Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.

Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.

Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.

Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.

On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.

Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.

Télécharger la Lettre n°304 septembre 2024  (PDF)   

Juin 2024

Un regard sur des situations actuelles
Les conflits du XXe siècle semblaient s’écarter pour la plupart, du moins aux yeux des occidentaux, des motivations religieuses, pour s’articuler sur des motivations politiques (nationalisme, décolonisation), idéologiques (socialisme ou communisme face au libéralisme), avec des formes plus traditionnelles (conquêtes territoriales ; questions des minorités). Or plusieurs conflits actuels semblent comporter des éléments relevant plus directement du « religieux ». Ce n’est certes pas une nouveauté : la partition de l’Inde britannique entre hindous et musulmans, du Pakistan et du Bengladesh, lors de l’indépendance constitue sans doute l’exemple le plus dramatique humainement. Mais la dimension religieuse des conflits actuels au Proche et Moyen-Orient (islamisme dit radical ou extrémiste, et plus loin en Asie (à nouveau en Inde où le régime actuel utilise l’hindouisme contre les minorités ; en Birmanie contre les Rohingyas, etc.) progressent dans les motivations, réelles ou avancées, les analyses, et même les pratiques d’affrontement : terrorismes, déplacements de populations, cruautés…

Il en va de même dans les affrontements en Israël / Palestine et ses formes extrêmes à Gaza. D’un côté, le sionisme, qu’un observateur divisait entre sionisme « messianique », groupes religieux dont l’influence gouvernementale a considérablement grandi depuis une quinzaine d’années, et qui se réfère à des notions bibliques (terre promise) ; un sionisme « laïque » ; et enfin un sionisme « d’aubaine » profitant d’aides gouvernementales plus importantes si on s’installe dans les colonies de Cisjordanie qu’en Israël même. De l’autre, des courants islamistes, qui ne croient plus aux mécanismes politiques d’origine occidentale (« processus de paix ») et utilisent de prétendues références coraniques pour légitimer leur violence, y compris le terrorisme. Mais on voit aussi ces dérives religieuses dans le contexte de la guerre en Ukraine, avec des oppositions internes entre Églises orthodoxes, le pouvoir russe mobilisant le facteur religieux pour s’opposer à ce qu’il nomme la décadence morale occidentale… Aux États-Unis, la représentation générale d’avoir à jouer un rôle messianique dans une tradition puritaine s’articule sur le courant évangélique, appuyé sur des interprétations résolument littérales de la Bible pour influencer les décideurs politiques et notamment soutenir la politique messianique de l’État hébreu. La plupart de ces pratiques politiques, qui recourent à une violence soi-disant légitimée par le religieux, méritent d’être interrogées dans l’usage qu’elles font de la religion.

Une perspective chrétienne et un problème permanent…
Pour le christianisme, la parole de Jésus rapportée par les Évangiles « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » (Mt 22, 15-22) introduit une distinction entre ce qui relève du pouvoir politique et de la compétence religieuse. L’expression évangélique apparaît dans un contexte polémique qui recèle deux dangers : soit Jésus dit qu’il faut payer l’impôt à César et il apparaît comme un collaborateur de l’occupant ; soit il se prononce contre et il s’expose, ainsi que ses proches, à une répression terrible. Cependant, la tradition chrétienne a repris constamment cette expression pour éviter une confusion, en se basant sur une séparation entre les pouvoirs.

Le mode de rapport s’est cependant diversifié selon les confessions chrétiennes. L’orthodoxie conjoint facilement les appartenances nationales et ecclésiales. Dans la Réforme, Luther a évolué dans ses interprétations : pour sortir des guerres civiles, dites de religion notamment dans l’Allemagne de la guerre de Trente Ans, on préconisa que les sujets adoptent la religion de leur prince. Dans le même temps en France, le souverain fondait son pouvoir absolu en se présentant comme le protecteur de la religion catholique, ce qui lui permettait de la contrôler étroitement. Le plus souvent, la religion se trouve instrumentalisée par le politique. La pratique demeure toujours complexe, puisqu’il s’agit des mêmes individus qui sont à la fois citoyens d’un pays et membres d’une religion ou en-dehors de toute appartenance religieuse.

