Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.

Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.

Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.

Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.

On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.

Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.

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La séquence du centenaire des Traités qui ont conclu la Grande guerre s’achève. Ils ont été signés par les Alliés avec l’Allemagne à Versailles (28 juin 1919), l’Autriche à Saint-Germain (10 septembre 1919), la Bulgarie à Neuilly (27 novembre 1919), la Hongrie au Trianon (4 juin 1920), l’ancien Empire ottoman à Sèvres (10 août 1920). Non sans conséquences encore aujourd’hui.

L’an 1000 voit l’émergence du Royaume de Hongrie : Étienne Ier (975-1038 ; canonisé en 1083) est couronné par le savant pape aquitain Gerbert d’Aurillac – Sylvestre II (999-1003). Le 18 février 1867, le Royaume de Hongrie, à l’histoire mouvementée, se joint à l’Empire d’Autriche (issu de l’Empire Habsbourg en 1804) pour former un régime de double monarchie [1] : deux parlements, mais une union personnelle assurée par les Habsbourg, dotée d’une armée et de ministères communs. En pleine guerre, le 22 novembre 1916, Charles François Joseph de Habsbourg-Lorraine devient l’empereur Charles 1er d’Autriche. Il est aussi le roi Charles IV de Hongrie et Charles III de Bohême. Il a été béatifié le 3 octobre 2004 par Jean-Paul II, pour ses tentatives de paix et son soutien à la médiation de Benoît XV, en 1917.

 

Le Projet Wilson

Le 8 janvier 1918, devant le Congrès des États-Unis, le Président Wilson énonce son célèbre « programme de la paix du monde » en quatorze points, traversé de bout en bout par le « le principe évident… d’une justice pour tous les peuples et toutes les nationalités, et leur droit de vivre dans des conditions égales de liberté et de sécurité les uns avec les autres, qu’ils soient forts ou faibles ». Le Xe point reformule le principe des nationalités du 19e s. plutôt qu’un droit, encore implicite, des peuples à disposer d’eux-mêmes [2] : « Aux peuples de l’Autriche-Hongrie, dont nous désirons voir sauvegarder et assurer la place parmi les nations, devra être accordé au plus tôt la possibilité d’un développement autonome ». Le XIVe point prévoit la constitution d’une Société des Nations « ayant pour objet d’offrir des garanties mutuelles d’indépendance politique et d’intégrité territoriale aux petits comme aux grands États ».

 

La dislocation de l’Empire austro-hongrois

Le 27 septembre 1918, Charles 1er propose de transformer son Empire en fédération. Or, le 4 octobre, les députés du Reichsrat reconnaissent le droit des peuples de l’Empire à l’auto-détermination. Le 17 octobre, Charles 1er impose la fédéralisation. Mais, le 21 octobre, les députés germanophones instituent une Assemblée nationale provisoire [3], qui décide, le 30, de fonder un État. Le 27 octobre, Charles 1er nomme l’archiduc Joseph-Auguste de Habsbourg-Lorraine homo regius, prince palatin, de Hongrie pour contenir les indépendantistes, mais ces derniers s’emparent de Budapest le 30 octobre. L’Empire austro-hongrois est défait le 31 octobre 1918. Le 3 novembre, l’armistice est signé. Le 11 novembre, Charles 1er renonce au trône.

En Autriche, le 12 novembre, une République d’Autriche allemande est proclamée, « démocratique » (art. 1), se donnant comme « une partie de la République allemande » (art. 2) ; le 22 novembre, elle revendique les territoires peuplés majoritairement d’Allemands en Cisleithanie (partie autrichienne de l’ex-Empire austro-hongrois). En Hongrie se succèdent les éphémères République hongroise démocratique (16 novembre 1918 – 20 mars 1919), et République hongroise soviétique de Béla Kun (21 mars- 6 août 1919).

 

Trois traités

Le traité de Versailles (28 juin 1919), non ratifié par les USA, institue la Société des Nations (art. 1 à 26, repris dans les deux autres traités). Il instaure une indépendance inaliénable de l’Autriche que l’Allemagne doit reconnaître et respecter (art. 80). Les Alliés refusent le droit à l’autodétermination des peuples vaincus et des peuples colonisés. À rebours, la constitution allemande de la République de Weimar (31 juillet 1919) prévoit que « d’autres territoires peuvent être admis dans le Reich, si leur population le décide par voie d’autodétermination » (art. 2), rejoignant les aspirations de la République d’Autriche allemande (infra) [4]. En Hongrie, le 6 août, une armée franco-roumaine occupe Budapest ; c’est la fin de la République hongroise soviétique. Le 23 août, Joseph-Auguste de Habsbourg renonce à la régence. Restait à définir les frontières.

