Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.

Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.

Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.

Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.

On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.

Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.

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Il y a 70 ans, le 10 décembre 1948, à Paris, les États membres des Nations Unies signaient la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (DUDH).

Les Droits Humains (DH) existaient avant cette date […] Quelques décennies plus tard le mouvement des DH les introduisit dans un débat politique plus ample. En 1948, les DH furent déclarés universels et donc devinrent un don pour toute l’humanité […]

Un don pour l’humanité

Il y a 70 ans, le 10 décembre 1948, à Paris, les États membres des Nations Unies signaient la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (DUDH). Les Droits Humains (DH) existaient avant cette date […] Quelques décennies plus tard le mouvement des DH les introduisit dans un débat politique plus ample. En 1948, les DH furent déclarés universels et donc devinrent un don pour toute l’humanité […]

Célébrer le 70e anniversaire de la DUDH, c’est […] défendre ses propres droits et les droits de l’autre, […] rappeler que la reconnaissance de la DUDH est une obligation pour les autorités publiques. Nous, Justice et Paix Europe, chérissons les valeurs exprimées par le Conseil de l’Europe dans la Convention Européenne des Droits de l’Homme et par l’Union Européenne dans la Charte des Droits fondamentaux.

[Voici] une occasion pour affirmer l’égale importance des droits sociaux, des droits personnels et des libertés [… et] renouveler notre appel en faveur d’un texte contraignant pour réguler en loi internationale de DH les activités des sociétés transnationales […] Dans la ligne de Laudato Si’, nous appelons à la pleine reconnaissance d’un droit universel à l’eau et à l’assainissement. D’autres droits environnementaux devraient être formulés dans l’avenir, de la même manière que les droits humains sociaux se sont développés, à commencer avec la DUDH elle-même, reconnaissant le droit à la sécurité sociale, au travail, au repos, aux loisirs, à un niveau de vie suffisant, à l’éducation, […] à l’égalité sociale, au logement abordable, à l’emploi, à la santé, à l’hospitalité […] aux libertés d’expression et de religion, à la démocratie et au bien commun, […] contre la xénophobie, l’intolérance et les formes exacerbées de nationalisme […] Les DH ont besoin de fondements solides […] La pratique concrète du respect de la dignité humaine […] est une condition préalable aux dispositions légales qui sous-tendent les DH.

Mettre les droits humains au centre de toutes les politiques

 Rome, 10 décembre 2018 (trad. Zénit). Le pape François s’est adressé à la Conférence internationale intitulée « Les droits humains dans le monde contemporain : conquêtes, omissions et négations », organisée par le Dicastère et l’Université grégorienne..

Par ces deux documents (Paris 1948, Vienne 1993), la famille des Nations a voulu reconnaître l’égale dignité de toute personne humaine,[1] de laquelle découlent les droits et les libertés fondamentales qui, étant enracinés dans la nature de la personne humaine, sont universels, indivisibles, interdépendants et interconnectés.[2] La Déclaration de 1948 reconnaît que « l’individu a des devoirs envers la communauté dans laquelle seul le libre et plein développement de sa personnalité est possible ».[3] […] Il apparaît opportun de mener une réflexion approfondie sur le fondement et le respect des droits de l’homme dans le monde contemporain […].

De nombreuses formes d’injustice persistent aujourd’hui dans le monde.[4] Alors qu’une partie de l’humanité vit dans l’opulence, une autre partie voit sa dignité méconnue, méprisée ou piétinée et ses droits fondamentaux ignorés ou violés.

Je pense aux enfants à naître […], aux personnes sans accès aux moyens indispensables pour avoir une vie digne,[5]  exclues d’une éducation appropriée, injustement privées de travail ou contraintes à travailler comme esclaves, détenues dans des conditions inhumaines, subissant des tortures ou à qui est niée la possibilité de se racheter[6] et aux victimes de séparations forcées et à leurs familles […] à toutes les personnes qui vivent dans un climat dominé par le soupçon et le mépris, objet d’actes d’intolérance, de discrimination et de violence en raison de leur appartenance raciale, ethnique, nationale ou religieuse[7] […] subissant de multiples violations de leurs droits fondamentaux dans le contexte tragique des conflits armés, tandis que des marchands de mort[8] sans scrupules s’enrichissent au prix du sang de leurs frères et sœurs […].