En France, la notion de laïcité, qui « sépare » le politique et les confessions religieuses, a l’ambition de créer un espace relativement pacifié. Mais des problèmes pratiques apparaissent tous les jours et les applications diffèrent tellement que l’article consacrée à la laïcité dans Wikipédia donne des définitions et surtout des règles subséquentes pour presque chaque État, sans compter ceux qui définissent une religion nationale : type État islamique, quitte à définir des tolérances variables… Dans le cas de la France, les lois de séparation (1905) ont tendu les relations, au moins jusqu’à la guerre de 1914, qui après des accusations souvent injustes contre le Vatican et l’Église de France, se sont paradoxalement inversées. La participation sans réserve des catholiques à la guerre ainsi que les souffrances communes ont rétabli une large confiance. La séparation ne signifie pas absence de relations, puisque les membres d’une religion sont aussi des citoyens : le débat a lieu en chaque individu pour éviter un clivage imaginaire, mais aussi dans la société.

La situation actuelle demeure ambiguë : on constate une régression du religieux en Europe, une majorité de Français se dit ainsi « sans appartenance religieuse » (51% en 2023). Mais dans le même temps on note un « retour du religieux », avec un pluralisme qui, sous certaines formes, peut paraître inquiétant.

L’approche théologico-politique éclaire-t-elle le débat ?
Sans nul doute, le théologique et le sacré influent sur le politique, lequel s’est longtemps tourné vers le religieux pour légitimer et souvent fonder son propre pouvoir, assurer la cohésion sociale et éloigner un chaos susceptible de ruiner la vie commune. Les pouvoirs temporels exercés par les clergés participent souvent de cet objectif, même s’ils peuvent être aussi un facteur potentiel d’opposition.

Pour se limiter au XXe siècle en Europe occidentale, un débat intellectuel à propos du théologico-politique fut relancé, entre les deux guerres en Allemagne, par le juriste Carl Schmitt (1888-1985) ; il soulignait, en historien du droit, les racines chrétiennes de nombreux concepts politiques européens. Le théologien d’origine protestante Erik Peterson (1890-1960), converti plus tard au catholicisme, s’est opposé dès l’origine à cette conception, en soutenant que les deux notions sont séparées dans le Nouveau Testament, et par ailleurs que la notion de Trinité s’opposait fondamentalement à une conception totalitaire de la souveraineté politique. Si Schmitt fut grandement disqualifié en raison de son appartenance assumée au parti nazi, sa mise en avant de l’opposition « ami-ennemi » comme une affirmation déterminante de l’identité nationale, ainsi que l’importance d’une capacité de décision souveraine, notamment dans les situations dites « exceptionnelles », a profondément marqué les esprits et surtout des constitutions nationales. Ainsi, son ami et introducteur le juriste Julien Freund reprit, dans sa définition du politique, l’opposition ami-ennemi, considérée comme fondamentale pour beaucoup, y compris en raison de ses racines religieuses.

Le théologico-politique, malgré sa négation même dans la pensée de Peterson, du moins pour le christianisme, représente-t-il une catégorie pertinente pour traiter des rapports entre le religieux et le politique ? La pensée dominante, du moins en Europe sinon en Occident, préfèrerait s’en tenir au constat statistique un peu simpliste de l’entrée dans une ère « post-métaphysique » ; mais elle se trouve confrontée à la réalité de courants religieux et à des pratiques très vivantes, dont les effets politiques sont incontestables. Cela est vrai dans le judaïsme, où les courants orthodoxes ont une influence déterminante sur la politique israélienne. On le note aussi dans le christianisme puisque le rôle des évangéliques conservateurs est décisif dans le corps électoral aux États-Unis et en Amérique du Sud. On le retrouve également dans les revendications des droites et extrêmes droites en Europe. Enfin, le poids des organisations musulmanes dans l’espace arabo-islamique influe sur les gouvernements, au-delà de ses formes extrémistes ; il s’étend dans les pays d’immigration, soit pour reconstruire une identité bousculée, soit pour certains, souvent incultes d’un point de vue religieux, en vue de justifier leur recours à la violence. Tout se passe comme si la représentation courante, en Occident ou du moins en Europe, d’un religieux en déclin et vouée à sa disparition progressive s’avérait fausse et contre-productive dans l’analyse des situations politiques contemporaines, notamment conflictuelles.

Un passage par les références éthiques
Certes, le catholicisme – fidèle à cette appellation – a toujours privilégié une vision universelle de l’humanité, même s’il y eut des hésitations malheureuses à propos des esclaves ou des peuples colonisés. La tradition catholique, notamment avec l’enseignement social de l’Église (ou doctrine sociale), s’est efforcée au cours du dernier siècle, d’analyser les situations socio-politiques grâce aux outils fournis par les sciences sociales et les approches philosophiques, mais aussi en prenant appui sur la parole des personnes impliquées et l’expression de leurs organisations représentatives. À partir de cette analyse des situations, une évaluation éthique peut se faire, ce qui permet de partager un vocabulaire commun entre différents courants de pensée. L’attitude politique ne découle donc pas directement d’un corpus religieux, elle transite par une approche éthique toujours en débat ; ce qui évite une disjonction radicale entre les approches politiques et religieuses.

