Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.
Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.
Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.
Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.
On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.
Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.
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On parle beaucoup de « l’après » pandémie, mais nous la subissons encore, avec les masques, le souci de se tenir assez loin et d’éviter toute embrassade !
Malgré ces contraintes, nous pouvons cultiver des relations plus réfléchies, mieux assumées. Quel regard portons-‐nous les uns sur les autres ? La méfiance ou l’envie ne sont pas des fatalités. Le regard peut être attentionné, malgré la distance. La parole (même écrite) peut devenir plus respectueuse, courtoise, amicale, affectueuse…
Un choc aux facettes multiples
* Il y a bien sûr les souffrances liées à la maladie et au deuil, redoublées parce que les gestes d’affection envers les proches et les rassemblements autour des défunts étaient rendus difficiles. Pourtant, l’inventivité technique et communicationnelle qui s’est manifestée (ex. à propos des masques ou des enseignements à distance) peut stimuler aussi une créativité symbolique et relationnelle. L’engagement courageux pour prendre soin des corps invite aussi à prendre soin des cœurs et des âmes. Nous discernons plus fortement la bonté et la beauté de la sollicitude mutuelle : cette capacité à prendre soin les uns des autres nous fait plus humains. Veillons à ne pas laisser ce désir se dissoudre dans une consommation addictive ou une nonchalance frivole !
* Plusieurs organismes, dont le CCFD Terre solidaire, alertent sur les risques d’une aggravation de la faim dans le monde, dans les continents les plus pauvres, mais aussi dans les pays dits riches ; on a pu voir des images de foules venant percevoir une aide alimentaire, y compris aux USA. En des pays déjà fragiles, la mise à l’arrêt de l’économie, notamment informelle, s’est ajoutée à des problèmes climatiques et politiques. L’aide alimentaire est une urgence. Mais à rebours d’un « chacun pour soi et tant pis pour les pauvres », nous pouvons mettre en avant la solidarité comme ce qui nous rend plus humains, tant à l’échelle locale que mondiale. N’oublions que l’aide d’urgence, même si elle est nécessaire, a un aspect humiliant : une telle dépendance pour survivre menace la dignité humaine. La solidarité doit devenir inventive. Certains reparlent d’un revenu de base universel, le pape l’a évoqué le jour de Pâques. Il y a certes des enjeux économiques, sociaux, anthropologiques… Osons au moins en débattre.
Un ton dissonant
* Les médias ont mis le coronavirus au second plan le temps de s’émerveiller de l’envoi dans l’espace de deux hommes par une firme américaine. Deux problèmes. 1) Un bon coup de pub pour l’entreprise en question qui peut aussi envisager des profits grâce au tourisme spatial : celui qui aura de quoi s’envoyer dans l’espace pourra-‐t-‐il concevoir qu’il appartient à la même humanité que celui qui dépend d’une aumône pour survivre ? 2) Pourquoi vouloir marcher sur la lune ? N’est-‐ce pas une manière de manifester la domination humaine sur l’univers ? Il ne s’agit pas de refuser la recherche, mais il y a d’autres manières d’enrichir le savoir que d’aller poser le pied sur une autre planète. * Nous pouvons nous interroger sur nos priorités collectives. Pourquoi une telle lenteur dans les programmes de soutien aux populations qui souffrent de la faim ? Quel choix nous rend plus humains ? Prendre soin des membres les plus fragiles de notre humanité et veiller à l’avenir de la vie sur notre terre, ou rêver d’aller sur Mars ? Je ne prétends pas avoir la réponse, mais il vaut la peine de poser la question.
