Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.

Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.

Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.

Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.

On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.

Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.

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Pour l’historien et sociologue Jean Baubérot, le projet de loi sur les séparatismes « confortant le respect des principes républicains » remet en cause des libertés fondamentales et risque d’être contre-productif.

Entretien

L’historien de la laïcité, ancien conseiller pour la formation et la citoyenneté au cabinet de Ségolène Royal en 1997 et auteur de La loi de 1905 n’aura pas lieu (Editions de la FMSH, 2019) et d’Improbables amours. Emile Combes et la princesse carmélite (Editions de la libre-pensée) réagit à la présentation, le 9 décembre en conseil des ministres, du projet de loi « confortant le respect des principes républicains ».

Le projet du gouvernement a subi des modifications après consultation du Conseil d’Etat. Quelle lecture faites-vous du texte tel qu’il a été présenté en conseil des ministres ?

Dans ses discours de Mulhouse [le 18 février] et des Mureaux [le 2 octobre], Emmanuel Macron cherchait un équilibre entre le séparatisme produit par la République et le radicalisme religieux. Il n’en reste rien dans le projet de loi où les mesures en faveur de la mixité sociale, prévues à l’origine, ont totalement disparu. Leur report annoncé ne rassure pas, loin de là, et montre au contraire où sont les priorités du gouvernement.

L’avis du Conseil d’Etat a permis des reformulations qui rendent le projet de loi plus conforme à ce que doit être un texte juridique que dans sa version initiale. Mais cela ne change pas le fond du message envoyé par le gouvernement, à savoir que, pour lutter contre l’islam radical, il faut renforcer les contrôles administratifs et la surveillance des cultes. Si certaines mesures semblent aller dans le bon sens comme l’encadrement des flux financiers provenant de l’étranger, la plupart remettent en cause des libertés fondamentales en démocratie et risquent d’être largement contre-productives.

Quelles mesures vous inquiètent-elles plus particulièrement au regard des libertés ?

Les nouvelles contraintes imposées aux associations cultuelles – et parfois plus largement au monde associatif – vont profondément modifier les relations entre l’Etat et la société civile, dont font partie les religions. Sous la pression du Conseil d’Etat, le gouvernement a renoncé à imposer une autorisation administrative préalable à la création d’une association cultuelle, comme c’était le cas dans la première version du texte. Mais il reprend d’une main ce qu’il a concédé de l’autre en instaurant un droit d’opposition de l’administration.

Une mesure analogue avait été instaurée en 1998, et vite abandonnée devant l’incapacité matérielle de certaines préfectures d’examiner les documents fournis et la tendance d’autres à refuser l’appellation « cultuelle » pour des motifs aussi futiles que l’existence de repas paroissiaux.

Le retour de cette pratique administrative, aggravée par la nécessité d’un renouvellement de la déclaration tous les cinq ans, crée une redoutable insécurité juridique pour les associations. Le gouvernement affirme vouloir faire basculer des associations musulmanes du statut loi de 1901 à un statut loi de 1905, plus adapté. J’estime que c’est une fort bonne idée, mais je comprends d’autant moins pourquoi le projet de loi comporte des mesures aussi dissuasives.

Un article prévoit que les associations bénéficiant de subventions signent un « contrat d’engagement républicain ». En quoi cette mesure vous pose-t-elle problème ?

Tout d’abord ce dispositif concerne non plus les seules associations cultuelles, mais le monde associatif (loi 1901) dans son ensemble. Au départ, le gouvernement voulait, avec ce contrat, imposer le respect des « valeurs » de « liberté, d’égalité, de fraternité, de respect de la dignité de la personne humaine et de sauvegarde de l’ordre public ». Bien évidemment, personne ne peut être contre cette idée. Sauf que les « valeurs » ne sont pas juridiquement définies et peuvent donner lieu à des interprétations très larges, voire relever d’un certain arbitraire.