Dans le même temps, la réflexion éthique et morale se nourrit de références bibliques, dans le cadre d’une tradition ecclésiale. Il y a donc un jeu continu d’interprétations et non la simple affirmation de principes bruts. L’héritage chrétien peut prendre place dans le débat commun en apportant ses propres références. Il reçoit aussi des questionnements qui l’aident à prendre conscience de ses points aveugles, par exemple quand le sacré sert à couvrir des dominations, des abus, voire des crimes.

Quelques références majeures, qui éclairent les enjeux sociaux et politiques, peuvent être évoquées. Tout d’abord un principe fondamental : « choisis la vie et non la mort ! » On peut l’opposer à ceux qui légitiment des attentats et des actes de guerre pour des raisons religieuses. Un tel principe n’élimine pas toute violence comme par enchantement, les rapports humains comportant toujours une dimension conflictuelle, mais il met en garde contre la fascination liée au pouvoir sur la vie et la mort d’autrui. De telles passions perverses ne sont pas seulement individuelles, elles peuvent aussi contaminer l’opinion publique et pousser à l’action destructrice, tandis que le pouvoir politique mobilise une telle propension à dominer l’autre pour s’imposer et asservir.

Une possible référence commune
Dans la continuité du judaïsme, le fait de « choisir la vie » implique la prise en compte de la dignité de tout être humain, quelle que soit sa race, sa religion, sa position sociale. Sur ce point le christianisme a ouvert la voie à l’universalité (cf. la parabole du bon Samaritain, l’énoncé de Paul « Il n’y a plus ni juif ni grec, il n’y a plus ni esclave ni homme libre, il n’y a plus l’homme et la femme. » (Ga 3, 28). Après les apports des Lumières, même s’il a fallu du temps, l’Église catholique a salué la Déclaration universelle des droits humains (DUDH) comme une étape décisive sur la route de l’humanité. La dignité inaliénable de chaque être humain se trouve associée étroitement à une culture du bien commun, de telle manière qu’on n’en reste pas à une affirmation formelle des droits, laissant de côté les conditions concrètes d’existence : d’où l’importance accordée aux droits sociaux selon la DUDH, mais aussi au rôle du politique comme organisateur du bien commun. L’Église rappelant qu’aujourd’hui le bien commun doit être mis en œuvre à l’échelle de l’humanité entière, sous le mode de solidarités effectives.

Une référence ultime indique le sens des principes énoncés et apparaît comme un accomplissement : oser parler de fraternité universelle, mais aussi d’amour. C’est toute la question du messianisme, que l’on peut comprendre dans le christianisme comme une utopie incitative évoquée en termes de « Royaume de Dieu », lequel est « déjà là » (donc à l’œuvre) et « pas encore » (donc toujours en attente), au sens qu’aucune réalisation historique ne peut être confondue avec l’accomplissement espéré. Mais certains, dont les évangélistes, vont y voir une incitation à accélérer sa venue, par exemple en soutenant les politiques d’expansion israélienne. L’héritage néo-testamentaire retient la promesse d’alliance, en notant que celle-ci ne peut être réservée à un peuple particulier : elle concerne l’ensemble de la communauté humaine, mais aussi, selon des modes divers, le vivant et la création tout entière. L’actuel questionnement écologique provoque à une ouverture de notre conception de l’alliance : un ensemble de relations sous le signe du respect, mais aussi de l’amour qui, selon la Bible, a présidé à la création et prépare à la réconciliation finale, quand « Dieu sera tout en tous » (1 Co 15, 28).

En politique comme en religion, dépasser la polarisation sur l’Un !
Une telle récapitulation, trop rapide, peut être source de malentendus. D’autant que le rapport au monothéisme est susceptible d’ouvrir à des visions totalisantes, voire totalitaires, de la vie commune. Dans le cadre des critiques du totalitarisme au XXe siècle, Claude Lefort et d’autres, ont notamment mis en cause la polarisation sur l’Un, qui en vient à promouvoir une vision globalisante, non plurielle, de la société et à légitimer ainsi un pouvoir fort incarné en un individu. Un autre apport de la philosophie morale contemporaine montre que le conflit n’est pas un danger pour la démocratie, mais au contraire son mode de fonctionnement même, dès lors qu’il s’arrête à l’approche obscure de la violence.