Le traité de Saint-Germain-en-Laye (10 septembre 1919) [5] définit celles de l’Autriche avec la Suisse et le Liechtenstein [6], l’Italie, l’État serbe-croate-slovène, la Hongrie, l’État tchécoslovaque, l’Allemagne (art. 27-35). L’indépendance de l’Autriche est inaliénable ; l’Autriche ne pourra « participer aux affaires d’une autre Puissance » (art. 88), et donc s’intégrer dans la République allemande. Pressé par les vainqueurs, et rebaptisé République d’Autriche, le pays ratifie le traité le 21 octobre 1919. Il possède huit länder : sept issus de la partie autrichienne de l’ex-Empire austro-hongrois (Vorarlberg, Tyrol du Nord, Salzbourg, haute et basse Autriche, Carinthie, Styrie) et un nouveau land, le Burgenland – quatre districts germanophones issus de l’ancien Royaume de Hongrie [7]. La loi constitutionnelle du 1er octobre 1920 intègre notamment la loi du 3 avril 1919 relative au bannissement et à la récupération du patrimoine de la maison de Habsbourg-Lorraine (art. 149).

Dans l’entrefaite, en Hongrie, le 16 novembre 1919, profitant du retrait roumain, l’amiral Horthy, ministre de la guerre d’un gouvernement contre-révolutionnaire, entre à Budapest. À la terreur rouge, succède une terreur blanche et antisémite. Le 1er mars 1920, Horthy, amiral d’un pays sans accès à la mer, est élu régent d’un royaume sans roi.

Le traité du Trianon (4 juin 1920) définit les frontières de la Hongrie (art. 27-35) [8]. Son indépendance est inaliénable (art. 73). Le pays perd 71 % de son territoire, son accès à la mer, ses mines… et 3,3 millions des magyarophones (32 %) habitent désormais à l’étranger.

 

Rêves et réalité

Dans l’entre-deux-guerres, les nationalistes hongrois rêvent d’une « Grande Hongrie » ; l’amiral Horthy s’allie aux nazis dans l’espoir de récupérer les territoires perdus. Viennent la défaite et l’occupation soviétique. En 1956, les Hongrois réclament des élections libres (Imre Nagy), mais l’armée soviétique écrase l’insurrection (2 500 morts). L’opinion mondiale découvre la réalité soviétique ; c’est le début du recul du communisme en Europe. Peu à peu la Hongrie se développe ; en 1989, les Allemands de l’Est sont autorisés à passer à l’Ouest via la Hongrie, contribuant ainsi de manière décisive à la chute du mur de Berlin.

La démocratie rétablie, le pays se modernise rapidement et rejoint l’Union Européenne en 2004. Après un long intervalle social-démocrate, l’Union civique hongroise (Fidesz) reprend le pouvoir et Victor Orbàn redevient premier ministre : il prône une démocratie « illibérale ». Cent ans après, le traité de Trianon reste très présent pour la plupart des Hongrois : frontières jamais réellement acceptées, question des minorités (en particulier les Roms), réactions xénophobes et sentiment de ne pas être reconnus au sein de l’Union Européenne. On estime aujourd’hui à 2 millions les magyarophones à l’étranger [9].

 

 

[1] La rivière Leitha / Lajta / Litava sépare l’archiduché d’Autriche (Cisleithanie, vue depuis l’Autriche) du royaume de Hongrie (Transleithanie), et, aujourd’hui, deux lands d’Autriche : le Niederösterreich et le Burgenland.

[2] Principe de l’égalité des droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes : Charte de l’ONU, 26 juin 1945, art.1.2 et 55.

[3] Avec des représentants germanophones de Bohême, Moravie et Italie ayant refusé de rejoindre la « Tchécoslovaquie », créée le 28 octobre.

