Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.

Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.

Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.

Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.

On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.

Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.

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Neuf mois après la capitulation du Reich, Clemens August von Galen, évêque de Münster, est créé cardinal par Pie XII le 21 février 1946. Il décède le 27 mars. Il est béatifié par Benoît XVI le 4 octobre 2005.

 

Clemens August (dit « Clau ») est le onzième d’une fratrie de treize enfants. Originaire de Gahlen, près de Duisbourg, sa famille gagne au XVIe la région de Münster. Tentée, un temps, par le luthérianisme, elle revient au catholicisme en 1615 et appartient à l’aristocratie westphalienne catholique plutôt « sociale ».

 

Après des études chez les jésuites (Feldkirch, Autriche, 1890-1896), Clau suit un semestre de philosophie à Fribourg (Suisse), envisage de devenir jésuite, rencontre Léon XIII (25 février 1898), et rejoint le séminaire d’Innsbruck (1898-1903).

 

Ordonné prêtre en 1904, il est nommé à Berlin, à Saint-Matthias (vicaire : 1906-1911, curé : 1919-1929) et Saint Clemens (1911-1919). Près d’un quart de siècle, il est témoin de la vie politique dans la capitale : Guillaume II, la grande guerre, la défaite, les crises, la lente dérive du Zentrum, parti dont son père et son frère furent députés. A 51 ans, il est de retour à Münster, curé de Saint-Lambert.

 

Un évêque résistant

 

En 1933, il est ordonné 70e évêque de Münster. Hitler vient d’arriver au pouvoir. Suite au récent concordat, il doit prêter serment entre les mains de Göring ; il le fait sur sa Bible, ajoutant que la fidélité au serment l’engagera aussi à parler « lorsque je croirai nécessaire d’appeler l’attention sur les dangers qui menaceraient notre peuple ». En 1934, le Vatican a mis à l’index un essai nazi de Rosenberg. Von Galen rédige la préface de l’ouvrage de réfutation[2] et la fait lire dans toutes les églises du diocèse. Sa lettre pastorale du 19 mars 1935 dénonce la doctrine raciale du régime. Très populaire, il se dresse, avec succès, contre l’arrêté d’interdiction des croix dans les écoles catholiques (1936). A Xanten, ville de martyrs, il prêche (1936) : « Il y a en terre allemande des tombes à la terre fraîchement retournée, dans lesquelles reposent les cendres de gens que le peuple catholique considère comme des martyrs de la foi ». Et de citer des noms, des faits précis.

 

Von Galen fait imprimer en secret l’encyclique Mit brennender Sorge (1937). Elle est lue en chaire dans toutes les paroisses et largement distribuée (120.000 brochures). L’imprimerie est confisquée. L’évêque écrit à Goebbels, protestant contre l’interdiction de publication des feuilles diocésaines. Et de défendre le christianisme « en loyale solidarité avec nos frères protestants » : Fehrenbach relève que « pour la première fois, Clemens August, élevé dans l’ultramontanisme sans concession, fermé à l’œcuménisme, tend la main aux luthériens ». Après la nuit de cristal (9 novembre 1938), le rabbin de Münster dissuade l’évêque de protester : le risque est trop grand pour la communauté juive.

 

Trois sermons de l’été 1941

 

Au soir de son cardinalat, Pie XII récitera par cœur, à l’oreille de von Galen, des passages de ses sermons de 1941[3]. Von Galen écrit plusieurs fois à Hitler, dénonçant par exemple les violences de la Gestapo (9 juin 1941). La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (10.12.1948) se fonde sur la dignité humaine, en réaction, notamment, à l’horreur nazie[4]. Il est frappant de voir combien von Galen se bat sur le terrain du droit, et comment son attention aux droits humains – résultant, dit-il, de la volonté divine – émerge dans ses homélies.

 

La Justice est le fondement des Etats (13 juillet 1941)

 

Alors que « tout tremble et chancelle » (bombardements nocturnes de Münster), « un autre événement terrible s’est abattu » : jésuites, religieuses, chanoines sont chassés par la Gestapo, et leurs établissements, confisqués.

