Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.

Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.

Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.

Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.

On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.

Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.

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Au plus fort de la crise sanitaire, l’engagement de tous les salariés, notamment les plus modestes, a permis de maintenir les activités essentielles dont les Français avaient besoin.

Un engagement qui mériterait une meilleure implication de ces derniers dans les instances de pouvoir de l’entreprise, selon les 150 signataires de cette tribune. Et qui permettrait également de prendre des décisions au plus près du terrain.

Le déficit de masques, tests, lits de réanimation et appareils respiratoires, révèle un déficit plus profond, de prévoyance. Gouverner, c’est prévoir : quel mode de gouvernement fallait-il adopter ? La réaction de la société française à la crise suggère une réponse.

Ce qui aujourd’hui porte la société à bout de bras, c’est le monde du travail, du plus savant au plus modeste – des médecins aux éboueurs, livreurs et agents de service en passant par les boulangers et les épiciers. Chaque crise est un puissant révélateur. Aujourd’hui, le travail retrouve la première place – au point de rendre visible les métiers invisibles et d’une importance vitale les tâches méprisées.

Ces infirmières, brancardiers, pompiers, policiers, mais aussi ces caissières, ces postiers, quelle place ont-ils, eux-mêmes ou leurs représentants, dans la prise de décision économique ? L’imprévoyance n’est-elle pas la conséquence de la place presque inexistante de ceux qui travaillent, dans la direction de notre économie ? La gestion de l’entreprise dans le seul intérêt des actionnaires a conduit à l’impasse.

Définition des orientations stratégiques

C’est une évidence dans l’entreprise. Dans la crise actuelle, la comparaison avec l’Allemagne, l’Autriche, le Danemark ou la Norvège, est cruelle – tous pays dits de « codétermination » où les salariés partagent, avec les actionnaires, le gouvernement de l’entreprise. Leur remarquable résistance à la crise vient de ce qu’ils ont su maintenir leur capacité industrielle.

Les conseils d’administration ou de surveillance, comptant de nombreux représentants salariés, parviennent à des décisions communes sur les qualifications, les emplois et les lignes de produit à conserver impérativement sur le territoire national. La codétermination est un instrument collectif de contrôle sur les effets néfastes de la globalisation. Il ne s’agit pas de nier le caractère structurel des divergences d’intérêt entre salariés et actionnaires mais de créer un cadre permettant aux salariés d’être au même niveau que les actionnaires sur la définition des orientations stratégiques.

La France n’a pas su doter son économie d’instruments de décision partagée. La présence des salariés dans les conseils des grandes entreprises privées n’a été introduite qu’en 2013. Ils sont un ou deux par conseil, pour les entreprises de plus de 1.000 salariés. La proportion est donc de 14 % pour le conseil d’administration moyen du CAC 40, alors que la norme est d’un tiers en Europe et de la moitié en Allemagne, dans les grandes entreprises. La codétermination s’exerce aussi à la base, avec des mécanismes de décision partagée en matière économique, sociale et d’organisation du travail, selon des périmètres et des schémas conformes au génie et à l’histoire de chaque pays (notamment les Pays-Bas, le Danemark, la Suède et l’Allemagne).

La nécessité désormais flagrante de déglobaliser rouvre une occasion unique pour notre économie de combler son déficit – le vrai, le déficit institutionnel. Et ce d’autant plus que les obstacles habituels sont en voie de disparition.

Réinvention du modèle productif

Le premier était la réticence d’une partie des syndicats et du patronat . Or avec une vraie politique publique industrielle, les circonstances peuvent être favorables : ils seraient appelés à débattre non de la délocalisation mais de la relocalisation d’emplois, dans un cadre de réinvention du modèle productif.
Le deuxième était lié à la crainte que le renforcement de la place du travail dans le gouvernement d’entreprise ne débouchât sur une gestion conservatrice . Au contraire, avec la transition écologique, les instances dirigeantes des entreprises vont devoir adopter de nouveaux critères de décision, pour prendre en compte les impacts sociaux et écologiques de leur activité. Qui peut mieux porter ce changement que les salariés ? Intéressés à l’avenir de l’entreprise, ils sont aussi riverains touchés par les pollutions et… parents.

