Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.

Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.

Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.

Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.

On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.

Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.

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Publié par le Secrétariat Général de la Conférence des évêques de France, ce récent numéro a été piloté par Geneviève Colas

Dans le contexte de l’éclatement de l’Union soviétique en 1991, l’indépendance de l’Ukraine a été proclamée en août par le Parlement, puis ratifiée en décembre, à 90 %, par référendum. Depuis, le pays a traversé de longues années d’instabilité, surtout après la « révolution orange » de 2004, qui avait porté au pouvoir – sous la pression populaire et en réaction à un scrutin falsifié – Viktor Youchtchenko, candidat de la rupture avec le passé soviétique, contre Viktor Yanoukovitch, partisan de la continuité.

 

Tensions et agression

Ces difficultés politiques sont le produit de tensions internes (principalement entre ceux qui désirent approfondir les liens avec l’Union européenne et l’OTAN, et ceux qui veulent garder des relations fortes avec la Russie), mais aussi de pressions étrangères, tout particulièrement russes. La situation du pays s’est sérieusement dégradée à partir de 2014, après que le président Yanoukovitch, nettement élu en 2010 à la suite d’un scrutin régulier, eut refusé en novembre 2013, sous la pression russe, de signer l’accord d’association avec l’Union européenne qu’il avait initialement soutenu. Ce refus a suscité des manifestations de masse à Kiev, sur la place (Maidan) de l’indépendance ; des affrontements sanglants entre manifestants et forces anti-émeute ont conduit en février 2014 à la chute de Yanoukovitch, à sa fuite et à l’arrivée au pouvoir de partisans de l’intégration euro-atlantique. La Russie a réagi, en violation manifeste du droit international : dès le 27 février, des forces spéciales russes opérant sans uniforme s’emparent des lieux de pouvoir en Crimée.

Un référendum, organisé par des autorités locales sous influence russe, débouche le 20 mars sur l’annexion de la Crimée par la Russie sans qu’un coup de feu soit tiré. À partir d’avril 2014, sur la frontière russe, au sud-est du pays, des revendications séparatistes déstabilisent les provinces de Donetsk et de Lougansk (Bassin du Donets ou Donbass) : le contrôle échappe à Kiev. La défense par Kiev du territoire national ukrainien aura un coût humain élevé (de l’ordre de 13 000 civils et militaires). L’agression russe a, dans un premier temps, renforcé le camp pro-occidental. Petro Porochenko – homme d’affaires et ancien ministre, partisan d’une rupture nette avec la Russie, d’une économie de marché et d’une lutte plus efficace contre la corruption – est élu président le 25 mai 2014. La Rada suprême (Assemblée nationale), renouvelée en octobre 2014, peut, de justesse, constituer une majorité constitutionnelle en sa faveur. L’Ukraine lance, dès avril 2014, une « opération antiterroriste » contre les insurgés du Donbass, avec, initialement, des succès significatifs. Cependant, le soutien russe permet aux rebelles de garder le contrôle d’une part importante des deux régions. Les États-Unis accordent une aide militaire [1] à l’Ukraine qui se serait élevée à 1,5 milliard d’euros depuis 2014.

Médiation et accord

Inquiets de cette situation, le président François Hollande et la chancelière Angela Merkel entreprennent une médiation. Un dialogue est engagé le 6 juin 2014 avec les chefs d’État ukrainien et russe, en marge des cérémonies de commémoration du débarquement (discussions dites en « format Normandie »). En juillet 2014, un avion civil transportant un grand nombre de ressortissants néerlandais est abattu par un missile sol-air. Une enquête internationale d’initiative néerlandaise a conclu à la destruction de l’appareil par un missile russe lancé à partir des zones tenues par les insurgés, peut-être par crainte d’une intervention aéroportée ukrainienne.

Sous l’égide de l’OSCE (Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe), un accord prévoit, comme première étape, un cessez-le-feu (Minsk, septembre 2014). Après l’échec de cet accord, un nouveau dispositif est adopté le 12 février 2015 en « format Normandie » (accord de Minsk II). Il prévoit [2],
outre un cessez-le-feu contrôlé par l’OSCE, la création d’une zone tampon assez large avec interdiction de présence de belligérants et d’armes lourdes, une amnistie pour tous les participants aux événements du Donbass (point 5), un échange de prisonniers sur le principe de « tous pour tous » (point 6), et le retrait de toutes les forces étrangères d’Ukraine (point 10). Les relations socio économiques entre Kiev et le Donbass doivent être rétablies, et les prestations sociales ukrainiennes, payées (point 8). La gestion de la frontière Ukraine/Russie sera confiée aux observateurs de l’OSCE, puis transférée à l’Ukraine. Le processus doit commencer « après la tenue d’élections locales » (point 9), dont l’organisation doit être discutée et agréée avec les représentants des régions du Donbass (point 12). Une réforme constitutionnelle doit prévoir une large « décentralisation » pour les habitants du Donbass et l’adoption d’une « loi permanente sur le statut spécial des régions de Donetsk et Lougansk » (point 11).