 

« On fait de nos concitoyens des réfugiés apatrides … nous avons souvent vu la Gestapo s’en prendre à des Allemands innocents et les envoyer en détention. Les actions de la Gestapo ne sont soumises à aucun contrôle juridictionnel … J’ai bien conscience – en tant qu’évêque, en tant que porte-parole et défenseur d’un système de droit et d’un ordre voulu par Dieu, qui promet à chacun les droits et les libertés originels devant lesquels, selon la volonté divine, doit s’incliner toute prétention humaine – d’être appelé à incarner avec courage l’autorité du droit … La justice est l’unique fondement robuste de toute création étatique. Le droit à la vie, à l’intégrité, à la liberté, est un élément inaliénable de toute organisation sociale fondée sur une morale. L’Etat qui transgresse cette démarcation voulue par Dieu et qui organise ou provoque la punition d’innocents est le fossoyeur de sa propre autorité … dans la conscience de ses citoyens … Combien d’Allemands languissent en garde à vue, dans des camps de concentration, sont chassés de leur patrie, qui n’ont jamais été condamnés par un tribunal selon des règles ? …

 

[Il rend hommage à un pasteur protestant allemand, interné depuis longtemps]. Ce n’est pas une affaire de confession que je discute, mais une affaire chrétienne, et même de façon plus générale une question humaine et d’intérêt national.  J’élève ma voix au nom du peuple allemand épris de droit … Je lance un cri comme Allemand, comme citoyen honorable, comme évêque catholique : « nous voulons la justice ! » Que mon cri reste sans écoute et le règne de la Justice ne sera plus rétabli, et notre peuple allemand et notre patrie, malgré l’héroïsme de nos soldats et leurs victoires notoires, va périr de pourriture et de corruption.

Obéissez à la voix de votre conscience ! (20 juillet 1941)

 

Une collecte diocésaine est organisée pour les habitants de Münster bombardée. L’évêque lit les télégrammes envoyés, en vain, à Hitler, à Göring, aux ministres, à l’état-major de la Wehrmacht.

 

Les attaques de nos adversaires de l’intérieur … se sont poursuivies imperturbablement … une seconde semaine d’épouvante … [Ces hommes de la Gestapo] je ne les haïrai pas, je souhaite de tout cœur qu’ils aient le discernement et qu’ils se convertissent… Ces gens salissent, devant Dieu, et le genre humain et le nom d’Allemand. Nous continuons de combattre vaillamment contre l’ennemi de l’extérieur. Contre l’ennemi de l’intérieur, qui nous tourmente et nous frappe, nous ne pouvons pas combattre avec des armes. Il ne nous reste qu’un seul moyen de lutte : tenir, avec force, avec détermination, durement ! Nous ne sommes pas le marteau (de la persécution), nous sommes l’enclume. L’enclume aussi contribue à fixer la forme …  Ce qui est forgé, c’est nous tous. [Encourageant les fonctionnaires :] Obéissez constamment sans frémir à la voix de votre conscience. [Et de citer] Münchenhausen, ministre de la Justice de Frédéric le Grand : « ma tête est toujours à la disposition de votre majesté, mais pas ma conscience ! ».

L’évêque s’élève encore contre des manuels scolaires manipulant l’histoire, …

 

Reconnaître ce qui sert la cause de la paix (3 août 1941)

 

Von Galen a déposé plainte au pénal contre des calomniateurs. Il invite à faire de même, puis il en vient à la lecture du jour : Jésus pleure sur Jérusalem et s’exclame : « si en ce jour tu avais reconnu le message de la paix ! » (Lc 19,41-47). Il rappelle la lettre des évêques du 26 juin, lue aux catholiques allemands : jamais, sous aucun prétexte, en dehors de la guerre et de la légitime défense, il n’est permis de tuer un innocent.