D’un point de vue social et politique, la vie commune ne peut alors être comprise à la manière d’un ensemble homogène soumis à un chef suprême. L’organisation d’une vie commune sera considérée en tenant compte des tensions, des différences et des relations qui constituent la société. Une telle perspective théologique donne à penser et à vivre en matière de fraternité (des relations qui osent s’exprimer en termes d’amour) et de démocratie (les différences sont vues comme une chance, à condition qu’elles soient vécues sous le signe du respect mutuel et du désir de rencontre). La politique ne devra pas demander à ceux qui se rattachent à une religion d’être moins « religieux », mais au contraire de l’être mieux, en allant au cœur de la foi qu’ils confessent. On sait que la ferveur religieuse risque aujourd’hui d’être considérée comme un risque de radicalisation dangereuse ! Il faut donc toujours préciser de quelle forme religieuse on parle. D’autre part, les communautés religieuses, à commencer par celles qui s’inscrivent dans la tradition chrétienne, doivent aussi s’organiser d’une manière qui soit conforme à leur profession de foi, les dérives institutionnelles risquent toujours de l’emporter sur le dynamisme de l’amour proclamé.

Bien qu’attendus, les résultats des élections européennes ont su créer la surprise. Tout d’abord par un vote massif pour l’extrême droite qui rejoint et même dépasse la vague bleue européenne. Vote test, à mi-mandat, pour Emmanuel Macron et dont le résultat traduit tant un vote sanction qu’un besoin d’alternance. Un vote aussi de la « désespérance sociale » et du rejet des élites.

La seconde surprise, tant au niveau national qu’européen, est l’annonce par le chef de l’État de la dissolution de l’Assemblée nationale. Rien ne l’y contraignait sur le plan des institutions et même si cela peut être considéré par certains comme une obédience au RN qui le demandait, cela semble avant tout, une volonté de reprendre la main.

Une sorte de pari politique qui prend de court les différents partis. Du côté de la gauche, maintenir les résultats des précédentes législatives implique de reconstruire une unité très dégradée et, pour l’extrême droite, confirmer le score des européennes réclame un nombre suffisant de candidats pour honorer toutes les circonscriptions. Un quitte ou double pour tenter de reconstruire une légitimité déjà mise à mal lors des précédentes législatives.

Alors coup de tonnerre ou coup de poker ? Réponse le 7 juillet.

 

1 – Quelle justice climatique ?
Au Vatican, durant une session des Académies pontificales des sciences et des sciences sociales, le pape François a retenu des chiffres qui donnent à penser et surtout qui appellent des solutions urgentes et ambitieuses. 1 milliard des habitants de la terre les plus riches produisent plus de la moitié des polluants qui ont un impact sur le climat. 3 milliards des plus pauvres contribuent à ces pollutions pour moins de 10%, mais ils subissent 75% des dommages. Les pays du G 20 produisent 80% des émissions de CO2, tandis que les 46 pays les moins avancés y contribuent pour 1,1%.

On peut parler d’un déni de justice majeur à l’échelle mondiale. Il y a bien une « dette écologique » de la part de ceux qui polluent le plus, ce qui devrait comporter des charges financières. Il faut noter l’hypocrisie des jugements selon lesquels on fait pression sur les populations pauvres afin qu’elles remboursent des dettes monétaires, tandis que l’impact considérable de populations riches sur le dérèglement climatique, pour ne retenir que cet aspect du problème écologique, ne mobiliserait aucune contrepartie ! Le mot justice semble décliné différemment selon qu’il s’agit de puissants ou de ceux dont on ne veut pas entendre la voix.

Durant la session évoquée, il était demandé d’établir un protocole planétaire de résilience climatique, avec des contributions financières à la hauteur des enjeux. Le problème se pose à l’échelle de l’humanité entière, les solutions doivent donc être envisagées à ce niveau sous le mode d’une vraie solidarité : chaque région du monde contribuerait selon ses capacités financières tandis que les populations en danger seraient soutenues en fonction de leurs besoins.

 

2- Peut-on parler de logiques sacrificielles ?
+ On évoque les sacrifices humains comme des pratiques qui, en raison d’une avancée des civilisations, n’auraient plus cours depuis fort longtemps. Une telle vision, qui s’appuie sur la représentation d’un « progrès » linéaire, risque fort de nous empêcher de voir qu’il existe toujours des situations où l’on sacrifie des vies humaines pour en tirer des avantages stratégiques et/ou pécuniaires.

