Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.

Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.

Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.

Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.

On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.

Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.

Télécharger la Lettre n°304 septembre 2024  (PDF)   

Pour cette huitième lettre de l’observatoire de l’état d’urgence sanitaire, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) examine les difficultés rencontrées par les différents acteurs de notre système éducatif : élèves, étudiants, parents et personnels éducatifs.

Cette lettre s’inscrit dans la suite de l’avis «  Etat d’urgence sanitaire : le droit à l’éducation à l’aune de la Covid-19   » adopté le 26 mai 2020, et entend mettre en lumière les difficultés concrètes auxquelles ces acteurs ont été confrontés pour mettre en œuvre le droit à l’éducation en cette période de crise sanitaire.

DES FAMILLES DÉSEMPARÉES ET DES INÉGALITÉS ACCRUES ENTRE LES ENFANTS.

Les familles, pour qui l’école joue un rôle fondamental pour les apprentissages, ont dû jouer partiellement un rôle d’enseignant, mais aussi d’animateur ou d’autre encadrant scolaire. Pour beaucoup cette situation a été particulièrement délicate à gérer. Les familles logées dans des conditions insalubres, dans des espaces surpeuplés, ne maitrisant pas la langue française ont souvent été très désemparées face à des responsabilités qu’elles ne se sentaient pas capables d’assurer.

La capacité pour les familles d’accompagner les élèves dans ces circonstances a été inévitablement très variable, et dans certaines d’entre elles les difficultés ont été considérables, renforçant les inégalités entre les enfants. Aux difficultés matérielles, psychologiques ou culturelles dont la Commission s’est fait l’écho dans son avis du 26 mai, se sont ajoutées des différences de traitement et de consignes suivant les établissements : alors que dans certaines écoles les enseignants et chefs d’établissement se sont employés à maintenir le lien avec les familles par tous les moyens possibles, dans d’autres, les contacts avec les familles ont été limités au minimum.

Les familles qui n’ont eu que peu, ou pas de lien avec leur établissement ont pu se trouver déconcertées lors de la sortie du confinement. Si certains parents ont été soulagés que le retour à l’école, quand leurs enfants pouvaient être accueillis, s’effectue sur la base du volontariat, d’autres se sont sentis dépourvus alors que les discours scientifiques s’opposaient sur l’opportunité de la réouverture des écoles. Ce déplacement de responsabilité a pu être durement vécu par les familles plus vulnérables (monoparentales, touchées par le chômage, migrantes…), tiraillées entre la peur que leur enfant prenne du retard scolaire et le risque d’une contamination, entre des pressions liées à leur situation professionnelle (télétravail ou retour sur site) et le souci de préserver la santé de leurs enfants.

LE PERSONNEL ÉDUCATIF FACE À UN DÉFI PÉDAGOGIQUE.

Durant le confinement, les personnels éducatifs, en particulier enseignants et directeurs d’établissement, ont été mis à rude épreuve. Prise dans l’urgence, pour faire face à la situation sanitaire, la fermeture des établissement scolaires a laissé les personnels déconcertés. Du jour au lendemain, la nécessité a conduit nombre d’enseignants à adapter leurs pratiques professionnelles pour assurer pour la première fois un enseignement à distance.
Ces enseignants ont dû faire face à un véritable défi pédagogique. Aidés des supports déjà existants sur Internet, beaucoup ont développé de nouveaux supports, réinventé leur cours et mis en place des méthodes d’accompagnement en ligne dans un dialogue interactif avec leurs élèves. Beaucoup ont été confrontés à des difficultés matérielles et techniques. Ainsi, tous n’étaient pas outillés numériquement pour assurer la « continuité pédagogique »: ordinateurs, webcam, imprimante, scanner, connexion internet haut débit…. Certains enseignants travaillent habituellement dans leur établissement scolaire et ne sont pas équipés à leur domicile.

Plus largement, il conviendrait d’ouvrir le débat de la numérisation de l’enseignement et d’interroger la pertinence du numérique à l’école (ces questions seront abordées dans un prochain avis de la CNCDH sur le droit à l’éducation).

Devant l’afflux de connexions, certains enseignants ont eu des difficultés pour accéder aux ressources qui avaient été mises à leur disposition, à l’espace numérique de travail. Il convient de saluer l’effort fourni par le ministère de l’Éducation nationale pour adapter les serveurs de l’éducation nationale afin qu’ils parviennent à soutenir autant de connections simultanées.

