Une histoire des relations entre l’Église de France et l’Amérique latine

Qu’est-ce que le Comité épiscopal France – Amérique latine (CEFAL) et qui sont celles et ceux qui sont partis sous son égide comme « Fidei donum » ? Un livre publié récemment (Des allers sans retours ? Les prêtres français en Amérique latine, 1961-1984), s’intéresse à ce moment du catholicisme français au cours duquel l’Amérique latine a incarné un terrain d’action et de réflexion de première importance pour les chrétiens engagés[i].

L’ouvrage montre que le CEFAL est né en 1962 d’une volonté du pape Jean XXIII de répondre à l’appel d’évêques latino-américains désireux d’assurer un meilleur encadrement religieux, en particulier dans les espaces les plus déshérités (que l’on nommerait volontiers aujourd’hui les « périphéries ») comme les bidonvilles des mégapoles brésiliennes ou andines. Souvent formés par l’Action catholique spécialisée et en phase avec l’aggiornamento du concile Vatican II, les premiers prêtres qui traversent l’Atlantique avaient pour mission de transmettre des outils de pastorale dite « d’ensemble », fondés sur la notion de milieu social, éprouvés en Europe. Mais très rapidement, au contact des plus pauvres, ils se disent évangélisés et convertis par des hommes et des femmes à la foi concrète et brute qui bousculent leurs certitudes. Le livre montre des Fidei donum entre deux cultures et entre deux mondes : la France et l’Amérique latine, une Europe en voie de sécularisation et une Amérique en pleine effervescence autour d’évêques charismatiques comme Manuel Larraín au Chili, Hélder Câmara au Brésil ou Leonidas Proaño en Équateur. Très souvent, ils font le choix de suivre la voie tracée par le CELAM lors des conférences générales de Medellín (1968) puis de Puebla (1979). L’attelage Guy Riobé – Michel Quoist – François de l’Espinay qui dirige le CEFAL dans ses premières années érige alors le néocolonialisme en repoussoir et soutient les évêques qui leur semblent particulièrement ouverts à l’engagement pour la justice sociale et à la lutte contre l’oppression sous toutes ses formes.

Au sein du Comité se sont créées au fil des années une culture et une sociabilité particulières, qui s’apparentent moins à un esprit de corps qu’à une familiarité de « copains », soudés par une pratique du terrain, la conversion personnelle aux pauvres et l’amour pour un continent qu’ils ne veulent plus quitter. Grâce à cette diaspora, le CEFAL est devenu une bannière de ralliement au sein du tiers-mondisme chrétien. Parfois portés par une voix prophétique (comme celle de Guy Deroubaix à la tête du CEFAL dans les années 1980), ce sont principalement les laïcs et les religieuses, longtemps refusés dans le giron du Comité, qui ont finalement pris la relève du manque de vocations sacerdotales dès le début des années 1970.

D’un strict point de vue comptable, le CEFAL n’a pas rempli la finalité qui lui était assignée : l’encadrement religieux des populations d’Amérique latine n’a pas connu d’embellie au cours de ces deux décennies. Pourtant, le livre montre que la formation des jeunes et des adultes ou l’accompagnement des communautés ecclésiales de base (CEB) ont permis à des laïcs latino-américains de prendre leurs responsabilités, voire de se passer de la présence du clergé étranger. N’était-ce pas la finalité ultime des membres du Comité : faire accéder à une certaine maturité de conscience et d’engagement un catholicisme latino-américain trop dépendant de l’extérieur ?

Avec Dial et toute une nébuleuse de revues et de mouvements, le CEFAL a porté sur son dos l’utopie latino-américaine des catholiques de gauche en France. Il en a subi la marginalisation. Mais il a fourni pendant deux décennies une place de choix à celles et ceux qui, dans l’Église, étaient désireux de connaître l’Amérique latine et qui à leur tour en ont répercuté les réalités au sein de réseaux amicaux et associatifs, souvent en lien avec la théologie de la libération.

Le CEFAL a cessé d’exister en tant que comité épiscopal depuis quelques années. Le CEFAL comme association s’est efforcé de sauver un capital d’expériences et un maillage de présence religieuse en Amérique latine qui se perdent, faute de forces vives. Il repose sur une poignée de bénévoles, laïcs retraités, prêtres encore en activité, ex-Fidei donum mariés. Le sauvetage puis le tri des archives du Comité ont été le principal fruit de cette lutte contre l’oubli et l’indifférence. Le livre qui vient d’être publié doit beaucoup à ce souci de la transmission.

 

[i] Olivier Chatelan, Des allers sans retours ? Les prêtres français en Amérique latine 1961-1984, laboratoire LARHRA, collection Chrétiens et Sociétés, Documents et Mémoires n°48, 2023