Le Covid-19 : une alerte salutaire
* Nous étions collectivement dans l’illusion de tout maîtriser et voilà qu’une pandémie nous rappelle notre vulnérabilité. La confiance devient un enjeu de premier ordre en de telles situations. La confiance à l’égard ce ceux qui ont en charge d’arbitrer pour le bien commun (le politique). Mais aussi la confiance mutuelle basée sur la solidarité : nous pouvons compter les uns sur les autres pour tenir en humanité face à l’épreuve. Les soignants, et bien d’autres, ont montré qu’ils ne s’en tiennent pas aux termes du contrat et à la seule application du protocole (même si ces éléments sont essentiels) : ils font preuve d’intelligence collective et d’engagement humain. De telles attitudes indiquent que la fraternité quitte le ciel des abstractions pour s’incarner en des implications personnelles qui paraissent d’autant plus précieuses durant les temps difficiles. * Un résultat intéressant de cette crise : le nombre de détenus en France a diminué alors que la hausse continue semblait la norme. Certes, il y avait une raison sanitaire pour abaisser la population carcérale. Mais cela montre que quand on veut vraiment, on peut le faire, et nos villes et campagnes n’ont pas été à feu et à sang ! Ce peut être une bonne occasion de mesurer que la prison n’est pas la seule solution pour contenir la violence.
L’économie en question
Bernard PERRET, économiste, qui a pris une part active aux travaux de Justice et Paix sur les questions écologiques a piloté le numéro de mars de la revue Esprit intitulé « L’économie contre l’écologie ? ». Les contributions, rédigées avant que l’on découvre l’ampleur de la pandémie, éclairent des débats liés à celle-‐ci. On a remarqué que des entreprises pharmaceutiques paraissent plus soucieuses de leurs intérêts particuliers que du bien commun (cf. Sanofi et les vaccins à venir). La pensée économique dominante, et les pratiques qu’elle cautionne, rend aveugle sur des enjeux de vie et de mort : la santé, l’écologie… L’auteur parle d’un verrou qu’il faut faire sauter pour imaginer une économie solidaire et soutenable : « Laisser les marchés gouverner l’économie revient à se condamner à l’aveuglement ». Voir aussi l’article de Gaël GIRAUD. B. Perret a également publié « Réflexions provisoires sur les conséquences de la crise sanitaire » dans la Lettre de Justice et de Paix du mois de juin (n° 258). Un ton au-‐dessus des bavardages en boucle ! Une paresseuse illusion doit être mise en cause : la recherche par chacun de son seul avantage profiterait en fait à tout le monde ! Heureusement l’éthique de responsabilité n’a pas déserté notre monde. Un tel engagement demande du courage, mais nous sommes capables d’une fraternité active qui sert la vie !
À noter encore :
* « À l’heure du Covid-‐19 Sur le moment et sur l’après. » Entretien avec le frère Bruno CADORÉ. Propos recueillis par Jean-‐François Colosimo. B. Cadoré, dominicain, fut maître général de l’Ordre ; il a aussi exercé son métier de médecin et de chercheur et est spécialisé en éthique théologique. Des réflexions qui donnent à penser ! * La fête de Pentecôte marquait le 5ème anniversaire de la publication de l’encyclique du pape François : Laudato si’. Une occasion pour relire ce document positivement accueilli au-‐delà des frontières ecclésiales qui continue d’alimenter de nombreuses réflexions.
Deux grands accords de maîtrise des armements ont, de la fin de la guerre froide à l’élection du président Trump, favorisé la stabilité des relations stratégiques entre les États-Unis et la Russie.
Le traité sur les forces nucléaires intermédiaires (FNI) de 1987 et le traité New Start (nouveau traité de réduction des armements stratégiques) de 2010, qui marquait la dernière étape d’un processus de réduction entamé dès le début des années 1990.
Le traité FNI
Le Traité FNI interdisait aux États-Unis et à la Russie de construire et de déployer tout missile terrestre à portée intermédiaire (500 à 5 500 km). Il mettait un terme à la crise des « euromissiles » provoquée par le déploiement, dans les années 1980, de missiles nucléaires soviétiques de moyenne portée (SS20) dirigés contre l’Europe occidentale. Les ÉtatsUnis ont décidé de s’en retirer en octobre 2018 arguant du déploiement, dénoncé depuis 2014 par l’administration Obama, de missiles de croisière terrestres russes d’une portée supérieure à 500 km. Ce faisant, le président Donald Trump refusait d’appliquer les mécanismes de vérification et de conciliation prévus par l’accord. Plus fondamentalement, il se déclarait hostile à l’interdiction des missiles terrestres de portée intermédiaire alors que la Chine, désormais considérée par les États-Unis comme un rival stratégique, déployait un nombre croissant d’armes de ce type, à capacité nucléaire ou conventionnelle, notamment face à Taïwan et au Japon. Pour l’Europe, l’abandon du traité FNI crée une nouvelle vulnérabilité stratégique : il laisse désormais la Russie libre de déployer des missiles ciblant spécifiquement son territoire.
