Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.

Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.

Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.

Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.

On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.

Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.

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Le colloque sur l’Amazonie est l’occasion pour les chrétiens de se pencher sur l’un des poumons de la terre. Sans oublier sa dimension également spirituelle. La monnaie virtuelle Libra, suite 2/2

Le citoyen européen serait-il en train de naître ? Légalement reconnu depuis le traité de Maastricht (1992), il a politiquement affirmé son existence aux dernières élections européennes par une participation en nette hausse.

A près de 51%, celle-ci a gagné huit points par rapport aux précédents scrutins de 2014 et 2009, devenant la plus élevée depuis 25 ans. Pour le 40e anniversaire de son élection au suffrage universel direct, le Parlement européen ne pouvait recevoir meilleur cadeau-surprise qu’une prime de légitimité par cette mobilisation des électeurs. La participation a augmenté dans 20 des 28 pays composant l’Union européenne (UE).

Les raisons d’une participation en nette hausse

C’est la bonne nouvelle, rafraîchissante, de ce scrutin, une surprise que ni les sondages, ni une campagne terne, ne laissaient présager. Il reste une part de mystère à ce vif regain, que des études devront percer. La concomitance avec la tenue d’autres élections nationales ou locales ne saurait servir d’explication. Pour preuve, la participation a bondi en France, au point de dépasser celle aux législatives de 2017, alors qu’aucune autre consultation ne s’y déroulait le même jour. Idem en Pologne. A contrario, la participation n’a pas augmenté en Italie, en Irlande ou à Malte, qui organisaient d’autres votes en même temps.

C’est donc bien le citoyen européen qui s’est déplacé. Deux raisons ont pu l’inciter à voter. D’une part, le scrutin 2019 s’est tenu dans un contexte, à la fois pesant et diffus, de montée des nationalismes, d’affirmation de régimes forts et, plus largement, d’un basculement vers un monde jugé plus incertain et menaçant, où l’UE apparaît comme une assurance anti-chaos, une bouée de sauvetage démocratique. D’autre part, les défis mondiaux que représentent le réchauffement climatique, les migrations et le terrorisme, pour ne citer que ceux-là, appellent une réponse, où l’échelon européen trouve une pertinence presque incontestée. L’électeur s’est peut-être rendu aux urnes avec cette double prise de conscience en tête. Il n’est pas venu en fredonnant l’hymne à la joie d’être Européen mais avec la peur de risquer de ne plus l’être.

Cette meilleure participation, qui ne doit pas faire oublier la face cachée de l’abstention (49%), ne signifie donc en rien un blanc-seing donné à l’UE mais exprime des attentes et des critiques à son égard. Les partis qui s’en sont le plus clairement fait l’écho, parfois radicalement, ont recueilli le plus de suffrages. Ceux-ci se sont portés, de fait, vers les formations se positionnant sur un thème-clé, comme les Verts sur le climat, RN ou la Legua de Salvini sur les migrants, le parti de Nigel Farage sur le Brexit ou la liste Renaissance sur l’Europe. A l’inverse, l’ambiguïté cultivée à l’égard du projet européen a nui, comme pour LR en France.

La fin d’un duopole traditionnel

La droite française et ses homologues en Italie, en Espagne et, dans une moindre mesure en Allemagne, ont perdu beaucoup de sièges. Scrutin proportionnel aidant, c’est un Parlement plus éclaté qui va prendre ses quartiers à Strasbourg le 2 juillet pour sa session inaugurale. Résultat historique de ces élections, les chrétiens-démocrates (Parti populaire européen – PPE) et les sociaux-démocrates (SD) y ont perdu leur hégémonie traditionnelle : ils détenaient jusqu’alors, à eux deux, la majorité absolue. Avec respectivement 182 et 153 sièges, ils doivent composer avec les forces montantes sorties des urnes : les libéraux-centristes (108 sièges) et les Verts (75 sièges). Ces quatre forces pro-européennes forment la nouvelle majorité composite de ce Parlement, à la place du duopole traditionnel.