Ces conditions de travail étaient en tout état de cause dégradées par les conditions de confinement : certains personnels étaient obligés de s’occuper de leurs propres enfants ou de proches malades, dans des conditions de logement parfois inadaptées. Il y a lieu de saluer l’investissement des enseignants qui ont cherché à renforcer les relations personnelles avec chaque élève, pour qu’ils puissent tous poser leurs questions et bénéficier d’un suivi adapté. Très chronophage pour l’enseignant, ce suivi personnalisé s’est avéré extrêmement positif dans de nombreux cas.

La réouverture des établissements n’a pas permis une amélioration des conditions de travail, puisque pour respecter les règles de distanciation, les élèves ne peuvent pas être tous accueillis, si bien que les enseignants assurent à la fois leur travail en classe avec une partie des élèves et le suivi à distance des autres.

Il est regrettable que la réouverture des établissements ait été décidée sans prendre le temps de la concertation avec les professionnels et surtout sans leur laisser le temps de s’adapter, alors que tous les personnels d’encadrement sont concernés : médecins et psychologues scolaires, ATSEM (agents territoriaux spécialisés en école maternelle), AESH (accompagnants des élèves en situation de handicap). Ainsi, le lourd protocole sanitaire pour la réouverture des écoles maternelles et primaires, document de plus de 56 pages, n’a été diffusé que quatre jours ouvrés avant la date officielle de reprise, ne laissant que très peu de temps aux personnels pour s’organiser, mais aussi aux municipalités dont dépendent notamment les agents en charge du nettoyage des locaux ou les animateurs du périscolaire.

UN PARCOURS D’ORIENTATION RENDU PLUS COMPLIQUÉ PAR LE CONFINEMENT

Alors que se poursuit la sortie du confinement, et que seule une partie des élèves reprend le chemin de l’école, il ne reste que quelques semaines pour finaliser les vœux d’orientation et d’affectation. Le confinement a isolé les élèves de leurs enseignants entravant le dialogue sur l’orientation, et les services d’orientation qui reçoivent habituellement les jeunes et leurs familles sont fermés, même si des permanences par téléphone, par courriel, par tchat ont certes été organisées. Dans ces conditions, il est difficile pour des adolescents, et pour leurs parents, de poursuivre la réflexion sur leur projet d’orientation.

Dans ces domaines, les familles se trouvent parfois démunies ; trop peu d’informations ont été fournies et le soutien apporté par le ministère a été insuffisant. Sur le site du ministère, le vadémécum publié dès le 20 mars1 n’aborde presque pas la question de l’orientation, indiquant seulement que le calendrier d’orientation est maintenu et que des contacts réguliers seront organisés avec les professeurs principaux pour accompagner les élèves dans leurs choix. La page internet « Quel accompagnement pour le projet d’orientation après la 3e pendant la fermeture du collège ? » reprend simplement le descriptif habituel de l’année de troisième en donnant des ressources en lignes2. Dans la pratique, la possibilité du maintien des liens école-élèves-familles a été très variable selon les établissements et les territoires. La situation dans certains secteurs comme les lycées professionnels ou les SEGPA (sections d’enseignement général et professionnel adapté) étant particulièrement critique. Les ruptures de contacts ont été encore plus marquées dans les zones les plus défavorisées.

FOCUS

PRÉCARITÉ ÉTUDIANTE

Avant même la crise sanitaire, 20% des étudiants vivaient sous le seuil de pauvreté en France, selon un rapport de l’Union nationale des étudiants de France (UNEF). Or depuis le début du confinement, nombreux sont les étudiants qui ont vu leurs revenus diminuer, voire disparaître, soit parce qu’ils ont perdu leur emploi étudiant ou leur stage, soit parce qu’ils ne peuvent plus bénéficier d’aides comme celles des restaurants universitaires.

La situation est vite devenue dramatique avec des étudiants se retrouvant dans l’incapacité de subvenir à leurs besoins essentiels, en particulier pour se nourrir. Les étudiants, enseignants et personnels universitaires se sont fortement mobilisés pour leur venir en aide avec un foisonnement d’initiatives locales, mais ce n’est que le 4 mai qu’a été annoncée une aide exceptionnelle pour 800 000 jeunes en situation de précarité, dont la moitié d’étudiants. Cette aide, évidemment bienvenue, est apparue tardive et insuffisante.

