Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.

Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.

Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.

Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.

On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.

Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.

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Mayotte (Maoré, en mahorais) est durement touchée par la pandémie de Covid-19. D’autres fléaux sévissent sur « l’île au lagon » : violence croissante, précarité galopante, couverture sanitaire et accès à l’eau dégradés. Dans ce contexte sans précédent, quel avenir espérer pour l’île ? Et quelle place y tient la France ?

En 1841, menacé par les royaumes comoriens voisins, le sultan de Mayotte la vend à la France : Mayotte devient une colonie française. En 1886, la France établit un protectorat sur le reste des Comores.

Devenu département français en 2011 et région ultraphériphérique de l’Union européenne en 2014, l’archipel qu’est Mayotte comprend deux îles – Grande-Terre et Petite-Terre – et de nombreux îlots, au sommet du canal du Mozambique, au nord-ouest de Madagascar.

Insécurité croissante

En arrivant à Mayotte, j’ai été témoin, au mois de septembre, d’un affrontement entre groupes de jeunes rivaux sur Grande-Terre. En novembre, la ville de Dzoumogné a vécu une semaine de violence entre bandes rivales, obligeant les habitants à se calfeutrer. Les collégiens et lycéens, régulièrement rackettés, volés ou battus, ont été bloqués dans leur établissement, jusqu’à l’intervention de 70 gendarmes, dont le GIGN. Constatant que l’État ne peut assurer leur sécurité, les habitants opèrent des contrôles sur ces jeunes, hors de tout cadre juridique. Il est urgent de redonner confiance à la population mahoraise.

L’immigration non contrôlée, en provenance des Comores voisines, est cause de violences. Située à 70 km des côtes comoriennes, Mayotte a toujours connu des flux migratoires avec les autres îles des Comores. Ils sont en constante augmentation, particulièrement depuis la départementalisation. Les conséquences sont multiples : intensification de la lutte contre l’immigration clandestine, risques pour les immigrés arrivant sur de rudimentaires « kwassa-kwassa » depuis Anjouan – environ 12 000 personnes seraient mortes en tentant de rejoindre Mayotte – augmentation rapide de la population, de son niveau de pauvreté, de l’illettrisme. Nombre de jeunes sont livrés à eux-mêmes dans ce département qui compte le plus grand nombre de mineurs non-accompagnés. Les Comoriens y sont davantage considérés comme ennemis que comme cousins.

Évolution démographique alarmante

La population est officiellement évaluée à 250 000 personnes (67 000 en 1985) ; elle doit avoisiner les 400 000[1] et pourrait atteindre les 750 000 en 2050. Elle a doublé en 20 ans. Les naissances ont bondi de 45 % entre 2013 et 2016. L’archipel affiche les plus forts taux français de fécondité (4,8 enfants par femme)[2] et de pauvreté (84 %)[3]. Près de la moitié de la population (48 %) est étrangère, issue à 95 % des Comores voisines.

La moitié de la population a moins de 17 ans. Une adaptation des moyens consacrés à l’éducation s’impose. Il faudrait ouvrir une classe par jour ; 58 % des Mahorais souffrent d’illettrisme, contre 23 % à La Réunion voisine et 7 % en métropole. À l’urgence éducative s’ajoutent celles déjà évoquées, sécuritaire et migratoire.

Cet impératif – dédier des moyens à l’éducation – se heurte à la contrainte des finances publiques. Dernier département français où l’État gère les fonds européens, Mayotte n’a consommé que 20 % du fonds d’assistance technique[4] : pour leur emploi, l’autorité de gestion – la préfecture – n’a pas été suffisamment un appui technique pour les élus. Dès lors, la question du transfert de l’autorité de gestion au département[5] se pose légitimement, mais à condition de mieux former les personnels territoriaux.

Développement des infrastructures

Insulaire, Mayotte est dépendante des voies aériennes et maritimes. La découverte, en 2018, d’un immense volcan sous-marin, à 50 km au large et à 3500 m de profondeur, rend plus complexe la réalisation des travaux de prolongement de la piste de l’aéroport de Pamandzi et de l’extension de l’aérogare. Masse magmatique la plus importante jamais observée, ce volcan a gagné neuf cents mètres d’altitude en un an et Petite-Terre s’est enfoncée de dix centimètres. Si l’on estime que le risque de submersion est maîtrisé, la menace exige la mobilisation de compétences et d’outils adaptés.