[4] Lors d’un referendum en novembre 1918, les provinces du Tyrol et de Salzbourg avaient demandé l’unification avec l’Allemagne, à plus de 98 %. Le succès postérieur de l’Anschluß, « rattachement » de l’Autriche à l’Allemagne nazie, entamé le 12 mars 1938, n’est pas si surprenant.

[5] La délégation autrichienne est exclue des négociations ; le 23 mai 1919, des Autrichiens brûlent l’ambassade de France à Vienne.

[6] Dans un referendum de mai 1919, le Vorarlberg souhaite son rattachement à la Suisse à 81 %. Le traité n’en tient aucun compte : la Suisse est réticente et le Lichtenstein aurait été enclavé en Suisse.

[7] Par le referendum du 14 décembre 1922 (à 72 %), la capitale du BurgenlandÖdenburg (en allemand), Sopron (en hongrois) – passe en Hongrie.

[8]. Le Tyrol du Sud, quoique purement germanophone, passe à l’Italie, en reconnaissance de son entrée en guerre aux côtés de l’Entente.

[9] Loi fondamentale du 18 avril 2011, art. D : « Gardant à l’esprit qu’il y a une seule nation hongroise unie, la Hongrie assume la responsabilité du sort des Hongrois vivant en dehors de ses frontières, et doit encourager la survie et le développement de leurs communautés ; elle soutient leurs efforts pour préserver leur identité hongroise, affirmer leurs droits individuels et collectifs, établir des communautés autonomes et prospères dans leur pays natal, et elle encourage leur coopération, entre elles et avec la Hongrie ».

« Beyrouth, elle est mille fois morte, mille fois revécue » Nadia Tueni, poétesse libanaise

Beyrouth, 4 août 2020 à 18h07. Des images et vidéos d’une double explosion font le tour des écrans de télévisions et des réseaux sociaux du monde entier. En quelques secondes, la capitale libanaise vit dans sa chair une des pages les plus funestes de son histoire. Pour la énième fois, une de trop ! Combien de fois les Libanais s’interrogeront-ils sur leur destin historique ? Combien d’entre eux vont-ils plier bagage ? Combien de fois parlera-t-on encore de résilience et du Phénix mythique qui renaît éternellement de ses cendres ?

Une semaine avant, je prenais l’avion pour Beyrouth. Peu m’importait la crise sanitaire liée au coronavirus : cet été 2020, j’irai au Liban ! Je savais mon pays rongé par tant et tant de crises – économique, sociale, financière, bancaire et sanitaire. Mais, aussi française, ayant choisi de vivre en France, je suis une privilégiée de la vie. Que demander de plus ? Soudain, une double explosion dévastatrice et meurtrière. Résidant à 3,5 km du port de Beyrouth, épicentre du drame, mes parents et moi échappions au pire. Indemnes et en vie. Je ne suis plus seulement une simple privilégiée mais une miraculée. Face à l’inqualifiable, le salut ne tient qu’à l’instinct de survie et à d’autres mécanismes qui se mettent en place : le besoin irrépressible de contacter les proches, répondre aux messages d’amis, constater les dégâts matériels dans la maison, penser aux réparations, mais surtout, aller au chevet de Beyrouth, éventrée et défigurée. Priorité à l’urgence humanitaire. Face au mutisme criminel de l’État libanais, la société civile se mobilise. Volontaires, bénévoles, ONG libanaises et étrangères, appuis internationaux volent au secours des Beyrouthins. Les drames ne se comptent plus : destruction de maisons traditionnelles et désolation humaine : morts, blessés, mutilés et endeuillés de la vie. L’enjeu pour le Liban est existentiel. La crise y est structurelle. Plusieurs fois millénaire, le pays est aujourd’hui un État failli, gouverné par une classe politique fossilisée, clanique, mafieuse et corrompue. Le clientélisme et le régime confessionnel ont bloqué l’émergence d’institutions fortes et viables. Système judiciaire défaillant, contrepouvoirs inexistants – la société est fortement polarisée entre des inféodés à un chef politique et ceux qui aspirent à un vrai changement. L’édification de l’État est hypothéquée par la présence d’une milice armée, usurpant le monopole de la violence étatique légitime.

Comment recréer, reconstruire et réenchanter la vie politique ? Face à la désagrégation de l’État, quelle serait une alternative viable à une Constitution datant de 1926 ?

