Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.

Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.

Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.

Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.

On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.

Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.

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Entretien de Dominique Quinio avec Mgr Yves Boivineau, au moment où il transmet la présidence de la Commission Justice et Paix France à Mgr Jacques Blaquart.

 

Huit ans de présidence. Ce mandat vous est cher, n’est-ce pas ?

 

Nommé en 2011 pour six ans, on m’a demandé de prolonger un an, puis encore un an… Il est important aujourd’hui qu’un regard neuf soit porté sur la Commission par son nouveau président. Quand j’ai été nommé, cela m’a surpris. Je ne l’avais pas cherché. Il m’a fallu du temps pour situer la Commission dans l’organigramme de la Conférence des évêques, à sa juste place. J’y ai beaucoup appris, avec le sentiment constant que j’avais tout à apprendre. J’ai rencontré une équipe très motivée : ce qui me frappe, ce n’est pas seulement l’addition des compétences, mais leur croisement. Et j’ai été impressionné par la diversité des sujets traités : la sécurité, la défense, l’armement, le développement, l’écologie, la finance, la traite des êtres humains… La Commission, ce n’était pas seulement les questions de défense : on y parlait de justice et de paix. Cela m’a ouvert les yeux : ces sujets nous concernent tous. « Tout est lié » !

Comment faites-vous dialoguer ces deux mots, justice et paix ?

« Justice et paix s’embrassent », dit le psaume 84. Pas de paix sans justice. Les conflits prennent leur source dans les injustices. La paix est toujours devant nous, jamais acquise : « recherche la paix et poursuis-la » ; le psaume 34 nous incite à cette quête inlassable. C’est le rôle de la Commission de nous le faire comprendre et de donner des outils pour saisir les enjeux et permettre d’agir.

La Commission a-t-elle l’écho qu’elle devrait avoir ?

Membre du Conseil Pontifical Justice et Paix, j’ai été amené à rencontrer des délégations étrangères. J’ai compris que, sous le même « label », se vivaient des réalités très différentes. Certaines mettent l’accent sur les questions sociales ; elles sont présentes sur le terrain, dans les diocèses. En France, notre commission est très active, mais trop peu visible. Ainsi, la Lettre permet de faire le point sur une question de façon approfondie et accessible. Elle mériterait être davantage lue, y compris par nous-mêmes, évêques. L’approche spécifique de Justice et Paix est précieuse. Cela m’a servi sur le terrain.

À Justice et Paix, nous travaillons avec d’autres – services d’Église ou associations – c’est important ; sont essentiels nos liens avec le Conseil National Famille et Société. En revisitant les statuts de la Commission, nous avons retravaillé l’articulation avec la Conférence des évêques : nous avions tout à y gagner. Mais il ne s’agit pas de tout niveler. Que Justice et Paix reste Justice et Paix ! Il ne faut pas que Justice et Paix désarme, si j’ose dire ! Elle doit garder sa petite touche particulière afin d’irriguer la réflexion plus générale. Il ne faut pas que Justice et Paix désarme ! Un exemple : le débat autour du nucléaire. La Commission a fort bien travaillé ; elle a permis de prendre du recul. J’ai retrouvé une tribune que nous avions publiée dans La Croix, en
2012, après un colloque sur la bombe atomique organisé avec Pax Christi : ce texte est toujours actuel. Il ne s’agit pas de remplacer les journaux, de nous situer sur l’actualité immédiate, mais d’aider à réfléchir.

Quels furent les temps forts vécus au cours de ces années ?

 

Je voudrais souligner le travail réalisé avec la série « Finances et éthique » : des fiches travaillées et accessibles. Elles n’ont pas eu l’écho qu’elles méritaient. Les questions financières ont à voir avec la paix, je l’ai touché du doigt. Je citerai aussi les petits livrets réalisés avec divers partenaires : « le défi de la paix », pour plus de justice en Palestine et en Israël ; « l’économie au service de l’humanité », pour un meilleur encadrement des multinationales ; ou encore, « habiter la création autrement », dans le sillage de Laudato Si’ – ce dernier avec nos frères protestants et orthodoxes. Ces opuscules très pédagogiques sont des outils utiles pour approfondir un sujet.

