Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.

Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.

Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.

Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.

On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.

Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.

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Attentat de Conflans-Sainte-Honorine : aux racines du mal

19 octobre  2020

Le terrorisme islamiste a des cibles désignées. Il y eut la communauté juive à Toulouse et à Vincennes, des soldats et des policiers, les dessinateurs de Charlie Hebdo, les lieux de loisirs et de convivialité du Bataclan et des cafés alentour. Il y eut le P. Hamel dans son église. Aujourd’hui, c’est un enseignant d’histoire qui a été sauvagement assassiné par un jeune homme, au nom de l’islam. Ces cibles, ce sont les modes de vie de nos sociétés occidentales : une liberté, une mixité, une laïcité, une égalité, bien imparfaites certes mais profondément nécessaires. Une société où l’individu est libre de croire ou de ne pas croire. Où les domaines du politique et du religieux sont bien distincts, au risque, parfois, de ne pas accorder de place à la parole des croyants.

Peu importe que ces attentats soient très organisés, par des réseaux puissants et complexes, ou qu’ils soient l’œuvre d’un homme seul, excité par les paroles entendues sur les réseaux sociaux ou dans la bouche de quelque imam radical ; la propagande des mouvements islamistes extrémistes imprègne les cerveaux de certains de nos concitoyens, jusqu’à en faire des bourreaux.

Il n’est pas question de trouver quelque excuse à l’acte ignoble perpétré vendredi  16 octobre devant un collège de banlieue parisienne. Il faut désigner et juger les responsables, les propagateurs de haine, les financeurs coupables, ceux qui regardent les photos atroces par voyeurisme ou par véritable soutien, ceux qui laissent faire… Mais peut-être faut-il s’interroger sur nos propres responsabilités, nos limites. Pourquoi cette porosité entre des idées extrémistes et des jeunes vivant dans notre pays ? Pourquoi ont-ils été séduits ? Se sentent-ils exclus ? La dénonciation de l’islamophobie tend à victimiser les musulmans et risque de les convaincre que les lois de la République ne sont pas faites pour eux. Mais il s’agit de regarder en face les réalités : mal logement, difficultés scolaires, accès à l’emploi compliqué, contrôles policiers parfois discriminatoires…

La lutte contre l’islamisme radical est nécessaire. Mais soyons attentifs, malgré l’émotion et la colère, sous la pression des surenchères politiques, à ne pas donner à la communauté musulmane –horrifiée dans sa grande majorité de l’image que ces terroristes donnent de leur foi– le sentiment d’un acharnement, d’une suspicion généralisée.  Soyons attentifs à préserver un juste équilibre entre sécurité et liberté, à ne pas en rester aux sanctions et à la répression, à travailler sur l’éducation, l’accompagnement des parents… Le pape François et le grand iman d’Al-Azhar, en février 2019, l’ont affirmé d’une même voix : « Nous déclarons adopter la culture du dialogue comme chemin ; la collaboration commune comme conduite ; la connaissance réciproque comme méthode et critère ».  Ces mots, qui s’adressent d’abord aux croyants (mais pas seulement), sont difficiles à entendre quand l’horreur vous saisit. Mais ils proposent un chemin.

 

La séquence du centenaire des traités qui ont conclu la Grande Guerre s’achève. Leurs conséquences, instrumentalisées ou non, se font encore sentir…

J’étais à Tartous en Syrie le 15 juillet 2016 lors de la tentative du coup d’état contre le président turc Erdogan. Quand la nouvelle a été connue, tard dans la soirée, des cris de joie et des rafales de fusil automatique ont retenti. Enfin, Erdogan était chassé ! La liesse a été de courte durée, mais elle traduisait les sentiments de peur et de rejet qui habitaient les Syriens face à celui qu’ils considèrent comme un des responsables de la tragédie qu’ils vivent.

La Turquie réprime ses minorités et son opposition, elle occupe de larges bandes du nord du territoire syrien, officiellement pour en chasser les kurdes, de même qu’elle intervient dans le Kurdistan irakien en sous-main. Elle utilise la menace d’ouvrir ses frontières pour laisser passer les réfugiés qu’elle retient pour pousser l’Europe à la neutralité dans les conflits qui l’opposent à ses voisins.

La plupart des analystes indiquent qu’Erdogan doit montrer les dents à l’extérieur et donner des signes à l’Islam militant qu’il incarne pour conserver l’appui de son peuple qui souffre à l’intérieur. Les transformations de la basilique Sainte-Sophie et de l’église Saint-Sauveur-in-Chora de musées en mosquées sont des illustrations de cette ligne. Les chrétiens orthodoxes de Turquie, bien petite minorité aujourd’hui, de Grèce et d’ailleurs, s’y sont vigoureusement opposés, sans succès.

Un président turc agresseur qui affiche sa volonté de redonner à la Turquie son aura d’antan et empiète sur les droits de ses peuples et de ses voisins, face à une Grèce réduite à se défendre sans trop hausser le ton, soutenue par la France mais pas par l’Allemagne ni l’OTAN, voilà la situation que nous relatent les médias.

Les peuples grecs et turcs ont vécu côte à côte, et de manière imbriquée, pendant des siècles. Même si les aléas politiques de ces dernières décennies les ont séparés, ils savent s’apprécier. C’est avec la société civile laïque de ces deux pays que se dessinent déjà et pourront se développer des voies pour la paix quand le contexte politique le permettra. Les Français ont un rôle à jouer pour faciliter cette évolution, et pour que soit respecté le droit international. La paix dans la région ne pourra être retrouvée que si de nouvelles formes de coopération régionale voient le jour, avec des dirigeants témoignant en premier lieu de leur volonté de promouvoir le bien commun. Utopie pour aujourd’hui, espérance pour demain.

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