Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.

Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.

Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.

Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.

On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.

Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.

Télécharger la Lettre n°304 septembre 2024  (PDF)   

1 – Il y a un an, la menace du Covid commençait à marquer nos vies. Il a fallu adapter nos modes d’organisation, depuis la sphère familiale jusqu’aux politiques publiques. Alors que nous prétendions tout maîtriser -et même dominer le monde-, nous avons pris conscience de nos fragilités individuelles et collectives. Mais les vieux réflexes ont la vie dure, ceux qui disposent d’une certaine puissance, notamment grâce à l’argent, essaient de passer les premiers, nous le voyons actuellement en ce qui concerne la distribution des vaccins à l’échelle mondiale. Avec les points retenus pour ce n° de DIÈSE, nous retrouvons ce réflexe de domination : la puissance liée à la richesse et au statut social, donnerait des droits à tous niveaux, au détriment des plus faibles. Mais le point de vue éthique nous rappelle que l’on peut juger la qualité humaine d’une société à la manière dont elle traite ses membres les plus fragiles. Veillons donc à ce que la politique ne laisse pas libre cours à l’emprise dominatrice des puissants.

2 – Traite des personnes humaines. On entend par « traite » différentes formes d’exploitation des êtres humains, notamment la prostitution, l’esclavage, le travail forcé.

Selon un rapport de l’Organisation internationale du travail (OIT), dans le monde, plus de 40 millions de personnes sont soumises à différentes formes d’esclavage moderne. Dans 1 cas sur 4 il s’agit un enfant. Les victimes sont surtout des femmes, des filles, avec notamment plus de 15 millions de mariages forcés. Plus de 25 millions de personnes, sont soumises au travail forcé. C’est le cas notamment en Chine.

Nous sommes concernés de deux manières. Dès qu’un être humain se trouve soumis à des traitements dégradants, c’est notre commune humanité qui est affectée; s’il est légitime de revendiquer pour soi-même les droits humains élémentaires nous avons aussi la responsabilité de travailler pour que ces droits soient reconnus pour tous. La question de la traite des être humains renvoie l’image d’un monde où prime la domination sur les plus faibles. Retenons un critère décisif pour vérifier comment la justice est vécue dans notre société : quelle est la situation des plus fragiles ?

En ce qui concerne le travail forcé, nous en sommes parfois « bénéficiaires » puisque ce mode de production diminue les coûts ; mais nous pouvons faire pression sur les entreprises afin qu’elles vérifient dans quelles conditions les vêtements et d’autres produits de consommation sont réalisés ; la course au prix le plus bas ne peut être le critère décisif de choix. D’autant que cela nous place dans une situation de dépendance vis-à-vis de pays, de puissances qui ne font pas grand cas des droits humains et qui ont une stratégie d’influence : la pandémie révèle les aveuglements liés à une mondialisation naïve, polarisée sur les avantages à court terme.

3 – Valeurs républicaines. Nous savons bien que la vie commune suppose que nous partagions une culture qui valorise des références fortes, à commencer par la liberté, l’égalité et la fraternité. Une loi en cours d’élaboration comprendra un « contrat d’engagement républicain » destiné aux 2 millions d’associations qui assurent pour une bonne part la vitalité de notre société. L’intention peut être louable à deux conditions. À propos de références qui laisseraient une grande marge d’appréciation, il faut veiller à ce que des fonctionnaires  « trop zélés » n’en viennent pas à décourager les initiatives de bénévoles qui accompagnent notamment les populations les plus fragiles ; d’autant que l’opinion s’enflamme vite et on risque alors de livrer des boucs émissaires à la vindicte publique, qu’il s’agisse d’associations ou de personnes qui les animent.

Mais il faudrait aussi que les services de l’État soient exemplaires à propos des droits humains, ainsi que les politiques qui impulsent la marche à suivre.

Ce n’est pas toujours le cas, la commission consultative des droits de l’homme (CNCDH) vient de dénoncer la violation des droits humains fondamentaux des exilés dans le nord de la France : des migrants se trouvent dans un extrême dénuement puisque leurs lieux de vie sont régulièrement démantelés, y compris en plein hiver. La présidente du Secours catholique a vigoureusement dénoncé de telles pratiques qui mettent en danger la santé et la vie d’êtres humains. Des témoins rapportent aussi que, dans les Alpes, des demandeurs d’asile, notamment des mineurs, sont refoulés vers l’Italie dans la neige et le froid, sans qu’ils puissent formuler quelque demande que ce soit; et, dans le même temps, les personnes qui essaient de leur apporter bénévolement un peu de réconfort sont inquiétées. Quand la dignité humaine est ainsi bafouée, les grands principes républicains sont mis à mal.