Quand les droits fondamentaux sont violés ou quand on en privilégie certains au détriment des autres, ou quand ils ne sont garantis qu’à des groupes déterminés, se vérifient alors de graves injustices qui, à leur tour, alimentent des conflits à l’intérieur des Nations ou dans leurs rapports entre elles. Chacun est donc appelé à contribuer […] au respect des droits fondamentaux de chaque personne, en particulier de celles qui sont « invisibles » : affamés et assoiffés, nus, malades, étrangers ou détenus (cf. Mt 25, 35-36), en marge de la société ou qui en sont écartés […] En cette occasion, je désire lancer un appel pressant à ceux qui ont des responsabilités institutionnelles, leur demandant de mettre les droits humains au centre de toutes les politiques, y compris celle de la coopération au développement, même lorsque cela signifie aller à contre-courant. Souhaitant que ces journées de réflexion puissent réveiller les consciences et inspirer des initiatives […]

Le 12 juillet 1979, au Nicaragua, la Révolution Sandiniste renverse la dictature de la famille Somosa. Plus de 40 ans de tyrannie et de répression sont relégués au passé.

 

Le Nicaragua ouvre une nouvelle étape de son histoire, un chemin de reconstruction et de réconciliation. Le Front Sandiniste de Libération Nationale (FSLN) assume le pouvoir et génère beaucoup d’espoir dans le pays et dans toute l’Amérique Latine. Une partie de l’Église participe à ce mouvement. On se souvient par exemple que les deux frères Cardenal, Fernando et Ernesto, l’un jésuite l’autre ancien moine trappiste, furent ministres du premier gouvernement sandiniste [1].

 

Après un passage dans l’opposition (1990-2007), le sandinisme est de retour en 2007, avec Daniel Ortega, Président pour la seconde fois.

 

Mais en avril 2018, 39 ans après le triomphe de la révolution, les petits-enfants des révolutionnaires sont dans les rues, protestant contre le gouvernement Ortega. Quelques jours auparavant, le gouvernement avait annoncé une réforme de la sécurité sociale : réduction des pensions de 5% et augmentation des contributions des travailleurs. Ce fut la mesure de trop dans un pays miné par la pauvreté et la corruption. Le gouvernement suspend la réforme ; les manifestations continuent, menées en particulier par les étudiants.

 

Selon un rapport d’un groupe d’experts indépendants, mandatés par la Cour Interaméricaine des Droits de l’Homme (CIDH), l’État est entré les 19 et 20 avril dans une phase de répression plus intense avec l’utilisation disproportionnée et indiscriminée d’armes contre la population civile, principalement des armes à feu, y compris des armes de guerre.[2] Depuis, le Nicaragua est plongé dans une crise profonde qui, jusqu’à présent, semble sans issue.

 

Les faits les plus marquants de ces derniers mois.

 

Le 18 avril 2018, un groupe important de citoyens, surtout des étudiants, manifestent contre le gouvernement dans les villes de León et de Managua, la capitale, suite aux réformes annoncées de la sécurité sociale. Les manifestants sont agressés par la police et des militants de la jeunesse sandiniste.

 

Le 20 avril 2018, le troisième jour des manifestations, Alvaro Conrado meurt. Âgé de 15 ans, il est la plus jeune victime des violences et devient une icône emblématique de la résistance, une force d’inspiration pour continuer les manifestations.

 

Le 22 avril 2018, le président Ortega, annule la réforme. Le 23 avril, sa vice-Présidente et épouse, Rosario Murillo installe une table ronde de dialogue national, avec la participation du gouvernement, du COSEP[3] (patronat), de représentants des étudiants et, comme médiatrice du dialogue, la Conférence des Évêques du Nicaragua.

