Guerre en Ukraine
Le 15 mars 2022, Justice et Paix France a longuement rencontré Andreï Gratchev, ancien conseiller diplomatique et porte-parole de Gorbatchev, auteur de « Le jour où l’URSS a disparu ».
Il y a 30 ans, nous étions nombreux à croire au miracle politique, à la possibilité de sortir d’une façon paisible, démocratique, de ces années de passé totalitaire, féroce, du stalinisme. Nous vivions dans un monde fermé, détaché du reste de la planète, nous sortions d’une histoire de 70 ans. Le miracle fut la dissolution de l’empire soviétique, rempli des rancœurs de l’histoire, de relations difficiles entre religions, majorité et minorités, et ce d’une manière tranquille. Nous avions de bonnes raisons de penser que cela irait mieux : chute du mur de Berlin et début de la fin de la course au nucléaire menant au suicide collectif, soutien de la société soviétique (pas seulement russe, mais aussi ukrainienne, géorgienne, des pays baltes…), réouverture vers le monde, vers les temps modernes. La jonction avec l’Europe, la « maison commune » de Gorbatchev, allait de pair avec des gains irrévocables, la fin du communisme, l’universalité des valeurs, le respect des droits de l’Homme, l’état de droit, le pluralisme, la liberté d’expression, de voyager, etc.
Nous sommes aujourd’hui dans une situation irrationnelle et si j’explique la situation, cela ne veut pas dire que je la justifie.
Une opportunité ratée
L’état de la situation entre Russie et Occident est à l’opposé de ce que souhaitait Gorbatchev : rivaux puis adversaires et maintenant ennemis. Pourquoi ? le rêve et l’espoir de Gorbatchev étaient de voir la Russie admise dans la maison commune, la famille européenne et de se servir de l’aide de l’Europe pour la modernisation et la démocratisation de la Russie. Or cela ne s’est pas produit. La Russie s’est trouvée de l’autre côté d’un nouveau rideau de fer : le pacte de Varsovie a été dissous, pas l’OTAN, et les républiques de l’ex-URSS ont évolué autrement. Liberté retrouvée, mais évolution différente et nous avons raté la chance d’une rencontre historique.
La Russie a été traitée comme un pays vaincu : Russie weimarienne alors qu’elle était un grand empire, la 2e superpuissance, qui a déterminé l’avenir du monde pendant la 2e guerre mondiale, la première à envoyer l’homme dans l’espace. Devenue insignifiante, comme si la Russie avait disparu de la carte du monde. Poutine est le produit de cette étape. Maltraitée, marginalisée, « une station d’essence et une puissance régionale » pour Obama et, d’un autre côté, élargissement à l’est de l’UE, répondant au souhait des peuples concernés, associé à l’élargissement de l’OTAN. La Russie s’est vue comme une forteresse assiégée par l’Occident.
Mais pourquoi l’Ukraine ?
Et pourquoi maintenant ? Constatant l’échec de l’ambition occidentale (Trump, Biden, le désastre de Kaboul, le recul français en Afrique) et la volonté américaine de se replier, Poutine a vu une brèche dans laquelle il s’est engouffré.
L’Ukraine était restée à part : un désintérêt des Européens et des Américains, le sentiment de la fragilité du régime, surtout le chemin pris par l’Ukraine qui est en contradiction avec la construction poutinienne, (clanique, fondée sur la réunion des monopoles du pouvoir, sans institutions garde-fous). Il s’agit d’une rupture inédite qui au-delà de Poutine atteint la Russie historique car l’Ukraine apparaît comme empêchant le retour de la grande Russie. Mais l’erreur majeure de Poutine a été de ne pas prendre en compte la proximité des deux sociétés russe et ukrainienne : c’est une guerre coloniale et une guerre civile tant ces deux peuples sont proches. Il n’a pas compris que cette expédition militaire allait se transformer en un drame national pour les deux peuples. Nous sommes dans une phase dangereuse car il n’y a pas de guerre éclair, ni d’accueil de la part des habitants, et l’Ukraine, pays constitué d’anciennes portions d’empire, se transforme en nation ukrainienne. D’autre part cela ouvre une rupture en Russie : malgré la propagande officielle la société russe ne peut pas accepter que son régime attaque ainsi des frères… en est témoin cette journaliste présentant un panneau contre la guerre au cours du journal télévisé officiel ou ces manifestants malgré les risques encourus. Voilà deux résistances, ukrainienne et russe, qui peuvent abattre Poutine à moyen terme.
© Justice et Paix Ukraine
Attention cependant, les embargos touchent directement les Russes, pas Poutine. Si on coupe tout, ce sera pire que pendant l’union soviétique, on se mettra à dos la société russe qui pensera que l’Occident est en guerre contre elle et on jettera la Russie dans les bras de la Chine. Il faut soutenir les russes qui manifestent pour la paix, et ne pas prendre des mesures trop dures ou stupides comme le rejet de tout ce qui est russe dans l’art, la culture, le sport…
Kiev est la mère des villes russes. L’Ukraine est à la fois la petite sœur et la mère. On espère que Poutine est conscient de certaines limites. Que veut-il aujourd’hui ? La neutralité, la non-entrée dans l’OTAN, la fédéralisation de l’Ukraine (cf. accords de Minsk qui n’ont pas été appliqués). Une neutralité qui soit acceptée par les Ukrainiens eux-mêmes.