Enfin la loi PACTE sur les entreprises, adoptée il y a un an, contient une clause de « revoyure » au bout de trois ans sur les administrateurs salariés. La gravité de la crise requiert de l’audace, plutôt que de l’arithmétique. Avec un tiers ou une moitié de salariés dans les conseils d’administrations, les entreprises françaises pourront aborder le changement de modèle productif sur une base refondée et légitime.
Le déficit de participation du travail que révèle la crise sanitaire ne vaut pas seulement pour l’entreprise. C’est tout le service public qui se meurt en France d’avoir été, sous l’influence du New Public Management, soumis à une logique étroitement comptable, aveugle aux alertes des fonctionnaires de terrain.

Revalorisation de tous les acteurs

La révolution de 1848 et l’instauration du suffrage universel masculin ont fait dire à l’époque que les ateliers ne pourraient plus être dirigés de façon autoritaire comme avant. La crise actuelle crée le même choc cognitif. Après avoir fait reposer sur les épaules des caissières et des autres travailleurs de la filière, la responsabilité de notre approvisionnement alimentaire, il serait intenable de les écarter plus longtemps de la prise de décision.
Après avoir mis les vies de nos proches entre les mains de médecins mais aussi d’infirmières et d’aides-soignantes, il serait impensable de ne pas leur donner une plus grande place dans la direction de l’hôpital. Après avoir été approvisionné en masques grâce aux initiatives spontanées de couturières bénévoles et de collectifs de makers, il serait insupportable de ne pas mieux valoriser dans notre société le travail contributif « gratuit » et l’économie du libre.
Les transitions professionnelles, productives et écologiques sont vouées à interagir. Leur instauration nécessitera une prise de décision collective, ouverte à la pluralité des expériences et aux connaissances concrètes. Le plus modeste travailleur sait en effet sur sa tâche des choses que son supérieur ignore, et les tâches les plus modestes sont les plus proches de ce qui fait une société humaine.

Initiateurs :

150 personnalités du monde politique, syndical, académique et des entreprises d’horizons divers, regroupant notamment des économistes de toutes les écoles de pensée, à l’initiative de JeanBaptiste Barfety, enseignant à Sciences-Po, fondateur de la conférence Gambetta, Isabelle BerrebiHoffmann, sociologue, chargée de recherches CNRS, CNAM, Christophe Clerc, avocat, Descartes Legal, enseignant à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, Olivier Favereau, professeur émérite d’économie, Université Paris-Nanterre et Bernard Gazier, professeur émérite d’économie, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Premiers signataires : Philippe Aghion, économiste, professeur au Collège de France Michel Aglietta, professeur émérite d’économie, Université Paris-Nanterre Jean Auroux, ancien Ministre du Travail Jean-Louis Bancel, président du Crédit Coopératif Luc Boltanski, directeur d’études à l’EHESS, sociologie Robert Boyer, économiste, directeur d’études l’EHESS Alain Caillé, professeur émérite de sociologie, Université Paris-Nanterre, fondateur de l’Internationale Convivialiste Gabriel Colletis, professeur émérite d’économie, Université de Toulouse 1, président du M anifeste pour l’ I ndustrie Benjamin Coriat, professeur d’économie, Université Paris 13, membre des économistes atterrés François Euvé, s.j., rédacteur en chef de la revue Etude s, Pierre Ferracci, président du cabinet Alpha, Cynthia Fleury, philosophe et psychanalyste, professeur, CNAM, Chaire « Humanités et Santé » Bernard Friot, professeur émérite de sociologie, Université Paris Nanterre Gaël Giraud, s.j., directeur de recherches CNRS, ancien chef économiste de l’Agence française de développement Armand Hatchuel, professeur en sciences de gestion, Mines ParisTech Pierre-Cyrille Hautcoeur, directeur d’études EHESS, en histoire & économie Eric Heyer, directeur du département analyse et prévision à l’OFCE François Hommeril, président de la CFE-CGC Nicolas Hulot, ancien Ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie Marylise Léon, secrétaire générale adjointe de la CFDT Corinne Lepage, ancienne Ministre de l’Environnement Pascal Lokiec, professeur de droit privé, Université Paris 1 Panthéon Sorbonne Dominique Méda, professeure de sociologie, Directrice de l’Irisso, Dauphine-PSL André Orléan, directeur de recherches CNRS en économie, Directeur d’études à l’EHESS, ENSJourdan Mohammed Oussedik, secrétaire général de la Fédération CGT Verre et Céramique Thierry Pech, directeur général du think-tank Terra Nova
Jean Peyrelevade, ancien président du Crédit Lyonnais Thomas Piketty, économiste, directeur d’études à l’EHESS et à Paris School of Economics Dominique Potier, député PS de Meurthe-et-Moselle Cécile Renouard, professeure d’éthique sociale au Centre Sèvres, enseignante à l’ESSEC-Business school