Enfin, la CNCDH s’inquiète beaucoup du sort des étudiants se trouvant dans l’incapacité de suivre un enseignement à distance. Les universités resteront fermées jusqu’à la rentrée, ainsi que beaucoup de bibliothèques universitaires, et les cours et devoirs sont assurés via l’outil numérique. Or les étudiants les plus précaires n’ont pas accès au matériel nécessaire et ne peuvent acheter les livres et manuels souvent onéreux.

Par ailleurs, il est essentiel pour la CNCDH que les familles ne soient pas privées de leur participation aux décisions engageant la vie de leurs enfants. Il convient donc de s’assurer que la possibilité pour les parents d’intervenir sur l’orientation des enfants soit préservée et exercée avant juillet 2020, en particulier pour l’enseignement professionnel3.

Pour ce qui concerne l’orientation post-bac, avec l’annulation des concours post-bac, beaucoup de candidats pensaient que le calendrier de Parcoursup pourrait aussi être impacté. Mais le ministère de l’Enseignement supérieur a confirmé que le fonctionnement de la plateforme d’admission post-bac resterait le même. Les élèves avaient donc jusqu’au 2 avril pour saisir leurs vœux. Or le confinement a pu empêcher certains élèves de terminer correctement leur inscription sur Parcoursup, notamment ceux qui se trouvaient en zone blanche ou qui n’avaient pas accès à un ordinateur ou une connexion Internet.

1. https://www.education.gouv.fr/sites/default/files/2020-03/coronavirus-covid-19-vademecum-continuit-p-dagogique-66201.pdf 2. https://www.education.gouv.fr/quel-accompagnement-pour-le-projet-d-orientation-apres-la-3e-pendant-la-fermeture-du-college-303372

3. Voir CNCDH, Avis « État d’urgence sanitaire : le droit à l’éducation à l’aune de la Covid-19 », 26 mai 2020, https://www.cncdh.fr/node/2092

Une prise de parole du Ceras en temps de covid

Confrontée à une crise sanitaire de grande ampleur, c’est en plein carême chrétien qu’une grande partie de la population mondiale a été obligée de se confiner. Et si le confinement est une sorte de mise en quarantaine générale, il ne nous semble pas insensé de faire le lien entre cette quarantaine et le carême, ces 40 jours pendant lesquels nous sommes invités à laisser de côté le superflu pour nous recentrer sur l’essentiel.

Le carême est un temps d’apprentissage, lente éducation au lâcher-prise et au désencombrement : comme chrétiens, aurions-nous quelque chose à partager de notre expérience de cette traversée ? Evoquons, parmi tant d’autres choses : la joie de la simplicité, la force de l’essentiel, le goût de la solidarité, le besoin de relations vraies… Et nos frères musulmans, amenés à vivre un Ramadan bien particulier cette année, pourraient nous rejoindre dans ce témoignage.

S’il n’a pas été une épreuve trop lourde – pour des raisons sociales, psychologiques ou relationnelles – le confinement aura peut-être permis de repérer du superflu dans nos vies, de poser un autre regard sur notre mobilité hyperactive, notre consommation frénétique, notre rythme de vie accéléré… Chacun est invité à une relecture : ne pourrions-nous pas garder de ces dernières semaines quelques bonnes idées pour la suite ?

Nous ne sommes plus en carême, mais notre monde est encore en quarantaine. Et si nous avons pu célébrer Pâques, d’une manière certes particulière, le déconfinement, lui, ne s’annonce pas de manière très réjouissante. La célébration générale de sortie de crise semble bien lointaine.

La crise sanitaire liée au coronavirus a, certes, rebattu les cartes dans de nombreux domaines : revalorisation des services publics, remise en cause de dogmes budgétaires que l’on nous avait présentés comme figés à jamais, constat des méfaits d’une mondialisation dérégulée… Elle nous fait espérer un changement enfin possible dont nous percevons quelques premiers pas.

Mais la crise sociale est là, qui menace des jeunes pour qui le premier emploi se fait toujours plus lointain, les familles précarisées par l’absence des revenus habituels, les pays du Sud qui n’auront pas les moyens de renforcer seuls une économie ébranlée par le confinement, ou encore les exilés entassés aux confins d’une Europe qui a fermé ses frontières…

Elle nous rappelle qu’il aurait été bon de réfléchir plus tôt, comme nous y invite le pape François, à une “certaine décroissance” (Laudato si‘, LS 193) choisie, sélective, se donnant “comme objectif prioritaire l’accès à l’emploi pour tous” et non les “intérêts limités des entreprises et d’une rationalité économique discutable” (LS 127). Au lieu de cela, nous subissons maintenant une récession violente, imposée par les événements. Pour l’affronter, il nous faudra plus que jamais coupler engagements écologique et social. Car les chantres d’un néo-libéralisme et d’une mondialisation dérégulée ne semblent pas prêts à laisser les rênes du pouvoir. Et les plans de relance qui s’annoncent peuvent être très inquiétants : ils révèlent que l’idolâtrie de la croissance à tout prix nous guette encore, et toujours plus fortement avec la peur légitime de la crise socio-économique ! Sans critères environnementaux et sociaux pour rediriger notre économie dans la bonne direction, nous préparons des crises pires.