Sous la pression du Conseil d’Etat, le gouvernement a fait machine arrière : seront imposés les « principes » de la République, définis par la jurisprudence sur des bases objectives. Mais l’exposé des motifs reste inchangé et l’esprit demeure le même. D’ailleurs, le terme « contrat » a été maintenu contre l’avis du Conseil d’Etat, ce qui manifeste la volonté politique de faire croire aux associations qu’elles passent un contrat, alors que ce n’est juridiquement pas le cas.

La possibilité que les subventions puissent être retirées en cas de manquement risque d’entraîner un double danger pour de nombreuses associations qui, avec obstination et souvent grâce à du bénévolat, tissent du lien social dans les quartiers difficiles : d’une part l’impossibilité de projets à long terme, et d’autre part la difficulté que ce « contrat », mal défini, soit mal compris sur le terrain et les discrédite auprès des populations qu’elles soutiennent aujourd’hui, au risque de voir émerger, dans cinq ou dix ans, de nouveaux « territoires perdus » de la République.

Pourquoi dites-vous que ce projet de loi va à l’encontre de la séparation inscrite dans la loi de 1905 ?

Le paradoxe, c’est que le gouvernement affirme renforcer la laïcité, alors qu’il porte atteinte à la séparation des religions et de l’Etat. Avec ce texte, il accorde un rôle beaucoup plus important à l’Etat dans l’organisation des religions et de leurs pratiques, et renforce le pouvoir de contrôle de l’autorité administrative, aux dépens de celui de l’autorité judiciaire. Il est d’ailleurs très éclairant de constater qu’il va plus loin que ne le réclamaient les partisans d’un contrôle étatique sur les religions, quand se préparait en 1904 la loi de séparation des Eglises et de l’Etat. Même Emile Combes [président du conseil de 1902 à 1905] n’envisageait pas, à l’époque, de confier à l’autorité administrative la décision de fermeture d’une association pour une suspicion de délit. Aujourd’hui, on veut aller plus loin que les « combistes » !

Comment pouvez-vous dire que les mesures annoncées risquent d’être contre-productives ?

Je ne nie pas le danger terroriste et le fait que la récurrence d’attentats appelle une réflexion et des mesures nouvelles. Mais l’orientation qui sous-tend ce nouveau projet perpétue et aggrave ce qui, depuis des décennies, conduit la République d’échec en échec contre l’extrémisme islamique, à savoir une forme de fondamentalisme républicain, d’approche religieuse de la laïcité. Là encore, l’histoire peut nous éclairer. En 1905, la tentation était grande chez les républicains de vouloir contraindre fortement l’Eglise catholique dont ils craignaient à juste titre le pouvoir de nuisance politique. Se faisaient face d’un côté le bloc catholique, uni face à Combes, et de l’autre le bloc des gauches.

Toute l’intelligence d’Aristide Briand et de Jean Jaurès a été de casser en deux le bloc catholique pour isoler les extrémistes. Ils ont rédigé une loi suffisamment inclusive pour que la majorité des catholiques puissent pratiquer leur culte à leur manière – sans que la République se mêle d’interdire telle ou telle pratique –, à partir du moment où ils étaient d’accord pour respecter la tolérance civile. Briand et Jaurès appelaient au pragmatisme et au respect des libertés, pas à une lecture religieuse des principes. A l’époque, d’ailleurs, ils étaient accusés d’être des « socialo-papalins », comme aujourd’hui sont qualifiés d’« islamo-gauchistes » ceux qui s’inscrivent dans la logique de la loi de 1905.

« Ce projet de loi témoigne de la nostalgie d’une pureté laïque qui n’a jamais été mise en pratique et n’a donc jamais fait la preuve de son efficacité »

Depuis Max Weber, on sait que la réussite d’une politique est proportionnelle à la capacité de maîtriser ses effets non voulus. La lutte contre l’extrémisme ne doit pas s’opérer au prix de la remise en cause des libertés, ni au prix du renforcement du sentiment d’exclusion d’une partie de la population. Aujourd’hui, je crains que la stratégie du gouvernement, qui choisit de renforcer les contraintes en laissant de côté le volet social, n’aboutisse au résultat inverse de celui recherché.