Signataires

Franck Aggeri, professeur de management, Mines ParisTech Antoine Arjakovsky, historien, co-directeur du pôle « Politique et Religions » du Collège des Bernardins Tristan Auvray, maître de conférences d’économie, Université Paris 13 Gilles Auzero, professeur de droit privé, Université de Bordeaux Daniel Bachet, professeur de sociologie, Université d’Evry Philippe Batifoulier, professeur d’économie, Université Paris 13 Patrick Baudry, professeur d’économie, Université de Lyon 2 Florian Bercault, entrepreneur Michel Berry, Ecole de Paris du Management Franck Bessis, maître de conférences d’économie, Université Lyon 2 Christian Bessy, directeur de recherche CNRS, économie, directeur de l’IDHES (ENS- Cachan) Alexandra Bidet, chargée de recherche en sociologie CNRS, ENS-Jourdan Olivier Biencourt, maître de conférences d’économie, Université du Maine Bernard Billaudot, professeur émérite d’économie, Université Pierre Mendès-France à Grenoble Sandrine Blanc, professeure d’éthique des affaires, INSEEC School of Business and Economics Michel Bouchet, professeur Skema Business School, chaire Global Finance Jean-François Bouthors, écrivain & essayiste Michel Capron, professeur émérite, sciences de gestion, Université Paris 8. Jean Cartelier, professeur émérite d’économie, Université Paris-Nanterre Aurore Chaigneau, professeure de droit privé, Université Paris-Nanterre Valérie Charolles, philosophe, enseignante à l’EHESS, et chercheuse associée à l’Institut Mines Télécom et à l’IIAC, UMR 8177, CNRS et EHESS Virgile Chassagnon, professeur d’économie, Université Grenoble-Alpes Christian Chavagneux, éditorialiste, Alternatives Economiques, Bernard Chavance, professeur émérite d’économie, Université Paris 7 – Diderot Patricia Crifo, professeur d’économie, Université Paris-Nanterre et Ecole Polytechnique Thomas Dallery, maître de conférences d’économie, Université du Littoral – Côte d’Opale Hervé Defalvard, maître de conférences d’économie, Université Paris Est – Marne La Vallée Guillemette de Larquier, professeure d’économie, Université de Lille Jean-Philippe Denis, professeur en sciences de gestion, Université Paris-Saclay, rédacteur en chef de la Revue française de gestion Philippe de Roux, entrepreneur social Mathieu Detchessahar, professeur en sciences de gestion, Université de Nantes Claude Didry, sociologue, directeur de recherche au CNRS, IDHES (ENS-Cachan) Grégoire Duchange, maître de conférences en droit privé, Université Paris 2 Marie-Guite Dufay, présidente de la région Bourgogne-Franche-Comté Bertrand Du Marais, conseiller d’Etat, président du think-tank FIDES Gilles Duruflé, president QCC Public Policy Forum on Venture Capital and Innovation Jean-Luc Gaffard, professeur d’économie, Université Nice Sophia Antipolis Jérôme Gautié, professeur d’économie, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne Frédéric Géa, professeur de droit privé, à Université de Lorraine Ariane Ghirardello, maître de conférences d’économie, Université Paris 13 Anne-Sophie Ginon, maître de conférences de droit social, Université Paris-Nanterre Pierre-Yves Gomez, professeur de management, EM Lyon Business School Alain Grandjean, associé-fondateur du cabinet de conseil
Carbone 4 , président de la Fondation Nicolas Hulot Marcel Grignard, président du Think-Tank Confrontations – Europe Guy Groux, directeur de recherches CNRS, sociologie, Sciences-Po, Cevipof Charley Hannoun, professeur de droit privé, Université de Cergy-Pontoise Sophie Harnay, professeure d’économie, Université Paris-Nanterre Jean-Marie Harribey, maître de conférences honoraire d’économie, Université de Bordeaux, conseiller scientifique ATTAC Florence Jany-Catrice, professeure d’économie, Université de Lille Antoine Jeammaud, professeur honoraire de droit du travail, Université de St Etienne Danielle Kaisergruber, rédactrice en chef de la revue en ligne Metis – Europe , présidente du cabinet DKRC Emmanuel Kessous, professeur de sociologie, AgroParisTech Wolfgang Kowalsky, conseiller à la Confédération Européenne des Syndicats Agnès Labrousse, maître de conférences d’économie, Université