Enfin, Mayotte connaît une grave pénurie d’eau, avec des coupures temporaires hebdomadaires, par zone. Il arrive que la saison humide tarde, et les réseaux de distribution, de répartition et de récupération des eaux sont défaillants. Un tiers des Mahorais vit dans un logement sans eau courante.

Enjeux économiques

En 2018, 35 % de la population officielle était au chômage et 50 % vivait avec moins de 500 € par mois. Les projets gaziers français, dans un Mozambique gravement meurtri par le terrorisme islamiste, sont une opportunité économique majeure pour Mayotte. L’île pourrait en constituer la base arrière, devenant un hub aérien régional, générateur d’emplois et de développement. La concrétisation d’un tel projet rendrait plus que probable la construction déjà envisagée d’un second hôpital, fournissant une offre de soins adaptée.

Le secteur primaire reste premier dans l’économie mahoraise. Ses principales exportations sont l’aquaculture et l’huile d’essence d’ylang-ylang[6]. Reposant sur une logique d’autosuffisance familiale, l’agriculture mahoraise évolue favorablement : les impôts fonciers, arrivés avec la départementalisation, ont conduit à rentabiliser des terres. Malgré cette amélioration sensible, fortement portée par les femmes[7], l’autonomie alimentaire demeure illusoire, en raison de l’explosion démographique.

Raisons d’espérer

Au-delà de ces constats préoccupants, « l’hippocampe de l’Océan indien » (c’est la forme de l’île) est une formidable réserve de richesses environnementales et son lagon, un des plus beaux du monde : 250 espèces de coraux y côtoient 24 espèces de mammifères marins, soit un quart de celles connues dans le monde. La jeunesse mahoraise est porteuse d’espoir, dès lors qu’elle est encadrée et formée. Le régiment du service militaire adapté (R-SMA) de Mayotte[8] y contribue, proposant seize filières de métiers et formant près de 600 jeunes chaque année, avec un taux d’insertion de 85 % en sortie.

L’Islam sunnite chaféite est professé par 95 % des Mahorais. Malgré certaines tentatives d’origine étrangère, l’islam radical n’y trouve pas de prise mais l’influence saoudienne commence à se faire sentir. La République doit être attentive aux risques de captation d’une jeunesse non scolarisée et en besoin d’autorité et de repères.

Place de la France

Suite au référendum de 1974, la France a assumé le vote de Mayotte, qui fut contraire à celui du reste des Comores en faveur de l’indépendance. Elle se doit de prendre soin de ce territoire. La Journée nationale Maoré, célébrée en Grande Comore le 12 novembre dernier, a été une nouvelle occasion de revendiquer Mayotte, que les Nations-Unies considèrent comme comorienne. Pour autant, avec pour unique argument la proximité géographique, l’ONU est-elle légitime à refuser le droit des Mahorais à choisir leur destin, déniant son propre principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ? L’histoire commune et l’expression répétée, au fil des scrutins, de l’attachement de ce peuple – aux influences malgaches, africaines, arabes et européennes – à la France seraient-elles des arguments secondaires ? Si la France a, bien sûr, intérêt à rester présente dans la région, nombre de pays dans l’ombre des Comores travaillent à son recul, en favorisant une entrée de Mayotte dans le giron comorien.

La devise de Mayotte – « Ra Hachiri », « nous sommes vigilants » – vaut, tant à l’égard de la métropole, insuffisamment présente à ses côtés, qu’au voisin conquérant. L’avenir de Mayotte est à décider, non à subir. Mayotte peut aller mieux ; pour cela il faut renoncer à l’angélisme, comme au désenchantement, renouer avec l’espérance et agir.

L’influence de la France est grande dans cette zone de l’océan Indien, avec ses départements ultramarins et l’immense étendue des zones économiques exclusives des Îles éparses, par ailleurs revendiquées par Madagascar. Les enjeux de souveraineté – pêche, gisements de matières premières, influence géopolitique – percutent bien souvent ceux des États voisins, surtout ceux de grandes puissances montantes comme la très présente Chine. Mayotte se comprend à travers ses défis majeurs de développement et comme partie prenante d’une complexe géopolitique régionale.

