Une commission Justice et Paix pour Chypre
Du 21 au 23 février 2020, lors de la rencontre des secrétaires généraux des Commissions européennes Justice et Paix à Nicosie, l’archevêque maronite Youssef Soueif et son équipe ont annoncé la création officielle d’une Commission Justice et Paix chypriote. Entre rencontres académiques et visites culturelles, les délégués des quinze pays européens présents ont pris la mesure du désir de paix qui anime l’île, et des complexités géopolitiques qui bloquent tout compromis.
L’île de Chypre, à quelques encablures de la Turquie, de la Syrie et du Liban, bénéficie d’une position géostratégique exceptionnelle, et donc d’une histoire hors norme. Depuis l’antiquité, elle est l’objet de toutes les convoitises. Elle a été envahie par différents empires, parfois utilisée comme garnison militaire, occupée par égyptiens, grecs, romains, croisés, ottomans, anglais, etc. Chypre ne devient indépendante que dans les années 1960, immédiatement tiraillée entre désirs d’association à la Grèce, dont la culture imprègne le pays, et peurs justifiées des populations turcophones. Les tensions conduisent à des massacres et à des déplacements au tournant des années 70, puis à l’invasion turque. Depuis 1974, l’île est divisée par une frontière militaire, sous contrôle de l’ONU.
Chypre : conflit gelé… réactivé
La partie indépendante de Chypre est membre de l’Union Européenne (UE) ; l’autre n’est reconnue que par la Turquie. La ligne ‘verte’ traverse le centre de Nicosie comme une cicatrice faite de routes barrées et de blocs de maisons anciennes aussi magnifiques qu’abandonnées. Depuis une dizaine d’années, les autorités turques permettent le passage pour retrouver ou acquérir des propriétés, pour investir ou simplement profiter de la nature splendide du nord, entre montagnes et mer. Certaines zones restent inaccessibles, décrétées territoire militaire. Chypre est membre de l’UE, mais non de l’accord de Schengen : elle est une porte de l’Europe, sans l’être tout à fait. L’île est donc en première ligne dans deux crises majeures. La plus visible est la crise migratoire : des migrants (y compris d’Afrique francophone) viennent du Liban ou de la Turquie, puis traversent la ligne verte. Ils se retrouvent coincés sur la partie sud de l’île, qui peine à les accueillir. Cette crise en cache une autre : une bataille pour le contrôle des ressources maritimes. Depuis 2018, la Turquie impose militairement des forages d’hydrocarbures dans les eaux nord chypriotes et s’en trouve sanctionnée par l’UE. Cette crispation inquiète terriblement les habitants de l’île : beaucoup travaillent à dénouer les tensions.
Vivre la paix par le bas
L’accueil des délégués européens fûtà l’image de l’île, axé sur l’interculturel,généreux. Les échanges ont permis demesurer le dynamisme de la paix par le bas et le rôle très particulier des chrétiens maronites – la grande majorité des grecs chypriotes sont chrétiens orthodoxes – pour vivre l’harmonie entre unicité et diversité. Depuis les années 1970, la communauté chrétienne maronite a maintenu un lien fort aux villages et églises de la partie nord de l’île. Les autorités militaires turques n’ayant jamais exproprié l’Église, les maronites ont pétitionné pour rénover leurs églises, et y faire des pèlerinages dès que les autorisations le permettent. C’est une stratégie des petits pas, de la présence et de la patience. L’Église maronite investit dans la reconstruction et l’animation de villages dont la population vieillit. Dans un village du nord, Kormakitis, nous avons assisté à un concert donné par une chorale chypriote mixte chantant en grec et en turc ; nous avons croisé une équipe de football mixte, rencontré des couples qui envoient leurs enfants dans des écoles catholiques pour éviter les harangues antiturques de l’éducation nationale chypriote ; nous avons entendu parler de multiples projet bicommunaux. Il existe à Chypre une dynamique de la mixité, portée par des personnes qui donnent l’exemple du vivreensemble à leurs représentants politiques.