Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.

Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.

Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.

Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.

On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.

Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.

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Cet été beyrouthin fut placé sous le signe de la rencontre quelque peu inopinée, mais dense, avec Adyan Foundation et, au final, assurément prometteuse pour tous les amoureux du dialogue entre les différentes religions du monde.

 

Si le dialogue trouve sa forme institutionnelle en Occident avec la rencontre d’Assise en 1986 et la création du Conseil Pontifical pour le dialogue interreligieux, il est né dans cet Orient pluriel, à la mosaïque religieuse diverse et variée. Malgré le rôle pionnier et millénaire des Communautés du Moyen Orient dans le dialogue, le scepticisme gagne les esprits et distille la confusion dans les sentiments même des plus fervents défenseurs du dialogue interreligieux.

La situation du monde arabe est inédite : bouleversements politiques, économiques et sociaux sans précédent et montée du fanatisme et de la violence à caractère religieux laissant craindre le pire.  Deux crises majeures ont miné le Moyen-Orient en l’espace de dix ans seulement ! Suite aux événements du 11 septembre 2001 et aux révolutions arabes de 2011, elles ont gangrené les sociétés arabes marquées par l’émergence de courants takfiristes, dont Daesh – l’un des pires avatars – constitue l’expression la plus hideuse du rejet de toute altérité.

Adyan

Face à un dialogue interreligieux parfois réduit à des discussions réservées à une élite bien-pensante, il faut trouver de nouveaux paradigmes au dialogue. Dans ce contexte naît, le 6 août 2006, l’ONG libanaise Adyan qui signifie en arabe « religions ». J’ai eu le grand plaisir de rencontrer deux de ses principaux fondateurs, le père Fadi Daou, prêtre maronite, professeur en théologie fondamentale et philosophie politique à l’Université Saint Joseph et coordinateur des relations œcuméniques et interreligieuses au Patriarcat Maronite, ainsi que Nayla Tabbarah, docteur en Sciences des religions, exégète et théologienne en sciences islamiques, musulmane sunnite et auteure de nombreux ouvrages sur le commentaire coranique, le soufisme, la femme en islam et la théologie des religions et du dialogue.

Reflétant fidèlement la diversité religieuse de ses membres fondateurs, Adyan ne souhaite pas réduire le dialogue au seul et nécessaire cadre socio-politique du vivre ensemble dans lequel l’autre est à peine toléré et son identité, dissoute.

L’enjeu du dialogue pour Adyan inclut les questions de justice sociale et de paix, et les dépasse. Face à une société libanaise traumatisée par les guerres, Adyan propose de résister au clientélisme et à la logique confessionnelle : des programmes d’action visent à promouvoir concrètement auprès des Libanais « la citoyenneté inclusive », qui respecte les diversités culturelles et religieuses du tissu social. Cette citoyenneté inclusive – chère à Adyan –  déconfessionnalise le discours communautaire, sensibilise à la religion d’autrui sans esprit de domination et permet de s’ouvrir théologiquement à la question de l’altérité religieuse.

Trois pôles

Pour mener à bien sa mission, Adyan dispose de trois pôles.

Le Pôle « Communauté » comprend l’emblématique programme Alwan formant des élèves et enseignants au vivre ensemble. Quatre réseaux prolongent l’esprit d’Adyan au sein de la société libanaise : ceux des bénévoles, des jeunes, des familles et des journées de solidarité spirituelle. Ce sont des lieux propices à des sessions de formation, voyages d’études, rencontres avec autrui, partages d’expériences et réflexions sur les enseignements spirituels de textes bibliques et coraniques ou sur des sujets sociétaux variés.

Le Pôle « Média », constitué principalement par le site web Taadudiya (pluralisme en arabe), propose d’acquérir une juste connaissance théologique aux internautes en vue d’endiguer tout extrémisme religieux et encourage la liberté de croyance et d’expression dans le respect de la diversité religieuse.

« L’Institut de la Citoyenneté et de gestion de la diversité » vient structurer la pensée critique qui permet d’appréhender la question religieuse dans la sphère publique au Liban. Il met en place des programmes d’études sur plusieurs mois, sanctionnés par l’obtention de certificats, l’un portant sur les « religions et affaires publiques au Liban », et l’autre intitulé « Islam, diversité et construction de la paix ».

L’Institut mobilise l’expertise de chercheurs, d’universitaires venus du Liban et d’ailleurs, et propose des formations destinées à sensibiliser éducateurs, formateurs, voire même décideurs, écoles, universités, institutions et organisations de la société civile aux questions de paix, citoyenneté, éducation religieuse, dialogue, migration, analyse et résolution de conflits, réconciliation et résilience. Ces thématiques font l’objet de nombreuses publications.

L’Institut propose également d’aller plus loin et s’engage dans des partenariats avec le Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur et le Centre de Recherche et de Développement Pédagogiques (CRDP) en vue d’élaborer un programme d’éducation nationale portant sur l’enseignement de la philosophie et des civilisations.

En février 2018, Adyan a reçu le prix japonais NIWANO pour la paix, suite à la mise en œuvre d’un programme parascolaire d’éducation à la paix pour les enfants syriens réfugiés au Liban. Dépassant la seule sphère libanaise, l’action d’Adyan force l’admiration dans un Orient laminé par les conflits et « en soif de justice et de paix »

Pour ce numéro particulier, quelques anciens secrétaires généraux témoignent de leur souhait pour l’avenir de Justice et Paix France.

