Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.
Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.
Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.
Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.
On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.
Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.
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Au plus fort de la crise sanitaire, l’engagement de tous les salariés, notamment les plus modestes, a permis de maintenir les activités essentielles dont les Français avaient besoin.
Un engagement qui mériterait une meilleure implication de ces derniers dans les instances de pouvoir de l’entreprise, selon les 150 signataires de cette tribune. Et qui permettrait également de prendre des décisions au plus près du terrain.
Le déficit de masques, tests, lits de réanimation et appareils respiratoires, révèle un déficit plus profond, de prévoyance. Gouverner, c’est prévoir : quel mode de gouvernement fallait-il adopter ? La réaction de la société française à la crise suggère une réponse.
Ce qui aujourd’hui porte la société à bout de bras, c’est le monde du travail, du plus savant au plus modeste – des médecins aux éboueurs, livreurs et agents de service en passant par les boulangers et les épiciers. Chaque crise est un puissant révélateur. Aujourd’hui, le travail retrouve la première place – au point de rendre visible les métiers invisibles et d’une importance vitale les tâches méprisées.
Ces infirmières, brancardiers, pompiers, policiers, mais aussi ces caissières, ces postiers, quelle place ont-ils, eux-mêmes ou leurs représentants, dans la prise de décision économique ? L’imprévoyance n’est-elle pas la conséquence de la place presque inexistante de ceux qui travaillent, dans la direction de notre économie ? La gestion de l’entreprise dans le seul intérêt des actionnaires a conduit à l’impasse.
Définition des orientations stratégiques
C’est une évidence dans l’entreprise. Dans la crise actuelle, la comparaison avec l’Allemagne, l’Autriche, le Danemark ou la Norvège, est cruelle – tous pays dits de « codétermination » où les salariés partagent, avec les actionnaires, le gouvernement de l’entreprise. Leur remarquable résistance à la crise vient de ce qu’ils ont su maintenir leur capacité industrielle.
Les conseils d’administration ou de surveillance, comptant de nombreux représentants salariés, parviennent à des décisions communes sur les qualifications, les emplois et les lignes de produit à conserver impérativement sur le territoire national. La codétermination est un instrument collectif de contrôle sur les effets néfastes de la globalisation. Il ne s’agit pas de nier le caractère structurel des divergences d’intérêt entre salariés et actionnaires mais de créer un cadre permettant aux salariés d’être au même niveau que les actionnaires sur la définition des orientations stratégiques.
La France n’a pas su doter son économie d’instruments de décision partagée. La présence des salariés dans les conseils des grandes entreprises privées n’a été introduite qu’en 2013. Ils sont un ou deux par conseil, pour les entreprises de plus de 1.000 salariés. La proportion est donc de 14 % pour le conseil d’administration moyen du CAC 40, alors que la norme est d’un tiers en Europe et de la moitié en Allemagne, dans les grandes entreprises. La codétermination s’exerce aussi à la base, avec des mécanismes de décision partagée en matière économique, sociale et d’organisation du travail, selon des périmètres et des schémas conformes au génie et à l’histoire de chaque pays (notamment les Pays-Bas, le Danemark, la Suède et l’Allemagne).
La nécessité désormais flagrante de déglobaliser rouvre une occasion unique pour notre économie de combler son déficit – le vrai, le déficit institutionnel. Et ce d’autant plus que les obstacles habituels sont en voie de disparition.
Réinvention du modèle productif
Le premier était la réticence d’une partie des syndicats et du patronat . Or avec une vraie politique publique industrielle, les circonstances peuvent être favorables : ils seraient appelés à débattre non de la délocalisation mais de la relocalisation d’emplois, dans un cadre de réinvention du modèle productif.
Le deuxième était lié à la crainte que le renforcement de la place du travail dans le gouvernement d’entreprise ne débouchât sur une gestion conservatrice . Au contraire, avec la transition écologique, les instances dirigeantes des entreprises vont devoir adopter de nouveaux critères de décision, pour prendre en compte les impacts sociaux et écologiques de leur activité. Qui peut mieux porter ce changement que les salariés ? Intéressés à l’avenir de l’entreprise, ils sont aussi riverains touchés par les pollutions et… parents.