Crise financière, canicules, crise sociale et démocratique, COVID… nous allons de crise en crise en proposant pour chacune des réponses qui tentent de maintenir un système à bout de souffle sans nous attaquer aux racines du problème de cette « complexe crise socio-environnementale » (LS 139) qui englobe toutes les autres.

La crise sanitaire pourrait-elle être le kairos qui nous conduira à changer réellement ? Le pape François nous y invite, espérant « que cette période de danger nous fera abandonner le pilotage automatique, secouera nos consciences endormies et permettra une conversion humaniste et écologique pour mettre fin à l’idolâtrie de l’argent et pour placer la dignité et la vie au centre de l’existence » (François, Lettre aux Mouvements populaires, 12 avril 2020).

Au cœur de nos confinements comme au sortir de ces quarantaines, comment répondrons-nous à cet appel à la conversion ?

N’abandonnons pas l’écologie intégrale, n’abandonnons pas un style de vie prophétique, n’abandonnons pas le désir d’une conversion communautaire radicale. L’Église que nous sommes est attendue sur ce terrain.

Le déconfinement qui s’annonce nous offre l’occasion de devenir cette « Église en sortie » que le pape François appelle de ses vœux. Et nous serons peut-être les premiers surpris de découvrir que la richesse de l’expérience communautaire vécue dans la célébration eucharistique se vit aussi dans les actions et les combats au service de nos frères et sœurs, ceux d’aujourd’hui et ceux de demain.

Le chemin de la conversion n’est pas un chemin de solitude. Nous nous y engageons, ensemble, avec d’autres, au service du « monde d’après ». Ce monde n’est pas un rêve, mais une tâche qui commence maintenant, dans l’espérance de la « terre nouvelle » que nous attendons comme un don, mais où nous retrouverons, transfigurés, tous les fruits de notre labeur au service de la dignité de tous et de la communion fraternelle (Gaudium et SpesGS 39).

Beaucoup de chrétiens ont déjà fait preuve d’une grande envie de s’engager depuis le début du confinement. Beaucoup ont déjà mis leurs vies au service de cette « détermination ferme et persévérante de travailler pour le bien commun ; c’est-à-dire pour le bien de tous et de chacun parce que, tous, nous sommes vraiment responsables de tous. » (Sollicitudo rei socialisSRS 38). Tous, car cette crise n’est pas qu’un défi réservé aux chrétiens mais concerne l’ensemble de la famille humaine. Il est temps de transformer l’essai, collectivement.

Car c’est aujourd’hui qu’il nous faut faire entendre nos voix !

Comment ? Les gestes symboliques sont importants mais devenus insuffisants. Ils finissent par épuiser. Nous avons maintenant besoin d’actes forts : personnels certes, mais aussi collectifs, à commencer par nos paroisses.

Ces premiers jours de déconfinement sont le moment favorable pour décider enfin – selon sa situation – de changer de banque (et de demander à son diocèse de désinvestir des énergies fossiles), de passer à l’énergie renouvelable (et de demander à sa paroisse de faire de même), de choisir une destination plus proche pour ses prochaines vacances, de s’engager dans une association de solidarité, de partager son salaire, d’interroger les finalités de son travail…

Il s’agira aussi de dépasser les frontières de nos communautés pour rejoindre ces mouvements de la société civile et de l’altermondialisme animés, comme nous, de cet idéal d’une terre dont tous les fruits seraient vraiment destinés « à l’usage de tous les hommes et de tous les peuples » en sorte que « les biens de la création [affluent équitablement] entre les mains de tous, selon la règle de la justice, inséparable de la charité » (GS 69). Il s’agira d’oser un « amour civil et politique » (LS 231) qui n’ait pas peur de rejoindre les lieux de décision. Nous le savons, pour servir le bien commun, nous ne pouvons “absolument pas renoncer à la participation à la ‘politique’” quelles que soient les accusations dont elle puisse être l’objet, ni justifier le scepticisme ou l’absentéisme des chrétiens pour la chose publique (Jean-Paul II, Christifideles laïci, 42). Viser ce niveau d’engagement est indispensable pour demander des comptes à nos dirigeants et appeler un changement de cap. Ces revendications politiques donneront sens à nos conversions individuelles et collectives.