Ce projet de loi témoigne de la nostalgie d’une pureté laïque qui n’a jamais été mise en pratique et n’a donc jamais fait la preuve de son efficacité. On réinvente un passé sans voir l’écart entre les principes énoncés – l’égalité, la fraternité… – et la réalité. Une enquête de la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah) [en novembre 2019] montre que les discriminations frappent avant tout les musulmans en France et sont plus douloureusement ressenties par ceux de la 2e et 3e génération ayant un bac + 2.

Si la stratégie du gouvernement peut s’avérer payante pour éliminer la concurrence d’éventuels adversaires de droite à l’élection présidentielle de 2022, elle est politiquement dangereuse. Les jeunes musulmans, enjeu essentiel, ne vont pas y trouver leur compte. Et l’on risque d’assister à une surenchère de la droite lors du débat parlementaire.

Que proposez-vous, de votre côté, pour lutter contre le radicalisme ?

La laïcité n’est pas pratiquée de la même façon en France selon les institutions. Il me semble que l’on gagnerait à regarder ce que fait l’armée, qui est à mon avis l’institution maîtrisant le mieux le sujet – sans qu’on puisse l’accuser d’islamo-gauchisme. Depuis plusieurs années, elle a dû s’organiser pour faire face à un défi immense. D’une part, elle est en première ligne dans le combat contre un terrorisme qui se réclame de l’islam, en Afghanistan puis aujourd’hui au Sahel. Et, d’autre part, elle est l’un des secteurs d’ascension sociale qui compte un nombre important de recrues de confession musulmane.

L’institution militaire a réussi à mettre en œuvre une laïcité intelligente, dans la filiation de la loi de 1905. Des barquettes casher et halal y sont servies quotidiennement et cela ne fait pas polémique. Une brochure distribuée dans les écoles militaires et les casernes explique de façon remarquable ce qu’est la laïcité et ce qu’elle n’est pas. Elle devrait être diffusée largement au sein de l’éducation nationale et dans les hôpitaux, où les personnels sont souvent démunis, faute de financements pour la formation.

Pour lutter contre la radicalisation en prison, vous plaidez pour une meilleure reconnaissance des aumôniers musulmans. Pourquoi ?

Il existe 250 aumôniers de prison musulmans qui sont défrayés – et, encore, pas suffisamment pour payer leurs frais de transport –, mais pas rémunérés par l’Etat. Faute de salaire, ils ne consacrent que peu de temps aux détenus chaque semaine. Les rémunérer convenablement et les former aux lois de la République serait un investissement efficace dans des lieux de possible radicalisation, et ils pourraient être également imams.

Là encore, on gagnerait à s’inspirer du travail de l’armée, où les aumôniers militaires musulmans – comme leurs homologues catholiques, protestants et juifs – sont intégrés à l’institution en tant qu’officiers et doivent connaître l’histoire et les règles républicaines, notamment celles concernant la laïcité. Un tel dispositif n’est pas une atteinte à la laïcité. La loi de 1905, dans son article 2, permet la rémunération des aumôniers sur fonds publics dans les lieux fermés, afin d’y garantir le libre exercice des cultes.

Une autre mesure utile serait de distinguer au sein du gouvernement la gestion des cultes de la lutte contre le radicalisme. Aujourd’hui, les deux sujets relèvent du ministère de l’intérieur qui – c’est logique, puisque son rôle est d’assurer la sécurité – a tendance à avoir une approche sécuritaire des religions. Or ce sont deux rôles bien distincts.

En régime de séparation, les rapports entre la République et les religions sont surtout juridiques. Il serait plus logique que ce soit le ministère de la justice qui gère les cultes : cela éviterait les confusions et changerait aussi la perception de la laïcité chez les musulmans. Enfin, il faudrait recréer la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde), supprimée pendant le quinquennat de Nicolas Sarkozy, afin d’éviter que des pratiques sociales contraires à la laïcité puissent se perpétuer en se réclamant d’elle.

