Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.
Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.
Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.
Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.
On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.
Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.
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« Nayla, ils ont bombardé le vieux souk de Nabatieh ! J’y avais naguère plein de souvenirs avec feu, mon père. Ils n’ont rien laissé. Nos maisons, nos villages, nos souvenirs. Tout est parti en fumée« . La voix de Farah, mon amie de confession chiite, se brisa une fois de plus. À l’instar de Farah, mon collègue Mazen me confirme que son village au Sud-Liban a été entièrement détruit par l’armée israélienne. La maison familiale n’est plus. Que répondre à Farah et à Mazen ainsi qu’à tant de Libanais comme eux ?
Ce soir encore, des bombardements de l’armée israélienne vont pleuvoir sur Dahieh. Rien ne sera épargné. Que peut-il bien rester de Dahieh, ce quartier de la banlieue sud de Beyrouth sinistré pendant la guerre de juillet 2006, connu pour être l’un des QG du Hezbollah mais aussi réputé pour sa densité d’habitants et ses nombreux petits commerces ?
Devant ce paysage apocalyptique qui se joue quotidiennement aux yeux d’un monde blasé et impuissant, tout le Liban est menacé dans tout son être et son essence. Loin de toute éthique et violant le droit humanitaire, l’armée israélienne détruit des structures hospitalières, des écoles, des lieux de culte sous prétexte de mener des opérations chirurgicales contre des combattants du Hezbollah qui s’y dissimuleraient. Qui pour vérifier cette version israélienne des faits ? Qui des États occidentaux et des pays arabes pour condamner ce qui constitue des crimes de guerre ? Personne.
S’il est de notoriété publique que le pays du Cèdre se porte au plus mal, qu’il est politiquement, économiquement, financièrement, socialement, structurellement agonisant, cette guerre – que les libanais n’ont majoritairement pas décidé – a fini par l’achever.
Au-delà des divisions politiques ô combien profondes entre Libanais, il y a un énorme sentiment d’impuissance, de lassitude, de rage, de tristesse et surtout de refus de cette tristement célèbre résilience libanaise qui règne.
Dans ce qui semble se confirmer comme étant une étape du fameux plan Kissinger, de ce découpage hideux du « nouveau Moyen Orient » décidé pour nous par les différentes administrations américaines de ces dernières décennies, de cette guerre Iran-Israël par proxy interposés, de cet Iran qui cherche à négocier aux dépens d’un Liban faible et sacrifié sur l’autel des velléités régionales, mon pays et mon peuple sont abandonnés à leur triste sort.
Ne nous y trompons pas. C’est tout le Liban qui est visé. Les bombardements qui ont lieu dans les villes majoritairement maronites comme Jounieh et Batroun en sont la preuve manifeste et, ce soir, de graves menaces pèsent sur Beyrouth, capitale cosmopolite de ce Liban, multiséculaire et multiconfessionnelle, où les différentes communautés religieuses se côtoient, se rencontrent, commercent entre elles et entrent également en dissidence.
À quoi cela sert-il de déplorer un million et demi de déplacés, soit 40 % de la population libanaise sur un territoire dont la superficie est celle d’un département français, les 3 000 morts, les milliers de blessés, l’utilisation d’armes chimiques prohibées comme le phosphore blanc, les destructions massives d’infrastructures, si la machine de guerre n’a aucune intention de cesser, refuse la trêve et que l’objectif affiché du gouvernement de Benjamin Netanyahou est de faire du Liban un second Gaza ?
À l’instar de mes compatriotes, toutes confessions confondues, je suis sidérée d’entendre des politiciens israéliens prétendre que cette guerre ne serait pas menée contre les Libanais mais uniquement contre le Hezbollah. Comment peut-on être dupe, notamment lorsque l’on sait pertinemment que toutes les régions du Liban sont des cibles potentielles, que des villages du Sud-Liban sont militairement occupés par une armée israélienne qui n’hésite pas à brandir le drapeau de son pays, qu’une guerre psychologique est menée par la violation systématique de l’espace aérien libanais et contre tous les Libanais conscients d’être sur écoute téléphonique. Comment ne pas y voir une guerre aux objectifs disproportionnés visant à monter les communautés les unes contre les autres, pour les pousser à la guerre civile.