Enfin la loi PACTE sur les entreprises, adoptée il y a un an, contient une clause de « revoyure » au bout de trois ans sur les administrateurs salariés. La gravité de la crise requiert de l’audace, plutôt que de l’arithmétique. Avec un tiers ou une moitié de salariés dans les conseils d’administrations, les entreprises françaises pourront aborder le changement de modèle productif sur une base refondée et légitime.
Le déficit de participation du travail que révèle la crise sanitaire ne vaut pas seulement pour l’entreprise. C’est tout le service public qui se meurt en France d’avoir été, sous l’influence du New Public Management, soumis à une logique étroitement comptable, aveugle aux alertes des fonctionnaires de terrain.
Revalorisation de tous les acteurs
La révolution de 1848 et l’instauration du suffrage universel masculin ont fait dire à l’époque que les ateliers ne pourraient plus être dirigés de façon autoritaire comme avant. La crise actuelle crée le même choc cognitif. Après avoir fait reposer sur les épaules des caissières et des autres travailleurs de la filière, la responsabilité de notre approvisionnement alimentaire, il serait intenable de les écarter plus longtemps de la prise de décision.
Après avoir mis les vies de nos proches entre les mains de médecins mais aussi d’infirmières et d’aides-soignantes, il serait impensable de ne pas leur donner une plus grande place dans la direction de l’hôpital. Après avoir été approvisionné en masques grâce aux initiatives spontanées de couturières bénévoles et de collectifs de makers, il serait insupportable de ne pas mieux valoriser dans notre société le travail contributif « gratuit » et l’économie du libre.
Les transitions professionnelles, productives et écologiques sont vouées à interagir. Leur instauration nécessitera une prise de décision collective, ouverte à la pluralité des expériences et aux connaissances concrètes. Le plus modeste travailleur sait en effet sur sa tâche des choses que son supérieur ignore, et les tâches les plus modestes sont les plus proches de ce qui fait une société humaine.
Initiateurs :
150 personnalités du monde politique, syndical, académique et des entreprises d’horizons divers, regroupant notamment des économistes de toutes les écoles de pensée, à l’initiative de JeanBaptiste Barfety, enseignant à Sciences-Po, fondateur de la conférence Gambetta, Isabelle BerrebiHoffmann, sociologue, chargée de recherches CNRS, CNAM, Christophe Clerc, avocat, Descartes Legal, enseignant à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, Olivier Favereau, professeur émérite d’économie, Université Paris-Nanterre et Bernard Gazier, professeur émérite d’économie, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Premiers signataires : Philippe Aghion, économiste, professeur au Collège de France Michel Aglietta, professeur émérite d’économie, Université Paris-Nanterre Jean Auroux, ancien Ministre du Travail Jean-Louis Bancel, président du Crédit Coopératif Luc Boltanski, directeur d’études à l’EHESS, sociologie Robert Boyer, économiste, directeur d’études l’EHESS Alain Caillé, professeur émérite de sociologie, Université Paris-Nanterre, fondateur de l’Internationale Convivialiste Gabriel Colletis, professeur émérite d’économie, Université de Toulouse 1, président du M anifeste pour l’ I ndustrie Benjamin Coriat, professeur d’économie, Université Paris 13, membre des économistes atterrés François Euvé, s.j., rédacteur en chef de la revue Etude s, Pierre Ferracci, président du cabinet Alpha, Cynthia Fleury, philosophe et psychanalyste, professeur, CNAM, Chaire « Humanités et Santé » Bernard Friot, professeur émérite de sociologie, Université Paris Nanterre Gaël Giraud, s.j., directeur de recherches CNRS, ancien chef économiste de l’Agence française de développement Armand Hatchuel, professeur en sciences de gestion, Mines ParisTech Pierre-Cyrille Hautcoeur, directeur d’études EHESS, en histoire & économie Eric Heyer, directeur du département analyse et prévision à l’OFCE François Hommeril, président de la CFE-CGC Nicolas Hulot, ancien Ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie Marylise Léon, secrétaire générale adjointe de la CFDT Corinne Lepage, ancienne Ministre de l’Environnement Pascal Lokiec, professeur de droit privé, Université Paris 1 Panthéon Sorbonne Dominique Méda, professeure de sociologie, Directrice de l’Irisso, Dauphine-PSL André Orléan, directeur de recherches CNRS en économie, Directeur d’études à l’EHESS, ENSJourdan Mohammed Oussedik, secrétaire général de la Fédération CGT Verre et Céramique Thierry Pech, directeur général du think-tank Terra Nova