Qu’apporte à un évêque la participation à une telle instance ?

Bien sûr, il y a la difficulté de la distance et de la charge diocésaine, quand on est à Annecy ou ailleurs. Mais la participation à une commission est indispensable. Un évêque risque parfois de rester le nez sur le guidon ; il lui faut prendre le temps de lever les yeux pour regarder ce qui se vit ailleurs. Les gens qu’on rencontre, la qualité de ce qu’on entend dans un cadre de confiance, avec des gens venus d’horizons divers, m’ont considérablement enrichi. Cela m’a servi sur le terrain. Malgré la fatigue, je ne regrette rien. Il faut dire qu’un président, vous savez, il préside ! Beaucoup dépend de l’articulation avec le secrétaire général, qui est compétent, informé, a un bon carnet d’adresses et des gens qu’il peut solliciter ponctuellement.

Quels vœux formulez-vous pour l’avenir ?

Je serai toujours un défenseur de Justice et Paix, parce que j’y ai beaucoup reçu. Cette commission est indispensable à l’Église. Qu’elle continue à explorer ces sujets peu traités ailleurs que sont la sécurité, l’armement, la défense… Que la Commission Justice et Paix n’ait pas peur d’être visible. Qu’elle n’hésite pas, parfois, à lancer des alertes. Elle doit avoir conscience qu’elle a véritablement une mission. Je souhaite bien sûr beaucoup de joie à Mgr Jacques Blaquart dont le profil est parfaitement accordé à la tâche. Et je remercie de tout cœur tous ceux et celles que j’ai croisés à Justice et Paix.

Le Pape sera le 24 novembre à Nagasaki (message sur les armes nucléaires ; hommage aux martyrs japonais) et à Hiroshima (rencontre pour la paix). Le 25, il rencontrera notamment des victimes de la triple catastrophe du 11 mars 2011 (séisme, tsunami, explosion de la centrale nucléaire de Fukushima). Le Japon est très sensible à la question nucléaire.

 

Les traités

Parler armement nucléaire, c’est envisager des matières fissiles, les armes nucléaires elles-mêmes, des vecteurs pour les projeter, d’éventuels essais pour les tester, de possibles phénomènes de prolifération horizontale (accès de nouveaux acteurs à ces armes) ou verticale (perfectionnement des armes). L’action du Vatican est largement de nature diplomatique. Le 24 janvier 1946, la première résolution de l’ONU appelait déjà à l’élimination des armes atomiques.

 

  • La communauté internationale s’est dotée du Traité de Non-Prolifération (TNP/NPT (1968), complété en 1998)[1].
  • Un Traité d’Interdiction Complète des Essais nucléaires (TICE/CTBT, 1996) n’est pas encore entré en vigueur, faute d’un nombre suffisant de ratifications. Ces deux traités ont été ratifiés par le Saint-Siège (1971, 2001) et la France (1992, 1996).
  • A été récemment élaboré un Traité d’Interdiction[2] des Armes Nucléaires (TIAN/TPNW, 7 juillet 2017)[3]. Le 20 septembre 2017, les premiers – le Saint-Siège, le Guyana et la Thaïlande – l’ont signé et ratifié ; la France et les autres puissances nucléaires n’y adhèrent pas. Au 18 octobre 2019, le TIAN avait été approuvé par 129 États, signé par 79, et ratifié par 33 ; 19 États ont déclaré leur ratification en cours ou imminente. Pour entrer en vigueur, la ratification par 50 États est nécessaire, ce qui pourrait se produire fin 2019 ou courant 2020.
  • Un Traité d’interdiction de la production de matières fissiles pour la fabrication d’armes nucléaires (dit « Cut off ») est en cours d’élaboration, sur la base d’une proposition Canada-Allemagne-Pays Bas. La France en avait fait une autre.