 

Du 22 au 30 avril, des milliers de personnes, notamment étudiants et paysans, poursuivent les manifestations. Le 28 avril, la Conférence des Évêques du Nicaragua organise une marche pèlerinage à Managua avec la participation de milliers de catholiques et de fidèles d’autres confessions. Le 30 avril, le gouvernement et le FSLN organisent un rassemblement officiel : le Président fait un discours demandant la paix et le dialogue.

 

Le 2 mai, le Mouvement universitaire demande au gouvernement d’autoriser la venue de la CIDH et du Haut-commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme. Le 10 mai, le président de Nicaragua et sa vice-Présidente donnent carte blanche à la Conférence des Évêques pour amorcer le dialogue. Le 11 mai, les évêques donnent 72 heures au gouvernement pour faciliter les conditions du dialogue, à ces conditions :

 

  • Autoriser l’entrée et le travail sur le territoire d’une délégation de la CIDH.
  • Supprimer les corps paramilitaires et ordonner le retrait des milices civiles liées au Président.
  • Arrêter toute répression policière contre les groupes civils de manifestants.
  • Donner des signes de volonté de dialogue.

 

Les 72 heures écoulées, le gouvernement n’avait pas rempli toutes ces conditions. Cependant, l’Église accepte d’amorcer le dialogue le 16 mai. Les manifestations se poursuivent et le nombre de morts, de détenus et de blessés ne cesse d’augmenter. Selon les statistiques du Centre Nicaraguayen des Droits de l’Homme (CENIDH), à cette date le nombre des morts serait de 46 personnes ; d’autres sources donnent 65 personnes.

 

La table ronde de dialogue qui s’ouvre le 16 mai est constituée de représentants de la Conférence des Évêques (médiateurs), du gouvernement (dont le Président et sa femme), de recteurs d’université (dont le P. José Idiáquez, jésuite, recteur de l’Université jésuite Centro-Américaine), des mouvements étudiants, des organisations civiles (notamment le Mouvement autonome des femmes et le Conseil du mouvement pour la Défense de la terre), des syndicats de travailleurs, des organisations patronales et des unions d’agriculteurs et d’éleveurs. Les rencontres sont fixées au séminaire interdiocésain « Nuestra Señora de Fatima ». A leur arrivée, le Président et la vice-Présidente sont accueillis par les cris de protestation de la population qui les désigne comme responsables de la répression et des morts. Lesther Alemán, représentant des étudiants, interrompt le Président en s’écriant : « Président, nous demandons que la répression cesse immédiatement ». Daniel Ortega poursuit son discours en rappelant l’époque du conflit armé des années 1970. Puis il défend la police et son gouvernement. Carlos Tünnerman, l’un des premiers leaders des étudiants contre la dictature de Somoza et ancien ministre de l’Éducation, qualifie ce discours présidentiel de « décevant » ; il exige la fin de la répression et dit au président : « Vous n’avez pas ordonné la cessation de la répression. Ordonnez-la ici et maintenant ! ».

 

Le 19 mai, des manifestations pacifiques continuent. Le nombre de décès augmente lui aussi. La police et des membres de la jeunesse sandiniste attaquent différents campus universitaires.

 

Le 21 mai, la CIDH fait 15 recommandations au gouvernement. A la table ronde du dialogue, la démission du Président et de la vice-Présidente est demandée, les recommandations de la CIDH sont acceptées et la cessation de la répression est réclamée ; mais la violence continue. Le 30 mai, jour de la fête des mères, une manifestation massive est organisée, peut-être la plus grande de toutes. C’est une journée noire, avec plus de 200 blessés et 15 morts.

 

En raison de l’inaction du gouvernement et après cette journée tragique du 30 mai, les évêques décident de suspendre la table ronde. Le dialogue reprend finalement le 15 juin et les accords suivants sont alors conclus :

 

  • Autoriser la présence de la Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH).
  • Inviter le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme et celui de l’Union européenne.
  • Accepter le soutien de l’Organisation des États américains (OEA).
  • Appeler à la cessation de la violence de tous les côtés.
  • Créer une commission de vérification et de sécurité.
  • Prévoir de lever les barrages.