Saurons-nous relever le défi ? Choisir la voie de l’écologie intégrale n’est, pas plus que la charité, une simple option pour les chrétiens. C’est répondre à notre appel de baptisée et baptisé à suivre le Christ et à prendre soin de nos frères, de nos sœurs, et de la création.

Pour ce 6e numéro de lettre de l’Observatoire de l’état d’urgence sanitaire et du confinement, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) a choisi de s’intéresser plus particulièrement aux difficultés liées au travail.

En effet, les mesures prises dans le cadre de la crise causée par le Covid-19 ont eu un impact considérable sur l’organisation du travail, sur les droits des travailleurs et sur leur situation sanitaire et sociale, renforçant les inégalités préexistantes et créant de nouvelles situations de vulnérabilité. Les personnes vulnérables avant la crise le sont toujours, mais celle-ci a aussi vu l’apparition de « nouveaux vulnérables » parmi lesquels les personnes qui ne peuvent plus travailler, ou celles qui sont contraintes de le faire dans des conditions dégradées.

DES CONDITIONS DE TRAVAIL DIFFICILES.

Les mesures de confinement ont eu un impact considérable sur l’organisation du travail. Pour certains, le travail sur site a été maintenu dans des conditions souvent dégradées ; pour d’autres, le télétravail s’est imposé, sans que les conditions du travail à domicile n’aient toujours été préparées, avec parfois l’obligation de travailler selon des horaires modifiés sans accord préalable, ou de prendre des congés imposés. Face à la situation sanitaire inédite engendrée par l’épidémie de Covid-19, la Commission regrette que la protection des salariés n’ait pas toujours été bien assurée. Les secteurs d’activité essentiels à la vie de la nation n’ont pas été définis, de ce fait, nombre de travailleurs ont dû s’exposer inutilement à des risques de contamination sur leur lieu de travail ou dans les transports. À cet égard, le cas emblématique est sans doute celui des travailleurs d’Amazon : il a fallu un recours en justice des syndicats et une condamnation, confirmée en
appel, pour forcer l’entreprise à évaluer les risques et à suspendre la livraison des produits non essentiels dans l’attente de cette évaluation. Il convient de souligner que cette exposition aux risques a touché principalement les travailleurs les moins bien payés : 68 % des cadres sont totalement en télétravail, contre 32% des employés et 4% des ouvriers. Ainsi, les inégalités sociales s’en sont trouvées aggravées, d’autant qu’elles impactent le salaire : 42% des ouvriers déclarent avoir déjà subi une baisse de salaire à cause de la crise, contre 16% des cadres, 25% des professions intermédiaires et 29% des employés.

Pour autant, les personnes pouvant télétravailler ne bénéficient pas toutes de bonnes conditions de travail. Bon nombre d’entreprises, mais aussi la fonction publique, ont dû mettre en place le télétravail en moins de 48 heures, alors qu’elles ne s’y étaient jamais préparées et ne disposaient ni du matériel ni de procédures adéquates. Beaucoup de salariés ont dû faire la transition sans accompagnement ni formation. Il en a résulté la mise en place d’un travail « en mode dégradé » : un tiers des télétravailleurs n’ont pas été dotés en équipement informatique par leur employeur, 97% n’ont pas d’équipement de travail ergonomique, un quart n’ont pas de lieu adapté au télétravail et un tiers, notamment les femmes, doit télétravailler tout en gardant les enfants et en assurant la « continuité pédagogique ».

En effet, malgré la possibilité de prendre un congé pour garder les enfants, beaucoup de parents ont été fortement encouragés à continuer leur activité professionnelle. Le télétravail aggrave la difficulté à concilier vie familiale et vie professionnelle et amène de nouvelles problématiques, comme le nonrespect des horaires de travail et l’hyperconnectivité : près de 80% des télétravailleurs ne disposent pas de droit à la déconnexion et doivent répondre à des sollicitations le soir ou le week-end ; et nombre de travailleurs qui ont dû poser des congés ont pourtant été contraints de travailler. Ces conditions de travail dégradées génèrent d’importants risques psychosociaux : 44 % des salariés français interrogés se sentent en situation de « détresse psychologique », 18 % des télétravailleurs confinés présentent des signes de troubles mentaux sévères, anxieux, voire dépressifs.