Des professionnels de santé s’alarment d’un durcissement de l’accès à l’Aide médicale d’État (AME) qui permet l’accès aux soins pour tous, y compris pour les personnes sans papiers. Deux enjeux : une mise en cause du droit de malades à être soignés, mais aussi un problème de santé publique puisque des maladies contagieuses peuvent s’étendre.

Le rappel des grands principes qui fondent notre société est souhaitable, à condition qu’il ne soit pas contredit par des décisions pratiques.

Restons vigilants : certaines idéologies qui font des migrants la source de tous les maux tendent à présenter leurs préjugés comme des évidences et à légitimer des pratiques contraires aux valeurs qui fondent notre vie commune. Apprenons à résister, nos principes humanistes sont précieux, mais ils restent fragiles !

4 – Bonnes nouvelles

* Notre pays s’engage à « s’efforcer » de porter son aide au développement des pays pauvres à 0,7 % du revenu national brut en 2025. Nous pourrons veiller à ce que l’effort soit couronné de succès, alors que l’engagement a été pris il y a déjà plus de 50 ans…

* L’encyclique du pape François, Fratelli tutti, vient d’être traduite en russe, par une organisation musulmane !

5 – Lecture : Corine Pelluchon, Les Lumières à l’âge du vivant, Seuil, 2021.

Un ouvrage philosophique intéressant. L’auteure nous invite à sortir de l’ère de la domination, pour mettre en valeur la considération. Elle dénonce notamment le transhumanisme : celui-ci apparaît comme s’opposant à l’héritage des Lumières puisqu’il conduit fatalement à une organisation inégalitaire et hiérarchique, de telle manière que des « êtres supérieurs » vont dominer les autres. Signe du délire : quelques super riches rêvant d’aller s’installer sur Mars pour abandonner une Terre en perdition. Selon C. Pelluchon, à l’opposé d’un tel danger, il faut rappeler que « le nouveau-né, notion phare de la considération, incarne cette espérance de renouvellement : il nous renvoie à notre responsabilité qui consiste à prendre soin de lui et à lui transmettre un monde habitable » (p. 230).

André Talbot

Rendez-vous dans un mois pour le prochain numéro de # DIÈSE

« La crise Covid fait des victimes sanitaires, surtout parmi les plus âgés, notamment dans les pays riches, et elle fait et continuera à faire, même après la fin de la pandémie, des victimes économiques parmi les jeunes, notamment dans les pays pauvres. Pour la première fois depuis la fin des années 1990, la pauvreté dans le monde repart à la hausse. À l’échelle internationale, les progrès du passé récent en matière de développement s’effacent. Les perspectives préoccupent…

[…]

Plus que les données précises, ce sont les ordres de grandeur qui importent et alarment. Au-delà des interventions d’urgence, la situation et les perspectives appellent donc des révisions de l’aide publique au développement ».

Cette note (voir ici fondation pour l’innovation politique) a été écrite par Julien Damon, enseignant à Sciences Po et à HEC Paris, rédacteur en chef de Constructif, membre du conseil scientifique et d’évaluation de la Fondation pour l’innovation politique.

 

le 03 mars 2021

« On a fermé des campements, mais on a ouvert de l’innommable »

Cette phrase d’un élu lors de la récente mission de la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme résume bien ce que nous ressentons.

Nous avons rencontré des personnes exilées et des acteurs associatifs présents sur le littoral de Calais ou de Grande-Synthe, et nous avons la conviction qu’il est plus que temps pour les pouvoirs publics de revoir en profondeur la façon dont sont traitées ces personnes sur le littoral franco-britannique.

  • Que nous disent les personnes exilées de leur quotidien ?
  • Faire la file dehors dans le froid ou la pluie pour manger,
  • Marcher 3 km pour aller aux toilettes ou pour se rendre au point de passage de la navette pour prendre une douche,
  • Cacher ses effets personnels dans un bosquet,
  • Garder, nuit et jour, sur soi ses papiers,
  • Poser sa tente dans la boue, s’y poser quelques heures pour dormir,
  • Protéger cette même tente et son sac de couchage contre une confiscation par les forces de l’ordre,
  • Courir, se cacher, dormir quelques heures en sachant que le lendemain comme l’avant-veille et comme toutes les 48h les jours précédents, la police viendra vous déloger…

Est-il concevable de faire vivre cela à des enfants, des femmes et des hommes, en France, en 2021 ?