 

… Partout s’impose le soupçon confinant à la certitude que ces nombreux cas de morts inattendues de malades mentaux ne se produisent pas d’eux-mêmes, mais qu’ils sont intentionnellement provoqués et que, ce faisant, on suit une doctrine qui prétend que l’on serait autorisé à réduire, à anéantir une vie pour ainsi dire indigne d’être vécue. [L’évêque cite des cas précis, et le contenu de signalements qu’il a fait au procureur, au directeur de la police]. Une quelconque commission peut mettre [quelqu’un] sur la liste des improductifs, qui, dans son jugement, sont devenus « indignes de vivre ». [L’évêque médite alors sur les dix commandements]. Chrétiens de Münster, le Fils de Dieu … a-t-il pleuré seulement sur Jérusalem ? … sur Münster ? Ô mon Dieu permets-nous, à tous aujourd’hui, en ce jour, avant qu’il ne soit trop tard, de reconnaître ce qui sert la cause de la paix !

 

A une lettre de Göring (5 mars 1942), von Galen répond en s’élevant contre « les menées que poursuivent les autorités dans leur combat contre l’Eglise catholique et contre la conservation des droits fondamentaux et imprescriptibles de la personne… ». Dans sa lettre pastorale pour l’Avent 1942, il place le principe paulinien d’obéissance aux autorités, en regard avec le devoir de ces dernières de respecter le droit naturel, les droits imprescriptibles de la personne, à savoir :

 

  • Le droit à la vie et à l’intégrité corporelle. La vie de l’innocent est sacrée [dont celle de l’enfant à naître, des malades et des vieillards débiles…]

 

  • Le droit aux moyens nécessaires à l’existence, à la propriété et à l’usage des biens […]

 

  • Le droit de déterminer en toute liberté sa vie, dans le cadre des bornes fixées par le bien commun… Nul pouvoir terrestre n’a le droit de faire en sorte qu’un homme soit obligé à tenir des propos ou commettre des agissements qui vont à l’encontre de sa conscience formée par la loi de Dieu […]

 

  • Les droits fondamentaux de la famille font aussi partie des droits naturels … Toute tentative pour rendre difficile l’éducation religieuse et la rendre inopérante est une atteinte au droit naturel.

 

Pour Fehrenbach, « cette lettre pastorale résonne étrangement comme le préambule d’une époque nouvelle ». Selon lui, von Galen est « un personnage sans mystère, sans repli […] inclassable, ni de droite, ni de gauche, ni conservateur, ni avant-gardiste, ni monarchiste, ni républicain […] Dès la fin de son adolescence, il envisage le déroulement de sa vie comme un pèlerinage vers le Ciel » (p. 11-12).

À un moment où le projet européen est contesté par le Brexit et les replis nationalistes, le lien franco-allemand représente, au cœur de l’Union européenne, un facteur de stabilité.

Depuis 1963, ce lien a été formalisé par des accords bilatéraux ambitieux dans leurs objectifs mais très dépendants pour leur application de la volonté politique des gouvernements. Le Traité sur la coopération franco-allemande signé au Palais de l’Élysée par le président Charles de Gaulle et le chancelier Konrad Adenauer le 22 janvier 1963 avait deux finalités : enraciner la réconciliation franco-allemande dans la société des deux pays, en particulier dans la jeunesse ; établir une pratique de rencontres régulières entre les chefs d’État et de gouvernement, les ministres des Affaires étrangères et de la Défense, ainsi que les autorités compétentes en matière d’Éducation s’agissant de l’enseignement de la langue du partenaire et de la coopération scientifique.

De Gaulle et Adenauer souhaitaient qu’en s’appuyant mutuellement la France et l’Allemagne préservent mieux leurs intérêts au sein de l’Alliance atlantique. En Allemagne fédérale, ce projet s’est heurté à l’opposition des « atlantistes » qui purent faire voter par le Bundestag un préambule au traité réaffirmant l’attachement allemand au partenariat avec les États-Unis. Dès octobre 1963 Adenauer quittait le pouvoir.