La fin du confinement amène de nouvelles questions qui pèsent sur les salariés et les familles : le Gouvernement encourage à continuer le télétravail, d’autant que les capacités d’accueil des transports en commun ne sont pas suffisantes pour assurer les déplacements du plus grand nombre dans des conditions sanitaires optimales, que les écoles et crèches ne sont pas en mesure d’accueillir tous les enfants, et que les collèges en zone rouge restent pour le moment fermés. Or seules 10% des entreprises disposent d’accords organisant le télétravail. Dans le cadre de la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19, le Gouvernement a adopté plusieurs ordonnances et décrets qui instaurent des mesures dérogatoires au droit du travail, pour une durée qui reste parfois indéterminée. Ainsi, les employeurs peuvent imposer ou modifier la prise de jours de congés et de jours de repos, déroger au droit au repos hebdomadaire et au repos dominical, allonger unilatéralement la durée du travail, différer le versement de certaines rémunérations, suspendre les élections des représentants du personnel dans les entreprises ou encore s’exonérer de certaines obligations de suivi médical. La Commission s’inquiète de la possible pérennisation de telles mesures au-delà de l’état d’urgence sanitaire, et rappelle les recommandations du Comité des droits économiques, sociaux et culturels (CESCR) des Nations unies qui engagent la France « à s’assurer que les dispositifs proposés pour accroître la flexibilité du marché du travail n’ont pas pour effet la précarisation du travail et la diminution de la protection sociale du travailleur. » Il l’exhorte également « à s’assurer que toute mesure rétrograde concernant les conditions de travail :

a) est inévitable et pleinement justifiée eu égard à l’ensemble des droits du Pacte, compte tenu de l’obligation de l’État partie de viser la pleine réalisation de ces droits au maximum de ses ressources disponibles ;

b) est nécessaire et proportionnée à la situation, c’est-à-dire que l’adoption de toute autre mesure, ou l’absence de mesures, aurait des effets encore plus néfastes sur les droits visés par le Pacte ; et

c) n’est pas discriminatoire et en touche pas de manière disproportionnée des personnes et des groupes défavorisés et marginalisés. »

Dans ce cadre, la CNCDH rappelle que, d’une part, les conditions de la reprise d’activité doivent faire l’objet d’un dialogue social renforcé et que, d’autre part, les mesures inhérentes à l’état d’urgence sanitaire ne sauraient être que temporaires afin de ne pas remettre en cause les équilibres du droit du travail, notre pacte social et l’effectivité des droits protégés par le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.

DES PROTECTIONS INSUFFISANTES.

La CNCDH s’inquiète des consignes données à l’Inspection du travail dans ce contexte de crise sanitaire et de risques élevés : au lieu de renforcer les contrôles pour vérifier que les mesures de protection des salariés sont bien appliquées, la Direction générale du travail décide désormais de l’opportunité de contrôler telle ou telle entreprise, contrairement à ce qui est prévu par la Convention n°81 de l’Organisation Internationale du Travail sur l’inspection du travail. Les syndicats ont dénoncé les pressions subies et ont porté plainte auprès de l’OIT. Le 15 avril, un inspecteur du travail a été suspendu avec mesure conservatoire après avoir fait des rappels à la loi et demandé un référé pour la protection de salariés. Par ailleurs, les inspecteurs n’ont pas eu accès à du matériel de protection comme les masques et ont été invités à limiter leurs déplacements. Pour ce qui concerne les litiges individuels entre employeurs et salariés, la Commission déplore les atteintes portées au fonctionnement des conseils de prud’hommes. Comme elle l’a écrit dans son avis adopté le 28 avril, la CNCDH « s’interroge sur la concentration des activités sur les contentieux dits « essentiels » et sur les moyens donnés aux juridictions pour maintenir la continuité de l’accès à la justice sur le territoire national. Ainsi, auraient pu être estimées essentielles et prioritaires les procédures prud’homales ou encore certaines des procédures d’urgence en matière commerciale ». En effet, les difficultés de fonctionnement des prud’hommes laissent les salariés dans l’incapacité de faire valoir leurs droits. Certes, les délais de prescription ont été repoussés, mais les salariés attendant un jugement peuvent se retrouver sans ressources pendant cette période, par exemple en cas de licenciement abusif pour faute grave. Ceci est d’autant plus problématique que les astreintes, les clauses pénales, les clauses résolutoires bénéficient aussi d’un délai jusqu’à un mois après la fin de l’état d’urgence, dès lors certains salariés devront attendre encore plusieurs mois pour faire valoir leur droit dont dépend leur indemnisation chômage. Enfin certaines mesures modifiant le fonctionnement de ces conseils posent aussi question, comme le possible tri des dossiers avant les audiences de référé.