Le traité New Start
Plus préoccupant encore, le traité New Start est menacé, le dernier à limiter au moins partiellement les arsenaux nucléaires américains et russes. Au moment de sa signature, il marquait un réel progrès puisqu’il visait, pour chacune des parties, à réduire de moitié le nombre de leurs lanceurs de missiles nucléaires stratégiques et des deux tiers celui de leurs ogives nucléaires stratégiques déployées. Pour les lanceurs (missiles balistiques et bombardiers lourds) les plafonds étaient de 800 dont 700 déployés et pour les ogives déployées de 1 550. Ces objectifs ont été atteints dès le 5 février 2018. En outre, le traité établit un régime robuste de transparence et de vérification, chaque partie ayant droit à 18 inspections annuelles sur place. Début 2020, Américains et Russes avaient échangé de l’ordre de 19 000 informations et effectué plus de 150 inspections de part et d’autre. Ce traité expire le 5 février 2021, mais il peut être prolongé pour une nouvelle période de cinq ans au plus par simple accord entre les présidents américain et russe.
Or, si la partie russe s’est déclarée en faveur de cette prolongation, l’administration américaine ne s’est toujours pas prononcée. Elle a soulevé deux obstacles à une simple prorogation : l’apparition de nouvelles armes nucléaires russes(arme hypersonique Avangard, missile lourd Sarmat en particulier) et la non participation de la Chine. Le premier obstacle ne paraît pas insurmontable, les Russes acceptant l’intégration de leurs nouvelles armes dans les plafonds existants. En revanche, la demande de participation de la Chine semble peu réaliste, en raison non seulement de la disproportion entre l’arsenal stratégique chinois (probablement de l’ordre de 150 vecteurs) et ceux des États-Unis et de la Russie, mais surtout du refus chinois de comptabiliser leurs forces avec celles d’autres puissances.
Plus fondamentalement, les États-Unis paraissent bien vouloir se libérer de toute contrainte sur leurs armes nucléaires. Le risque est grand, dès lors, que le traité New Start soit abandonné, ce qui mettrait fin, au moins pour les prochaines années, à tout effort de maîtrise de l’armement nucléaire américain et russe.
Vouloir tirer les leçons de la crise sanitaire est d‘autant plus prétentieux que celle-ci n‘est pas terminée.
Tant qu‘il n‘existe pas de traitement efficace, nous en sommes réduits à faire des hypothèses sur l‘efficacité des mesures de distanciation sociale. Pour la plupart des experts, la pandémie va décliner cet été dans l‘hémisphère nord, mais personne ne pense que le virus va brusquement disparaître. Dans le meilleur des cas, il faut se préparer à une vie sociale perturbée jusqu‘au printemps prochain.
De la durée de la crise sanitaire dépendra l‘ampleur de ses conséquences économiques et sociales. Celles-ci seront de toute façon majeures, avec une baisse du PIB de l‘ordre de 10 %, une explosion du chômage et une aggravation massive de l‘endettement. Même si des mesures de relance coordonnée sont prises au niveau européen, il est peu probable que la machine économique redémarre rapidement de manière vigoureuse. Des secteurs de l‘économie (tourisme, transport aérien, cafés et restaurants) vont rester quasiment à l‘arrêt au moins jusqu‘à l‘été. L‘industrie automobile devrait redémarrer, mais elle ne rattrapera pas le retard accumulé au premier semestre. Les conséquences en terme d‘emploi seront de toute évidence considérables.