de Picardie Michel Lallement, professeur de sociologie, CNAM Fleur Laronze, maître de conférences de droit privé, Université de Haute-Alsace Elena Lasida, professeure d’économie, directrice du 3ème cycle, Institut Catholique de Paris Emmanuel Lazega, professeur de sociologie, Sciences-Po Jean-Marc Le Gall, conseil en Stratégies Sociales Jacques Le Goff, professeur émérite de droit public et de droit du travail, Université de Rennes Philippe Lefebvre, enseignant chercheur en management, Centre de Gestion Scientifique, MinesParisTech Kevin Levillain, enseignant-chercheur en management, Centre de Gestion Scientifique, Mines ParisTech Nadine Levratto, directrice de recherches CNRS, directrice d’EconomiX, UMR 7235 Université Paris Nanterre Emmanuelle Mazuyer, directrice de recherches CNRS en droit privé, Université Lyon 2 Pierre-Michel Menger, directeur d’études à l’EHESS en sociologie, professeur au Collège de France François Meunier, ex-Directeur-Général de Coface, professeur associé de finance à l’ENSAE Pierre-Olivier Monteil, enseignant en éthique appliquée, Université Paris-Dauphine François Morin, professeur émérite d’économie, Université Toulouse-I-Capitole Marie-Laure Morin, directrice de recherches au CNRS en droit, ancienne conseillère à la Cour de Cassation Alain Paillard, secrétaire général, Justice et Paix, conférence des évêques de France Roland Pérez, professeur émérite de sciences de gestion, Université de Montpellier Bernard Perret, ingénieur et socio-économiste, enseignant à l’Institut Catholique de Paris Benoît Petit, maître de conférences en droit privé, Université Versailles-Saint Quentin, co-directeur du Master « Droit Social » Nicolas Postel, professeur d’économie, vice-président de l’université de Lille Christophe Ramaux, maître de conférences d’économie, Université Paris 1. Alexandre Rambaud, maître de conférences en comptabilité financière et écologique, AgroParisTech Gilles Raveaud, maître de conférences d’économie, Université Paris 8 Antoine Rebérioux, professeur d’économie, Université paris 7 Diderot Udo Rehfeldt, politologue, chercheur associé IRES, Jacques Richard, professeur émérite de comptabilité, Université Paris-Dauphine, ancien membre de l’Autorité des Normes Comptables Nathalie Richebé, professeure en sciences de gestion, IAE de l’Université d’Aix-Marseille Martin Richer, président de Management & RSE
Sandra Rigot, maître de conférences d’économie, Université Paris 13 Baudouin Roger, professeur d’éthique sociale, co-directeur du département de recherche « Economie et Société », Collège des Bernardins Bertrand Rothé, Professeur agrégé de sciences économiques et sociales, IUT de Sarcelles, Université de Cergy-Pontoise René Roudaut, ancien ambassadeur de France Tatiana Sachs, maître de conférences en droit privé, Université Paris-Nanterre Maryse Salles, maître de conférences en informatique, Université de Toulouse 1 Capitole Jean-Marc Salvanès, consultant en gestion des ressources humaines, Président de Misceo
Jean-Michel Saussois, professeur émérite de management, ESCP Europe Jean-Louis Schlegel, philosophe, sociologue, ancien directeur de la rédaction de la revue Esprit
Laurence Scialom, professeure d’économie, Université Paris-Nanterre Blanche Segrestin, professeur en sociologie et gestion, Mines ParisTech Philippe Segretain, ancien PDG de Transdev et d’EGIS Amélie Seignour, maître de conférences en sciences de gestion, Université Montpellier 2 Richard Sobel, professeur d’économie, Université de Lille Laurent Thévenot, directeur d’études à L’EHESS en sociologie Fabrice Tricou, maître de conférences en économie, Université Paris-Nanterre Jacques Turck, Mgr, ancien responsable de la commission des affaires sociales à la Conférence des Evêques de France Boris Vallaud, député PS, Landes Sarah Vanuxem, maître de conférences de droit privé, Université Nice – Côte d’Azur François Vatin, professeur de sociologie, Université Paris Nanterre Stéphane Vernac, professeur de droit privé, Université de Saint-Etienne
Jean-Baptiste Barfety, Isabelle Berrebi-Hoffmann, Christophe Clerc, Olivier Favereau et Bernard Gazier