Qu’est ce qui fédère les Libanais ? Face aux velléités de pays voisins puissants, comment assurer la neutralité du pays, convaincre ses fils de renoncer aux allégeances étrangères et transcender les clivages ? Formidable défi en soi que de réfléchir aux conditions de notre liberté et de notre dignité en tant que peuple. Plongée en pensées au cœur de l’enfer de Beyrouth et malgré mon retour culpabilisant en France, je ne cesse de méditer sur les mots du poète syrien Nizar Qabbani : la « révolution nait des entrailles de la tristesse ». Pourquoi cette révolution libanaise a-t-elle avortée ? Devant ce constat d’échec de révolution, je prends tristement conscience de ce qu’est une Patrie, de ce qu’est la foi aussi, celle qui surgit des profondeurs même de nos existences, quand tout espoir semble perdu. Paradoxalement, je fais le pari que le Liban vivra, que son existence n’est pas factice. La croix qui se lève marque la victoire sur le mal. L’explosion du 4 août 2020 doit signer la défaite du mal qui gangrène le Liban. « J’espère que malgré tout, tu garderas un bon souvenir du Liban », me martelait une amie libanaise, la voix brisée. Je réponds sans hésitation : « oui » !

 

# Dièse, n° spécial

Lettre encyclique du pape François
Fratelli tutti (FT)
Sur la fraternité et l’amitié sociale (3 octobre 2020)

Les encycliques sont indiquées par leurs initiales.
Les n° entre crochets renvoient à la numérotation de Fratelli tutti.

À la suite Laudato si’ (LS), cette nouvelle encyclique se met sous le patronage de saint François d’Assise, mais elle ne se présente pas comme un deuxième volet, suite à la précédente. Il nous faut donc éviter de fermer LS,  comme pour passer à autre chose, au risque de l’oublier. Cette encyclique, FT, s’inscrit dans la lignée de l’enseignement social de l’Église en développant ce qui sous tend un tel enseignement tout en indiquant la finalité : la fraternité. « Je livre cette encyclique sociale comme une modeste contribution à la réflexion. (…) Bien que je l’aie écrite à partir de mes convictions chrétiennes qui me soutiennent et me nourrissent, j’ai essayé de faire de telle sorte que la réflexion s’ouvre au dialogue avec toutes les personnes de bonne volonté » [6]. En ce qui concerne la forme, FT reprend et cite largement les prises de position du pape concernant les défis posés aujourd’hui à la fraternité, mais aussi les fermes invitations à avancer dans une dynamique de rencontre, de dialogue, d’initiatives communes. François rassemble en ce document les éléments d’un enseignement énoncé en diverses occasions durant ces dernières années. Ce qui donne un texte assez long (216 pages dans l’édition française officielle), mais relativement facile à lire.

 

À de nombreuses reprises, le pape François évoque sa rencontre fraternelle avec le Grand Imam Ahmad Al-Tayyeb qui a permis la signature conjointe du « Document sur la fraternité pour la paix mondiale et la coexistence commune », à Abou Dhabi le 4 février 2019 : l’appel à la paix est retranscrit [285]. Cette rencontre fut sans doute une expérience forte : la diversité religieuse ne conduit pas fatalement à la violence, elle peut être vécue de manière fraternelle. De plus, alors que l’islam se trouve défiguré par certains qui s’en réclament pour perpétrer des actes barbares, il était urgent de dénoncer un  tel dévoiement et d’honorer les personnes de premier plan qui promeuvent une religion de paix. Le ch. 8 est justement intitulé : « Les religions au service de la fraternité dans le monde ».

 

Dès le sous-titre, au terme fraternité se trouve associée une notion nouvelle : l’amitié sociale. Deux raisons ont pu susciter cette innovation : le mot fraternité est forgé à partir du masculin, ce qui peut conduire à oublier les « sœurs » ; l’amitié sociale implique des réalisations concrètes alors que la fraternité risque d’être parfois réduite à un sentiment intérieur. « En politique il est aussi possible d’aimer avec tendresse. (…) C’est l’amour qui se fait proche et se concrétise.  (…) Les plus petits ; les plus faibles, les plus pauvres doivent susciter notre tendresse» [194]. On peut donc associer la démarche affective et l’engagement efficace.

