Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.

Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.

Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.

Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.

On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.

Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.

Télécharger la Lettre n°304 septembre 2024  (PDF)   

Les 25 et 26 mars 2019, des membres des Conférences épiscopales suisse, allemande et française ont échangé sur la thématique du Bien commun européen : « Pourquoi l’Europe n’inspire-t-elle plus ses citoyens ? ».

 

« L’écologie tire la sonnette d’alarme d’un système économique et de modes de vie qui épuisent la planète. Quelles pistes pour redéfinir le progrès et redessiner le système économique, de façon à faire émerger un bien commun européen qui réponde aux besoins de ses citoyens ? Quels leviers pour intéresser les acteurs économiques au bien commun européen ? Comment l’Europe peut-elle défendre une certaine vision du bien commun et de la dignité humaine dans un monde que les grandes puissances veulent dominer avec de plus en plus d’agression ? Quels lieux pour débattre du bien commun européen ? Quelle éducation au respect du bien commun ? Comment regagner la confiance des citoyens ? »

 Entre une approche géopolitique (de T. Gomart) et socio-économique (de M. Aglietta), une approche écologique a été développée par Elena Lasida, dont voici en substance, le propos. 

La crise écologique donne une opportunité pour retrouver le droit de rêver. Car cette crise montre combien le modèle économique et social, autour duquel se sont construites nos sociétés, n’est pas viable. Il y a une opportunité historique pour penser un « nouveau possible ».

Parfois, face à la crise écologique, on se contente d’inviter à la « modération » : faire une utilisation plus raisonnable et plus respectueuse des ressources naturelles. Ceci revient à rester dans le même modèle, avec un comportement plus tempéré, moins prédateur. S’en satisfaire serait rater cette opportunité historique. Nous avons la possibilité de changer : le pape François nous y invite dans l’encyclique Laudato Si’ : changer de paradigme, faire une révolution culturelle, redéfinir le progrès.

Le défi est énorme. Pour y répondre, il nous faut avant tout récupérer la capacité de rêver : moins trouver des solutions pour « réparer » que construire un nouvel imaginaire de vie bonne, de « bien commun », qui puisse nous servir d’horizon pour inventer de nouvelles manières de vivre ensemble. Le Pape a invité l’Europe à rêver quand il a reçu le Prix Charlemagne : le rêve fou des Pères fondateurs n’a-t-il pas donné naissance à l’Europe ?

« Ils ont su chercher des routes alternatives, novatrices, dans un contexte marqué par les blessures de la guerre. Ils ont eu l’audace non seulement de rêver l’idée d’Europe, mais ils ont osé transformer radicalement les modèles qui ne provoquaient que violence et destruction ».

 Rêvons, tant pour l’Europe que pour la planète entière. Le Pape donne quelques pistes pour nous aider à construire un nouvel imaginaire de vie bonne, pour redonner du sens à l’objectif de « bien commun ». C’est l’apport majeur de Laudato Si’. Cette encyclique a été saluée autant, et peut-être même plus, par les non-catholiques que par les catholiques. Autour de l’idée d’écologie intégrale, elle présente l’écologie comme une clé pour construire ce nouvel imaginaire.

Voici ce qui constitue pour moi les trois principes fondateurs de l’encyclique, à partir desquels je vais dégager trois indices pour imaginer autrement la vie bonne et le bien commun, et que je vais mettre en résonance avec les trois défis pour l’Europe proposés par le pape François dans son discours du Prix Charlemagne :

« Une Europe capable de donner naissance à un nouvel humanisme fondé sur trois capacités : capacité d’intégrer, capacité de dialoguer et capacité de générer »

 

  1. Tout est lié

 Le principe : relier l’environnement et l’humain, la clameur de la terre et celle des pauvres, relier toutes les dimensions de la vie (individuelle et collective, locale et internationale, économique et sociale, matérielle et spirituelle) et passer de la spécialisation à la symbiotique, de la séparation à l’interdépendance. C’est en ce sens que l’écologie intégrale est définie dans l’encyclique qui articule quatre relations : relation à Dieu, aux autres, à soi, à la nature.

