Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.

Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.

Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.

Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.

On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.

Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.

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Qu’as-tu fait de ton frère ? Dans les pas du pape François en visite en Irak, pays à majorité chiite.

Miné par les crises en cascade, voilà le Liban face à un défi existentiel. La crise économique est aiguë : la monnaie a perdu 80 % de sa valeur, la pauvreté affecte 55 % de la population, le taux de chômage est de 40 % et la fuite des capitaux vers l’étranger, depuis octobre 2019, est estimée à 9 milliards de dollars.

À ce jour, le Gouvernement présidé par Saad Hariri n’est toujours pas formé. Il est pourtant urgent d’entreprendre des réformes fiscales, financières, macroéconomiques et structurelles, et une restructuration de la dette publique et du système bancaire. Le système politique agonise. La classe dirigeante ne manifeste aucune volonté réformatrice.

Facteur aggravant, la crise sanitaire liée à la Covid-19 touche de nombreux foyers. Ces 4 dernières semaines, le nombre de décès a dépassé celui de l’année 2020. Les hôpitaux manquent de ressources. Les urgences sont saturées, les supermarchés fermés. Le confinement est l’un des plus stricts au monde. Les Libanais se soumettent à l’autorité d’un pouvoir qui a perdu toute légitimité.

Deux récents événements illustrent le déclin du Liban. Le 4 février 2021, le journaliste Luqman Slim, dissident intellectuel chiite et critique du Hezbollah, a été assassiné – un signe du recul des libertés d’expression et de la presse. Le 18 février 2021, chargé de l’enquête sur la double explosion du 4 août 2020 à Beyrouth, le Juge d’instruction Fadi Sawan a été limogé. Comment faire la lumière sur des crimes politiques, pour l’heure non élucidés et impunis ?

Peut-on tabler sur l’évolution politique régionale et internationale : la nouvelle administration américaine et les tractations avec l’Iran, une certaine normalisation des relations entre Israël et les pays du Golfe (portant moins d’intérêt au Liban qu’autrefois), les liens socio-culturels toujours importants entre la France et le Liban ? Une lueur d’espérance se profile-t-elle malgré tout ?

*Nayla Haddad, avocate aux barreaux de Paris et de Beyrouth

Fin 1991, les pays d’Asie centrale (Kazakhstan, Kirghizstan, Ouzbékistan, Tadjikistan et Turkménistan) accédaient à l’indépendance avec la dissolution de l’Union soviétique. Leurs élites et leurs structures politiques, économiques et sociales étaient alors marquées par l’héritage russe et soviétique. Ils s’en sont progressivement libérés tout en gardant certains des traits qui caractérisaient l’Asie centrale soviétique comme la coexistence de mécanismes centralisés de décision avec une organisation sociale traditionnelle clanique et tribale.

Avec l’indépendance, les cinq pays ont cherché à développer leur identité : renforcement des frontières, exclusivisme ethnique, en particulier dans la sélection des élites, et généralisation de l’usage de la langue nationale. Leurs structures politiques restent fondamentalement autoritaires mais avec de fortes nuances d’un pays à l’autre, depuis le régime personnel excluant toute dissidence du Turkménistan, jusqu’au pluralisme instable du Kirghizstan.

Malgré des similitudes religieuses et culturelles, ces pays coopèrent peu ensemble. L’islam sunnite de rite hanafite, partagé par 80 % de la population, est facteur d’identité mais dans un cadre strictement national ; il est cultivé en tant que tel par les pouvoirs qui contrôlent étroitement la hiérarchie religieuse tout en réprimant les organisations fondamentalistes au nom de la « lutte contre le terrorisme ».

Du point de vue culturel, les pays d’Asie centrale parlent des langues turciques, à l’exception du Tadjikistan dont la langue appartient au groupe iranien, mais les tentatives de la Turquie ou de l’Iran d’utiliser ces parentés linguistiques pour accroître leur influence n’ont jusqu’à présent rencontré qu’un succès limité.

