Que se passe-t-il au Nicaragua ? Retour sur ces derniers mois

Le 12 juillet 1979, au Nicaragua, la Révolution Sandiniste renverse la dictature de la famille Somosa. Plus de 40 ans de tyrannie et de répression sont relégués au passé.

 

Le Nicaragua ouvre une nouvelle étape de son histoire, un chemin de reconstruction et de réconciliation. Le Front Sandiniste de Libération Nationale (FSLN) assume le pouvoir et génère beaucoup d’espoir dans le pays et dans toute l’Amérique Latine. Une partie de l’Église participe à ce mouvement. On se souvient par exemple que les deux frères Cardenal, Fernando et Ernesto, l’un jésuite l’autre ancien moine trappiste, furent ministres du premier gouvernement sandiniste [1].

 

Après un passage dans l’opposition (1990-2007), le sandinisme est de retour en 2007, avec Daniel Ortega, Président pour la seconde fois.

 

Mais en avril 2018, 39 ans après le triomphe de la révolution, les petits-enfants des révolutionnaires sont dans les rues, protestant contre le gouvernement Ortega. Quelques jours auparavant, le gouvernement avait annoncé une réforme de la sécurité sociale : réduction des pensions de 5% et augmentation des contributions des travailleurs. Ce fut la mesure de trop dans un pays miné par la pauvreté et la corruption. Le gouvernement suspend la réforme ; les manifestations continuent, menées en particulier par les étudiants.

 

Selon un rapport d’un groupe d’experts indépendants, mandatés par la Cour Interaméricaine des Droits de l’Homme (CIDH), l’État est entré les 19 et 20 avril dans une phase de répression plus intense avec l’utilisation disproportionnée et indiscriminée d’armes contre la population civile, principalement des armes à feu, y compris des armes de guerre.[2] Depuis, le Nicaragua est plongé dans une crise profonde qui, jusqu’à présent, semble sans issue.

 

Les faits les plus marquants de ces derniers mois.

 

Le 18 avril 2018, un groupe important de citoyens, surtout des étudiants, manifestent contre le gouvernement dans les villes de León et de Managua, la capitale, suite aux réformes annoncées de la sécurité sociale. Les manifestants sont agressés par la police et des militants de la jeunesse sandiniste.

 

Le 20 avril 2018, le troisième jour des manifestations, Alvaro Conrado meurt. Âgé de 15 ans, il est la plus jeune victime des violences et devient une icône emblématique de la résistance, une force d’inspiration pour continuer les manifestations.

 

Le 22 avril 2018, le président Ortega, annule la réforme. Le 23 avril, sa vice-Présidente et épouse, Rosario Murillo installe une table ronde de dialogue national, avec la participation du gouvernement, du COSEP[3] (patronat), de représentants des étudiants et, comme médiatrice du dialogue, la Conférence des Évêques du Nicaragua.

 

Du 22 au 30 avril, des milliers de personnes, notamment étudiants et paysans, poursuivent les manifestations. Le 28 avril, la Conférence des Évêques du Nicaragua organise une marche pèlerinage à Managua avec la participation de milliers de catholiques et de fidèles d’autres confessions. Le 30 avril, le gouvernement et le FSLN organisent un rassemblement officiel : le Président fait un discours demandant la paix et le dialogue.

 

Le 2 mai, le Mouvement universitaire demande au gouvernement d’autoriser la venue de la CIDH et du Haut-commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme. Le 10 mai, le président de Nicaragua et sa vice-Présidente donnent carte blanche à la Conférence des Évêques pour amorcer le dialogue. Le 11 mai, les évêques donnent 72 heures au gouvernement pour faciliter les conditions du dialogue, à ces conditions :

 

  • Autoriser l’entrée et le travail sur le territoire d’une délégation de la CIDH.
  • Supprimer les corps paramilitaires et ordonner le retrait des milices civiles liées au Président.
  • Arrêter toute répression policière contre les groupes civils de manifestants.
  • Donner des signes de volonté de dialogue.

 

Les 72 heures écoulées, le gouvernement n’avait pas rempli toutes ces conditions. Cependant, l’Église accepte d’amorcer le dialogue le 16 mai. Les manifestations se poursuivent et le nombre de morts, de détenus et de blessés ne cesse d’augmenter. Selon les statistiques du Centre Nicaraguayen des Droits de l’Homme (CENIDH), à cette date le nombre des morts serait de 46 personnes ; d’autres sources donnent 65 personnes.

 

La table ronde de dialogue qui s’ouvre le 16 mai est constituée de représentants de la Conférence des Évêques (médiateurs), du gouvernement (dont le Président et sa femme), de recteurs d’université (dont le P. José Idiáquez, jésuite, recteur de l’Université jésuite Centro-Américaine), des mouvements étudiants, des organisations civiles (notamment le Mouvement autonome des femmes et le Conseil du mouvement pour la Défense de la terre), des syndicats de travailleurs, des organisations patronales et des unions d’agriculteurs et d’éleveurs. Les rencontres sont fixées au séminaire interdiocésain « Nuestra Señora de Fatima ». A leur arrivée, le Président et la vice-Présidente sont accueillis par les cris de protestation de la population qui les désigne comme responsables de la répression et des morts. Lesther Alemán, représentant des étudiants, interrompt le Président en s’écriant : « Président, nous demandons que la répression cesse immédiatement ». Daniel Ortega poursuit son discours en rappelant l’époque du conflit armé des années 1970. Puis il défend la police et son gouvernement. Carlos Tünnerman, l’un des premiers leaders des étudiants contre la dictature de Somoza et ancien ministre de l’Éducation, qualifie ce discours présidentiel de « décevant » ; il exige la fin de la répression et dit au président : « Vous n’avez pas ordonné la cessation de la répression. Ordonnez-la ici et maintenant ! ».