 Représentation du bien commun : très souvent le bien commun est associé aux biens nécessaires pour vivre dignement. Le principe « tout est lié » déplace cette conception du bien commun pour le penser en termes de « relation » plutôt que d’« accès aux biens ». Ceci nous permet de revenir à une anthropologie relationnelle, qui considère l’être humain comme être de relation plutôt que réservoir de besoins à satisfaire. Le bien commun deviendrait « bien de communion » (Gaston Fessard) : le commun serait défini par ce qui relie les vivants, plutôt que par les biens qui doivent être accessibles à tous.

 Les défis pour l’Europe : la capacité d’intégrer. Faire de l’Europe une « maison commune », capable de faire de l’interculturel, une « synthèse toujours neuve des cultures les plus diverses ». Un aspect particulier de cette intégration à opérer consiste à articuler projet écologique et projet social.

  • Les trois priorités définies par l’Europe dans son Programme d’Action pour l’Environnement (PAE) – protéger le capital naturel, réduire l’émission de carbone et protéger la santé humaine – ne disent pas suffisamment le lien avec la dimension sociétale.
  • Les discours officiels ne font pas le lien entre question écologique et question sociale.
  • Lier écologie et social, une opportunité pour refonder et redynamiser le projet sociétal de l’Europe.

 

  1. Tout est donné

 Le principe : la gratuité. Il s’agit de se rappeler, avant tout, que la Création ne nous appartient pas (elle nous a été donnée), de faire place à la gratuité et à la gratitude, y compris au sein même des relations marchandes (cf. Caritas in veritate). La gratuité est une autre forme de réciprocité, non pas celle d’un échange équivalent (je donne et je reçois des choses qui ont la même valeur), mais celle qui construit une appartenance commune.

 

Représentation du bien commun. Le bien commun ne serait pas à concevoir en termes d’accès, et donc de propriété, des biens nécessaires pour vivre bien, mais en termes de « capabilité » (Amartya Sen), c’est-à-dire de capacité d’être et devenir (plutôt que de posséder). C’est la relation aux biens et leur gestion collective, plutôt que leur appropriation, qu’il faut interroger. Le bien commun pensé en termes de gratuité plutôt que de propriété suppose de déplacer l’accent de la redistribution vers la gestion collective et participative des biens communs.

 

Les défis pour l’Europe : la capacité de dialogue, comprise comme capacité à se laisser déplacer par l’autre. La gratuité rend possible le dialogue. Quand on se situe comme propriétaire face aux autres, le « commun » prend la forme de compromis (je te donne à condition que tu me donnes) et devient distribution équitable des biens. Quand on se situe comme bénéficiaires d’un cadeau collectivement reçu, le commun peut devenir dialogue et faire place à la co-production et à la coresponsabilité. C’est passer du contrat à l’alliance.

 

Une application concrète : revisiter l’idée d’économie sociale de marché, une notion fondatrice de la construction européenne (Traité de Lisbonne), sur laquelle les évêques de la COMECE avaient fait une belle déclaration en 2011, interrogeant l’idée d’économie sociale de marché « hautement compétitive ». Laudato Si’ donne des éléments pour revisiter la notion et la mobiliser en vue, non pas d’une modération de la compétition, mais de la construction d’un nouveau paradigme. La notion invite à associer marché et gratuité et peut se mettre en résonance avec des modèles économiques en émergence comme l’économie de fonctionnalité ou l’économie circulaire.

 

  1. Tout est fragile 

Le principe : créer plutôt que réparer. Considérer la fragilité actuelle de la terre comme promesse d’un nouveau possible plutôt qu’un dysfonctionnement à résoudre. La Création est « en douleurs d’enfantement » : il faut se préparer à accueillir l’inattendu plutôt que chercher à protéger nos acquis.