Le voisinage de la Russie et de la Chine

Le voisinage de la Russie et de la Chine pèse en revanche fortement sur les évolutions des pays de la région.

Certains considèrent la Russie comme une alliée : le Kazakhstan, le Kirghizstan et le Tadjikistan font ainsi partie de l’organisation du traité de sécurité collective sous direction russe. Ces trois pays ont également noué, conjointement avec l’Ouzbékistan, des liens de sécurité avec la Russie et la Chine au sein de l’organisation de coopération de Shanghai créée pour combattre « le séparatisme, l’extrémisme et le terrorisme ».

Les pays d’Asie centrale tiennent toutefois à marquer leur différence en mettant l’accent sur le désarmement : ils ont constitué, par le traité de Semipalatinsk (septembre 2006), une zone exempte d’armes nucléaires. Les cinq puissances nucléaires reconnues se sont engagées à ne pas utiliser l’arme nucléaire contre les pays qui en sont membres ni à les menacer de son utilisation. Le Kazakhstan a par ailleurs ratifié le traité d’interdiction des armes nucléaires.

En matière économique et sociale, les pays d’Asie centrale ont conservé des liens étroits avec la Russie. Deux de ces pays (Kazakhstan et Kirghizstan) sont membres de l’Union eurasiatique dominée par Moscou. Ils accordent au russe le statut de seconde langue officielle. Dans les autres pays, l’usage du russe est très répandu dans les faits. Les migrations de travail vers la Russie constituent par ailleurs en temps normal des ressources économiques majeures pour trois pays d’Asie centrale (Kirghizstan, Tadjikistan et Ouzbékistan). La pandémie de coronavirus a cependant mis un terme provisoire à ces migrations et sensiblement réduit les transferts financiers qui les accompagnent.

La récession que connaît actuellement la Russie représente toutefois, avec la baisse du prix des hydrocarbures et l’évolution toujours préoccupante de la situation sanitaire, un facteur défavorable à court terme. Il en résulte une incertitude préjudiciable aux investissements et à la croissance en 2021.

Les besoins d’importation de la Chine, notamment en hydrocarbures, amélioreront peut-être cette situation avec la reprise chinoise. L’influence économique et politique chinoise passe cependant aussi par le projet de « nouvelles routes de la soie », dénommé par la Chine « une ceinture, une route – One Belt, One Road ». Ce projet vise à renforcer les connexions de toute nature entre l’Europe, l’Asie et même l’Afrique par la construction d’infrastructures, notamment dans les domaines des axes routiers et ferroviaires, des télécommunications et de l’énergie. Il porte sur des montants considérables (mille milliards de dollars seraient destinés à la soixantaine de pays participants dont 150 milliards pour l’Asie centrale) mais il risque aussi de créer de nouvelles dépendances : il est financé par des prêts conditionnels qui contraignent à l’alignement sur la politique extérieure chinoise ; quant aux investissements, ils sont généralement réalisés par des entreprises chinoises, souvent avec de la main d’œuvre chinoise.

Par comparaison, la présence de l’Union européenne et des États-Unis est plus discrète. L’Union européenne a conclu des accords de partenariat et de coopération avec chacun des pays de la région. Il reste toutefois à leur donner un contenu concret à la hauteur des annonces.

Le Kazakhstan

Le Kazakhstan est sans doute le plus prospère et le plus ouvert des pays d’Asie centrale. Son économie repose cependant principalement sur l’extraction de pétrole et de gaz. Elle est donc vulnérable à la baisse des cours des hydrocarbures.

Le Kazakhstan était dirigé depuis son indépendance par Nursultan Nazarbaïev. Après sa démission en mars 2019, son successeur, Jomart Tokaïev, a été élu président du Kazakhstan en juin avec 70 % des voix. N. Nazarbaïev garde cependant d’importantes prérogatives comme la présidence du parti dominant. Aucun parti d’opposition n’est représenté au parlement.