Jean Peyrelevade, ancien président du Crédit Lyonnais Thomas Piketty, économiste, directeur d’études à l’EHESS et à Paris School of Economics Dominique Potier, député PS de Meurthe-et-Moselle Cécile Renouard, professeure d’éthique sociale au Centre Sèvres, enseignante à l’ESSEC-Business school
Signataires
Franck Aggeri, professeur de management, Mines ParisTech Antoine Arjakovsky, historien, co-directeur du pôle « Politique et Religions » du Collège des Bernardins Tristan Auvray, maître de conférences d’économie, Université Paris 13 Gilles Auzero, professeur de droit privé, Université de Bordeaux Daniel Bachet, professeur de sociologie, Université d’Evry Philippe Batifoulier, professeur d’économie, Université Paris 13 Patrick Baudry, professeur d’économie, Université de Lyon 2 Florian Bercault, entrepreneur Michel Berry, Ecole de Paris du Management Franck Bessis, maître de conférences d’économie, Université Lyon 2 Christian Bessy, directeur de recherche CNRS, économie, directeur de l’IDHES (ENS- Cachan) Alexandra Bidet, chargée de recherche en sociologie CNRS, ENS-Jourdan Olivier Biencourt, maître de conférences d’économie, Université du Maine Bernard Billaudot, professeur émérite d’économie, Université Pierre Mendès-France à Grenoble Sandrine Blanc, professeure d’éthique des affaires, INSEEC School of Business and Economics Michel Bouchet, professeur Skema Business School, chaire Global Finance Jean-François Bouthors, écrivain & essayiste Michel Capron, professeur émérite, sciences de gestion, Université Paris 8. Jean Cartelier, professeur émérite d’économie, Université Paris-Nanterre Aurore Chaigneau, professeure de droit privé, Université Paris-Nanterre Valérie Charolles, philosophe, enseignante à l’EHESS, et chercheuse associée à l’Institut Mines Télécom et à l’IIAC, UMR 8177, CNRS et EHESS Virgile Chassagnon, professeur d’économie, Université Grenoble-Alpes Christian Chavagneux, éditorialiste, Alternatives Economiques, Bernard Chavance, professeur émérite d’économie, Université Paris 7 – Diderot Patricia Crifo, professeur d’économie, Université Paris-Nanterre et Ecole Polytechnique Thomas Dallery, maître de conférences d’économie, Université du Littoral – Côte d’Opale Hervé Defalvard, maître de conférences d’économie, Université Paris Est – Marne La Vallée Guillemette de Larquier, professeure d’économie, Université de Lille Jean-Philippe Denis, professeur en sciences de gestion, Université Paris-Saclay, rédacteur en chef de la Revue française de gestion Philippe de Roux, entrepreneur social Mathieu Detchessahar, professeur en sciences de gestion, Université de Nantes Claude Didry, sociologue, directeur de recherche au CNRS, IDHES (ENS-Cachan) Grégoire Duchange, maître de conférences en droit privé, Université Paris 2 Marie-Guite Dufay, présidente de la région Bourgogne-Franche-Comté Bertrand Du Marais, conseiller d’Etat, président du think-tank FIDES Gilles Duruflé, president QCC Public Policy Forum on Venture Capital and Innovation Jean-Luc Gaffard, professeur d’économie, Université Nice Sophia Antipolis Jérôme Gautié, professeur d’économie, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne Frédéric Géa, professeur de droit privé, à Université de Lorraine Ariane Ghirardello, maître de conférences d’économie, Université Paris 13 Anne-Sophie Ginon, maître de conférences de droit social, Université Paris-Nanterre Pierre-Yves Gomez, professeur de management, EM Lyon Business School Alain Grandjean, associé-fondateur du cabinet de conseil
