Éthique sociale en Église n° 51 décembre 2022

1 – Nourrir 8 milliards d’humains dans le monde…
Un chiffre qui a marqué l’opinion. Le population mondiale est en augmentation, avec des différences selon les continents : l’Afrique continue de croître, mais la Chine, le Japon et plusieurs pays d’Europe sont en régression. L’annonce de ce chiffre a pu affoler les imaginations et raviver une question : peut-on nourrir une telle population ?

* Il faut d’abord noter des paradoxes. Environ 1/3 de la nourriture disponible se trouve gaspillée, soit en raison de stockages défectueux, soit parce que des aliments prêts à être consommés vont à la poubelle. Avec des pratiques plus responsables nous avons un élément de solution au problème de la faim dans le monde.

Autre paradoxe : alors que plusieurs pays d’Afrique connaissent des famines, la plupart des spécialistes notent que 60% des terres cultivables mais non mises en culture se trouvent sur ce continent. Une situation qui attire les convoitises de grands groupes internationaux, le marché des terres agricoles tend à se mondialiser, nous en avons des exemples près de chez nous.

* Depuis longtemps, Amartya SEN a démontré que ce n’est pas le manque physique de produits alimentaires qui provoque les famines, mais l’incapacité pour des populations d’accéder à ces biens. Une situation qui dépend souvent de conflits armés : les terres ne peuvent être cultivées, la circulation des biens est entravée ; parfois aussi la faim devient une arme de guerre. Mais la cause première demeure l’incapacité financière de populations à se procurer ces biens ; la pauvreté engendre la faim dans le monde.

* Nous devons nous poser des questions à propos d’une mondialisation parée de toutes les vertus. D’une part, elle pousse à une spécialisation de chaque région en vue d’alimenter un marché mondial. En de nombreux pays pauvres des productions destinées à l’exportation (ex. soja, huile de palme) se développent au détriment de cultures vivrières. Il y a aussi la concurrence de productions massives venant de pays plus développés. Ceci, avec le recours à des méthodes culturales qui altèrent gravement l’environnement naturel. D’autre part, elle fait la part belle à des intermédiaires qui spéculent sur les biens alimentaires ; nous en avons un exemple avec les tensions sur les marchés des céréales en raison de la guerre en Ukraine. La mondialisation peut être un piège pour les producteurs soumis à une concurrence internationale et pour les populations fragiles qui dépendent d’apports extérieurs qu’elles ne maîtrisent pas.

* Il y a bien une solution simple, mais qui suppose une inversion de tendance : organiser des politiques locales d’autosuffisance alimentaire, près de chez nous et ailleurs ; ce qui évite des pertes en raison des stockages et des transports ; ce qui permet des revenus plus rémunérateurs pour les producteurs ; sans oublier des solidarités de proximité entre producteurs et consommateurs. Mais cette solution simple déplaît fortement aux intermédiaires et aux spéculateurs. Nous retrouvons une situation de rapports de force qui se jouent au détriment des plus fragiles.

Le CCFD Terre solidaire promeut un tel développement local, notamment en soutenant des coopératives de producteurs et des actions de formation destinées à favoriser les cultures vivrières. En ces cas, des femmes se trouvent souvent en première ligne.

2 – Où va l’argent ?
Les banques affichent de plus en plus des arguments écologiques pour attirer les capitaux disponibles. Mais il faut y regarder de plus près. Elles continuent d’investir dans les énergies fossiles, ce qui aggrave tant la situation climatique que les conditions de vie des populations locales ; quand on parle de retombées financières, elles ne reviennent le plus souvent qu’à un petit nombre de puissants. En lien avec les réflexions précédentes, notons que des banques soutiennent de fait la déforestation, en différents pays notamment en Amazonie, au profit de cultures et d’élevages industriels, au prix de multiples transports. Le coût écologique est énorme. La désorganisation des marchés locaux se fait souvent au détriment des populations les plus fragiles.

3 – Respect !
* Chacun de nous se trouve atteint dans sa dignité quand il subit un manque de respect. On dit alors qu’il faut restaurer l’autorité. Avec un risque : je suis prêt à exercer mon autorité, mais je supporte mal celle portée par un autre. Il vaut mieux comprendre positivement l’autorité, comme une manière d’aider l’autre à grandir en cultivant une liberté responsable, et non comme un moyen d’imposer son propre pouvoir, de dominer son semblable. Commençons plutôt par pratiquer un respect qui évite d’empiéter sur la liberté d’autrui, qui conduit à reconnaître positivement la dignité de notre prochain. Ne gâchons pas notre plaisir : le respect permet d’établir une relation gratifiante avec la personne rencontrée, à condition qu’on n’en reste pas à une « juste distance », il vaut mieux pratiquer une « juste proximité ».

* Quelques exemples d’actualité : les bonnes intentions méritent d’être mises en pratique ! C’est le temps des parapluies, mais ils cohabitent difficilement sur des trottoirs étroits ; on s’en sort avec un petit jeu : « je lève et tu baisses, ou l’inverse ! » Un sourire ou un merci peut transformer une contrainte en un éclair de joie. Les vélos sont de plus en plus nombreux en ville et c’est bon pour la planète ; le piéton peut ne pas abuser de sa priorité pour éviter au cycliste de freiner brusquement ; là encore un sourire ou un merci devient un petit rayon de lumière. La courtoisie n’est pas un gros mot, elle fait bon ménage avec le respect mutuel !

* Apprendre à vivre le respect au quotidien n’est pas anodin, nous pouvons en faire une vertu. La reconnaissance de la dignité humaine n’en reste pas à un grand principe abstrait, elle devient un art de vivre. Mais il me reste encore à ouvrir cette perspective aux dimensions du monde, avec des enjeux politiques. Qu’en est-il de la dignité des personnes soumises à de mauvais traitements, incapables d’accéder aux biens élémentaires (nourriture, eau potable, santé, éducation…) ?

4 – Humaniser l’Homme, Billet éthique du Professeur Roger GIL, novembre 2022.
« La visée éthique n’est pas qu’un exercice spéculatif de la raison, une réflexion méditative ; elle n’a de sens que si elle inspire, guide, oriente les actions ; elle n’est pas qu’une manière de penser, qu’une manière de ressentir, qu’une manière d’être, mais elle est aussi, indissolublement, une manière d’agir. On voit ainsi que l’humanisation de l’homme n‘est pas un état, mais un projet tendant à intégrer des besoins biologiques archaïques dans un comportement qui les contrôle, les harmonise, les dépasse pour construire une humanité qui pense, qui se pense et qui agit en se décentrant sans cesse de soi vers autrui. Car si l’éthique est un chemin d’humanisation, c’est bien parce qu’elle est portée par cette interrogation fondamentale : « Que faut-il faire pour bien faire ? » ou encore « Comment faire pour bien faire ? ». Humaniser l’Homme n’est pas un pléonasme, mais une nécessité. »

André Talbot

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