Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.

Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.

Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.

Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.

On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.

Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.

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Le cycle de commémorations du 80e anniversaire de la Libération, inauguré le 7 avril dernier en Savoie par le Président de la République durera plus de sept mois en divers lieux. C’est faire mémoire des combats, mais c’est avant tout se souvenir des femmes et des hommes dont le courage a permis à notre pays de retrouver tant sa liberté que sa dignité. La reconstruction et la naissance de l’Europe viendront ensuite…

Un des moments forts de ces célébrations sera le 6 juin à Sainte-Mère-Église. Petit village de 1 600 habitants en 1944, il a été le premier village français libéré lors du débarquement des alliés en Normandie. Ce village, rendu célèbre par le film « Le jour le plus long » en 1962 est devenu un symbole de la Libération mais aussi des combats sanglants du débarquement. Avec son parachutiste accroché au clocher, ses musées qui rassemblent quantité d’engins de combat, ses nombreuses boutiques de surplus militaires, il accueille plus de 700 000 touristes par an.

Sur une carte, on est frappé aussi par l’emplacement de Sainte-Mère-Église, situé presque à équidistance entre deux grands cimetières militaires, l’un Allemand et l’autre Américain. Le cimetière américain d’Omaha Beach, sur le lieu même du débarquement, regroupe les tombes de 9 387 soldats morts au combat. Le général Théodore Roosevelt Jr, fils du président Théodore Roosevelt et cousin du président alors en fonction Franklin Roosevelt, y est inhumé, parmi ses hommes et près de son frère abattu par deux chasseurs allemands en 1918. Le Président Eisenhower dira là quelques années plus tard : « Je hais la guerre comme seul peut le faire un soldat qui l’a vécue ». Cette phrase restera gravée sur un des piliers du mémorial. Un peu plus loin, beaucoup plus sobre, se trouve le cimetière allemand de la Cambe où reposent 12 000 soldats allemands. Le petit musée à l’entrée donne à voir des lettres de soldats allemands, des pères, des époux qui attendent le retour au foyer. Mais parmi eux se trouve aussi la sépulture du général SS Adolf Diekmann qui a donné l’ordre du massacre d’Oradour sur Glane.

Qu’ils soient Alliés ou Allemands, beaucoup sont très jeunes : 18, 19 ou 20 ans. Tous sont morts sur cette terre normande. Et comme un trait d’union entre Omaha Beach et la Cambe, les sépultures de ceux qui se sont entretués hier, se trouve Sainte-Mère-Église. Pour ses habitants, leur village est avant tout un lieu de mémoire. Un lieu de souffrance où l’histoire personnelle s’inscrit dans la grande Histoire. Pour l’un, c’est sa naissance dans un fossé alors que ses parents tentent de fuir dans cette aube de feu et de sang. Pour l’autre, c’est un père, un frère, sortis de la maison et jamais revenus ou bien encore un collège qui met sur la route tous ses pensionnaires : « Rentrez chez vous, on ne peut pas vous garder ». À 11 ans, seul, au milieu des combats, il faut trouver le chemin de la maison. Aujourd’hui très âgés, ils sont là, ils en témoignent encore…

Pour tous ceux-là et pour d’autres, Sainte-Mère-Église ne pouvait être seulement un lieu de commémorations internationales à chaque « grand anniversaire », un lieu de tourisme qui ne parle que de combats, ou pire, de parade pour les nostalgiques de la guerre qui défilent en tenue sur des Jeep camouflées.

Alors est née la « Maison de la Paix ». Située au centre du village, cette maison abrite une communauté de religieuses, à l’origine internationale pour être signe et témoin de la paix entre les peuples. Mais trop de difficultés sont venues à bout de la persévérance des religieuses. On peut, entre autres, se souvenir d’une jeune sœur allemande mal acceptée par les personnes de passage et souvent victime de propos acerbes. Peu à peu, chacune est repartie dans son lieu d’origine. La paix est fragile, il ne suffit pas de la vouloir. Elle est toujours à construire, une autre communauté a pris la suite.

Une association « Amis de la maison de la paix » a ainsi été créée. Chaque année, ils organisent, autour du 6 juin, une marche internationale pour la paix qui rassemble autour de 1 000 personnes, de toutes générations. Alliés et ennemis d’hier marchent main dans la main pour rejoindre les anciens lieux de combats et témoigner que l’amitié et la fraternité entre les peuples sont possibles. Et surtout que la réconciliation et la paix sont une joie.

La grange réaménagée, au bout du jardin, permet d’accueillir des groupes de jeunes. Un programme pédagogique est en place et fonctionne bien. On rencontre aussi des pèlerins, des touristes, ceux qui sont venus sur les tombes de leurs proches restés sur cette terre normande, tous ceux qui cherchent autre chose. Quoi ? Ils ne le savent pas toujours mais ils repartent avec un message d’Espérance et de Paix.

 

Lorsque l’on relit les messages du pape François sur l’Europe[1], on retrouve des constantes dans sa vision d’une Europe plus intégrée, forte des valeurs qui l’ont fondée, celles de la solidarité, du dialogue, du développement et de la paix, de l’ouverture au monde, de l’espérance qui veut un regard tourné résolument vers l’avenir.

Pour le Pape, l’originalité européenne réside avant tout dans sa conception de l’homme, dans sa capacité d’initiative et dans sa solidarité active. Cette centralité de la personne humaine et de la communauté à laquelle elle appartient, où sont mis en commun les ressources et les talents de chacun, valeur fondamentale des pères fondateurs, doit rester au cœur de la construction de l’avenir. « Ce sont toujours les hommes et les femmes qui font la différence ».

Il voit dans l’Europe un modèle : elle incarne « ce que l’Église demande au niveau mondial », c’est-à-dire « l’existence d’une autorité avec des compétences multiples qui permettent d’éviter les dérives nationalistes ».

S’il reconnaît les faiblesses de l’Europe : la prééminence du paradigme économique et des chiffres sur la logique politique et les personnes, la déconnexion entre les peuples et les institutions, la solitude qui génère une « société sans sentiment d’appartenance et de transmission » et se traduit sur le plan politique par le populisme et le raidissement des nationalismes, il est confiant sur la capacité des Européens à être « des hommes et des femmes animés par le rêve d’une Europe unie au service de la paix ».

Il affirme régulièrement que les migrants sont une ressource plus qu’un poids. Gérer la question migratoire demande de la prudence, mais « on ne peut pas ériger des murs d’indifférence ou de peur ».

Face à la montée de la violence et des conflits, il insiste sur l’importance de l’éducation à la paix pour éloigner une culture du conflit qui vise à la peur de l’autre, à la marginalisation de celui qui pense ou vit de manière différente.

« Les chrétiens ont aujourd’hui une grande responsabilité : comme le levain dans la pâte, ils sont appelés à réveiller la conscience de l’Europe, pour animer des processus qui produisent de nouveaux dynamismes dans la société. Je les exhorte donc à s’engager avec courage et détermination pour offrir leur contribution dans chaque domaine où ils vivent et travaillent ».

Voilà une invitation claire à exprimer l’Europe que nous voulons comme chrétiens à l’occasion des élections du 9 juin.

 

[1] Visite au Parlement européen et au Conseil de l’Europe en 2014 – Rome à l’occasion de la célébration du 60e anniversaire du Traité de Rome en 2017 – Lettre sur l’Europe de novembre 2020 – Livre « Vivre, mon histoire à travers la grande histoire » mars 2024.

Au début des années 1980, Mgr Calvet, archevêque de Nouméa, a demandé à Justice et Paix, de créer une Commission en Nouvelle Calédonie.