 

Le 19 juin, la table ronde de dialogue est à nouveau suspendue dans l’attente que le Président se conforme entièrement aux accords. Deux missions de la CIDH se mettent en place : le 24 juin, le MESENI (Mécanisme spécial de suivi pour le Nicaragua) et, le 3 juillet, le GIEI (Groupe Interdisciplinaire d’Experts Indépendants). Finalement, après une reprise partielle des discussions, une troisième – et jusqu’à ce jour complète – suspension intervient, le 9 juillet. La veille, en effet, un groupe d’ecclésiastiques, dont le cardinal Leopoldo Brenes, archevêque de Managua, l’évêque auxiliaire Silvio Báez, et le nonce apostolique Stanislaw Waldemar Sommertag, avaient été attaqués et blessés par des forces parapolicières et des manifestants favorables au Président, alors qu’ils tentaient une médiation pour libérer des personnes réfugiées dans une église.

 

Depuis le mois de juillet et jusqu’à ce jour la crise à continue. Selon la CIDH, le nombre des tués par répression est de plus de 325 personnes. En même temps, il y a au moins 400 prisonniers politiques, des milliers d’exilés et des clandestins dans leur propre pays. Le gouvernement continue à réprimer la population par la violence, les licenciements institutionnels, les attaques contre les journalistes et la manipulation des chaînes de télévision, des journaux et de tous les médias. Tout récemment, le 19 décembre, le gouvernement a mis fin à la présence des représentants des deux organismes de la CIDH : le MESENI et le GIEI. Selon ces organisations, il existe des preuves que le gouvernement du Nicaragua a commis des crimes contre l’humanité.

 

Les événements ici relatés ne sont pas exhaustifs des drames qui se jouent au Nicaragua mais ils donnent un aperçu pour apprécier la situation. De nombreux pays et organisations internationales ont exprimé leur solidarité avec le peuple nicaraguayen, mais jusqu’à présent, aucune solution ne se fait jour pour sortir de la crise. À moyen terme, la démission du Président et de son épouse, la vice-Présidente, semble un préalable indispensable. Cela ouvrirait des chemins de sortie de crise. La population du Nicaragua continue de garder espoir et lutte pour défendre ses droits. L’Église joue un rôle très important et accompagne de près les souffrances de la population. Elle en paye le prix.

 

Le pape François, lors de son message de Noël, a prié pour la paix du Nicaragua en disant : « Que les habitants du Nicaragua bien-aimé se redécouvrent comme des frères, afin que les divisions et les discordes ne prévalent pas, mais que tous s’efforcent de favoriser la réconciliation et de construire ensemble l’avenir du pays ».

 

Face à tous ces événements, le silence ne peut être maintenu, il est nécessaire de continuer à faire entendre notre voix et à dénoncer tant d’injustices, afin que la paix et la prospérité de ce peuple meurtri soient bientôt rétablies.

[1] Lors de sa visite au Nicaragua, Jean-Paul II demande aux religieux de se mettre en règle avec le droit de l’Église qui ne permet pas à un clerc d’exercer une charge politique exécutive (et encore moins dans un gouvernement d’obédience communiste !). Fernando quittera la Compagnie de Jésus pour poursuivre sa mission comme ministre de l’éducation. Quelques années plus tard, ayant démissionné pour désaccord avec l’évolution du gouvernement, il demandera à être réintégré dans l’ordre ce qui lui sera accordé après qu’il eut refait un noviciat. Après le retour de Daniel Ortega au pouvoir, il n’aura de cesse de dénoncer les dérives du pouvoir et ce qu’il considère comme une trahison du mouvement qui avait renversé la dictature Somosa. Il est décédé en 2016.

Dans ce numéro un peu particulier, vous pourrez découvrir un riche échange entre Pierre Manent et Guy Aurenche sur les droits de l’Homme.