 

Des espaces exempts d’armes nucléaires sont définis par des traités internationaux : l’Antarctique (1959), l’Espace (1967), le fond et sous-sol des mers (1971), la modification de l’environnement (1976), la lune (1979), les zones maritimes internationales (Montego Bay, 1994). Cinq traités régionaux ont déterminé des Zones Exemptes d’Armes nucléaires (ZEAN)[4] : Amérique latine – Caraïbes (tous les États ; 1967), Pacifique Sud (16 États ; 1985) ; Asie du Sud-Est (7 États ; 1995) ; Afrique (43 États ; 1996), Asie Centrale (2006). L’AIEA joue un rôle central dans la lutte contre la prolifération (171 États membres).

En 2019, neufs États détiennent 13.865 armes nucléaires, dont 3.750 déployées et 2.000 en état d’alerte permanent[5]. Depuis 1945, plus de 125.000 ogives nucléaires ont été construites ; en 1986, on était parvenu au pic de presque 70.000 armes. Les arsenaux nucléaires existants sont en cours de modernisation, voire d’augmentation dans certains États. Certaines « postures » de pays détenteurs d’armes sont préoccupantes, qui, par exemple, n’excluent plus un usage tactique d’armes miniaturisées.

En mai 2018, les États-Unis se sont retirés de l’accord de Vienne (JCPoA, 14 juillet 2015), qui encadrait le programme nucléaire de l’Iran. Depuis, l’Iran a entravé une inspection de l’AIEA (28 octobre 2019), a repris ses activités d’enrichissement d’uranium (5 novembre), et l’AIEA a détecté des particules d’uranium sur un site non déclaré. Les discussions Corée du Nord / États-Unis semblent être au point mort. Les tensions Inde-Pakistan sont récurrentes, au Cachemire (février 2019). Le Moyen-Orient est instable.

Le 2 août 2019, les États-Unis se sont retirés du traité INF/FNI (1987 ; 2.692 euromissiles ont été détruits avant 1991), qui interdisait les missiles conventionnels ou nucléaires de portée intermédiaire (500 à 5.500 km), dénonçant une violation russe (création du missile 9M729) ; la Chine développe ce type de missile et a refusé la proposition Merkel de devenir partie prenante à ce traité (17 février 2019). Ne subsiste des traités bilatéraux de désarmement russo-américains[1] que le traité New Start, échéant en 2021. Il limite les missiles (700), les têtes (1.550) et les vecteurs déployés (800), mais pas le nombre d’ogives nucléaires opérationnelles stockées.

L’OTAN est en crise. L’Europe de la Défense reste modeste. Le traité de l’Espace (1967) ne proscrit que les armes de destruction massive ; le 1er septembre 2019, la France a créé un commandement militaire de l’espace, comme les États-Unis. La militarisation de l’espace est en cours : jusqu’où ? Une nouvelle perspective s’ouvre peut-être pour les déchets nucléaires[2] : le Pr. Mourou – prix Nobel de physique 2018 – espère transmuter les produits radioactifs à très longue durée, en produits à courte durée, à des coûts acceptables[3]. Avec une incidence sur le futur traité Cut Off ?

Pour le Vatican, il y a une architecture du désarmement

 

Il faut relire les textes de Pie XII, Pacem in Terris (1963) de Jean XXIII, le discours de Paul VI à l’ONU (1965). La constitution Gaudium et Spes (Vatican II) définit les principes de l’Église (GS 77-82s et la nota praevia). La position évolue sous Jean-Paul II[4]. Benoît XI est très net[5]. Le 20 septembre 2017, en signant le TIAN, François condamne même la possession de l’arme nucléaire :

« En tenant compte notamment du risque d’une explosion accidentelle de telles armes due à n’importe quel type d’erreur, il faut condamner fermement la menace de leur usage, ainsi que leur possession, précisément parce que leur existence est liée à une logique de peur qui ne concerne pas seulement les parties en conflit, mais tout le genre humain. Les relations internationales ne peuvent être dominées par la force militaire, par les intimidations réciproques, par l’ostentation des arsenaux de guerre » (Symposium de Rome, 10-11 novembre 2017).

