La Lettre de Justice et Paix de juin dernier (n° 181) propose, sous la signature de deux experts dont la compétence est indiscutable, un ensemble d’informations fort utiles sur les armes et les stratégies nucléaires, ainsi que sur les divers traités internationaux en la matière. Cette information, fiable, est précieuse pour alimenter les débats sur les choix à faire.

Là où le bât blesse, c’est quand le document en vient aux propositions. L’une d’entre elles, la « dénucléarisation unilatérale », n’a visiblement pas la faveur des auteurs ! C’est leur droit, bien sur. Encore faudrait-il qu’ils la discutent pour l’écarter. Or elle est expédiée en trois lignes, les auteurs ne l’estimant même pas digne d’être discutée. Ignoreraient-ils que l’ « Appel en faveur du désarmement nucléaire unilatéral de la France » a été signé, en janvier 2012, par 46 personnes, dont bon nombre ne peuvent être aisément disqualifiées pour naïveté ou légèreté intellectuelle (entre autres, Olivier Abel, Guy Aurenche, Françoise Héritier, Stéphane Hessel, Edgar Morin, Alain Touraine, Paul Virilio, Patrick Viveret) ? Surprenante méconnaissance, puisque le texte de cet appel est accessible sur le site même de Justice et Paix (deux de ses anciens secrétaires nationaux, Antoine Sondag et moi-même, en étant signataires).

On peut aussi s’étonner de lire, dans un document qui fait montre d’un grand souci de précision et de rigueur, une affirmation erronée : les partisans de la dénucléarisation unilatérale  « comptent sur les vertus de l’exemplarité » ! On se demande bien où ils ont lu cela : ni dans l’appel des 46, ni dans les argumentaires développés en faveur de cette position[1] l’argument de l’exemplarité n’est mis en avant. Tout au plus le trouve-t-on sous forme négative : en conservant et modernisant ses armes nucléaires et en développant un discours public pour les justifier, la France (comme les autres pays détenteurs de ces armes) donne un « mauvais exemple » qui disqualifie ses plaidoyers pour la non-prolifération : « S’il prétend que l’arme nucléaire est la garantie de la sécurité des Français, comment l’État français peut-il demander aux peuples non dotés de l’arme nucléaire de renoncer à la posséder ? » (appel des 46).

Non, ce n’est pas pour « donner le bon exemple » – argument effectivement très naïf –, que la France devrait se débarrasser du fardeau nucléaire. C’est tout simplement parce qu’il lui pèse (financièrement, politiquement) et ne lui sert à rien pour la protéger de quelque menace que ce soit. Je conçois fort bien que l’on puisse être en désaccord avec cette affirmation, mais alors qu’on présente des arguments pour la réfuter : à quoi servent nos armes nucléaires ? De quoi nous protègent-elles ? Quels moyens nous donnent-elles pour intervenir là où nous jugeons légitime d’intervenir ?

Je sais qu’il existe aussi de forts arguments éthiques contre la possession de telles armes. Ces arguments, que je connais et auxquels j’adhère en tant que chrétien, attentif aussi à l’évolution considérable du Vatican sur ce point depuis les années 80, auraient pu au moins être évoqués dans un tel document. Il est vrai qu’ils se situent sur un autre registre et demanderaient de longs développements. Rappelons seulement que la fameuse distinction entre « emploi » et « menace », mise en avant par le document épiscopal de novembre 1983 pour justifier la doctrine française de dissuasion nucléaire, a été explicitement récusée dans diverses déclarations romaines. C’est, j’en conviens, un autre débat ; il me tient à cœur comme catholique, mais j’admets qu’il n’aurait, hélas, guère d’influence sur l’opinion publique de notre pays.

[1] www.francesansarmesnucleaires.fr

Les 27/28 juin dernier les chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union européenne ont envoyé un signal clair en matière de lutte contre le chômage qui touche quelques 5,6 millions jeunes Européens.

Six, voire huit milliards d’euros  seront mobilisés pour cofinancer la « garantie jeunesse » dans des régions dont le chômage des jeunes dépasse la barre des 25%. Il s’agit de garantir aux moins de 25 ans une offre d’emploi, une formation, un apprentissage ou un stage dans les quatre mois suivant leur arrivée sur le marché du travail.