Carbone 4 , président de la Fondation Nicolas Hulot Marcel Grignard, président du Think-Tank Confrontations – Europe Guy Groux, directeur de recherches CNRS, sociologie, Sciences-Po, Cevipof Charley Hannoun, professeur de droit privé, Université de Cergy-Pontoise Sophie Harnay, professeure d’économie, Université Paris-Nanterre Jean-Marie Harribey, maître de conférences honoraire d’économie, Université de Bordeaux, conseiller scientifique ATTAC Florence Jany-Catrice, professeure d’économie, Université de Lille Antoine Jeammaud, professeur honoraire de droit du travail, Université de St Etienne Danielle Kaisergruber, rédactrice en chef de la revue en ligne Metis – Europe , présidente du cabinet DKRC Emmanuel Kessous, professeur de sociologie, AgroParisTech Wolfgang Kowalsky, conseiller à la Confédération Européenne des Syndicats Agnès Labrousse, maître de conférences d’économie, Université de Picardie Michel Lallement, professeur de sociologie, CNAM Fleur Laronze, maître de conférences de droit privé, Université de Haute-Alsace Elena Lasida, professeure d’économie, directrice du 3ème cycle, Institut Catholique de Paris Emmanuel Lazega, professeur de sociologie, Sciences-Po Jean-Marc Le Gall, conseil en Stratégies Sociales Jacques Le Goff, professeur émérite de droit public et de droit du travail, Université de Rennes Philippe Lefebvre, enseignant chercheur en management, Centre de Gestion Scientifique, MinesParisTech Kevin Levillain, enseignant-chercheur en management, Centre de Gestion Scientifique, Mines ParisTech Nadine Levratto, directrice de recherches CNRS, directrice d’EconomiX, UMR 7235 Université Paris Nanterre Emmanuelle Mazuyer, directrice de recherches CNRS en droit privé, Université Lyon 2 Pierre-Michel Menger, directeur d’études à l’EHESS en sociologie, professeur au Collège de France François Meunier, ex-Directeur-Général de Coface, professeur associé de finance à l’ENSAE Pierre-Olivier Monteil, enseignant en éthique appliquée, Université Paris-Dauphine François Morin, professeur émérite d’économie, Université Toulouse-I-Capitole Marie-Laure Morin, directrice de recherches au CNRS en droit, ancienne conseillère à la Cour de Cassation Alain Paillard, secrétaire général, Justice et Paix, conférence des évêques de France Roland Pérez, professeur émérite de sciences de gestion, Université de Montpellier Bernard Perret, ingénieur et socio-économiste, enseignant à l’Institut Catholique de Paris Benoît Petit, maître de conférences en droit privé, Université Versailles-Saint Quentin, co-directeur du Master « Droit Social » Nicolas Postel, professeur d’économie, vice-président de l’université de Lille Christophe Ramaux, maître de conférences d’économie, Université Paris 1. Alexandre Rambaud, maître de conférences en comptabilité financière et écologique, AgroParisTech Gilles Raveaud, maître de conférences d’économie, Université Paris 8 Antoine Rebérioux, professeur d’économie, Université paris 7 Diderot Udo Rehfeldt, politologue, chercheur associé IRES, Jacques Richard, professeur émérite de comptabilité, Université Paris-Dauphine, ancien membre de l’Autorité des Normes Comptables Nathalie Richebé, professeure en sciences de gestion, IAE de l’Université d’Aix-Marseille Martin Richer, président de Management & RSE
Sandra Rigot, maître de conférences d’économie, Université Paris 13 Baudouin Roger, professeur d’éthique sociale, co-directeur du département de recherche « Economie et Société », Collège des Bernardins Bertrand Rothé, Professeur agrégé de sciences économiques et sociales, IUT de Sarcelles, Université de Cergy-Pontoise René Roudaut, ancien ambassadeur de France Tatiana Sachs, maître de conférences en droit privé, Université Paris-Nanterre Maryse Salles, maître de conférences en informatique, Université de Toulouse 1 Capitole Jean-Marc Salvanès, consultant en gestion des ressources humaines, Président de Misceo
Jean-Michel Saussois, professeur émérite de management, ESCP Europe Jean-Louis Schlegel, philosophe, sociologue, ancien directeur de la rédaction de la revue Esprit