LES TRAVAILLEURS PRÉCAIRES EN GRANDE DIFFICULTÉ.

De nombreuses mesures d’aides ont été mises en place par le Gouvernement pour pallier certains effets de la crise sanitaire sur les travailleurs ; cependant, elles ne couvrent pas toutes les catégories de travailleurs. De nombreuses personnes actives ne peuvent prétendre à aucune des aides annoncées. Cela concerne celles et ceux qui vivent de l’économie informelle soit environ 2,5 millions de personnes

. Il s’agit de travail non déclaré comme beaucoup de services à la personne et d’aide à domicile, mais aussi de certains secteurs d’activité comme le bâtiment et les travaux publics ou l’hôtellerie-restauration.

. Ce sont autant de personnes qui se sont soudainement retrouvées sans aucun revenu et qui ne peuvent prétendre à aucune aide, d’autant que les procédures de premières demandes de prestations sociales (comme l’inscription au RSA) ont été complexifiées par la suspension de l’accueil au guichet.

Ces difficultés concernent aussi tous les travailleurs précaires, notamment les intérimaires ou les personnes ayant des contrats courts. En raison du confinement, beaucoup de missions en intérim ont été interrompues brutalement à la mi-mars, notamment du fait de l’impossibilité de télétravailler. Si le demi-million de personnes concernées a pu, au début, bénéficier du chômage partiel, bon nombre de missions se sont terminées et n’ont pas été renouvelées. Mi-mars, le secteur de l’intérim s’attendait à une baisse d’activité de 75% pour la seconde quinzaine de mars, soit une perte d’un demi-million d’emplois.

Alors que l’on célébrait le 10 mai dernier la journée des mémoires de la traite, de l’esclavage et leurs abolitions, la CNCDH s’inquiète des conséquences de la crise liée à l’épidémie de Covid-19 sur l’exploitation et la traite des êtres humains. Les personnes occupant des emplois informels et précaires n’ont pas les droits des salariés, ni même des travailleurs indépendants. Beaucoup ont perdu leur source de revenus et se retrouvent à lutter pour leur survie et celle de leur famille. Elles sont dans l’impossibilité de faire face aux besoins les plus élémentaires. Les travailleurs domestiques, les auxiliaires de vie et les jeunes filles au pair vivent souvent dans les domiciles de leurs employeurs et lorsqu’ils perdent leur emploi, ils perdent également leur logement. Dans l’impossibilité de rester chez des parents ou de trouver un autre logement, ces personnes peuvent contracter des dettes, ce qui peut les rendre encore plus vulnérables à l’exploitation. Les personnes sans papiers sont aussi dans l’incapacité de faire valoir leurs droits et sont parfois contraintes de poursuivre leur travail sans que des mesures de sécuritésuffisantes soient mises en place par leurs employeurs, d’autant que les contrôles de l’inspection du travail sont moins fréquents.

La Commission constate que de nombreux travailleurs indépendants sont en grande difficulté. En effet, la multiplication du recours à l’auto-entreprenariat non choisi dans certains secteurs d’activité, à l’exemple des travailleurs des plateformes, prive ces actifs d’une partie des protections sociales. Ainsi, ils ne peuvent pas bénéficier des dispositifs de chômage partiel auxquels ont droit les salariés ni d’indemnisation complémentaire de l’employeur en cas d’arrêt de l’activité pour garde d’enfant. Par peur d’une perte importante de revenus, bon nombre de ces travailleurs ont donc continué leur activité, quitte à prendre des risques pour leur santé. Certaines professions libérales se retrouvent aussi en difficulté, comme les avocats, ayant dû suspendre leur activité mais continuant à faire face à d’importants frais fixes. Il en est de même de nombreuses très petites entreprises, par exemple dans le commerce de détail. Alors que les prestations chômage présentent un enjeu majeur en ce qu’elles jouent un rôle d’amortisseur économique et social permettant de sécuriser les conditions de vie des chômeurs. La CNCDH entend souligner que toutes les personnes privées d’emploi ne sont pas indemnisées par l’assurance chômage. Il en est ainsi des jeunes de moins de 25 ans travailleurs précaires ou en période d’essai qui n’ont droit à aucune prestation sociale et peuvent donc se retrouver du jour au lendemain sans la moindre ressource. Les jeunes en situation de grande précarité peuvent normalement bénéficier du dispositif de la Garantie jeune, et en particulier du versement d’une aide financière, mais d’une part les versements ont été retardés pendant les premières semaines du confinement, et d’autre part les ouvertures de nouveaux contrats Garantie jeunes ont été repoussées dans de nombreux cas à fin avril ou mai, mettant de nombreux jeunes en grande difficulté. Par ailleurs, la nécessité de passer par un compte bancaire ou une signature du jeune ont rendu très difficile l’octroi d’aides financières d’urgence à des jeunes accompagnés par des missions locales, aides qui sont souvent versées d’ordinaire en liquide ; la seule issue proposée alors au jeune est la distribution alimentaire. Le gouvernement a certes annoncé le 4 mai une aide de 200 euros pour les jeunes, mais non seulement ce montant reste faible au regard des besoins mais surtout il ne touche pas tous les jeunes en difficulté, puisqu’il faut soit bénéficier de l’APL, soit être étudiant et avoir perdu son emploi ou son stage.