Le Turkménistan

Le Turkménistan est, comme le Kazakhstan, fortement dépendant de l’exportation des hydrocarbures (essentiellement gaz). Le président du pays, Gourbangouli Berdimoukhamedov, cumule les fonctions de chef de l’État, de chef du gouvernement, de commandant en chef de l’armée et de président du parti au pouvoir. Aucune force politique d’opposition n’est autorisée. Il n’existe pas de médias indépendants.

L’Ouzbékistan

L’Ouzbékistan représente la deuxième économie de la région après le Kazakhstan. Après la mort en septembre 2016 du président Karimov, chef de l’État depuis l’indépendance, le Premier ministre Chavkat Mirziyoïev lui a succédé en promettant des réformes progressives.

L’économie ouzbèke repose largement sur l’exploitation des matières premières. Les produits énergétiques (principalement gaz), le coton, les métaux et les engrais représentent les trois quarts des exportations.

Des différends frontaliers entretiennent des tensions entre l’Ouzbékistan et ses voisins, notamment le Kirghizstan et le Tadjikistan en raison des difficultés de délimitation de leurs territoires respectifs, résultat du tracé de l’époque soviétique. Jusqu’à présent cependant, ces tensions ont toujours pu être apaisées.

Dans le domaine des droits de l’homme, on note la libération de prisonniers d’opinion depuis 2016. Une coopération a été mise en place avec l’OIT en vue de mettre fin au travail des enfants dans la cueillette du coton.

Le Kirghizstan

Le Kirghizstan reste peu développé. Son économie dépend des transferts de fonds des travailleurs installés en Russie. Il possède également des ressources minières, en or en particulier. L’économie souterraine évaluée par le FMI à 30 % du PIB en 2015 permet la survie d’une grande partie de la population. Le déficit commercial du Kirghizstan est très élevé, de l’ordre du tiers du PIB. Seuls les apports des bailleurs d’aide internationaux (y compris de l’Union eurasiatique) permettent d’atténuer la récession.

Du point de vue politique le pays connaît une certaine liberté d’expression. Les principales forces politiques parviennent à organiser de nombreuses manifestations de rue, au point de provoquer à trois reprises la chute du gouvernement (en 2005, 2010 et 2020). Ces affrontements ne sont pas seulement l’expression d’un mécontentement face à la pauvreté et à la corruption. Beaucoup d’observateurs considèrent qu’ils masquent également des antagonismes de clans et des rivalités au sein du crime organisé. Sadyr Japarov, l’actuel président du pays, tiré de prison par les manifestants en 2020 puis élu le 10 janvier 2021 avec 79 % des voix, promet un renforcement du pouvoir présidentiel pour lutter plus efficacement contre la corruption.

Le Tadjikistan

Le Tadjikistan est le pays le plus pauvre d’Asie centrale. Comme celle du Kirghizstan, son économie dépend fortement des transferts des migrants travaillant en Russie. Ses autres ressources d’exportation se limitent aux matières premières (or, aluminium, coton) et à l’électricité grâce à des capacités hydroélectriques considérables (60 % des réserves d’eau d’Asie centrale).

Le secteur public est par ailleurs fortement endetté, pour près de la moitié auprès de la Chine. Le pays ne peut financer son déficit budgétaire qu’avec l’aide des institutions financières internationales.

Au pouvoir depuis la fin de la guerre civile de 1992-1997 marquée par la défaite des forces islamistes, le président Emomali Rahmon a été réélu pour un cinquième mandat à la tête de l’État en octobre 2020 avec 90,4 % des suffrages au terme d’une campagne sans opposition réelle. Sa priorité est la lutte contre l’islam radical.

L’Asie centrale en raison de sa situation géographique et de la fragilité des États qui la constituent apparaît ainsi comme un enjeu de premier plan pour l’entente entre les grandes puissances et la paix entre l’Orient et l’Occident.