# DIÈSE : Un demi-ton au-dessus du bruit de fond médiatique.
+ Envisager notre situation avec un œil lucide et un cœur ouvert à l’espérance.
Propos offerts pour être partagés.                                                                            

1 – Actualité : Le virus continue d’alimenter les discussions. La situation demeure difficile et parfois pénible. Chacun peut faire attention et respecter les consignes… Et malgré les embûches, nous découvrons de belles capacités d’adaptation pour assurer des services, cultiver des relations. Nous apprenons la patience, résistant à l’envie du « tout, tout de suite », mais aussi la réactivité pour faire face aux imprévus ou aux évolutions de situation. Puisque la fatigue mentale se fait sentir, il est urgent de prendre soin les uns des autres, de partager des soutiens amicaux.

La fatigue, l’inquiétude et la peur de l’avenir peuvent altérer notre faculté à raisonner calmement et radicaliser des revendications catégorielles. Les rumeurs se répandent rapidement par les réseaux sociaux, allant jusqu’à la mise en scène de complots. Il y a toujours l’illusion malsaine de prétendre connaître le dessous des cartes, de capter ce qu’on voudrait nous cacher, afin de désigner des coupables. Bref, l’appétit d’un savoir propre à certains initiés, même s’ils sont des millions, en vue de dénoncer la noirceur des autres… Il vaut mieux que chacun d’entre nous s’interroge pour savoir ce qu’il peut faire à son niveau, plutôt que vouloir dénoncer et traquer des manipulateurs cachés. Aidons-nous mutuellement à garder raison au lieu de divaguer, sacrifiant aux délires complotistes d’imaginations flamboyantes. Cultivons humblement la vérité, à la manière de scientifiques qui osent dire qu’ils ne savent pas, mais qui continuent à chercher. Le débat est nécessaire dans la mesure où il permet la confrontation des points de vue ; mais les oppositions binaires de certains médias, avec un « pour » et un « contre » qui se coupent la parole, interdisent de déployer un juste raisonnement. C’est le culte de la petite phrase, avec des affirmations aussi péremptoires que peu fondées. On peut regretter que le débat politique en reste parfois à de telles postures.

Une culture de la vérité, à l’épreuve d’un débat en raison, pourrait permettre d’élaborer des décisions viables, en phase avec le réel. Quand certaines prescriptions semblent inapplicables et tout bonnement « absurdes », on se met à rêver de vraies négociations au lieu d’édits arbitraires tombant d’un pouvoir central. La culture démocratique se construit aussi dans une recherche commune des solutions les mieux adaptées ; un tel travail concerne les responsables politiques et bien sûr l’ensemble des citoyen. Mais cette élaboration collective ne fera pas le titre d’un journal télévisé. Dommage !

2 – Pauvretés en France. À l’occasion de la journée mondiale de la pauvreté (3ème dimanche de novembre) instaurée par le pape François en 2017, le Secours catholique (Caritas France) publie chaque année un rapport sur la situation des personnes et des familles rencontrées. À la différence des statistiques habituelles qui raisonnent à partir de moyennes générales, le Secours catholique prend en compte les plus démunis qui viennent solliciter des soutiens : on note qu’ils sont de plus en plus nombreux, tout particulièrement en 2020 avec la crise sanitaire, et que leur situation s’aggrave. En France, la grande pauvreté augmente et les inégalités continuent de croître. Ainsi, le revenu médian des personnes rencontrées au Secours catholique est de 537 €/mois (moins 5€ en un an) et une sur trois ne dispose pas d’un logement stable (le nombre des SDF a doublé en quelques années). Plutôt que faire la chasse aux sans abris de manière brutale, les condamnant à l’errance dans le froid, il vaudrait mieux organiser des hébergements, ce qui n’est pas hors de portée !