Tout  en  restant  prudents et dans la solidarité  nous  reprenons  des  rencontres,  nous  faisons  des  projets  de   découvertes  pour  l’été.

Un  peu  par  obligation,  nous  reconnaissons  que,  pour  changer   d’air  et d’horizon,  il  n’est  pas  nécessaire  de  se  mettre  sous  pression  et  de multiplier  les   kilomètres.  Pour  profiter  des  beautés  en  proximité,  la lenteur  prend  goût  de  liberté.  La   joie  de  la  contemplation  ne  se  confond pas  avec  la  bougeotte  !

 

Un  point  d’attention  :  la  dignité  humaine  toujours menacée

Des  événements  récents,  aux  USA  et  chez  nous,  nous  ont  montré  que  le racisme  menace   toujours.  Nous  avons  un  rapport  ambigu  à  l’autre,  en raison  de  sa  différence.  Il  y  a  bien  le   désir  de  rencontre,  avec  les découvertes  que  cela  permet,  mais  aussi  la  peur  d’être   déstabilisé  dans ses  habitudes,  la  crainte  d’être  perturbé  dans  son  identité.     Ces  tensions résultent  aussi  d’une  histoire  douloureuse  marquée  par  l’esclavage  et  la   colonisation.  L’évocation  de  ces  héritages  ravive  des  émotions  contrastées et  pose  une   question  majeure  :  comment  des  institutions,  des  cités,  des nations  ont-­‐elles  pu  fonder   leur  richesse  en  dominant  d’autres  humains, au  mépris  de  leur  dignité  élémentaire  ?     Pour  tirer  les  leçons  du  passé, il ne  suffit  pas  de  déboulonner  les  statues  de  Colbert   (instigateur  du  code noir)  ou  de  Jules  Ferry  (promoteur  du  colonialisme)  et  de  regarder   nos aïeux  comme  des  cyniques  bornés.  Il  vaut  mieux  demeurer  attentif  aux actuelles   résurgences  de  mentalités  qui  ouvrent  la  voie  au  mépris  de l’autre  humain,  en  raison  de   sa  couleur  de  peau,  de  sa  culture  ou  de  sa religion.     Souvent  aussi  l’attente  de  profits  matériels  jette  un  voile pudique  sur  des  pratiques   indignes.  Si  les  vêtements  sont  produits  à  bas prix  en  Asie,  si  le  travail  des  enfants  en   Afrique  permet  d’extraire  les terres  rares  nécessaires  à  nos  outils  informatiques,  on   préfère  trop souvent  en  ignorer  le  coût  humain.  La  mondialisation  devient  lourde  de   violence  lorsqu’elle  oublie  la  solidarité  et  ne  voit  en  l’humain  qu’un instrument   permettant  d’optimiser  les  avantages  de  ceux  qui  se  trouvent en  position  de  force.

