Éthique sociale en Église n° 59 août 2023

1 – Quelle vie commune ? Quelles solidarités ?
Quand surgissent des éruptions violentes, il est nécessaire de chercher à comprendre les causes immédiates, de voir quelles décisions individuelles ont pu mener à des débordements ravageurs. Il vaut la peine aussi de s’interroger sur ce qui promeut une vie commune solidaire et pacifiée ou, à l’inverse, ce qui valorise un chacun pour soi qui profite aux puissants et aux plus violents. Le recours incantatoire à l’ordre et la menace d’usage de la force ne peuvent suffire si l’on oublie la justice sociale.
On peut mettre en question des conceptions de la société qui ne veulent voir que des individus juxtaposés à la recherche leurs intérêts propres, ou encore des îlots qui ne se relient à d’autres que pour en tirer quelque bénéfice. On use et abuse aujourd’hui du terme « communauté » qui mérite mieux qu’un rassemblement particularisé visant à faire valoir tels ou tels avantages spécifiques. Il nous faut ensemble cultiver le sens d’un bien commun qui vaut pour l’ensemble de la société, qui est toujours à construire, en tirant leçon des ratés, des crises.
Qu’en est-il de notre désir d’une vie commune solidaire ? Permet-il de tenir ensemble face aux difficultés de la vie et d’offrir à chacun la possibilité d’apporter sa propre contribution ? En ce cas, nos diversités constituent une richesse et non une menace. En 1869, E. Renan voyait dans la nation le fruit d’un héritage commun et surtout un « consentement actuel, un désir de vivre ensemble » pour continuer à avancer de manière solidaire. Pour sa part, H. Arendt évoque la démocratie comme reposant sur une promesse mutuelle en vue de promouvoir la vie commune sous le signe de l’alliance. Mais la promesse ne vaut que dans la mesure ou chacun(e) l‘honore en s’engageant concrètement au service du bien commun. Il est bon de nous soutenir dans cette quête d’une vie solidaire sous le signe de la confiance mutuelle.
La vie commune suppose une quête éthique, Renan parlait d’un « principe spirituel » qui sollicite la responsabilité personnelle. Comment l’éducation permet-elle aux plus jeunes de prendre conscience de l’intérêt d’une telle vie commune au goût de fraternité ? Chacun devant apporter sa pierre à l’édifice par des engagements concrets. Quant aux adultes, notamment ceux qui exercent des responsabilités (ex. en politique), quel usage font-ils du pouvoir dont ils disposent ? Est-ce une simple manipulation au service d’intérêts particuliers ? Quel poids accordent-ils à la parole ? Est-ce un simple jeu de provocation ou de séduction ? Avant de prétendre donner des leçons, il vaut mieux commencer par ajuster ses propres comportements aux principes qu’on énonce !

2 – Aide alimentaire
* On ne dispose pas de chiffres précis sur le nombre de personnes qui ont recours à l’aide alimentaire. Selon les associations, plus de 5 millions de personnes reçoivent une telle aide, mais certaines cumulent plusieurs inscriptions. Selon les relevés des banques alimentaires et une enquête de l’INSEE, ce serait plutôt 2,5 millions, ce qui est déjà considérable. Surtout, ce chiffre a triplé en dix ans : la situation se dégrade notablement, la pauvreté affecte une part importante des habitants de notre pays.
* Ces statistiques évoquent les situations de personnes concrètes. Le recours à l’aide alimentaire se conjugue souvent avec une alimentation insuffisante et déséquilibrée. Cela concerne des personnes âgées, mais aussi des jeunes notamment des étudiants, des chômeurs, des travailleurs pauvres (temps partiel), des familles monoparentales… En ce domaine, les associations dites caritatives jouent un rôle essentiel, liant la fourniture d’aliments à un accompagnement personnalisé. Le rôle du bénévolat est donc essentiel et pourtant peu reconnu socialement.
* Il y a bien un enjeu de justice sociale qui relève du politique : comment l’accès aux revenus permet-il une solidarité effective entre les citoyens ? Au nom de la dignité humaine, il est important que chacun(e) dispose de ressources suffisantes pour s’alimenter correctement. On ne doit pas s’habituer à ce que certains parmi nous deviennent « invisibles », dépendant de générosités aléatoires. Les politiques qui ne s’intéressent qu’à des critères de richesse globale (le fameux PIB) tolèrent en fait des écarts scandaleux, au détriment d’une prise en compte de la situation des plus pauvres. Un tel état de fait va à l’encontre de la paix civile, il s’agit bien d’une violence à bas bruit,  il renie les principes d’égalité et de fraternité qui brillent sur nos monuments publics.

4 – Des chercheuses d’emploi « invisibles ».
La publication « Vaincre le chômage » (juillet 2023, Réseau Caritas France), évoque une situation peu étudiée, rarement mise en évidence : les femmes se trouvent défavorisées en matière de recherche d’emploi. Elles sont nettement plus nombreuses que les hommes à subir des statuts précaires : temps partiel non choisi, emplois temporaires, répartition entre plusieurs employeurs… Elles connaissent souvent des trajectoires brouillées entre emploi et chômage. Les femmes ayant la charge d’une famille monoparentale sont particulièrement affectées par ces formes de précarité, avec ce que cela comporte de tensions entre l’emploi et la responsabilité parentale, sans oublier des temps de transport souvent importants. Il n’est alors pas rare qu’elles se trouvent en décrochage, au point de devenir invisibles : ni en emploi, ni en retraite ; même les dispositifs d’insertion leur sont peu favorables.
Ainsi, des femmes se trouvent contraintes d’assumer des situations compliquées et elles sont nombreuses parmi les « invisibles » que notre société préfère « oublier ». On ne veut pas voir l’injustice et celle-ci redouble lorsque des politiques laissent entendre qu’elles sont les seules responsables de leurs difficultés et qu’en plus elles négligent leur rôle parental !

 5 – Atelier du Centre théologique : Fonder la vie commune, des repères pour vivre.
L’an dernier, un travail en atelier a permis la publication d’un texte intitulé « Fonder la vie commune », ce document accompagnait  DIÈSE du 10 janvier 2023.
L’objectif de cette nouvelle proposition (ouverte à tous) est de considérer lucidement les inquiétudes et les peurs qui paralysent les initiatives, qui risquent de conduire au repli sur soi. Ensemble, nous chercherons à préciser quels repères éthiques et spirituels peuvent orienter des choix de vie renouvelés, sous le signe d’une humanisation responsable.
Il s’agira bien d’un travail en commun, sollicitant les apports des participants, de manière à élaborer un message susceptible d’être publié.
Première rencontre le mardi 12 septembre, de 16h à 17h30, à la Maison Saint-Hilaire 36 Bd Anatole France, Poitiers. Animateur : André TALBOT.

Télécharger le n° 59, août 23 (PDF)