Est-il correct de continuer à favoriser les plus riches alors que la situation des plus démunis se dégrade ? Le Secours catholique demande un revenu minimum garanti de 890 €/mois pour une personne seule. Ce qui représente la base incompressible pour se nourrir, se loger, s’habiller…

De nombreuses voix s’élèvent pour demander un tel revenu de base, ce qui n’est pas impossible dans un pays comme le nôtre. La dignité humaine se trouve en cause: il est humiliant pour une personne de devoir quémander son repas. Et, contrairement à des idées reçues, l’extrême pauvreté n’incite pas à chercher du travail ; une personne qui passe ses journées en quête de secours n’est guère disponible pour d’autres projets ; de plus, la reprise d’un emploi après un long temps de chômage demande des paliers ; il faut donc promouvoir des expériences telles que « Zéro chômeur de longue durée ».

3 – Des comparaisons de chiffres qui donnent à penser (cherchez l’erreur !)

* La dette des pays pauvres : 12 milliards de dollars. La somme des plans de relance économique des principaux pays représente déjà plus de 2 500 milliards. Quand on veut, on sait trouver les financements.

* Le nombre de morts du Covid dans le monde vient de passer 1,5 million. Le nombre de morts du paludisme est chaque année de 700 000. Les laboratoires se mobilisent en vue de mettre au point des vaccins pour l’une des maladies et on s’en réjouit. Ont-ils la même ardeur pour trouver une solution face au paludisme ? Quand une auditrice d’une grande chaîne nationale a posé cette question, on a « oublié » de lui répondre…

* En 2019, les dépenses militaires dans le monde ont augmenté de 3,8 % par rapport à l’année précédente. Les plus importantes progressions ont eu lieu respectivement en Turquie, en Chine, en Inde… Quel est le plus sûr chemin vers la paix ? La course aux armements ou la mise en œuvre de politiques de solidarité à l‘échelle mondiale ?

4 – Laïcité. Des précisions utiles pour les débats en cours. « La laïcité implique des valeurs, mais n’est pas en soi une valeur morale, c’est-à-dire une conception subjective du bien. Si les premiers penseurs puis législateurs de la laïcité n’ont jamais souhaité ajouter la laïcité au triptyque républicain « Liberté, Égalité, Fraternité », c’est parce que la laïcité a été pensée comme un outil au service de sa mise en œuvre. » (p. 37) Elle est un principe politique et juridique qui permet de garantir liberté, égalité et fraternité. Elle est la garantie de la liberté de conscience et de l’égalité de toutes et tous, quelles que soient leurs convictions ou croyances. Elle suppose les même droits et devoirs pour tous et garantit la citoyenneté commune qui concourt à l’idéal de fraternité. La laïcité française constitue un cadre commun à tous. Que l’on soit athée, agnostique, indifférent ou croyant, nous sommes tous laïques dans la mesure où nous reconnaissons un cadre commun qui garantit la liberté, certes encadrée, d’exprimer ses convictions religieuses ou non.

Nicolas CADÈNE, rapporteur général de l’Observatoire de la laïcité, « En finir avec les idées fausses sur la laïcité », Atelier, 2020. Un petit livre qui démonte 95 idées fausses.

5 – À méditer : « Le racisme est un virus qui mute facilement et qui, au lieu de disparaître, se dissimule, étant toujours à l’affût. » Pape François, Fratelli tutti n° 97.

Rendez-vous dans un mois pour le prochain numéro de # DIÈSE

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Avec le centenaire de la canonisation de Jeanne d’Arc, plusieurs ouvrages ont paru, notamment, une biographie de Valérie Toureille, exploitant des sources non explorées[1], et, ces jours-ci, un Document Épiscopat (DE), en quatre parties, avec Panégyrique[2].

 

Jeanne d’Arc (1412-1431), déclarée relapse et hérétique, a été brûlée vive le 30 mai 1431, réhabilitée le 7 juillet 1456. Mgr Dupanloup (1802-1878), dans son second Panégyrique de Jeanne (1855/1869) propose sa canonisation, une occasion pour proclamer que « les vertus chrétiennes peuvent s’allier admirablement avec les vertus civiques et patriotiques ». Jeanne est béatifiée en 1909, canonisée le 16 mai 1920. Par la loi du 10 juillet 1920, « la république française célèbre annuellement la fête de Jeanne d’Arc, fête du patriotisme » (art. 1), au « jour anniversaire de la délivrance d’Orléans » (art. 2), un monument devant être élevé à Rouen « À Jeanne d’Arc, le peuple français reconnaissant » (art. 3). Pie XI la proclame co-patronne secondaire de la France, le 2 mars 1922.