L’encyclique Laudato Si’ (2015, n°3) est conçue en regard de Pacem in Terris (1963). Elle lie désarmement intégral, développement intégral et écologie intégrale (LS 57 104 175). Le Pape parle souvent d’une « troisième guerre mondiale par morceaux », constate une tendance de l’homme à devenir esclave de ses créations (ici la bombe) et le non-respect des limites posées par Jean-Paul II lors de son discours à l’ONU. « Je pense que nous sommes à la limite. J’ai vraiment peur. Il suffirait d’un accident pour tout précipiter » (15 janvier 2018). Il distribue la photo d’un enfant, qui porte son petit frère mort sur son dos, attendant son tour au crématorium de Nagasaki (légende : « le fruit de la guerre »).

Depuis, les responsables du Vatican insistent sur la complémentarité des traités, sur la nécessité de les ratifier et de les appliquer rapidement. Le 25 septembre 2019, le cardinal Parolin a rappelé que le Saint-Siège avait ratifié le traité d’interdiction des essais nucléaires, « part essentielle aux efforts multilatéraux pour faire advenir la paix et la sécurité globale[1], expression de sa conviction de longue date que l’interdiction des essais nucléaires, la non-prolifération et le désarmement nucléaires sont étroitement liés et doivent être réalisés aussi rapidement que possible, sous un contrôle international effectif. »

Le lendemain, lors de la Journée internationale pour l’élimination totale des armes nucléaires, le même cardinal a déploré l’absence de négociations en cours et rappelé que « Pope Francis made clear the position of the Holy See on nuclear weapons, when he said, ‘the threat of their use, as well their very possession, is to be firmely condemned’ ». Et de regretter le récent abandon du traité INF/FNI, l’impuissance de la Conférence du désarmement à entamer des négociations pour élaborer le traité sur les matières fissiles et les difficultés de l’accord de Vienne. Et de se féliciter du nombre croissant d’États ayant ratifié le TIAN, encourageant les autres signataires à le ratifier « dès que possible » : « Nous croyons que ce Traité est une étape importante vers un monde libre du nucléaire, et qu’il complète le TNP. Le TIAN est un fruit d’efforts de nombreux pays et d’autres parties prenantes pour promouvoir une attention plus grande et une compréhension plus profonde des sérieuses conséquences humanitaires et des désastres environnementaux qui résulterait de l’usage d’armes nucléaires ».

Le 23 octobre 2019, l’observateur permanent du Saint-Siège à l’ONU, Mgr Auza, a déclaré : « La course aux armements nucléaires a été relancée et les innovations technologiques risquent de rendre la surveillance internationale extrêmement difficile … Le Saint-Siège est fermement convaincu que ces traités sont des éléments essentiels de l’architecture du désarmement nucléaire et qu’ils se complètent pour réaliser un monde sans armes nucléaires »[2]. Le 26 septembre 2019, la conférence épiscopale canadienne adoptait des positions analogues[3]. De même les commissions Justice et Paix japonaise, allemande et espagnole[4]. Aucun traité n’est parfait, mais une architecture d’ensemble se dessine.

Les nombreux appels de l’Église du Japon

L’Église catholique japonaise est minoritaire (0,36% de la population ; 450.000 japonais et 500.000 expatriés), mais très présente à la société : 24 hôpitaux, 500 jardins d’enfants, 19 universités. Dans le discours épiscopal japonais, le nucléaire civil et militaire sont facilement connectés (ainsi les messages « pour l’abolition de l’énergie nucléaire » du 8 novembre 2011 et du 11 novembre 2016). On y rappelle des événements douloureux :

(1) l’explosion des bombes nucléaires à Hiroshima et Nagasaki (6 et 9 août 1945)

(2) l’irradiation d’équipages de pêcheurs japonais au large des îles Bikini, lors d’essais US de la bombe H en 1954

(3) l’incident et l’accident nucléaires de la centrale de Tokaimura (Donen, 11 mars 1997 et 30 septembre 1999)