 

Représentation du bien commun : le penser comme capacité de création plutôt que de fabrication. Créer c’est permettre l’émergence du radicalement nouveau (Hannah Arendt) et retrouver le lien avec l’origine qui nous soutient et qui nous rend créateurs d’une Création continuée (St Thomas d’Aquin). Il s’agit de passer de la logique de la maîtrise à celle de la créativité. Le bien commun est ainsi envisagé comme bien à venir : « les nuits sont enceintes et nul ne connaît le jour qui viendra » (proverbe turc rappelé par Edgard Morin).

 

Les défis pour l’Europe : la capacité de générer 

 

  • « La créativité, le génie, la capacité de se relever et de sortir de ses propres limites caractérisent l’âme de l’Europe »

 

  • « Que t’est-il arrivé Europe humaniste, paladin des droits de l’homme, de la démocratie et de la liberté ? Que t’est-il arrivé, Europe terre de poètes, de philosophes, d’artistes, de musiciens, d’hommes de lettres ? Que t’est-il arrivé, Europe, mère de peuples et des nations, mère de grands hommes et de grandes femmes qui ont su donner leur vie pour la dignité de leurs frères ? »

Il s’agit de passer de la protection à l’audace, celle des Pères fondateurs, de passer de la sécurité à l’engendrement. Ainsi, l’audace plus récente, mais d’une créativité unique, celle de l’union monétaire :

  • Jean Claude Juncker : «Helmut Kohl et Jacques Delors m’ont appris que l’Europe n’avance que quand elle fait preuve d’audace. Avant de devenir réalité, le marché unique, l’espace Schengen et la monnaie unique étaient considérés comme de simples vues d’esprit. Pourtant, ces trois projets ambitieux sont la réalité d’aujourd’hui » (septembre 2017).

 

  • Jean Claude Juncker : «D’ici l’année prochaine, nous aurons aussi à développer davantage le rôle international de l’euro. Après seulement vingt années d’existence – et en dépit des voix déclinistes qui nous ont accompagnés sur ce trajet – l’euro a déjà un riche parcours derrière lui. L’euro est devenu la deuxième monnaie la plus utilisée au monde. Soixante pays lient d’une manière ou d’une autre leur propre monnaie à l’euro. Mais nous devons faire plus pour permettre à notre monnaie unique de jouer pleinement son rôle sur la scène internationale (…) L’euro doit devenir l’instrument actif de la nouvelle souveraineté européenne » (septembre 2018).

 

  • Comment retrouver cette audace créatrice ? Comment relier l’union monétaire à la construction du bien commun ?

L’écologie est aujourd’hui une opportunité pour construire un nouvel imaginaire de vie bonne et de bien commun. L’Europe, forte de sa capacité à intégrer, à dialoguer et à générer, qui l’a caractérisée dans le passé, pourrait faire preuve à nouveau d’audace et montrer que faire du monde une « maison commune » est un rêve réalisable.

Les relations entre l’Union européenne (UE) et le groupe des 79 pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) sont marquées par d’étroits liens historiques, économiques et sociaux.

Depuis 1975, avec la première Convention de Lomé, ces relations ont été structurées autour de trois principaux piliers stratégiques : commerce, développement et coopération politique. L’accord de partenariat UE-ACP signé en 2000 à Cotonou (Bénin) arrive à échéance en février 2020. Suite à l’adoption des mandats de négociations respectifs, les deux parties se sont engagées depuis septembre 2018 dans un processus d’élaboration d’un Cadre post-Cotonou pour renouveler ce partenariat.

Des priorités stratégiques communes ?

 Les deux parties semblent partager les préoccupations concernant de nombreux problèmes tels que la paix, le climat, la bonne gouvernance ou le commerce et le développement économique. Néanmoins, les premières séries de négociations sur le futur cadre de coopération ont révélé des nuances dans l’accentuation de certaines priorités : l’UE préconise de mettre davantage l’accent sur les migrations et la sécurité aux frontières dans l’accord à venir, les pays de l’ACP considèrent comme objectif clé l’éradication de la pauvreté via un partenariat politique et économique renforcé, conformément au Programme de développement durable à l’horizon 2030.