L’article n° 2267 du Catéchisme de l’Église Catholique n’en est pas à sa première modification. En 1997, il avait été amendé pour préciser que si, dans le principe, l’Église n’exclut pas le recours à la peine de mort, « les cas d’absolue nécessité de supprimer le coupable sont désormais assez rares, sinon même pratiquement inexistants ».

La transformation rendue publique le 2 août par le pape François est bien plus profonde. On lit ainsi : « Pendant longtemps, le recours à la peine de mort de la part de l’autorité légitime, après un procès régulier, fut considéré comme une réponse adaptée à la gravité de certains délits, et un moyen acceptable, bien qu’extrême, pour la sauvegarde du bien commun.

Aujourd’hui on est de plus en plus conscient que la personne ne perd pas sa dignité, même après avoir commis des crimes très graves. En outre, s’est répandue une nouvelle compréhension du sens de sanctions pénales de la part de l’État. On a également mis au point des systèmes de détention plus efficaces pour garantir la sécurité à laquelle les citoyens ont droit, et qui n’enlèvent pas définitivement au coupable la possibilité de se repentir.

C’est pourquoi l’Église enseigne, à la lumière de l’Évangile, que « la peine de mort est une mesure inhumaine qui blesse la dignité personnelle » et elle s’engage de façon déterminée, en vue de son abolition partout dans le monde. »

En rappelant que la peine de mort a été « pendant longtemps (…) considérée comme une réponse adaptée à la gravité de certain délits… », le texte commence par rappeler la doctrine ancienne sans renier sa logique. Cela nous invite à nous méfier de l’analyse binaire largement répandue : la peine de mort, on est pour ou contre. L’Église est soit traditionnelle, soit progressiste. La réflexion éthique sur la maîtrise de la violence et la connaissance de l’histoire de la doctrine de l’Église sur la peine de mort nous orientent vers une réflexion plus nuancée.

Une légitimité théorique

Je l’ai montré dans une thèse en droit . En résumé, les Pères latins acceptaient la légitimité théorique de la peine de mort mais ils intercédaient auprès des autorités pour qu’elle ne soit jamais appliquée. Avant que saint Thomas d’Aquin ne développe une légitimation relevant de l’acte à double effet, la peine de mort était considérée un peu comme l’arme nucléaire aujourd’hui : il faut l’avoir dans son arsenal mais ne jamais l’utiliser.

Si l’on analyse de près l’ancienne et la nouvelle formulation du catéchisme, force est de constater qu’un changement de paradigme a été opéré. De la légitime défense de la société, nous passons à la promotion de la dignité humaine en toutes circonstances. Ce changement correspond à une évolution déjà visible en droit européen. Alors que, pendant longtemps, la valeur suprême défendue par le droit était la cité, la nation (le bien commun), la charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne (2000) proclame d’emblée que « la dignité humaine est inviolable » avant d’ajouter : « nul ne peut être condamné à la peine de mort, ni exécuté » (art. 2).

Une évolution paradigmatique

D’où vient le changement ? Le nouvel article du catéchisme cite trois éléments : d’abord la conscience plus approfondie que « la personne ne perd pas sa dignité, même après avoir commis des crimes graves » ; ensuite, une nouvelle compréhension du sens des sanctions pénales de la part de l’État ; et enfin, la mise au point de systèmes de détention efficaces.

Pour ce troisième élément, il faut mesurer à quel point le développement du système carcéral constitue une circonstance nouvelle qui questionne fortement la doctrine héritée de saint Thomas. En effet, comment peut-on encore considérer la peine de mort comme une légitime défense de la société quand le caractère d’urgence constitutif du concept de légitime défense a disparu, puisque l’on a les moyens de retenir en prison pendant des années un condamné avant son exécution ?

Le second élément, la nouvelle compréhension du sens des sanctions pénales de la part de l’État, est difficile à étayer. L’État est ici évoqué au singulier alors que nous constatons une grande diversité des philosophies du droit entre la Chine, la France, le Canada, l’Arabie saoudite…

Séparer l’homme du péché

Le premier élément, la conscience affermie « que la personne ne perd pas sa dignité, même après avoir commis des crimes très graves » fonde l’évolution de la doctrine. Il rejoint à la fois la conviction philosophique – la nature humaine ne peut être perdue – et l’affirmation théologique : l’image de Dieu en l’homme ne peut jamais être effacée. Saint Augustin disait « L’homme et le pécheur sont deux choses différentes, c’est Dieu qui a fait l’homme, l’homme s’est fait lui-même pécheur ; détruisez ce qu’a fait l’homme pour sauver ce qu’a fait Dieu. N’allez donc pas jusqu’à donner la mort au coupable, car en voulant punir le péché, vous perdriez l’homme ».

Affirmer que « l’Église enseigne, à la lumière de l’Évangile, que la peine de mort est une mesure inhumaine qui blesse la dignité personnelle » n’est donc pas une rupture dans la tradition de l’Église. Les déclarations de Paul VI, Jean Paul II, Benoît XVI et François, et celle du Saint-Siège au 3e Congrès mondial contre la peine de mort (Paris, 2007) avaient déjà engagé l’Église en faveur de l’abolition de peine capitale.