 

4) la catastrophe de la centrale de Fukushima Daiichi (11 mars 2011)

Notant qu’il « est rare qu’une conférence épiscopale d’un pays adresse un message à l’ensemble de la population mondiale », la conférence japonaise « juge que le Japon, qui a vécu de telles expériences, a plus spécialement la responsabilité de se solidariser avec les victimes du nucléaire de toutes les régions du globe, de prendre la responsabilité d’en appeler, en tant que seul pays à avoir été irradié, à une abolition totale des armes nucléaires et d’inviter le monde à une solution à toutes les questions touchant le nucléaire » (11 novembre 2016).

Les orientations de 2011, suite à Fukushima, croisant celles, postérieures, de l’encyclique Laudato Si’ (mai 2015) – mais aussi la réaction à certaines décisions du gouvernement japonais[1] – poussent l’Église du Japon à s’adresser à toutes les Églises catholiques, leur demandant « coopération et solidarité » et de « débattre du point de vue de l’évangile les enjeux en cause », à l’instar de l’Église de Corée en 2013. Conscients que « les dégâts environnementaux causés par les radiations se propagent, dépassant frontières et différences entre générations … nous voulons poser les fondements d’une solidarité à l’échelle du globe qui dépasse les religions, les ethnies et les États ».

Quels sont les enjeux ? « Approfondir notre communion au Dieu trinitaire, créateur de l’univers, vivre une réconciliation intérieure avec les créatures, nous associer à l’œuvre créatrice et contribuer à sa perfection » ; le « faux mythe de la sécurité  : la confiance exagérée à la science technologique » et le risque de cible terroriste ; le devenir des déchets nucléaires ; le détournement du nucléaire à des fins militaires ; la priorisation des énergies naturelles ; la décontamination des centrales nucléaires ; la recherche d’une « décente pauvreté » (un style de vie simple et sobre). Religions et culture japonaises ont une tradition de sagesse envers la nature. « Nous devons refuser de nous concentrer uniquement sur la croissance économique … le profit et l’efficacité ».

Déjà…

En janvier 1970, la Commission Justice et Paix s’interrogeait sur la place du Japon en Asie, alors que dure « l’interminable tragédie du Vietnam », et que le Japon va recouvrir les îles Ryū Kyū[2] : Si « l’Église admet que chaque État a le droit et le devoir de se défendre … notre pays devrait s’abstenir absolument de se procurer un armement nucléaire et éviter de se doter d’un armement lourd conventionnel … éviter à tout prix un patriotisme exacerbé … que nos efforts ne donne pas lieu à une attitude apparentée au néo-colonialisme [… mais aboutissent] à un développement asiatique intégré ».

Les 25-26 février 1981 au Japon, Jean-Paul II, dit aux jeunes : « Le programme de la paix dans le monde s’exprime dans la formule : ‘Jamais plus Hiroshima dans le monde … plus jamais Oswiecim (= Auschwitz)’ … réfléchissez sur tous les programmes d’action en faveur de la paix … [avec] toutes les religions ». À Hiroshima, le Pape indique : « Hiroshima et Nagasaki [sont les] seules villes au monde … [qui soient] un signe rappelant que l’homme est capable de destructions incroyables … Promettons à nos frères humains de travailler sans nous lasser au désarmement et à la condamnation de toutes les armes atomiques. Remplaçons la domination et la haine par la confiance mutuelle et la solidarité ». Suite à cette visite de Jean-Paul II, l’Église du Japon institue une période annuelle de Dix jours pour la Paix, du 6 août (Hiroshima) au 15 août (fin de la 2e guerre mondiale), pour apprendre, prier pour la paix, et agir.

La Conférence japonaise crie : « Quand on songe que la fabrication de toutes les armes a toujours été suivie de leur utilisation, tout type d’arme nucléaire nous plonge dans la plus profonde angoisse … La race humaine a la responsabilité d’interdire totalement toutes les armes nucléaires et créer un monde pacifique. Le moment n’est-il pas venu pour nous de lancer notre cri pour la paix, afin qu’il atteigne tous les recoins de la terre et imprègne profondément à la fois l’Est et l’Ouest ? » (25 février 1982).