Laurence Scialom, professeure d’économie, Université Paris-Nanterre Blanche Segrestin, professeur en sociologie et gestion, Mines ParisTech Philippe Segretain, ancien PDG de Transdev et d’EGIS Amélie Seignour, maître de conférences en sciences de gestion, Université Montpellier 2 Richard Sobel, professeur d’économie, Université de Lille Laurent Thévenot, directeur d’études à L’EHESS en sociologie Fabrice Tricou, maître de conférences en économie, Université Paris-Nanterre Jacques Turck, Mgr, ancien responsable de la commission des affaires sociales à la Conférence des Evêques de France Boris Vallaud, député PS, Landes Sarah Vanuxem, maître de conférences de droit privé, Université Nice – Côte d’Azur François Vatin, professeur de sociologie, Université Paris Nanterre Stéphane Vernac, professeur de droit privé, Université de Saint-Etienne
Jean-Baptiste Barfety, Isabelle Berrebi-Hoffmann, Christophe Clerc, Olivier Favereau et Bernard Gazier
Tout en restant prudents et dans la solidarité nous reprenons des rencontres, nous faisons des projets de découvertes pour l’été.
Un peu par obligation, nous reconnaissons que, pour changer d’air et d’horizon, il n’est pas nécessaire de se mettre sous pression et de multiplier les kilomètres. Pour profiter des beautés en proximité, la lenteur prend goût de liberté. La joie de la contemplation ne se confond pas avec la bougeotte !
Un point d’attention : la dignité humaine toujours menacée
Des événements récents, aux USA et chez nous, nous ont montré que le racisme menace toujours. Nous avons un rapport ambigu à l’autre, en raison de sa différence. Il y a bien le désir de rencontre, avec les découvertes que cela permet, mais aussi la peur d’être déstabilisé dans ses habitudes, la crainte d’être perturbé dans son identité. Ces tensions résultent aussi d’une histoire douloureuse marquée par l’esclavage et la colonisation. L’évocation de ces héritages ravive des émotions contrastées et pose une question majeure : comment des institutions, des cités, des nations ont-‐elles pu fonder leur richesse en dominant d’autres humains, au mépris de leur dignité élémentaire ? Pour tirer les leçons du passé, il ne suffit pas de déboulonner les statues de Colbert (instigateur du code noir) ou de Jules Ferry (promoteur du colonialisme) et de regarder nos aïeux comme des cyniques bornés. Il vaut mieux demeurer attentif aux actuelles résurgences de mentalités qui ouvrent la voie au mépris de l’autre humain, en raison de sa couleur de peau, de sa culture ou de sa religion. Souvent aussi l’attente de profits matériels jette un voile pudique sur des pratiques indignes. Si les vêtements sont produits à bas prix en Asie, si le travail des enfants en Afrique permet d’extraire les terres rares nécessaires à nos outils informatiques, on préfère trop souvent en ignorer le coût humain. La mondialisation devient lourde de violence lorsqu’elle oublie la solidarité et ne voit en l’humain qu’un instrument permettant d’optimiser les avantages de ceux qui se trouvent en position de force.
Deux alertes et des enjeux de solidarité
* Notre humanité compte actuellement 80 millions de réfugiés, dont la moitié à l’intérieur de leur propre pays. À noter une augmentation de 10 millions en un an, en raison de conflits (ex. en Syrie), de famine, de dérèglement climatique. Des observateurs craignent une aggravation de la situation en raison de la pandémie et de son impact sur les activités économiques, notamment « informelles ». Quelles solidarités peuvent être mises en œuvre à l’échelle mondiale ? Un beau chantier pour les décennies à venir ! * En France, 5,5 millions de personnes dépendent de l’aide alimentaire (cf. La Croix, 4-‐ 5 juillet 2020). Un chiffre surprenant et inquiétant. Heureusement, des millions de bénévoles s’activent dans le cadre d’associations humanitaires qui, souvent, associent les bénéficiaires à la mise en place des secours. Mais peut-‐on se satisfaire d’une telle situation de dépendance ? Comment faire pour que chacun puisse disposer de revenus lui permettant d’accéder au logement et à la nourriture ? C’est une décision politique qui relève de l’État et des collectivités territoriales. Chaque citoyen peut s’impliquer pour assurer un soutien minimum et pour organiser une solidarité effective. Celle-‐ci se décline dans le cadre d’engagements personnels qui sont importants bénéficiaires que pour les aidants. Mais la solidarité se joue aussi à l’échelon politique, afin que, grâce à l’organisation de la vie commune, nous prenions soin les uns des autres, à commencer par les plus fragiles.