Toutefois, pour le président Porochenko, « l’Ukraine reste un État unitaire, il n’est pas question de fédéralisation, quelle qu’elle soit ». Cet accord, qui établit une perspective de paix – malgré ses limites, concernant notamment le statut de la Crimée –, n’a pu être appliqué malgré son approbation par le Conseil de sécurité des Nations Unies [résolution 2202 (2015)]. Des violations du cessez-le-feu ont été régulièrement commises par les deux parties. Quant au volet politique de l’accord, en particulier l’autonomie du Donbass au sein de l’Ukraine, sa mise en œuvre se heurte toujours à des oppositions de fond de la part de Kiev.

 

De Porochenko à Zelinsky

La défaite écrasante du président Porochenko en avril 2019, face l’humoriste de langue maternelle russe et nouveau venu en politique, Volodymyr (Vladimir) Zelensky [3], peut s’expliquer au moins par cinq facteurs : les compromissions de Porochenko avec le système de corruption et de favoritisme hérité de la transition post-soviétique, le désintérêt d’une grande partie de la population devant ses proclamations nationalistes et martiales [4], l’aggravation des conditions de vie des plus pauvres, le déclin démographique lié à l’émigration annuelle d’environ un demi-million d’habitants, la lassitude devant la poursuite de la guerre du Donbass et son coût…

En promettant de remédier à ces maux, le nouveau président, qui dispose d’une forte majorité dans la Rada, fait face à des défis considérables. La paix qu’il a promise en est un. Si le Président s’est engagé à exclure le recours à la force pour obtenir la cessation de l’ingérence militaire russe, il ne semble pas accepter de concessions politiques significatives. Il a participé à la réanimation du « format Normandie », mais les résultats du sommet de l’Élysée du 9 décembre sont quasi exclusivement d’ordre humanitaire : extension des lignes de cessez-le-feu, accroissement du nombre des points de passage entre le Donbass et le reste de l’Ukraine, échange complet à terme des prisonniers. Les principaux acquis résident dans la reprise des contacts personnels entre Ukrainiens et Russes, et l’engagement de poursuivre la négociation sur tous les thèmes de Minsk II. En revanche, le président Zelensky refuse d’être engagé par des points-clefs de cet accord, comme l’autonomie des régions rebelles dans le cadre de leur réincorporation dans l’État ukrainien. Les gouvernements ukrainiens ont toujours peiné à réunir un consensus minimal sur l’orientation politique du pays.

Les présidents de l’Ukraine, même bien élus, ont généralement perdu assez vite leur popularité. Les membres de la Rada, qui jouent un rôle essentiel dans les processus de décision politique, ont progressivement réduit leur soutien, à la demande, parfois, d’hommes d’affaire puissants (oligarques) auxquels ils doivent fréquemment leur élection [5]. Pour réduire l’influence des intérêts privés sur les travaux parlementaires, le président Zelensky a fait élire comme candidats de son parti, les « serviteurs du peuple », un grand
nombre de jeunes. Il a obtenu la fin de l’immunité parlementaire, ce qui limite la possibilité pour les députés d’enfreindre la législation anticorruption, mais fait naître des risques pour leur indépendance. Il entend rendre plus efficaces la Justice et la lutte contre la corruption. Il a entrepris un vaste programme de privatisation des entreprises d’État et s’est engagé à abolir l’interdiction de vente des terres, héritée de la période soviétique.

Pour réaliser son programme, il doit proposer une stratégie surmontant les profondes divisions de l’Ukraine : entre l’est, plus attaché à la relation socio-culturelle avec la Russie, et l’ouest, anciennement austro-hongrois et incorporé dans l’URSS en 1939 (pacte germano-soviétique) et en 1944 (défaite de l’Allemagne nazie). Cette division rejoint celles de la mémoire : collaboration des nationalistes ukrainiens avec l’occupant allemand et participation de nombreux ukrainiens à la résistance soviétique ; qualification de génocide de la famine provoquée par la politique d’industrialisation forcée de Staline et accusation portée contre les nationalistes d’avoir été auxiliaires de la Shoah. Les divisions sont aussi religieuses : grecs-catholiques à l’ouest, et orthodoxes eux-mêmes séparés en trois patriarcats : l’Église autocéphale d’Ukraine récemment reconnue par Constantinople, une ancienne Église orthodoxe de Kiev, et le patriarcat de Moscou. Enfin, on observe une opposition linguistique entre ceux qui veulent imposer l’usage de la langue nationale et ceux qui souhaitent une certaine tolérance à l’égard du russe [6]. Malgré ces divisions, l’Ukraine s’est engagée dans un chemin de construction démocratique. Sur ce chemin, le soutien de ses partenaires européens ne doit pas lui manquer.