Deux  alertes  et  des  enjeux  de  solidarité

*  Notre  humanité  compte  actuellement  80  millions  de  réfugiés,  dont  la moitié  à   l’intérieur  de  leur  propre  pays.  À  noter  une  augmentation  de  10 millions  en  un  an,  en   raison  de  conflits  (ex.  en  Syrie),  de  famine,  de dérèglement  climatique.  Des  observateurs   craignent  une  aggravation  de  la situation  en  raison  de  la  pandémie  et  de  son  impact  sur   les  activités économiques,  notamment  «  informelles  ».  Quelles  solidarités  peuvent  être  mises  en  œuvre  à  l’échelle  mondiale  ?  Un  beau  chantier  pour  les décennies  à  venir  !   *  En  France,  5,5  millions  de  personnes  dépendent  de l’aide  alimentaire  (cf.  La  Croix,  4-­‐ 5  juillet  2020).  Un  chiffre  surprenant et  inquiétant.  Heureusement,  des  millions  de   bénévoles  s’activent  dans  le cadre  d’associations  humanitaires  qui,  souvent,  associent   les  bénéficiaires à la  mise  en  place  des  secours.  Mais  peut-­‐on  se  satisfaire  d’une  telle   situation  de  dépendance  ?  Comment  faire  pour  que  chacun  puisse disposer de  revenus   lui  permettant  d’accéder  au  logement  et  à  la  nourriture  ? C’est une  décision  politique  qui   relève  de  l’État  et  des  collectivités  territoriales. Chaque  citoyen  peut  s’impliquer  pour   assurer  un  soutien  minimum  et pour  organiser  une  solidarité  effective.  Celle-­‐ci  se   décline  dans  le  cadre d’engagements  personnels  qui  sont  importants bénéficiaires  que  pour  les aidants.  Mais  la  solidarité  se  joue  aussi  à  l’échelon  politique,   afin  que, grâce  à  l’organisation  de  la  vie  commune,  nous  prenions  soin  les  uns  des autres,   à  commencer  par  les  plus  fragiles.

 