 

Le 19 mai, des manifestations pacifiques continuent. Le nombre de décès augmente lui aussi. La police et des membres de la jeunesse sandiniste attaquent différents campus universitaires.

 

Le 21 mai, la CIDH fait 15 recommandations au gouvernement. A la table ronde du dialogue, la démission du Président et de la vice-Présidente est demandée, les recommandations de la CIDH sont acceptées et la cessation de la répression est réclamée ; mais la violence continue. Le 30 mai, jour de la fête des mères, une manifestation massive est organisée, peut-être la plus grande de toutes. C’est une journée noire, avec plus de 200 blessés et 15 morts.

 

En raison de l’inaction du gouvernement et après cette journée tragique du 30 mai, les évêques décident de suspendre la table ronde. Le dialogue reprend finalement le 15 juin et les accords suivants sont alors conclus :

 

  • Autoriser la présence de la Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH).
  • Inviter le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme et celui de l’Union européenne.
  • Accepter le soutien de l’Organisation des États américains (OEA).
  • Appeler à la cessation de la violence de tous les côtés.
  • Créer une commission de vérification et de sécurité.
  • Prévoir de lever les barrages.

 

Le 19 juin, la table ronde de dialogue est à nouveau suspendue dans l’attente que le Président se conforme entièrement aux accords. Deux missions de la CIDH se mettent en place : le 24 juin, le MESENI (Mécanisme spécial de suivi pour le Nicaragua) et, le 3 juillet, le GIEI (Groupe Interdisciplinaire d’Experts Indépendants). Finalement, après une reprise partielle des discussions, une troisième – et jusqu’à ce jour complète – suspension intervient, le 9 juillet. La veille, en effet, un groupe d’ecclésiastiques, dont le cardinal Leopoldo Brenes, archevêque de Managua, l’évêque auxiliaire Silvio Báez, et le nonce apostolique Stanislaw Waldemar Sommertag, avaient été attaqués et blessés par des forces parapolicières et des manifestants favorables au Président, alors qu’ils tentaient une médiation pour libérer des personnes réfugiées dans une église.

 

Depuis le mois de juillet et jusqu’à ce jour la crise à continue. Selon la CIDH, le nombre des tués par répression est de plus de 325 personnes. En même temps, il y a au moins 400 prisonniers politiques, des milliers d’exilés et des clandestins dans leur propre pays. Le gouvernement continue à réprimer la population par la violence, les licenciements institutionnels, les attaques contre les journalistes et la manipulation des chaînes de télévision, des journaux et de tous les médias. Tout récemment, le 19 décembre, le gouvernement a mis fin à la présence des représentants des deux organismes de la CIDH : le MESENI et le GIEI. Selon ces organisations, il existe des preuves que le gouvernement du Nicaragua a commis des crimes contre l’humanité.

 

Les événements ici relatés ne sont pas exhaustifs des drames qui se jouent au Nicaragua mais ils donnent un aperçu pour apprécier la situation. De nombreux pays et organisations internationales ont exprimé leur solidarité avec le peuple nicaraguayen, mais jusqu’à présent, aucune solution ne se fait jour pour sortir de la crise. À moyen terme, la démission du Président et de son épouse, la vice-Présidente, semble un préalable indispensable. Cela ouvrirait des chemins de sortie de crise. La population du Nicaragua continue de garder espoir et lutte pour défendre ses droits. L’Église joue un rôle très important et accompagne de près les souffrances de la population. Elle en paye le prix.

 

Le pape François, lors de son message de Noël, a prié pour la paix du Nicaragua en disant : « Que les habitants du Nicaragua bien-aimé se redécouvrent comme des frères, afin que les divisions et les discordes ne prévalent pas, mais que tous s’efforcent de favoriser la réconciliation et de construire ensemble l’avenir du pays ».

 

Face à tous ces événements, le silence ne peut être maintenu, il est nécessaire de continuer à faire entendre notre voix et à dénoncer tant d’injustices, afin que la paix et la prospérité de ce peuple meurtri soient bientôt rétablies.

[1] Lors de sa visite au Nicaragua, Jean-Paul II demande aux religieux de se mettre en règle avec le droit de l’Église qui ne permet pas à un clerc d’exercer une charge politique exécutive (et encore moins dans un gouvernement d’obédience communiste !). Fernando quittera la Compagnie de Jésus pour poursuivre sa mission comme ministre de l’éducation. Quelques années plus tard, ayant démissionné pour désaccord avec l’évolution du gouvernement, il demandera à être réintégré dans l’ordre ce qui lui sera accordé après qu’il eut refait un noviciat. Après le retour de Daniel Ortega au pouvoir, il n’aura de cesse de dénoncer les dérives du pouvoir et ce qu’il considère comme une trahison du mouvement qui avait renversé la dictature Somosa. Il est décédé en 2016.