Un début d’été prometteur

Le gouvernement lithuanien a emboité le pas au tout début de sa présidence du conseil des ministres de l’Union européenne pendant le deuxième semestre 2013. Lors d’une réunion informelle des ministres du travail les 11 et 12 juillet derniers, elle a mis à l’ordre du jour les questions de salaire minimum et de standards communs à l’UE. Quant à la Commission européenne, elle a annoncé une communication sur ce dossier pour l’automne

Juste avant le Conseil européen de juin, les négociateurs en chef des institutions européennes avaient trouvé un accord sur le cadre financier pluriannuel de l’UE pour 2014 – 2020. Notons aussi l’accord de principe sur la nouvelle politique agricole commune du 26 juin. Une prolongation des tractations sur ces dossiers aurait définitivement paralysé les travaux des institutions européennes à quelques trimestres des élections européennes de mai 2014. Il était d’autant plus important de disperser au plus vite les doutes qui ont resurgi après le vote formel du 2 septembre par le Conseil des ministres pour le budget 2014 qui semble – à première vue – contredire les décisions des chefs d’Etat et de gouvernement.

Accord sur la restructuration bancaire

Puis, le 10 juillet, la Commission européenne a adopté une proposition pour un mécanisme unique de restructuration bancaire. Après l’instauration du mécanisme unique de supervision pour les 6000 banques de la zone euro, il s’agit du deuxième jalon pour l’union bancaire, qui est elle-même un élément -clé pour venir à bout de la crise de la zone euro. Elle permettra notamment à des banques dans les pays du Sud de l’Europe de retrouver des taux de refinancement sur les marchés plus bas et de proposer à leur tour des taux d’intérêt plus intéressants aux entreprises de leurs pays. La proposition de la Commission a pu être votée par le collège des commissaires après un accord politique  du Conseil des ministres sur la directive européenne qui encadre les régimes nationaux de restructuration bancaire. Si le sauvetage d’une banque se révèle  nécessaire, ce seront dorénavant d’abord les actionnaires et autres agents privés qui devraient être mis à contribution et seulement en tout dernier recours les contribuables. Certes, cet accord a été critiqué par la Banque centrale européenne au début du mois de septembre à cause de délais trop lointains (l’entrée en vigueur des règles du ‘bail-in’ n’est prévue qu’en 2018) et à cause d’une grande discrétion accordée aux gouvernements pour faire des exceptions à ces règles, mais – encore une fois – en l’absence d’un accord, une crise majeure aurait secoué la zone euro et réinstallé le doute sur sa continuité.

Partenariat transatlantique, climat, politique d’asile, protection des données

Puis, le 4 septembre, à la veille du sommet G20 à St. Petersbourg, la Commission européenne a présenté ses idées pour réguler le système bancaire parallèle (shadow-banking) qui représente aujourd’hui 25% de tout le système financier. Après la directive sur les exigences des capitaux propres des banques et sur les agences de notation, ceci constitue une nouvelle étape importante pour mieux réguler les banques et la finance.

Enfin, l’ouverture formelle des négociations entre l’UE et les Etats-Unis sur un partenariat transatlantique sur le commerce et l’investissement (TTIP). Le Secrétariat de la COMECE a établi des liens avec la Conférence épiscopale des Etats-Unis pour examiner l’impact qu’aurait un tel accord des deux côtés de l’Atlantique et au-delà.

A ce tour d’horizon, on pourra finalement ajouter quelques nouvelles venant d’autres domaines politiques. Ainsi, dans la lutte contre le changement climatique, le Parlement européen a voté le 3 juillet en faveur d’une réforme à court terme du système des quotas d’émission après  avoir encore voté contre en avril. Cette réforme passe par le gel temporaire de 900 millions de quotas excédentaires. Quelques semaines auparavant, le Parlement a donné son feu vert au nouveau système d’asile européen. Le travail législatif sur ce dossier a commencé en 1999 ! Alors que tout n’est pas réglé aujourd’hui et que la solidarité entre Etats-membres ne va probablement pas assez loin, il faut se réjouir qu’une procédure commune ainsi que les conditions d’accueil soient dorénavant harmonisées. En même temps, il convient de veiller à ce que les Etats membres transposent dans les six prochains mois les nouvelles directives dans leur législation nationale.

Autre sujet : la protection de données a été, pendant des mois, beaucoup débattue dans les instances à Bruxelles et à Strasbourg sans pour autant connaître de réels progrès. Désormais, avec l’affaire Snowden et les révélations sur les pratiques d’écoutes des services de renseignement, il n’est plus exclu que cette proposition de directive soit adoptée  avant la fin de la mandature du Parlement européen au printemps prochain. Certes, la nouvelle directive sur la protection de données répond au besoin de suivre l’évolution technologique et de permettre aux personnes de préserver le contrôle sur leurs données personnelles. L’ancien texte date de 1995, donc bien avant l’avènement de Twitter et Facebook et personne n’imaginait à l’époque la nécessité de mieux suivre les entreprises d’Internet. Aujourd’hui, il s’agit de créer, par exemple, un droit à l’oubli sur Internet qui interdirait de stocker des informations au-delà d’un délai déterminé.