 

Dès le 31 juillet 1429, peu après le sacre royal, Christine de Pizan achève son Ditié de Jehanne d’Arc. Les travaux sur Jeanne sont fort nombreux : Jules Quicherat, le P. Doncœur, Régine Pernoud[3], fondatrice du Centre Jeanne d’Arc à Orléans, Philippe Contamine – son premier directeur (cf. DE, IIe partie), etc. Pour Valérie Toureille, le parcours de Jeanne « peut s’interpréter de façon différente selon qu’on prête foi ou non au caractère divin de sa mission » (p. 9). Rarement un personnage de l’Histoire aura été adopté par des groupes aussi divers, dans le monde entier[4]. Qu’on en juge avec quelques exemples.

 

Le 25 octobre 1960, en battant un Britannique, le boxeur Alphonse Halimi, de la communauté juive de Constantine, devient champion du monde et s’écrie : « J’ai vengé Jeanne d’Arc ! » (B. Stora, Les clés retrouvées, ch. 2). Un sentiment anti-anglais préside à certains attraits américains pour Jeanne (cf. ses nombreuses statues : Philadelphie, etc.) ; Marcelline Brun montre que Jeanne, vue comme républicaine !, est associée aux guerres d’indépendance (1775-83), de sécession (1861-65), et mondiales (1914-18 ; 1939-45)[5]. Jeanne est archétype de l’héroïne patriote et résistante. Ryu Gwan-Sun est la « Jeanne d’Arc coréenne » dans l’indépendance vis-à-vis du Japon (1919), Anna Dickinson, la « Jeanne d’Arc de la cause unioniste » aux USA, Dilma Rousseff, « Jeanne d’Arc de la guérilla » (Brésil)…

 

Des féministes fondent en 1909 la Joan of Arc Suffrage League pour obtenir le droit de vote. Jeanne « inspire » nombre d’auteurs (Shakespeare, Voltaire, Twain, Madonna…), de films (cf. DE, IVe partie), des BD et des jeux vidéo (Japon), etc. Condamnée, notamment en raison du port de vêtements masculins, Jeanne est parfois revendiquée par certains milieux LGBTQ. Que de récupérations !

 

Bien des croyants y voient la résistante et la messagère de Dieu (cf. DE, IIIe partie). Lors de son procès, Jeanne récuse le terme de « chef de guerre » qu’on lui attribue. Sa seule légitimité ? Être envoyée « de par Dieu », dit-elle (cf. DE, Ire partie). Comme pour saint Paul, sa vocation s’inscrit dans des « révélations ». D’aucuns resteront sceptiques. On peut tenter de pénétrer dans le Mystère de la charité de Jeanne d’Arc, avec Péguy (1910). « Tous ceux qui ont tenté d’expliquer Jeanne sans Dieu se sont perdus dans un labyrinthe aux dédales inextricables », constatait le pape Benoît XV (16 mai 1920).

 

[1] Valérie Toureille, Jeanne d’Arc, Paris, Perrin, septembre 2020, 428 p.

[2] Mgr J.-P. Batut dir., Jeanne d’Arc, une figure d’héroïsme et de sainteté, Document Épiscopat n° 12 – 2019, 115 p.

[3] Par ex. Petite vie de Jeanne d’Arc, Paris, Artège, décembre 2017, 142 p.

[4] Au moins 90 pays dans Pascal-Raphaël Ambrogi – Dominique Le Tourneau, Dictionnaire encyclopédique de Jeanne d’Arc, Desclée de Brouwer, 2017, 2010 p.

[5] « Jeanne d’Arc, des pays de la Loire à ceux du Potomac » (www.persee.fr › abpo_0399-0826_1986_num_93_3).