Le 25 février 1995, Jean-Paul II déclare aux évêques japonais : « Cinquante ans après la IIe guerre mondiale, les responsables des nations ne peuvent pas se satisfaire de l’état actuel : ils devraient plutôt renouveler leur engagement au désarmement et à la suppression de toute arme nucléaire. Il est urgent … que la communauté internationale conçoive un système de négociation réalisable, voire d’arbitrage, sur la base du respect universel de la vie humaine et de la dignité et des droits de tout être humain. »

En 1995, Mgr Hisao Yasuda (Osaka), 50 ans après la guerre du Pacifique, déclarait : « En 1986, lors de l’Assemblée générale de la Fédérations des Conférences épiscopales d’Asie, à Tokyo, nous avons clairement signifié notre propre responsabilité concernant la guerre et fait amende honorable … la réalité de la collaboration de l’Église à la politique de guerre ne peut être niée … Je vous invite à vous engager … à la face du monde … à défendre le serment de non-belligérance et de non-recours aux armes contenus dans la Constitution du Japon[1] … toute guerre est destructrice du caractère sacré de l’homme. » La Conférence épiscopale écrivait : « Les armes nucléaires sont inhumaines et mauvaises … Nous implorons : 1. Tous les pays qui possèdent un arsenal nucléaire d’arrêter leurs essais et de supprimer leurs armes nucléaires ; 2. Tous les pays, d’arrêter de développer les armements, et d’acheter et de vendre des armes ; 3. Tous les pays de réduire les armements, quels qu’ils soient … Nous, la Conférence épiscopale catholique du Japon, prions les Conférences épiscopales de chaque pays : 1. de montrer qu’elles sont d’accord avec notre appel, 2. de prier pour qu’il soit entendu ; 3. d’échanger leurs opinions et leurs idées avec nous, dans le but d’atteindre ces objectifs ».

Suite aux essais atomiques de mai (Inde et Pakistan), le 9 juin 1998, la Conférence du Japon envoie une déclaration aux gouvernants du Japon, de l’Inde, du Pakistan, de Chine, et à toutes les Conférences épiscopales du monde : « Durant le mois de mai, le vent de la prolifération nucléaire a soufflé sur l’Asie du Sud … l’Église japonaise … éprouve le devoir d’appeler les peuples du monde entier à supprimer d’abord les armes nucléaires et ensuite toutes les autres. L’arme nucléaire est inhumaine et constitue un fléau qu’aucune circonstance ne peut autoriser. Que les EDAN, membres du Conseil de sécurité des Nations-Unies … [aient] le courage d’abandonner le droit qu’elles s’arrogent de détenir cet armement … Pour la signature d’un traité d’élimination inconditionnelle de l’arme nucléaire, nous leur demandons d’agir immédiatement. Nous sommes convaincus qu’un tel traité est le vrai et plus court chemin vers la paix mondiale. »

Archevêque de Nagasaki (2003), Mgr Takami, président de la conférence japonaise, est un survivant in utero de la bombe de Nagasaki. Des membres de sa famille sont tués ou victimes d’effets secondaires. En 2010, Benoît XVI a béni la statue de la Vierge « atomisée » de Nagasaki, amenée par Mgr Takami qui déclara : « la simple possession d’armes nucléaires est un péché » (Le Devoir, 9 août 2010). Mgr Maeda, prêtre de Nagasaki, évêque d’Hiroshima, puis archevêque d’Osaka, est cardinal depuis le 28 juin 2018. Sa mère a souffert du bombardement de Nagasaki. Il s’est publiquement engagé pour la dénucléarisation du Japon et contre les armes nucléaires. En août 2019, la ville d’Hiroshima a invité le Japon à signer le TIAN.

Armes nucléaires : où en est-on, au moment où le Pape se rend à Nagasaki ?