Des obstacles
La volonté politique de faire redémarrer l‘économie va se heurter à de sérieux obstacles. Obstacles financiers, tout d‘abord : on n‘évitera pas un accroissement massif de la dette publique. Elle devrait atteindre près de 120 % du PIB en fin d‘année, chiffre qui ne signifie pas grand-chose en lui-même, car la soutenabilité de la dette dépend des anticipations de la croissance future. Or, les perspectives de croissance sont très incertaines dans un monde où les contraintes écologiques vont peser de plus en plus lourd. L‘action volontariste de la Banque Centrale Européenne, qui équivaut à une forme de mutualisation de la dette au niveau européen, facilitera les choses, mais elle ne peut résoudre le problème posé par l‘endettement dans une économie dont le taux de croissance est voué à rester faible.
Autre élément d‘interrogation : soumis pendant deux mois à une expérience de sobriété forcée, les consommateurs vont-ils reprendre leurs anciennes habitudes ? Le coup de frein durable sur les voyages et le tourisme sera-t-il compensé par une boulimie d‘achats de biens de consommation ? Rien n‘est moins sûr.
Des réorientations
L‘équation économique s‘annonce d‘autant plus complexe que la crise sanitaire a rendu plus urgent le besoin de remise à niveau des services collectifs. Les politiques de réduction des coûts à l‘hôpital, et peut-être dans d‘autres services publics, seront pour un temps mises sous le boisseau. Plus généralement, l‘orientation libérale de la politique gouvernementale – y compris les grandes réformes des retraites et de l‘assurance chômage – se trouve mise en question. Cette crise manifeste la fin d‘une époque marquée par l‘hégémonie des idées libérales. Dans tous les pays du monde, la même évidence s‘est imposée : l‘économie n‘est qu‘un moyen et ce qui compte le plus n‘a pas de prix. Le simple pragmatisme imposera de réévaluer les impératifs de sécurité nationale au détriment des objectifs de réduction des coûts, ce qui devrait au moins conduire à relocaliser certaines productions. Les pénuries de masques, de respirateurs et de produits pour fabriquer des tests ne s‘oublieront pas de sitôt. Dans les périodes troublées, il faut pouvoir compter sur des approvisionnements sûrs, des institutions résilientes et des services publics fiables.
Quelle cohérence nouvelle ?
Toutes ces réorientations annoncées ou probables ne dessinent pas encore une nouvelle cohérence. Ce qui risque plutôt de se produire, c‘est une exacerbation des tensions entre l‘impératif de relance rapide de la machine économique et la montée d‘aspirations à un changement profond de modèle économique et social. En témoigne le nombre de textes et de déclarations qui demandent que l‘après-crise ne soit pas un simple retour au « monde d‘avant ». Tout le monde a pu constater que les soignants sont bien plus utiles que les traders pour sauver des vies – et il ne faut pas oublier les éboueurs, les caissières et tous les travailleurs qui ont permis à la société de continuer à fonctionner, non sans risque pour leur santé. Dans son discours du 13 avril 2020, le président de la république l‘a implicitement reconnu, citant une phrase célèbre de la Déclaration des droits de l‘homme et du citoyen de 1789 : « Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l‘utilité commune. » Le même homme déclarait en 2015 : « Il faut des jeunes Français qui aient envie de devenir milliardaires. » Cette dernière phrase, très choquante, invite les jeunes à se conformer à la loi d‘un système qui fait de l‘argent la mesure de la valeur personnelle. La récente déclaration, en revanche, sous-entend que les rémunérations fixées par le jeu du marché ne reflètent pas l‘utilité commune. À partir de là que fait-on ? Peut-on dissocier les rémunérations de la loi du marché dans une société dont le bon fonctionnement dépend totalement de la croissance marchande ? On ne voit pas encore poindre de réponse convaincante à cette question.
La part de l’écologie
L‘autre terrain de tension prévisible est l‘écologie. Il existe de bonnes raisons pour penser que les dérèglements écologiques ont joué un rôle décisif dans la genèse de la pandémie. Plus largement, la crise sanitaire nous a rappelé notre dépendance à l‘égard de la nature : comme l‘atmosphère ou les océans, les virus font partie d‘un écosystème planétaire qui nous contient et nous contraint. Une autre leçon risque de marquer les esprits : on finit toujours par payer très cher l‘occultation d‘une partie de la réalité. Le virus nous a pris par surprise et nous a trouvés mal préparés à le combattre. Nous risquons d‘être encore plus démunis lorsque les conséquences prévisibles de l‘impasse écologique se feront pleinement sentir. Dans les deux cas, l‘impréparation n‘est pas seulement pratique (les masques, etc.), elle est aussi mentale.