Néanmoins le traité de l’Élysée, qui avait alors perdu une part de sa portée politique, contribuait de manière significative au rapprochement des sociétés civiles et favorisait une pratique de consultations régulières entre les gouvernements, y compris en matière de politique extérieure et de défense.

Pour donner plus de substance à ce dialogue, deux protocoles ont été conclus en février 1988. Ils prévoyaient la création de deux conseils, l’un de défense et de sécurité et l’autre économique et financier. Un Haut Conseil culturel était par ailleurs créé par échange de lettres.

 

La réunification allemande

Grâce à ces dispositifs, le « choc » de la réunification allemande a pu être absorbé sans dommage pour la construction européenne. Le traité de Maastricht est, en grande partie, une réponse à ce choc. Les deux grands progrès qu’il a permis : la constitution d’un embryon d’identité européenne de défense et surtout la création de l’euro ont été décidés sur la base d’initiatives communes du président François Mitterrand et du chancelier Helmut Kohl.

Dans un contexte mondial transformé (intensification des processus de mondialisation financière, crise de la relation atlantique avec l’élection du président Trump, apparition de nouvelles menaces sur le continent européen), la France et l’Allemagne ont aujourd’hui devenues, avec l’effacement et sans doute le départ du Royaume-Uni, les deux principales puissances de l’Union européenne. Elles participent toutes deux aux formes d’intégration européenne les plus poussées ou les plus ambitieuses : zone euro, espace Schengen, politique de sécurité et de défense commune.

Cette situation leur donne des responsabilités particulières reflétées dans le traité signé le 22 janvier 2019 par le président Emmanuel Macron et la chancelière Angela Merkel à Aix-la-Chapelle. Ce traité ne se substitue pas aux mécanismes existants mais les complète.  Il énonce les domaines prioritaires de coopération : affaires européennes, paix, sécurité et développement, culture, enseignement, recherche, coopération régionale et transfrontalière, développement durable, climat, environnement et affaires économiques… Dans un premier temps, quinze projets ont été définis dans ces domaines ; leur déroulement sera suivi par le Conseil des ministres franco-allemand.

 

Une défense franco-allemande

En matière de défense, la France et l’Allemagne s’engagent à approfondir « la coopération entre leurs forces armées en vue d’instaurer une culture commune et d’opérer des déploiements conjoints ». Ils prévoient de favoriser la coopération entre leurs industries de défense. Ils s’engagent à élaborer « une approche commune en matière d’exportation d’armements », point sensible dans la mesure où la politique allemande en ce domaine apparaît en général plus restrictive que celle de la France.

Pour resserrer les liens entre les sociétés civiles, le traité prévoit l’amélioration pratique des relations transfrontalières. Un comité de coopération transfrontalière franco-allemand rassemblant tous les acteurs locaux définira des projets prioritaires. Des outils juridiques seront prévus pour adapter les règles nationales, sur demande des acteurs locaux, aux réalités des régions frontalières. Les deux États amélioreront les liaisons ferroviaires et routières transfrontalières. Ils déclarent leur attachement à l’objectif du bilinguisme dans les territoires frontaliers (Alsace-Moselle et Sarre en particulier) et s’engagent à soutenir les collectivités frontalières en ce domaine.

Parallèlement, l’Assemblée nationale et le Bundestag ont constitué un Parlement franco-allemand paritaire pour contrôler l’exécution des engagements pris.

Ainsi renforcée, la coopération franco-allemande sera de nature à raviver la confiance de la société civile dans la pertinence du projet européen. À condition de se mettre au service de la construction européenne dans son ensemble, elle pourra inspirer des regroupements plus larges et susciter une dynamique de coopération plus forte à l’échelle de l’Union tout entière.

À un moment où le projet européen est contesté par le Brexit et les replis nationalistes, le lien franco-allemand représente un facteur de stabilité.