 

[1] En demandant au nouveau président ukrainien, Volodymyr Zelensky, une contrepartie à cette aide sous forme d’enquête pénale contre le fils de Joe Biden, l’un de ses
concurrents potentiels lors des prochaines élections présidentielles américaines, le président Trump a fortement affaibli la crédibilité de l’engagement américain.
[2] Voir l’analyse de Nicolas Gros-Verheyde sur le site Bruxelles 2.

[3] V. Zelensky a obtenu 73 % des voix au second tour.
[4] Le slogan de campagne de P. Porochenko était ainsi « une armée, une langue, une foi ».
[5] Volodymir Zelensky bénéficie lui-même de l’appui de l’oligarque Igor Kolomoisky.
[6] Selon une étude de 2011, la langue de la vie quotidienne est à 47 % l’ukrainien, à 37 % le russe, et à 16 % les deux

 

En lisant le message de François, pour le 1er janvier 2020, m’est venue aussitôt cette finale du cantique de Zacharie :« Pour conduire nos pas au chemin de la paix » (Luc 1, 79).

La paix est bien un chemin, toujours à construire, dans les réalités très concrètes de la vie sociale, politique, économique. Le Pape parle souvent dans ses écrits de chemins, de processus. Il rejoint ainsi chacun de nous dans son itinéraire de vie, fait d’avancées et de reculs, mais aussi de nouveaux commencements toujours possibles. Nous sommes ainsi encouragés à marcher, peu importe où l’on est sur le chemin. « La paix est un bien précieux, objet de notre espérance auquel aspire toute l’humanité ».

Nous devons ainsi « croire que l’autre a le même besoin de paix que nous ». Comment briser alors la dynamique de la défiance qui prévaut actuellement ? Peut-on construire la paix – à laquelle aspirent tous les peuples, et en leur sein les plus pauvres et les plus fragiles – sur l’intolérance, la méfiance, voire sur la menace par l’arme nucléaire d’un anéantissement total ? L’espérance, qui nous met en chemin vers la paix, se nourrit nécessairement de dialogue – même quand il semble impossible – de confiance réciproque, de solidarité et de coopération, d’interdépendance, dit encore François. La paix est un chemin patient d’écoute, de mémoire aussi. Ainsi lorsqu’un aïeul raconte l’histoire de la famille, il aide les plus jeunes à façonner leur identité. N’est-il pas dommageable qu’aujourd’hui l’histoire soit moins présente dans l’enseignement scolaire ?

« La mémoire est l’horizon de l’espérance », écrit François. L’éducation est donc nécessaire « à la conscience morale et à la volonté personnelle et politique », et pour les chrétiens, l’espérance de paix est nourrie « à travers la transmission des valeurs chrétiennes, l’enseignement moral et les œuvres sociales et éducatives ». Combien, en ce début d’année, devrions-nous encourager les parents et les éducateurs à être « des témoins convaincus » d’ « une paix sans cesse à construire » ! N’est-il pas intéressant de lire dans le message de François la promotion de la démocratie, avec les droits et les devoirs de chacun, et comme base, la justice et la défense des plus faibles ? « Elle me regardait comme une personne », témoignait Sainte Bernadette à propos de Marie. Elle, la pauvre des pauvres de Lourdes, n’avait jamais été traitée avec autant de respect.

La paix exige de regarder les autres comme des frères, des sœurs, des personnes, d’oser la réconciliation, quand elle est nécessaire, avec humilité, à l’exemple du Christ. Dans son message, François, rappelant Laudato Si’, nous invite à « laisser jaillir toutes les conséquences de la rencontre avec Jésus Christ sur les relations avec le monde ». La paix passe par un chemin de conversion écologique. L’échec de la COP 25 de Madrid souligne l’urgence de cette conversion dans les relations de tous les humains avec leur environnement et entre eux. L’écologie intégrale, où tout est lié, devra être de plus en plus le fil conducteur de la vie du monde de gré – et c’est ce que beaucoup sont en droit d’espérer – ou de force, avec son cortège de violences où les pauvres seront une fois de plus les premières victimes.

C’est ce vœu de conversion que je formule pour tous, en remerciant les acteurs de Justice et Paix France de s’y engager résolument, avec espérance, et d’y engager l’Église et nombre d’hommes et de femmes de bonne volonté. Les humains ont fait le tour de la maison commune « Terre ». Ils n’ont pas de planète de rechange. Il leur faut « vivre la fraternité universelle comme enfants de l’unique Père céleste ». La culture de la menace doit laisser place à la culture de la rencontre.

« On obtient autant qu’on espère » écrivait Jean de la Croix, cité par François. Le Saint espagnol notait que cette espérance venait « du soin qu’a l’âme de regarder sans cesse vers Dieu et de ne s’occuper que de Lui. Elle plait alors tellement au BienAimé qu’il est vrai de dire qu’elle obtient autant qu’elle espère ». Je vous adresse le vœu d’être tous et chacun pleinement donnés à Dieu et à vos frères et sœurs en humanité, dans une communion d’action et de prière, de lutte et de contemplation !

Bonne année 2020 !