse rapportait, lors des récents événements, les difficultés de recrutement et des cas d’absentéisme importants au concours, paradoxalement l’écho donné à ce mouvement social ne suscitera guère l’envie de jeunes d’embrasser la carrière.

 

Un beau métier : veiller

Pourtant, je constate, en tant qu’aumônier, qu’être surveillant peut être un beau métier. Lorsqu’il y a quelques années je commençais ma mission, je me souviens d’une visite à un détenu assez tendu qui, avec le peu de moyens dont il disposait, venait de renverser son dernier café, en essayant de verser l’eau d’une poêle dans un gobelet en plastique. Il s’inquiétait de savoir si de l’argent était arrivé sur son pécule à sec.

L’aumônier qui m’accompagnait a sollicité le surveillant pour lui demander s’il pouvait le renseigner sur l’état de son pécule, lui expliquant au passage l’incident du café. Le surveillant, qui faisait le ramadan, a regardé le pécule, en a inscrit le montant sur un papier qu’il est allé porter au détenu avec un café en allant refermer la cellule.

Tous les préjugés que je pouvais avoir sont tombés et j’ai découvert qu’avec cette profession, il s’agit d’abord de contacts humains et que la qualité de l’homme fait la réalité du métier. « Surveillant », c’est « celui qui veille sur » ; même étymologie qu’épiscope. Depuis, j’ai rencontré beaucoup de surveillants qui font honneur à la profession et essaient de leur mieux d’apaiser les tensions plutôt que de les attiser.

Bien sûr, il en est aussi qui se voient plutôt du côté de la peine que du souci d’y mettre du sens, et nous rencontrons de leur part un accueil, sinon hostile, du moins peu favorable. Mais cela reste marginal d’après ma petite expérience.

 

Attentes contradictoires ? Faire autrement

Des agressions ont toujours existé même si la question des détenus radicalisés pose des questions nouvelles. Mais c’est l’accumulation de tensions et de malaise qui a conduit à faire déborder le vase, à un moment choisi, puisque c’est l’année d’élections professionnelles. Le malaise des surveillants est surtout un symptôme de la maladie de la prison, trop négligée pendant trop longtemps et trop sollicitée en même temps.

On voudrait toujours plus de prisons, sans bien savoir pour quoi faire ; on les voudrait toujours plus sécurisées, quand bien même une part importante de la population carcérale ne le justifie pas ; on y voudrait toujours plus de monde, avec toujours moins de personnel, rapporté au nombre de détenus. Dans ces conditions l’individualisation du sens de la peine risque de rester un vœu pieux, le taux de récidive important et le malaise des surveillants persistant.

Pourtant, il n’est qu’à regarder vers nos voisins du nord de l’Europe ou vers le Canada pour constater qu’on peut faire autrement. Lors d’échanges informels, des membres du personnel de surveillance ou des officiers l’observent eux-mêmes. Mais pour que les décideurs prennent mieux en compte la réalité de la prison et remédient aux difficultés, il faudrait commencer par écouter tous ceux qui y vivent ou y passent le plus clair de leur temps.