Éthique sociale en Église n° 58 juillet 2023
L’actualité révèle au grand jour des situations de violence, avec des atteintes aux biens et surtout aux personnes, y compris des acteurs de la vie publique. Nous pouvons y voir le révélateur d’un climat de violence, par des paroles qui affectent les relations habituelles et la dignité des personnes, par des injustices et des discriminations liées aux origines et aux conditions de vie. Mais les dérapages destructeurs impliquent sûrement la responsabilité des auteurs. Un travail commun en éthique et en morale n’est donc pas superflu.
1 – Morale, éthique… Suite !
* On entend beaucoup aujourd’hui, et pas seulement de la part de politiques, notamment à propos des migrations : « Moi je ne fais pas de morale, je m’intéresse au réel ». Tout d’abord, que serait une morale qui ne s’intéresserait pas au réel ? Affirmation de principes formels, vœux pieux, répétition de slogans… Toute réflexion honnête à propos de morale et d’éthique doit commencer par une attention aux situations et à leurs enjeux de vie, notamment pour les humains. Il s’agit aussi de dépasser son seul avantage personnel ou communautaire pour s’intéresser à l’autre et au monde, pour se situer de manière réfléchie et responsable.
* La dérobade, sous prétexte de ne pas faire de morale, paraît bien trompeuse. Ce que l’on présente comme des évidences ou du bon sens cache souvent des préjugés et des intérêts liés à telle catégorie sociale ; il y a aussi des peurs diffuses. On évoque peu une théorie morale qui se pare de bon sens et régit les comportements, alors qu’elle se trouve rarement explicitée : l’utilitarisme. Cette théorie s’appuie sur une principe simple « est bon ce qui sert le plus grand bien-être du plus grand nombre ». Une apparence d’évidence qui comporte des points aveugles. Comment mesurer le bien-être ? On en reste souvent à des critères matériels, voire monétaires, oubliant les valeurs éthiques, symboliques, spirituelles. Que devient alors le « petit nombre », est-il voué à l’oubli ? On risque de légitimer ainsi la mise au rebut des plus fragiles, de les considérer comme des « déchets ». Un exemple : les débats concernant une loi sur l’immigration. La référence à la dignité humaine est rarement évoquée, on se concentre sur des risques (la rencontre de différentes cultures n’est jamais simple) ou des avantages (occuper des emplois peu valorisés). Un signe inquiétant : la fraternité est carrément laissée de côté.
* Rappelons-nous que le déficit de réflexion et de débat éthique, que la méconnaissance de la dignité humaine parfois jusqu’au mépris, tout cela amplifie le climat de violence.
2 – Solidarités : des avancées politiques, des rencontres étonnantes…
* Une rencontre d’acteurs politiques a eu lieu à Paris pour organiser l’aide aux populations les plus fragiles. Il est bon que les représentants des différents pays se parlent et mettent en place des procédures de soutien. Mais des engagements déjà pris n’ont pas été tenus, concernant le dérèglement climatique et le soutien effectif aux pays les plus en difficulté. Il est important de tenir parole pour promouvoir un développement local, faire face aux défis climatiques et à l’extrême pauvreté. On éviterait ainsi que des populations se trouvent contraintes à la migration.
* Des ados pris en charge par l’institution Salvert (dans la Vienne), au nom de l’Aide sociale à l’enfance (ASE), se sont rendus avec leurs éducateurs au Togo pour rencontrer des jeunes de leur âge. Rendant compte de leur voyage auprès d’un public adulte, ils ont dit combien une telle expérience les avait changés, au point de modifier leur mode de vie et d’envisager des projets d’avenir. Ils attendent à leur tour la venue de visiteurs togolais… À noter que le département, qui a compétence pour l’ASE, a contribué au voyage et donc aux rencontres.
3 – Drames humains…
* Un bateau coule au large de la Grèce : il y a des centaines de victimes, notamment des femmes et des enfants enfermés au fond de la cale. Il est permis de penser que les secours auraient pu agir. L’action des ONG qui s’efforcent d’aider les naufragés est elle-même entravée. Ainsi des enjeux, tant de la politique intérieure en Grèce que de la politique chaotique des pays de l’Union européenne, font que la vie des gens semble avoir moins d’importance que quelques voix aux élections. En régime démocratique, cela engage chacun des citoyens. Veillons à ne pas laisser endormir notre vigilance éthique ! Lorsque la dignité humaine n’est plus considérée, la démocratie est en danger ; lorsque la démocratie vacille, nous pouvons trembler pour notre dignité.
* Dans le même temps, le naufrage d’un petit sous-marin, un drame pour les victimes et pour leurs proches, a largement occupé les médias et mobilisé des moyens de secours considérables. Contraste saisissant entre deux situations dramatiques. Les uns et les autres appartiennent-ils vraiment à une même humanité ?
* Parlons aussi d’un chat écrasé par un train qui devient une affaire nationale… La sensibilité paraît vraiment à géométrie variable. Des milliers de personnes meurent en Méditerranée dans la quasi indifférence générale et nous devrions d’abord nous émouvoir de la mort d’un chat. À propos d’éthique, l’émotion entre en jeu, à condition que ne manque jamais une juste évaluation en raison qui hiérarchise les enjeux de vie.
4 – Qu’en est-il à la maison ? Suite…
Violences sexuelles avant l’âge de 18 ans. Une enquête a été menée auprès de 28 000 personnes, les résultats sont publiés dans Population et sociétés, juin 2023. 13% des femmes et 5,5% des hommes ont été victimes de violences sexuelles, dont 1 sur 2 avant l’âge de 11 ans. Cela concerne tous les milieux sociaux, souvent dans le cadre familial. Double peine pour les victimes : le silence recouvre habituellement ces actes infâmes, même s’il devient plus facile d’en parler et de dénoncer les auteurs. On peut espérer que de telles révélations réveilleront la conscience des gens tentés de passer à l’acte.
5 – Et les oubliés ?
* Le journal La Croix a publié les noms de 611 morts de la rue, dont des enfants, (moyenne d’âge 49 ans) entre janvier 2022 et mars 2023 ; un hommage leur a été rendu. Nous honorons notre commune humanité en marquant ainsi la dignité des plus fragiles, en évitant que leur décès reste secret, comme s’ils n’avaient jamais vraiment existé. Pensant aux personnes qui vivent à la rue, il serait préférable d’organiser une réelle prise en charge, au lieu d’envisager de les déplacer au moment des Jeux olympiques.
* Évoquons encore l’institution Salvert : un groupe d’enfants s’est rendu pour un week-end dans un association parisienne qui œuvre auprès des gens de la rue. Les enfants ont spontanément partagé avec ces personnes. Des rencontres improbables qui stimulent le désir de vivre et de partager au sein d’une même humanité.
André Talbot
Télécharger le n°58, juillet 23 (PDF)