+ À propos des conflits actuels, en Ukraine, les Russes ne semblent pas faire grand cas de la vie de leurs soldats, les exposant en masse pour gagner quelque terrain ; de même, les bombardements sur les populations civiles ukrainiennes visent à saper le moral des habitants. Des actions dans lesquelles le respect de la vie humaine ne paraît pas peser lourd, selon une « logique » coûts/avantages marquée par le cynisme.

Ce mépris, tant de la morale la plus élémentaire que du droit international, se manifeste particulièrement dans le conflit Palestine/Israël à Gaza, avec la violence inouïe de l’attaque du 7 octobre, puis en retour des actions militaires dont les victimes sont très majoritairement des non-combattants, notamment des enfants, sans oublier les obstacles mis à l’accès à la nourriture et aux soins. Trop souvent, « Chacun s’autorise des crimes de l’autre pour aller plus avant. » (Albert Camus)

Infliger des souffrances extrêmes, provoquer des morts atroces apparaît alors comme un moyen de pression parmi d’autres. Au vu des situations en différents lieux de notre monde, on peut s’inquiéter de la régression d’une approche humaniste, d’une propagation du mépris de la dignité humaine. On sacrifie alors des vies humaines pour s’imposer, mais aussi de manière paradoxale pour impressionner les opinions publiques.

+ Sans confondre ces cas extrêmes avec des pratiques plus habituelles, il est bon de nous interroger sur des mentalités courantes qui imprègnent les rapports économiques à l’échelle mondiale. Certaines formes d’une morale « utilitariste », selon laquelle est bon ce qui sert le plus grand bien-être du plus grand nombre, une part de notre humanité se trouve considérée comme une quantité négligeable, voire comme un déchet que l’on laisse derrière soi pour ne plus le voir. Il s’agit bien d’une vision sacrificielle qui légitime l’exclusion des plus faibles, au motif que les autres pourraient ainsi avancer plus vite. On oublie qu’une telle marginalisation d’une part de l’humanité constitue une violence qui engendre d’autres violences.

On peut, à l’inverse, imaginer des pratiques intégrant mieux l’ensemble des citoyens, permettant ainsi aux plus fragiles d’apporter leur contribution propre au bien commun. Il ne manque pas d’exemples positifs, pensons à « Territoire zéro chômeur de longue durée », à la volonté de mieux intégrer les personnes en situation de handicap dans le travail et la vie sociale, et à bien d’autres initiatives.

Résistons à une normalisation de pratiques sacrificielles qui nous enfoncent dans une barbarie déniant la dignité humaine, conduisant au mépris des plus faibles. N’oublions pas que la fragilité fait partie de notre condition humaine. Il vaut mieux alors promouvoir des pratiques de sollicitude mutuelle, c’est une belle affaire que prendre soin les uns des autres !

 

3 – Que devient la peine de mort ?
Pratiquer l’exécution capitale, un signe que la logique sacrificielle est à l’œuvre… Au motif que la mise à mort aurait un effet dissuasif. En fait, il s’agit souvent de pouvoirs autoritaires, voire dictatoriaux, qui cherchent à dominer en terrorisant les populations.

Selon Amnesty international, le nombre d’exécutions capitales en 2023 a crû de 30% par rapport à l’année précédente. Les « champions » en la matière, en ordre décroissant des mises à mort : la Chine, l’Iran, l’Arabie saoudite, la Somalie, les USA. Certains pays restent discrets sur le nombre d’exécutions (un peu de honte ?) ; certains états des USA continuent de pratiquer la peine de mort, le moralisme US apparaît donc à géométrie variable…

Une bonne nouvelle : 144 pays ont aboli la peine de mort, en droit ou en pratique.

 

4 – Quel avenir pour les jeunes ?

+ À l’échelle du monde, les 15-24 ans représentent 16% de la population, soit 1,2 milliard de personnes. Nos sociétés vieillissantes risquent de laisser en marge les plus jeunes qui sont inquiets face aux conflits et à la détérioration de la vie sur terre ; elles peuvent aussi être tentées par le repli sur soi, voyant les jeunes arrivant d’ailleurs comme des envahisseurs.

+ Dans la Lettre de Justice et Paix de juin, Catherine Billet évoque ainsi la maison de la paix à Sainte-Mère-Église : « Alliés et ennemis d’hier marchent main dans la main pour rejoindre les anciens lieux de combats et témoigner que l’amitié et la fraternité entre les peuples sont possibles. Et surtout que la réconciliation et la paix sont une joie. »

Télécharger le n°69, juin 24  (PDF)