L‘impréparation manifeste de la plupart des pays et la lenteur de leurs premières réactions soulignent une fois de plus la difficulté d‘anticiper concrètement un fait dérangeant qui échappe aux schémas habituels. La destruction de l‘environnement est l‘une des causes de la crise sanitaire ; si nous continuons dans la même voie, elle provoquera d‘autres catastrophes, pour la plupart prévisibles. Nous n‘éviterons pas la récurrence des épidémies, les inondations, la submersion des côtes, les sécheresses, les famines, la désertification de vastes territoires, la disparition de nombreuses espèces animales et végétales, la défiguration de paysages que nous aimons tant, avec pour conséquence certaine des migrations massives. Nous allons être confrontés à des désastres humanitaires et à des dégradations de la nature que nous ressentirons comme d‘immenses pertes. Ce ne sera sans doute pas la fin du monde que certains annoncent, mais les sociétés seront mises à rude épreuve.
La pression du court-terme
Ces constats devraient logiquement donner plus de poids au souci de l‘environnement, et plusieurs ministres et membres de la majorité se sont exprimés en ce sens. Mais cette volonté de verdissement de la politique de relance risque de se heurter au souci de ne pas compliquer la vie des entreprises. Les milieux patronaux ont déjà fait savoir qu‘ils ne se contenteraient pas de demander des aides financières : ils s‘efforceront aussi d‘obtenir un allègement de certaines contraintes réglementaires, la possibilité d‘allonger le temps de travail et le report de certaines mesures environnementales. Le poids du court terme sera d‘autant plus fort que le contexte géopolitique sera marqué par une concurrence accrue entre les grandes puissances et de fortes tensions au sein même de l‘Europe. C‘est d‘autant plus décevant que l‘on aurait pu s‘attendre à ce que la gravité de la crise sanitaire incite les pays à faire preuve de solidarité et à mettre l‘accent sur la coopération.
Des changements durables ?
Malgré ces contradictions, certains changements pourraient s‘avérer durables. Ainsi, le développement du télétravail. C‘est a priori une bonne nouvelle pour l‘environnement, même si l‘empreinte écologique de l‘informatique est loin d‘être négligeable. D’une manière générale, la crainte de la contagion laissera des traces sur les comportements de mobilité. Tant que dure la pandémie, les
transports collectifs vont souffrir, comme le transport aérien, des contraintes sanitaires. Mais on peut espérer que le vélo prendra au moins partiellement le relais. C‘est du moins l‘objectif que poursuivent les municipalités en créant de nouvelles pistes cyclables. Peut-être est-ce dans les têtes que les changements les importants vont se passer. La leçon que l‘on retiendra de la pandémie, c‘est que notre prospérité est fragile.
Nous pouvons être contraints par la nature de renoncer à des acquis qui nous paraissaient irréversibles. Et la vraie promesse de transformation de la société pourrait venir de la redécouverte par chacun de la nécessité de cultiver l‘esprit coopératif et le sens de la gratuité. Sans qu‘il faille idéaliser une réalité qui a sa part d‘ombre – escrocs, petits profiteurs, réactions de défiance et d‘égoïsme mesquin – les belles actions ne manquent pas : seniors mobilisés pour faire l‘école à distance aux enfants confinés, étudiants volontaires pour des tâches d‘intérêt collectif, médecins de ville prêtant main forte à leurs collègues hospitaliers, coopérations inédites dans le monde de la recherche, mise à disposition gratuite de ressources numériques, etc. La crise sanitaire a révélé un potentiel de contribution volontaire à la vie commune qui pourrait être mis à profit pour développer des activités non monétaires – associations, bénévolat, volontariat ou économie collaborative – dont le rôle ne peut qu‘augmenter dans une économie de post-croissance écologiquement soutenable.