Une nécessaire vigilance politique
Nous savons que le choc économique et social causé par la pandémie va mettre à l’épreuve notre vie commune. Ceux qui ont la capacité de peser sur les décisions publiques peuvent être tentés de vouloir obtenir des avantages pour leurs groupes particuliers au détriment du bien commun. Les applaudissements pour remercier celles et ceux qui ont fait face avec courage et créativité au défi sanitaire étaient précieux. Mais dans «l’après», nous risquons de retrouver les rapports de force cyniques et brutaux, oubliant que le mot fraternité brille sur nos édifices publics. Fraternité : la promesse d’une vie commune qui a du cœur ! Mais la « technostructure » estime trop souvent qu’elle sait mieux que le peuple ce qui est bon pour lui. Veillons à ce que la politique nous laisse déployer ce que nous portons de meilleur en nous afin que partage et solidarité ne restent pas des vœux pieux ! Certes, la laïcité est précieuse pour organiser la vie commune dans une société pluraliste, de manière à nous entretenir mutuellement. Mais à en faire une arme seulement défensive, on risque d’opposer les uns aux autres. Veillons à ce que les clichés populistes ne polluent pas le nécessaire débat public. Certes, le communautarisme peut être destructeur quand il cherche le seul bien symbolique ou matériel d’un groupe particulier au détriment de la solidarité commune. Mais, heureusement, chacun peut se nourrir des apports éthiques et spirituels puisés en diverses communautés afin de promouvoir des solidarités actives. Demeurons vigilants et contribuons à la vie politique afin de manifester la force et la beauté d’une fraternité toujours en chantier.
Une invitation à l’hospitalité mutuelle
Un exemple de partage d’une réflexion éthique enracinée dans une expérience de foi. Éric de Moulins-‐Beaufort, président de la conférence des évêques de France a rédigé une lettre suite à l’invitation du Président de la République (Ed. Bayard Cerf Mame). Extraits : « L’épidémie nous a fait toucher du doigt que chacun de nous était par son comportement responsable du sort de tous les autres. » (p. 52) « La peur, la crainte d’être contagieux pour les autres a été transmuée par beaucoup en désir de se rendre utile aux autres. » (p. 31) « On peut se demander où et comment un jeune Français apprend la responsabilité à l’égard de tous. (…) Comment la liberté intérieure, comment la vertu est-‐elle nourrie, affermie, encouragée ? » (p. 43) « La figure de l’humanité accomplie est celle de l’hospitalité mutuelle. » (p. 50) « L’État ne peut pas donner ce qu’il n’a pas : il peut organiser, réguler, confiner, mobiliser ; il ne peut pas rendre hospitalier qui veut rester enfermé chez lui et il n’a pas le droit moral d’empêcher une personne d’en accueillir une autre. (…) La seule vraie force vient de chaque être humain, de notre capacité à tous et à chacun à habiter notre corps, notre maison et à y donner librement l’hospitalité. » (p. 58-‐59) Le terme hôte désigne tant la personne qui accueille que celle qui est accueillie : grâce à l’hospitalité, l’enrichissement peut être mutuel. Oublions les peurs qui nous rendent méfiants et nous referment sur nous-‐mêmes ! Alors, malgré les nécessaires précautions, que cette période estivale nous permette des rencontres chaleureuses et heureusement surprenantes ! Le vœu le plus sincère est celui qu’on commence à réaliser !
Le racisme anti-Noirs en France fait l’objet d’une étude particulière dans le rapport 2019 de la Commission nationale consultative des droits de l’homme.