Justice et Paix France

[1] Estimation déduite d’une mesure de la quantité de nourriture vendue.
[2] Source : INSEE.
[3] Seuil de pauvreté établi à 959€ par mois (INSEE, 2014).
[4] Fonds européen chargé de financer la formation des fonctionnaires, à hauteur de 2 Ms€/an depuis 2014.
[5] Mayotte étant un DROM, la collectivité unique exerce à la fois les compétences départementales et régionales.
[6] Dédiée à la constitution des parfums.
[7] Aujourd’hui, près d’un agriculteur sur deux est une femme et la majorité des créations d’entreprise le sont par des femmes.
[8] Structure dépendant du Ministère des Outre-mer.

Guerre juste

À propos de ce qui a été longtemps appelé « guerre juste », François écrit dans Fratelli tutti, au chapitre 7 : « Il est très difficile aujourd’hui de défendre les critères rationnels, mûris en d’autres temps, pour parler d’une possible “guerre juste” ». Est-ce là une innovation, voire une rupture ?

En ce qui concerne l’expression « guerre juste », non. Elle a en effet presque disparu des textes officiels de l’Église depuis le Concile. Dans le catéchisme officiel de l’Église catholique (1992), on la rencontre une seule fois, à l’article 2309, mais c’est entre guillemets : « Ce sont les éléments traditionnels énumérés dans la doctrine dite de la « guerre juste » ». Ces guillemets et le mot « dite » marquent clairement une distance.

Les Pères conciliaires avaient invité à ne plus se contenter d’humaniser la guerre, mais à l’interdire : « Nous devons tendre à préparer de toutes nos forces ce moment où, de l’assentiment général des nations, toute guerre pourra être absolument interdite. Ce qui, assurément, requiert l’institution d’une autorité publique universelle, reconnue par tous, qui jouisse d’une puissance efficace, susceptible d’assurer à tous la sécurité, le respect de la justice et la garantie des droits » (GS 82. 1). Dans la phrase où il reconnaît le droit de légitime défense, le Concile introduit une incise qui peut sembler anodine : « aussi longtemps que le risque de guerre subsistera ». Une telle incise rompt avec l’idée que la guerre serait tellement inhérente à la « nature humaine » que le seul objectif réaliste serait de la limiter et de l’« humaniser ». Si l’on ne peut plus accoler au substantif « guerre » l’adjectif « juste », c’est parce qu’il évoque quelque chose de positif. La guerre est toujours un malheur.

Mais la décision de recourir aux armes, en cas de « légitime défense » et en respectant de strictes limitations, n’est-elle pas, dans quelques cas limites, « juste » (non pas au sens de « bonne », mais au sens éthique de « répondant à ce qu’il convient de faire dans une circonstance précise » ? C’est sur cette question que le pape François semble se démarquer de la tradition éthique catholique dominante, qui y a répondu oui, élaborant tout un ensemble de critères pour juger si l’on se trouve ou non dans une telle circonstance (cause juste, ultime recours, proportionnalité, etc.) et pour imposer de très stricts interdits à respecter dans le cours des opérations militaires (surtout le respect des non-combattants).

Ce sont ces « critères rationnels » que François juge très difficiles à défendre. Très difficiles, certes, mais « impossibles » ? François ne va pas jusque-là ! S’il affirmait qu’aucun usage des armes n’est moralement permis (même en cas de résistance à une agression armée ou d’opération pour interrompre un génocide, par exemple), cela équivaudrait à déclarer qu’un disciple du Christ ne saurait exercer le métier militaire. Ce métier qui, selon Vatican II, est une manière de servir « la sécurité et la liberté des peuples » (GS 79. 5).