Une  nécessaire  vigilance  politique

Nous  savons  que  le  choc  économique  et  social  causé  par  la  pandémie  va mettre  à   l’épreuve  notre  vie  commune.  Ceux  qui  ont  la  capacité  de  peser sur  les  décisions   publiques  peuvent  être  tentés  de  vouloir  obtenir  des avantages  pour  leurs  groupes   particuliers  au  détriment  du  bien  commun. Les  applaudissements  pour  remercier  celles   et  ceux  qui  ont  fait  face  avec courage  et  créativité  au  défi  sanitaire  étaient  précieux.  Mais   dans «l’après»,  nous  risquons  de  retrouver  les  rapports  de  force  cyniques  et brutaux,   oubliant  que  le  mot  fraternité  brille  sur  nos  édifices  publics. Fraternité  :  la  promesse   d’une  vie  commune  qui  a  du  cœur  !   Mais  la  « technostructure  »  estime  trop  souvent  qu’elle  sait  mieux  que  le  peuple  ce qui   est  bon  pour  lui.  Veillons  à  ce  que  la  politique  nous  laisse  déployer ce  que  nous  portons   de  meilleur  en  nous  afin  que  partage  et  solidarité ne restent  pas  des  vœux  pieux  !   Certes,  la  laïcité  est  précieuse  pour organiser  la  vie  commune  dans  une  société   pluraliste,  de  manière  à  nous entretenir  mutuellement.  Mais  à  en  faire  une  arme   seulement  défensive, on  risque  d’opposer  les  uns  aux  autres.  Veillons  à  ce  que  les  clichés   populistes  ne  polluent  pas  le  nécessaire  débat  public.   Certes,  le communautarisme  peut  être  destructeur  quand  il  cherche  le  seul  bien   symbolique  ou  matériel  d’un  groupe  particulier  au  détriment  de  la solidarité  commune.   Mais,  heureusement,  chacun  peut  se  nourrir  des apports  éthiques  et  spirituels  puisés  en   diverses  communautés  afin  de promouvoir  des  solidarités  actives.  Demeurons  vigilants   et  contribuons  à la  vie  politique  afin  de  manifester  la  force  et  la  beauté  d’une   fraternité toujours  en  chantier.

 

 Une  invitation  à  l’hospitalité  mutuelle

Un  exemple  de  partage  d’une  réflexion  éthique  enracinée  dans  une expérience  de  foi.   Éric  de  Moulins-­‐Beaufort,  président  de  la  conférence  des  évêques  de  France  a  rédigé  une   lettre  suite  à  l’invitation  du  Président  de  la  République  (Ed.  Bayard  Cerf  Mame).  Extraits  :   «  L’épidémie  nous  a  fait  toucher  du  doigt  que  chacun  de  nous  était  par  son  comportement   responsable  du  sort  de  tous  les  autres.  »  (p.  52)  «  La  peur,  la  crainte  d’être  contagieux  pour   les  autres  a  été  transmuée  par  beaucoup  en  désir  de  se  rendre  utile  aux  autres.  »  (p.  31)  «  On   peut  se  demander  où  et  comment  un  jeune  Français  apprend  la  responsabilité  à  l’égard  de   tous.   (…)  Comment  la  liberté  intérieure,  comment  la  vertu  est-­‐elle  nourrie,  affermie,   encouragée  ?  »   (p.  43)   «  La  figure  de  l’humanité  accomplie  est  celle  de  l’hospitalité   mutuelle.  »  (p.  50)  «  L’État  ne  peut  pas  donner  ce  qu’il  n’a  pas  :  il  peut  organiser,  réguler,   confiner,  mobiliser  ;  il  ne  peut  pas  rendre  hospitalier  qui  veut  rester  enfermé  chez  lui  et  il   n’a  pas  le  droit  moral  d’empêcher  une  personne  d’en  accueillir  une  autre.  (…)  La  seule  vraie   force  vient  de  chaque  être  humain,  de  notre  capacité  à  tous  et  à  chacun  à  habiter  notre   corps,  notre  maison  et  à  y  donner  librement  l’hospitalité.  »  (p.  58-­‐59)       Le  terme  hôte  désigne  tant  la  personne  qui  accueille  que  celle  qui  est  accueillie  :  grâce  à   l’hospitalité,  l’enrichissement  peut  être  mutuel.  Oublions  les  peurs  qui  nous  rendent   méfiants  et  nous  referment  sur  nous-­‐mêmes  !  Alors,  malgré  les  nécessaires  précautions,   que  cette  période  estivale  nous  permette  des  rencontres  chaleureuses  et  heureusement   surprenantes  ! Le  vœu  le  plus  sincère  est  celui  qu’on  commence  à  réaliser  !

Le racisme anti-Noirs en France fait l’objet d’une étude particulière dans le rapport 2019 de la Commission nationale consultative des droits de l’homme.