Vers un partenariat juste, responsable et centré sur la personne

L’UE, avec ses États membres, a longtemps été le plus grand pourvoyeur d’aide au développement dans le monde. Cependant, les relations donneur-receveur n’ont pas toujours été concluantes. De plus, si on comprend le développement durable de manière intégrale, centrée sur la personne, non limité à la croissance économique, mais impliquant aussi une dimension sociale, environnementale et de gouvernance, il est clair que les ressources publiques seules ne suffiront pas à couvrir tous les besoins les plus critiques en matière de développement.

Depuis peu, l’approche stratégique de l’UE semble avoir évolué vers des formes plus réciproques de coopération. Une implication accrue du secteur privé et le soutien d’investissements tournés vers le développement donnent un nouvel horizon aux relations UE-ACP. Les parties ont déclaré que la création de nouvelles opportunités en matière de commerce et d’investissement offrant des perspectives d’emploi décent deviendra un pilier important de leur nouveau partenariat.

Donner la priorité à une coopération économique juste et mutuellement profitable est encourageant, si son objectif final est de servir les citoyens. Ancrée dans la Doctrine sociale de l’Église, la dignité de la personne humaine et l’orientation vers le bien commun exigent que le commerce et les investissements privés du futur accord donnent une perspective durable, en particulier aux jeunes et aux familles, en leur permettant de réaliser pleinement leurs aspirations et leurs talents dans leurs communautés locales. Il faut donc donner la priorité à de tels investissements qui, outre le rendement financier, génèrent un impact social et environnemental positif. Il convient donc d’encourager une transition depuis des pratiques prédatrices vers des processus économiques inclusifs et productifs, permettant un accès équitable aux ressources et aux profits.

Un autre paramètre important d’un partenariat centré sur la personne est celui de la participation effective. En ce sens, il convient de veiller à ce que non seulement les grandes entreprises multinationales mais tous les acteurs concernés, y compris les plus vulnérables, souvent des petits agriculteurs, des jeunes ou des femmes, aient un accès effectif aux processus économiques et aux possibilités d’emploi découlant de la nouvelle convention. Ceci est étroitement lié à l’importance de renforcer les capacités locales grâce à l’éducation et à la formation, en utilisant les nouvelles technologies et en favorisant l’autonomisation socio-économique et politique des populations.

Un partenariat doit également garantir la mise en place des conditions structurelles nécessaires à des processus économiques justes. Cela passe par des politiques fiscales équitables, transparentes et efficaces, des efforts en faveur de l’État de droit et de la bonne gouvernance, ainsi que par la lutte contre les flux financiers illicites et contre la corruption. Par ailleurs, le cadre post-Cotonou devrait prévoir des mécanismes garantissant la responsabilité de tous les acteurs – publics et privés – eu égard à leur conformité avec les normes juridiques, sociales et environnementales.

Conformément à l’Objectif de Développement Durable 17, on espère que la coopération UE-ACP renouvelée sera basée sur un partenariat multipartite, impliquant effectivement tous les acteurs clés du développement durable dans les processus de consultation, de prise de décision et de mise en œuvre. Celles-ci devraient comprendre non seulement les autorités publiques et le secteur privé, mais également la société civile, les universités et la recherche, ainsi que les Églises et communautés religieuses. En contribuant au développement humain et à une paix durable, ces derniers peuvent être des acteurs majeurs, et le futur partenariat UE-ACP bénéficierait certainement d’une meilleure intégration de leurs efforts dans l’ensemble des politiques publiques.

Pour l’union européenne, l’écologie est aujourd’hui une opportunité afin de construire un nouvel imaginaire de vie bonne et de bien commun.