Le jeu âpre et ouvert des nominations

La diminution des écarts entre ces quatre groupes et leurs dynamiques politiques respectives – ascendantes pour les écologistes et les centristes, déclinantes pour les sociaux-démocrates et les chrétiens-démocrates – fait qu’aucun d’entre eux ne peut aiguiller l’UE. Cette situation plus fragmentée, où aucun vainqueur ne s’impose, empêche la logique des Spitzenkandidaten (têtes de listes des groupes politiques) de prévaloir comme en 2014 lorsque Jean-Claude Juncker fut choisi à la tête de la Commission européenne. Ceci rend la négociation pour les nominations aux grands postes européens d’autant plus âpre et ouverte.

Les 28 chefs d’État et de gouvernement de l’UE, formant le Conseil européen, l’ont bien compris lors de leur sommet des 20-21 juin derniers. Tuant le processus des Spitzen, ils s’en tiennent dans leur choix à ce que légalement le traité européen les oblige, sans autre précision : tenir compte des résultats des élections.

Mais les nominations aux fonctions dirigeantes de l’Union – présidents de la Commission, du Conseil européen et du Parlement européen, ‘ministre des affaires étrangères’ et président de la Banque centrale européenne – obligent à prendre en compte d’autres paramètres que ces élections. Les équilibres hommes-femmes, Est-Ouest, Nord-Sud, et entre grands et petits pays, s’ajoutent aux logiques partisanes et aux exigences de compétence et d’expérience attendues à de tels postes.

Programme de coalition

Le Parlement européen reste au cœur du processus. Il élit bien sûr son président mais il devra aussi élire celui désigné pour la Commission par les chefs d’État et de gouvernement, à la majorité absolue. Il auditionnera ensuite chacun des futurs commissaires européens, quitte à en refuser, avant d’investir l’ensemble de la nouvelle Commission par un vote de confiance.

Autant d’occasions pour les députés européens d’imposer leurs vues. A défaut d’avoir un président de la Commission issu de leurs rangs, ce dernier devra respecter un programme de coalition que les quatre groupes politiques pro-européens rédigent pour la législature. Avec « l’agenda stratégique » que les chefs d’État et de gouvernement ont adopté, de leur côté, le futur président de la Commission aura un programme de travail aux priorités sérieusement encadrées. Le climat, le modèle social, l’État de droit et la sécurité devraient en structurer les grandes thématiques comme autant de biens communs européens à protéger.

Exigence verte et dynamique libérale

Dans cette coalition à quatre, les Verts ne manqueront pas de se faire entendre, forts de leur indéniable percée aux élections, concentrée toutefois pour l’essentiel en Europe du Nord-Ouest (Allemagne, France, Autriche, Finlande, Belgique francophone, Irlande, Luxembourg, Pays-Bas). Leur élan s’appuie sur un électorat jeune. Ainsi en Allemagne, 34 % des 18-24 ans ont voté pour des candidats écologistes, contre 11 % pour la CDU et 8 % pour le SPD. En France, cette tranche d’âge s’est aussi portée en premier lieu sur les Verts, qui avaient déjà réalisé un haut score aux européennes de 2009.

Au sein du Parlement européen, les Verts devraient former un groupe efficace, organisé donc influent et pourraient être un partenaire difficile par exemple pour augmenter les fonds dédiés à la défense dans le futur budget européen.

Leur essor ne doit pas masquer celui des libéraux-centristes, moins médiatiquement commenté mais remarquable. Leur groupe, renommé Renew Europe, bénéficie avant tout du succès de LREM en France et des « Lib-Dems » au Royaume-Uni mais aussi d’apports du Danemark, du Benelux, ainsi que de l’Est, de Slovaquie, de République tchèque et de Roumanie. Globalement, ces votes libéraux et écologistes témoignent de nouvelles attentes politiques des citoyens envers l’Europe, auxquelles la prochaine législature devra savoir faire écho.

Victoires éparses et divisions à l’extrême-droite

La nouvelle majorité composite du Parlement européen ne doit pas non plus faire oublier les nationalistes et autres forces hostiles à l’Union, dans l’hémicycle européen. Le raz-de-marée nationaliste redouté n’a pas eu lieu mais s’enorgueillit de victoires notables dans trois grands pays. Outre-Manche, le succès du Brexit Party de Nigel Farage en fait le plus grand pourvoyeur d’élus au Parlement européen, avec 29 sièges. Autre importante victoire, celle de Matteo Salvini en Italie (34,3% des suffrages), la plus nombreuse délégation (28 élus). En France, le RN est arrivé à nouveau en tête (23,3% des voix), bien que perdant un siège par rapport à 2014.