Et pourtant, le doute européen persiste !

Et pourtant, malgré des avancées notables, l’Union européenne est loin de faire l’unanimité. En suivant le débat public, on constate que la réticence et la méfiance vis-à-vis des institutions européennes et de la méthode communautaire sont souvent dominantes. Il suffit de se rappeler les manifestations, parfois violentes, en Grèce contre les programmes européens de sauvetage, l’essor des partis nationalistes et eurosceptiques en Belgique, au Finlande, en France, en Hongrie, aux Pays-Bas et ailleurs. La position britannique pour une renégociation des Traités avant d’organiser un référendum sur l’appartenance du Royaume-Uni  à l’UE est bien connue. De même, le gouvernement néerlandais a transmis récemment une note à son Parlement, qui proclame la fin de la période d’une « union toujours plus étroite » et demande la renationalisation d’un certain nombre de politiques européennes.

Un compromis historique pour un système fédéral

Pour surmonter cette situation critique – notamment en vue des prochaines élections européennes -, les membres du Conseil européen devraient résoudre, et ne pas uniquement gérer la crise de la zone euro. Dans leur papier commun, MM. Barroso, Draghi, Juncker et Van Rompuy avaient énuméré les conditions pour une résolution de la crise en proposant la mise en place d’une union bancaire, économique, fiscale et politique. Or, l’union bancaire est en bonne voie, comme on l’a vu, mais des doutes continuent à être exprimés sur la teneur du dernier compromis. Les décisions en matière d’union économique (et sociale) n’ont pour l’instant pas permis une percée dans la mise en œuvre de réformes structurelles. Celles-ci sont indispensables pour réamorcer la croissance économique qui, seule, permettra à terme de diminuer à la fois un stock de dette trop importante et de préserver un modèle social européen digne de ce nom. L’union fiscale a, certes, progressé avec la réforme du pacte de stabilité et l’introduction du semestre européen, mais on peut se demander si – en cas de conflit – la Commission européenne pourrait vraiment imposer ses recommandations sur les budgets des (grands) Etats membres. Le thème d’une union politique n’a pas été abordé jusqu’à présent et, pourtant, il faudra un saut qualitatif, un compromis historique dans ce domaine.

Comme l’Allemagne a tout intérêt à maintenir la zone euro, elle pourrait se décider à négocier ce compromis après les élections allemandes. En échange de réformes structurelles dans des pays comme la France et les pays du sud de l’Europe, elle pourrait accepter une forme de mutualisation de la dette des Etats de la zone euro, qui évoluerait alors vers un système fédéral. Cette fédération de la zone euro ne se réalisera pas du jour au lendemain. Le nouveau Parlement européen devrait élaborer une proposition concrète, de concert avec les délégations des parlements nationaux de la zone euro et avec le soutien de la prochaine Commission européenne. Les peuples devraient être consultés.

Le Conseil européen, cependant, devrait donner le signal de départ et ceci, avant la fin de l’année. Il devrait avec la même énergie préparer les esprits et expliquer clairement aux citoyens pourquoi le saut fédéral serait un meilleur garant pour la stabilité en Europe, pourquoi il permettrait une plus grande justice entre pays, régions et territoires et entre les générations, pourquoi – enfin – il serait meilleur pour le rayonnement de l’Europe dans le monde. Robert Schuman écrivit il y a 50 ans dans son ouvrage Pour l’Europe : « A toutes (les) tendances qui nous sont léguées par le passé il faudra substituer la notion de la solidarité, c’est à dire la conviction que le véritable intérêt de chacun consiste à reconnaître et à accepter dans la pratique l’interdépendance de tous. L’égoïsme ne paye plus. »

La COMECE est la Commission des Episcopats de la Communauté européenne et elle est composée de 27 évêques représentant tous les États membres de l’UE. Depuis plus de trente ans, la COMECE accompagne le processus d’intégration européenne et propose ses réflexions. La COMECE est désormais un partenaire des institutions de l’UE dans le dialogue prévu par l’Article 17 (3) du Traité sur le fonctionnement de l’UE.

La session annuelle du Conseil sur les approches chrétiennes de la défense et du désarmement s’est tenue début septembre à Berlin.

La prochaine aura lieu en France, organisée par Pax Christi et Justice et Paix.

Cette réunion de fonctionnaires civils, de militaires, d’experts et de théologiens catholiques et protestants est née en 1963 du besoin de porter un regard éthique sur les questions stratégiques. Les pays représentés appartiennent à l’Alliance atlantique, les participants britanniques, allemands, néerlandais et américains y étant les plus nombreux.