Déjà, des alertes fortes ont été exprimées à plusieurs reprises par des institutions comme la Défenseure des Droits, la Commission nationale Consultative des Droits de l’Homme, ou des experts des Nations-Unies.  Elles évoquent des atteintes graves aux droits fondamentaux, des pratiques de harcèlement, et bien d’autres qualifications encore.

A notre tour, au regard des principes républicains comme au regard de notre foi, de l’enseignement social de l’Eglise et des appels répétés du pape François, nous prenons la parole fermement aujourd’hui pour dire que nous ne pouvons plus laisser ces personnes subir cela sans réagir  !

Nous n’ignorons pas la difficulté, pour les pouvoirs publics, à trouver le bon équilibre entre une politique de régulation des mouvements migratoires et la nécessaire protection des personnes, de toute personne et de ses besoins fondamentaux.

Mais on ne doit plus se voiler la face : cet équilibre entre mesures de contrôle et mesures de protection est manifestement rompu, au détriment de la dignité de la personne humaine.

Depuis le démantèlement de la « Jungle » fin 2016, les autorités publiques ne cessent de renforcer chaque jour un peu plus une politique “zéro point de fixation” sur le littoral, qui se traduit par une succession de mesures destinées à rendre la vie impossible aux personnes exilées, en espérant qu’elles renonceront à venir sur ce littoral.

Force est de constater que cet objectif est un déni de la réalité !

Malgré tout ce qui a été mis en œuvre, la réalité, c’est la permanence d’une présence continue de centaines de personnes à Calais et Grande-Synthe, mais aussi à Ouistreham, Cherbourg, et dans d’autres bourgades le long des autoroutes ; La réalité, c’est la détermination de ces personnes à tenter de franchir la Manche pour se rendre en Grande-Bretagne, quelles que soient les conditions d’accueil ou de non-accueil sur le littoral.
La réalité, c’est que les passages continuent – et qu’ils continueront tant que la Grande-Bretagne sera à 30 km des côtes. Rendre la frontière “étanche” est un objectif tout simplement irréaliste.

Cette politique de dissuasion ressemble à un puits sans fond, qui construit une forme de maltraitance n’apportant que des souffrances aux personnes concernées tout en créant un désordre insécurisant pour toute la population.

Ce que vous faites au plus petit d’entre les miens, c’est à moi que vous le faites (Matthieu 25,40)

Notre conviction est forte : rien ne justifie que ces personnes soient ainsi maltraitées, exclues de l’accès à des besoins essentiels, humiliées dans le plus profond de leur être.

En 2018, lors de sa venue à Calais, le Président de la République avait semblé entendre cela et avait proposé que soit défini un « socle humanitaire » pour garantir l’accès à ces besoins essentiels. Des efforts et quelques dispositifs ont suivi.
Mais manifestement, aujourd’hui, le compte n’y est pas !

C’est pourquoi nous appelons aujourd’hui les pouvoirs publics, quelles que soient leurs responsabilités sur ces territoires, à un réexamen de l’ensemble des dispositifs et des mesures concernant les personnes migrantes sur le littoral.
Le récent avis de la CNCDH contient nombre d’analyses et de recommandations concrètes. Nous les partageons comme nous faisons nôtre l’esprit général de cet avis.

Mais sans attendre, nous appelons les pouvoirs publics à répondre à des besoins urgents :

  • décréter un moratoire immédiat sur les expulsions de lieux de vie (campements, bidonvilles, squats),
  • ouvrir des lieux couverts d’accès aux services de base (alimentation , hygiène, recharge électrique, information sur les droits). Ces lieux, adaptés au nombre de personnes présentes, peuvent être répartis sur plusieurs endroits du littoral,
  • ouvrir immédiatement des dispositifs de mise à l’abri.

La situation durable de présence de personnes exilées sur le littoral appelle une politique et des dispositifs d’ensemble qu’il convient de construire dans la durée. A cette fin, des échanges et la participation de tous les acteurs sont indispensables. C’est pourquoi, au-delà des mesures d’urgence attendues, nous attendons des pouvoirs publics l’ouverture d’un large espace de dialogue qui, en écoutant les personnes exilées et en s’appuyant sur les initiatives de solidarité, pourra trouver avec tous les acteurs concernés les voies de solutions acceptables par tous.

Mgr Olivier Leborgne, évêque d’Arras, et Véronique Fayet, présidente du Secours Catholique – Caritas France