Ces trois victoires ne suffiront pas à peser dans le jeu parlementaire européen. Nigel Farage refuse toute alliance avec Le Pen et Salvini, lesquels n’ont pas réussi à élargir leur groupe renommé « Identité et Démocratie ». Ils seront donc sans influence sur la législature. D’autant qu’ailleurs les résultats des nationalistes ont été mitigés, comme ceux de l’AfD en Allemagne. Plus largement, à travers l’Europe, ces élections marquent même une défaite pour diverses formations d’extrême-droite. Jobbik s’effondre en Hongrie tout comme Ataka en Bulgarie (1%). Faibles scores aussi du parti néonazi Aube dorée en Grèce, de Vox en Espagne, d’Ekre en Estonie, du parti de Geert Wilders aux Pays-Bas ou de l’extrême-droite tchèque. Chez les souverainistes, le Parti du peuple danois sort grand perdant tandis que les Démocrates de Suède n’arrivent que troisième.

A l’autre bout du spectre, la gauche radicale marque aussi le pas, avec des scores très timides en France (LFI), en Allemagne (Die Linke) ou en Espagne (Podemos). En Italie, l’inclassable Mouvement Cinq Etoiles est en net recul par rapport aux législatives de l’an dernier.

Bien que contenue par rapport aux pronostics, la vague de votes populistes n’est pas pour autant en reflux. Géographiquement marquée sur des territoires à la peine, elle appelle une vigilance continue des institutions européennes et une réponse globale aux diverses inquiétudes qu’elle exprime.

Le Brexit et après

Le Brexit résulte d’ailleurs en partie de telles inquiétudes instrumentalisées outre-Manche, restées sans réponse. Ce dossier se rappellera vite au nouveau législateur européen, qui, si l’échéance du 31 octobre est respectée, devra ratifier auparavant l’accord de retrait du Royaume-Uni. Un départ britannique modifiera les rapports de force entre groupes politiques, déjà bouleversés par le scrutin européen. Les élus « macroniens » devront alors compter sans les « Lib-Dems » et les sociaux-démocrates, sans les travaillistes. Le PPE, en revanche, se retrouvera proportionnellement en meilleure position.

Au-delà de ces logiques partisanes, c’est d’abord vers le citoyen européen que les groupes politiques du Parlement européen devront savoir se tourner. La participation électorale en hausse appelle des initiatives pour la prolonger tout au long de la législature, de surcroît avec une démocratie représentative en crise dans plusieurs pays. Comme le résume Enrico Letta, Président de l’Institut Jacques Delors, « les électeurs ont donné une chance à l’Europe ». Aux nouveaux élus et dirigeants européens d’y répondre, au-delà de leurs divergences partisanes, et avec les citoyens.

 

Facebook vient de publier le Livre Blanc présentant son projet de monnaie privée mondialisée, la libra : neuf pages de belles phrases pour alimenter les médias et leur épargner d’aborder les sous-jacents politiques, éthiques et sociaux de l’aventure.

Nous entrons dans une période où les géants du numérique se sentent en capacité de révolutionner notre quotidien en simplifiant nos échanges monétaires habituels. Les institutions, à commencer par l’État, paniquent. « Les règles des banques centrales seront applicables » déclare le gouverneur de la Banque de France. Notre Président demande au G20 de créer une task-force internationale. Faut-il décapiter l’hydre avant qu’elle ne soit lâchée dans la nature ?