 

À la manière de LS, FT dresse un constat sévère sur l’état de notre monde. Les ombres semblent l’emporter sur la lumière (ch. 1) : inégalités, injustices, dénis des droits humains élémentaires se trouvent largement évoqués. Mais l’analyse va jusqu’à préciser les racines culturelles d’un tel état de fait : une logique de toute-puissance et de domination qui épuise la nature et exclut les humains les plus fragiles. Cela, en raison d’un utilitarisme étroit et à court terme qui, au nom de l’efficacité, détruit l’environnement et sème la violence. Le néolibéralisme se trouve dénoncé en des termes à connotation « religieuse » : « Le marché à lui seul ne résout pas tout, même si, une fois encore l’on veut nous faire croire à ce dogme de foi néolibéral. Il s’agit là d’une pensée pauvre, répétitive, qui propose toujours les mêmes recettes face à tous les défis qui se présentent. Le néolibéralisme ne fait que se reproduire lui-même en recourant aux notions magiques de « ruissellement » ou de « retombées ». (…) Les recettes dogmatiques de la théorie économique dominante ont montré qu’elles n’étaient pas infaillibles » [168].

 

La fraternité universelle, basée sur la conscience d’appartenir à une seule et même famille humaine, n’induit pas une globalisation qui écrase les diversités. « L’universel ne doit pas être l’empire homogène, uniforme et standardisé d’une forme culturelle dominante » [144].  Au contraire, la fraternité invite à reconnaître « que les autres cultures ne sont pas des ennemis contre lesquels il faudrait se protéger, mais des reflets divers de la richesse inépuisable de la vie humaine » [147]. La « charité politique » peut conduire à reconnaître chaque être humain comme un frère ou une sœur et à chercher l’amitié sociale qui intègre tout le monde [180]. « Le mépris des faibles peut se cacher sous des formes populistes, qui les utilisent de façon démagogique à leurs fins, ou sous des formes libérales au service des intérêts économiques des puissants. Dans les deux cas, on perçoit des difficultés à penser un monde ouvert où il y ait de la place pour tout le monde, qui intègre les plus faibles et qui respecte les différentes cultures » [155].

 

À propos des migrations, il faut « d’un côté aider effectivement l’intégration des migrants dans les pays d’accueil, et en même temps favoriser le développement des pays de provenance par des politiques solidaires » [132]. L’arrivée de personnes différentes peut être considérée comme un don [133].  À la suite de ses prédécesseurs, le pape François soutient l’ONU dans son travail pour promouvoir la paix dans le monde [257]. « Une paix réelle et durable n’est possible qu’à partir d’une éthique globale de solidarité et de coopération au service d’un avenir façonné par l’interdépendance et la coresponsabilité au sein de toute la famille humaine » [127].  Il évoque « l’abîme du mal qui se trouve au cœur de la guerre, et nous ne serons pas perturbés d’être traités de naïfs pour avoir fait le choix de la paix » [261].  Il reprend sa mise en cause de la possession de l’arme nucléaire [262] et rappelle aussi l’opposition de l’Église à la peine de mort [263].

 

Deux mises en garde s’adressent particulièrement aux chrétiens. « Celui qui ne vit pas la gratuité fraternelle fait de son existence un commerce anxieux : il est toujours en train de mesurer ce qu’il donne et ce qu’il reçoit en échange. Dieu, en revanche, donne gratuitement » [140]. « Il y a des croyants qui pensent que leur grandeur réside dans l’imposition de leurs idéologies aux autres, ou dans la défense violente de la vérité ou encore dans de grandes manifestations de force. Nous, croyants, nous devons tous le reconnaître : l’amour passe en premier, ce qui ne doit jamais être mis en danger, c’est l’amour ; le plus grand danger, c’est de ne pas aimer » [92].

 

Une prière finale : « Notre Dieu, Trinité d’amour, par la force communautaire de ton intimité divine, fais couler en nous le fleuve de l’amour fraternel. Donne-nous cet amour qui se reflétait dans les gestes de Jésus, dans sa famille à Nazareth et dans la première communauté chrétienne. (…) Viens, Esprit Saint, montre-nous ta beauté reflétée en tous les peuples de la terre, pour découvrir qu’ils sont tous importants, que tous sont nécessaires, qu’ils sont des visages différents de la même humanité que tu aimes. »