François s’inscrit plutôt, en la radicalisant, dans une évolution amorcée depuis le Concile dans l’usage de ces vieux critères. Ainsi, pour condamner tout emploi d’armes de destruction massive (même en cas de légitime défense), les Pères du Concile s’appuient sur les critères du Jus in bello : ces armes ne peuvent jamais respecter les critères de proportionnalité et de discrimination. Quand Jean-Paul II, le 17 février 1991, déclare son opposition à la première guerre du Golfe, il invoque le traditionnel principe d’ultime recours : il y avait à son avis d’autres moyens pour obtenir de l’Irak qu’il se retire du Koweït. Quand le même Jean-Paul II, en janvier 2003, fait campagne contre les projets d’invasion de l’Irak du président Bush, il ne dit pas que toute guerre est injuste mais qu’« on ne peut s’y résoudre, même s’il s’agit d’assurer le bien commun, qu’à la dernière extrémité et selon des conditions très strictes, sans négliger les conséquences pour les populations civiles, après et pendant les opérations » (13/01/2003, Discours au corps diplomatique). De tels propos se réfèrent clairement à quelques-uns de ces fameux critères :

ultime recours, proportionnalité, discrimination…

Les critères de la mal nommée « doctrine de la guerre juste » ont servi, certes, à légitimer le recours aux armes, mais aussi à l’interdire et à le limiter : on ne saurait légitimer un usage des armes qui ne soit pas strictement limité. Or, depuis 70 ans, les documents des papes et des épiscopats, loin de déclarer obsolètes ces vieux critères, s’y réfèrent beaucoup plus pour limiter, voire condamner, le recours aux armes, que pour le légitimer. Le pape François poursuit et accentue cette évolution.

Pour approfondir, voir ici

# DIÈSE : Un demi-ton au-dessus du bruit de fond médiatique.

1 – Actualité : Nous sommes heureux de partager des vœux ; souhaiter du bien à nos proches et aux personnes que nous croisons est une tradition louable, à condition que nous commencions à mettre en œuvre la bonté évoquée par nos paroles. Le pape François invite à une « culture du soin ». Il est certes utile de penser « protection », de se protéger soi-même et de protéger les autres, mais il y a le risque que nous réduisions alors notre semblable à une menace ! Il y a bien des manières de prendre soin les uns des autres sans courir trop de risques.

Cette année, les vœux partagés se modulent souvent sur un mode tristounet. La situation actuelle nous rappelle que la vie humaine ne se réduit pas à une tranquillité quelque peu passive et égoïste. Réjouissons-nous ensemble des belles choses que nous aurons à vivre pour faire face aux difficultés, pour inventer d’autres modes de vie. Plus que jamais, le courage et l’espérance apparaissent comme des signes de réalisme.

2 – Écologie. Rien n’est simple !

* Le CCFD Terre solidaire signale que de grandes entreprises soucieuses du climat investissent dans la conservation de forêts. Elles montrent parfois une telle volonté de garder la « pureté originelle » de ces espaces qu’elles en interdisent l’accès aux communautés indigènes, au mépris de leurs pratiques ancestrales. On oublie trop souvent de demander l’avis des plus pauvres.

* Depuis plusieurs décennies, des « réserves naturelles » sont établies en Afrique, souvent au prix de l’expulsion des communautés villageoises qui y vivaient sobrement. Par contre, de riches touristes les visitent avec des véhicules polluants. La « nature sauvage » devient une carte postale, tant pis pour les pauvres humains qui l’habitaient !

 3 – Des chiffres qui donnent à penser.

* Peine de mort. 105 pays l’ont supprimée. 20 la pratiquaient encore en 2019 (chiffre en baisse par rapport aux années précédentes). Le président sortant des USA illustre la fin de son mandat en faisant exécuter plusieurs condamnés. Peu de pays communiquent sur le nombre d’exécutions capitales (auraient-ils honte ?). Les recherches d’ONG en arrivent au « classement » suivant en ordre décroissant : Chine, Iran, Arabie saoudite, Irak, Égypte… On notera que la France entretient beaucoup de relations d’affaires avec ces pays, il y a notamment des « bons clients » en matière d’armement. Et ce type de performance semble rendre timide en matière de droits humains.