La règlementation en matière de prestations sociales pour les chômeurs et pour les jeunes avait suscité, en 2016, les inquiétudes du CESCR, quant à son adéquation au profil du chômage en France ainsi que son effectivité ; inquiétudes que la CNCDH avait relayées en proposant une feuille de route pour la mise en œuvre des recommandations du Comité. Ces faiblesses sont aujourd’hui d’autant plus criantes que, pensées dans un contexte différent, les prestations chômage n’ont pas été conçues ni financées pour faire face à un tel afflux ou à de tels besoins. La CNCDH recommande à nouveau à la France de mener une réflexion sur le système d’assurance chômage en plaçant les droits de l’homme au cœur des discussions, afin de garantir l’adéquation des prestations aux besoins et de protéger l’ensemble des chômeurs, en limitant leur exposition aux risques d’exclusion sociale et économique.

FOCUS

Le poids de la crise sur les inégalités femmes-hommes

 

La Commission se préoccupe de l’accroissement des inégalités femmes-hommes engendrées par le confinement et l’état d’urgence sanitaire. En effet, les femmes exercent des métiers de service ou de soin aux personnes (auxiliaires de vie, infirmières, aides-soignantes, mais aussi enseignantes, caissières, agentes d’entretien…) et sont donc particulièrement exposées. La fonction publique hospitalière est composée à 78% de femmes (90% des infirmières et sages-femmes sont des femmes). Les femmes représentent aussi 90% des personnels de caisse, 97% des aides à domicile et 70% des employés de l’entretien. Par ailleurs, occupant, plus que les hommes, des emplois précaires ou à temps partiel, les femmes font face à des difficultés financières et sociales plus importantes, en particulier pour les familles monoparentales.

Aux grandes difficultés pour s’occuper seules des enfants, sans aide extérieure à cause du confinement, s’ajoute le manque accru de ressources. Les salariées ayant moins d’un an d’ancienneté et ayant pris un congé pour garder leur(s) enfant(s) à la suite à la fermeture des écoles, n’ont reçu en mars qu’une partie de leur salaire, contrairement aux annonces faites dans les médias, mettant certaines familles en grande difficulté. Il est aussi à craindre que les répercussions économiques de la crise, notamment sur les personnes précaires, fassent augmenter le nombre de pensions alimentaires impayées. L’annonce de la fin de l’indemnisation pour garde d’enfant début juin, si un accueil est possible à l’école, pose un véritable dilemme moral et financier, alors que le conseil scientifique lui-même recommande de ne pas reprendre l’école avant septembre. D’autres inconnues comme l’ouverture des crèches, la disponibilité des assistantes maternelles ou l’ouverture du périscolaire rendent l’organisation familiale et la reprise du travail encore plus complexes. Pour 36% des femmes, le confinement s’est traduit par une hausse de la charge de travail (contre 29% des hommes). Ce phénomène est amplifié par la nécessité de s’occuper des enfants et d’assurer la continuité pédagogique, charge qui leur revient le plus souvent : 43% d’entre elles doivent assumer plus de 4 heures de tâches domestiques supplémentaires par jour depuis le début du confinement. Charge mentale alourdie et cumul des rôles… Ce sont d’abord les femmes qui déclarent souffrir de leurs conditions de télétravail en temps de confinement : 22% des femmes contre 14% chez les hommes sont en détresse élevée.