Pourtant la révolution est en marche : les banques en ligne prospèrent, tandis que leurs ancêtres ferment leurs guichets. Des « applis » permettent aux migrants d’envoyer, à moindre frais, de l’argent à leur famille. Les réseaux sociaux chinois offrent déjà des services de paiement.  Bercy prépare les esprits à une économie sans billets de banque, à une monnaie accessible par clics et à l’enregistrement par le fisc des transactions réalisées…

La blockchain

 

Cette révolution repose sur la technologie blockchain jugée subversive car en open source et non réglementée. Il s’agit simplement d’un pipeline numérique au sein duquel les cryptomonnaies et les autres actifs cryptographiques sont échangés. Cette technologie est dite décentralisée, car les transactions y sont traitées et vérifiées par un essaim d’ordinateurs indépendants, plutôt que par un centre unique tel qu’une banque centrale. Cette décentralisation rend le système moins vulnérable aux actes de piratages ou aux tentatives de blocage, mais elle requiert du temps : la blockchain du bitcoin, par exemple, ne peut traiter que 5 transactions par seconde, quand le réseau Visa fait 300 fois mieux.

Grâce à son initiateur, le bitcoin, la blockchain a prouvé l’inaltérabilité des données échangées entre deux personnes. Nul besoin de tierces interventions d’authentification (témoin, notaire) et de conservation (banque) ; d’où un coût d’échange quasi nul et une échappatoire aux contraintes réglementaires.  Contrairement aux idées reçues, même dans la version la plus pure de la blockchain, émetteur, récepteur et données sont identifiables. Dire que les « cryptos » sont les « monnaies des truands » évite aux États d’avouer qu’ils n’ont pas une police et des organes de contrôle compétents en informatique de pointe.

Le bitcoin a fait son nid sans coûter grand-chose à la société. Ces cinq dernières années, sont nées quelques centaines de cryptomonnaies, d’aucunes se prétendant plus aisées à manipuler grâce à quelques entorses au protocole de la blockchain.

La libra

La libra en serait une des plus abouties : par des techniques heuristiques non dévoilées, elle aurait réussi à augmenter d’un facteur impressionnant (non déclaré) le nombre de transactions par seconde. Augmenter la vitesse tout en gardant la sécurité décentralisée de la blockchain originale est un prérequis pour servir un marché potentiel de deux milliards d’utilisateurs captifs, car déjà « accros » à Facebook. Cela suppose une prouesse de logique. En attendant, des experts en cryptographie décrivent la libra comme un projet présenté de manière trompeuse tant sur le plan technique (pas de décentralisation de la blockchain avant au moins cinq ans) qu’éthique (le revenu des nœuds – les centres de contrôle du trafic internet – revient aux associés qui auront mis à disposition du projet leurs propres infrastructures).

Parrainages

L’arrivée en fanfare de Facebook dans le monde feutré de la monnaie est parrainée par un orchestre de 27 membres fondateurs, dit « groupe de travail », composé d’acteurs majeurs de la Fintech, « chargés de guider l’évolution de l’écosystème » ; parmi les membres de l’association Calibra basée à Genève, on trouve : (i) des spécialistes de la blockchain ; (ii) des opérateurs télécom (Vodafone, Free) ; (iii) des réseaux de paiement (Visa, Master Card, PayPal, etc.) ; (iv) des services de vente en ligne (Uber, Booking, eBay, etc.) ; (v) des sociétés d’investissement et de capital risque de premier ordre ; et même (vi) des ONG (Creative Destruction Lab, Kiva microcrédit, Mercy Corps et Women’s World Banking).

Le principal opérateur décideur et financeur reste Facebook. Il transpose sur le terrain monétaire son modèle de publicité : le service est gratuit pour les utilisateurs mais les informations glanées grâce à l’analyse des achats – les profils des consommateurs – seront vendues tandis que les produits ou services achetables en libra génèreront des transactions peu onéreuses pour les acheteurs comme pour les vendeurs. Le lancement de la libra est une affaire de communication à l’échelle mondiale pour convaincre d’effectuer les opérations facilement sur cette « market place » globale qui « snobe » les institutions traditionnelles de la finance.

 Le prochain article abordera les interrogations que suscite la libra : sa gouvernance privée, sa régulation par les autorités monétaires, la sécurité des ordres de paiement, la stabilité de sa valeur, etc.  Qui sont les gagnants et perdants potentiels de cette vaste entreprise de « destruction créatrice » ?

Cet article doit beaucoup à Jérôme Rouer, informaticien et auditeur, expert spécialisé en sécurité informatique.