* Migrations. On estime à 25 millions le nombre des personnes qui ont dû migrer pour des raisons climatiques en 2019. Il y a également toutes celles qui doivent fuir en raison de violences, de menaces ou de pauvreté extrême. On évoque le nombre de 1100 morts en Méditerranée pour l’année 2020. Allons-nous les considérer et les traiter comme des êtres humains en détresse ou les réduire à un flux menaçant dont il faudrait se protéger? Certes, l’accueil et l’intégration ne sont pas choses faciles, mais il est faux de dire que tous nos problèmes viennent des migrants et que les traiter dignement provoquerait un « appel d’air ». Il serait plus convenable d’accorder les décisions quotidiennes avec les grands principes humanitaires que nous exposons facilement à la face du monde !

Il n’est pas incorrect de mettre les réflexions qui précèdent avec ce qui suit !

4 – Un livre : Cathy LEBLANC, Jean-François PETIT, Fred POCHÉ (dir.) La condition des « Nomades », De l’internement à la question de l’hospitalité, Presses universitaires de Strasbourg, 2020. L’ouvrage reprend les travaux d’un colloque international consacré aux logiques de relégation, puis d’exclusion allant jusqu’à la mise à mort, qui ont culminé au cours de la 2ème guerre mondiale ; cet ouvrage décrit aussi des actes de résistance. L’une des contributions (B. Grasset) met en lumière une grande figure poitevine, le P. Jean FLEURY, jésuite, et son action au « camp de la route de Limoges » à Poitiers : une rue porte son nom et une plaque mentionne le site du camp. Ce sont d’abord des nomades qui y ont été internés dans des conditions déplorables, J. Fleury a pu les visiter comme prêtre catholique ; puis des Juifs et des prisonniers politiques, notamment des femmes communistes, ont été retenus en d’autres parties du camp. Avec beaucoup d’habilité, il a usé de ces droits de visite pour apporter son soutien aux uns et aux autres. Aidé par ses amis gitans qui faisaient le gué, il allait d’une part du camp à l’autre ; en lien avec le rabbin E. Bloch, il a organisé la sortie de dizaines d‘enfants juifs. Malheureusement, de nombreux Juifs, mais aussi des nomades, furent déportés vers les camps de la mort. J. Fleury continuera son ministère auprès des gitans après la guerre, notamment comme aumônier national, comme organisateur de pèlerinages. Il est important de garder la mémoire de ces événements, des internements et des mises à mort bien sûr, mais aussi des actes de résistance. Des nomades furent internés en différents camps jusqu’en 1946 : la fin de la guerre ne fut pas pour eux la fin des épreuves.

Le livre cité comprend aussi des réflexions philosophiques. De telles situations dramatiques mettent en lumière des questions permanentes : comment considérer l’autre, celui qui est différent en raison de son origine, de son mode de vie ou de sa religion ? Si l’idéologie nazie a poussé la logique d’exclusion jusqu’à l’extrême, elle s’est appuyée sur un sentiment bien enraciné : l’autre apparaît comme une menace, au nom de son étrangeté supposée et de la « pureté ethnique » on va le marginaliser, voire le rejeter. Il nous faut sans cesse revenir à la question éthique fondamentale : allons-nous vraiment reconnaître en l’autre une personne humaine digne de respect ? La vigilance s’impose encore quand « l’autre » est présenté comme la source de tous nos maux, quand les mauvais traitements semblent « normaux ».

5 – Message pour la paix du pape François (1er janvier 2021) Extraits :

« J’adresse à tous mes meilleurs vœux pour que cette année puisse faire progresser l’humanité sur la voie de la fraternité, de la justice et de la paix entre les personnes, les communautés, les peuples et les États. (…)

Ces événements et d’autres, qui ont marqué le chemin de l’humanité l’année passée, nous enseignent qu’il est important de prendre soin les uns des autres et de la création pour construire une société fondée sur des relations de fraternité. C’est pourquoi j’ai choisi comme thème de ce message : La culture du soin comme parcours de paix. (…) Toute personne humaine est une fin en soi, jamais un simple instrument à évaluer seulement en fonction de son utilité. Elle est créée pour vivre ensemble dans la famille, dans la communauté, dans la société où tous les membres sont égaux en dignité. C’est de cette dignité que dérivent les droits humains, et aussi les devoirs. (…) J’encourage par cette boussole chacun à devenir prophète et témoin de la culture du soin afin de combler de nombreuses inégalités sociales. »

 

Rendez-vous dans un mois pour le prochain numéro de # DIÈSE