Longtemps les dilemmes de la dissuasion nucléaire ont été au centre des discussions. Était-il admissible de fonder l’équilibre Est-Ouest sur la menace d’immenses dévastations ? Mais était‑il pour autant justifié de laisser le monopole de l’arme nucléaire à des régimes totalitaires ? Des réponses très différentes pouvaient être données à ces interrogations : la stratégie américaine de « riposte graduée » entendait limiter l’impact d’un éventuel conflit sur les populations alors que la stratégie française de dissuasion visait à empêcher tout affrontement armé. Malgré ces divergences, le désarmement nucléaire a toujours bénéficié d’un consensus.

Après la fin de la guerre froide, les débats se sont concentrés sur la question du recours à la force pour la gestion des crises et en particulier pour mettre fin à des catastrophes humanitaires telles que celles de l’ex-Yougoslavie. Ils ont été marqués par le mouvement d’opinion international qui s’est développé, après le massacre de Srebrenica et la tragédie du Rwanda, pour refuser que la souveraineté des États fasse obstacle aux mesures de coercition indispensables pour la protection des populations menacées.

La conférence de Berlin a essentiellement porté sur cette problématique. Plusieurs approches y ont été confrontées : la doctrine traditionnelle de la « guerre juste », la notion de « paix juste » élaborée par les catholiques et protestants allemands pour donner la priorité à la prévention des conflits, le nouveau concept onusien de « responsabilité de protéger » et la stratégie « d’approche globale » qui prévoit de combiner dans la durée les moyens civils et militaires de gestion des crises, la composante militaire ne jouant un rôle déterminant qu’au moment le plus aigu, pour faire cesser les combats.

Tous les participants ont reconnu que la notion de « guerre juste » restait actuelle mais que le recours à la force est toujours la marque d’un échec. La prévention des conflits est donc cruciale. Les divergences ont surtout porté sur la valeur normative du droit international, certains considérant que, face à des situations humanitaires extrêmes comme celle de la Syrie actuellement, il était admissible de se passer de l’autorisation du Conseil de sécurité pour intervenir. La plupart ont en revanche exprimé de grandes inquiétudes devant les risques d’une telle mise en cause du système des Nations Unies. De nombreux participants ont par ailleurs contesté l’interprétation extensive du droit de légitime défense avancée pour justifier certains usages des drones de combat.

Repères

 

  • La doctrine de la « guerre juste » a été reprise de manière implicite, par le rapport de la Commission internationale de l’intervention et de la souveraineté des États à l’origine de la notion de « responsabilité de protéger » :le recours à la force n’est possible qu’à six conditions: la décision d’une autorité légitime, la cause juste, l’intention droite, la proportionnalité de l’action avec le mal à combattre, les chances raisonnables de succès et le dernier recours, après l’épuisement de toutes les solutions pacifiques. Cette doctrine considère l’emploi de la force comme un mal mais l’accepte dans des situations où l’inaction serait cause d’un mal plus grand encore.
  • La notion de « paix juste », notamment développée par les évêques allemands, repose sur trois principes : dignité de l’homme, recherche du bien commun international et exigence de justice et de solidarité. Elle se présente comme un dépassement de la doctrine de « guerre juste » et met l’accent sur le caractère prioritaire de la prévention, de la réconciliation et du désarmement mais reconnaît que certaines situations peuvent justifier le recours à la force dès lors que sont remplies les conditions définies par la doctrine de la « guerre juste ».
  • Le concept stratégique de l’OTAN, adopté au sommet de Lisbonne en novembre 2010, a reconnu la nécessité, pour la gestion des crises, d’une « approche globale » faisant intervenir une gamme diversifiée d’instruments politiques, civils et militaires. Seuls, les moyens militaires, même s’ils sont essentiels, ne suffisent pas pour répondre aux menaces et risques.
  • Le document final du Sommet mondial de 2005 de l’ONU a consacré le principe de « responsabilité de protéger » : les États ont le devoir de protéger leur population contre le génocide, les crimes de guerre, le nettoyage ethnique et les crimes contre l’humanité. S’ils n’en ont pas la capacité ou la volonté, l’ONU s’engage à intervenir pour assurer cette protection. La « responsabilité de protéger » repose sur trois piliers : la responsabilité première des États dans la protection de leur population ; l’assistance internationale aux États en vue de renforcer leur capacité de protection ; et, en cas de défaillance, volontaire ou non, d’un État, une action de la communauté internationale, sur décision du Conseil de sécurité.