Contrairement à ce qui est relayé par une certaine presse, les Libanais – bien que politiquement extrêmement divisés entre eux – ne veulent pas s’armer les uns contre les autres. Le temps n’est pas à la discorde ! Mais il est avant tout à l’aide humanitaire, aide qui peine à arriver, et au soutien qu’il nous faut garder au sein de cette grande famille libanaise, condamnée à rester unie malgré la désunion.
Cette guerre inutile ne pourra pas s’éterniser. Personne n’est en mesure de savoir quand cesseront les combats, mais les Libanais sont déjà dans le jour d’après. Malgré les bombes qui pleuvent, les silences assourdissants, l’odeur du sang qui n’a pas séché, les Libanais ont conscience qu’ils vont devoir sérieusement repenser leur pays, sa charte, sa constitution, ses institutions, faire respecter les résolutions 1701 et 1559 par tous, édifier un véritable État où il ne sera question que d’une seule allégeance : au Liban, seul !
Récitant le chapelet quotidiennement depuis quelques semaines, mon amie maronite Anne-Marie a raison de rappeler les paroles prophétiques de Jean-Paul II : « Le Liban est un pays message » et de s’armer de la prière. « Ce pays, cité plusieurs fois dans la Bible, ne peut pas être oublié par Dieu ». Cette affirmation est une confession de foi. Qu’à cela ne tienne, le Liban, qu’on dit mort, à terre, pulvérisé, renaîtra de ses cendres, comme le Phénix, il renaîtra. Tant qu’il aura ses ailes !
Kiev estime ne pas pouvoir poser les armes sans être assurée d’avoir des garanties de sécurité, tandis que les Occidentaux hésitent et que la Russie poursuit son attaque
La fin des combats en Ukraine en 2025 ? C’est la perspective dessinée par le président Volodymyr Zelensky, mi-octobre, devant son parlement, lorsqu’il a détaillé son « initiative de paix » en préparation depuis des mois. Pour lui, la fin de la guerre ne peut être obtenue que si l’Ukraine reçoit les armements occidentaux les plus modernes et une invitation à rejoindre l’Alliance atlantique.
Le président Zelensky espère ensuite réunir une conférence internationale où la Russie serait convoquée. Dans ce scénario idéal, Moscou serait alors forcé d’accepter un retrait des territoires occupés, un tribunal pour les auteurs de crimes de guerre, des réparations pour les victimes ukrainiennes…
Toutefois, il faut le reconnaître, ce scénario a bien peu de chances de se réaliser. Ce projet découle de la vision que les Ukrainiens ont du conflit : ils ont le sentiment de mener un combat existentiel. Ils jugent que la Russie ne peut s’arrêter que si elle se heurte à une force supérieure et que la justice passe pour les criminels de guerre. Ils ne peuvent accepter de discuter avec la Russie qu’en disposant de solides garanties sur leur sécurité future, ce qui implique de devenir membre de l’Otan ou d’avoir des bases militaires occidentales sur leur territoire.
Ils se souviennent, en effet, qu’en 1991, lorsque l’Ukraine est devenue indépendante, elle a hérité de missiles nucléaires soviétiques. Les États-Unis ont alors fait pression pour que l’Ukraine s’en débarrasse. Kiev a transféré ces armes en Russie, en échange de quoi elle a reçu la promesse que son intégrité territoriale serait garantie. Les États-Unis, la Russie, la Grande-Bretagne et la France ont pris cet engagement dans le Mémorandum de Budapest, signé en 1994. Puis cet engagement a été violé par la Russie, à peine 20 ans plus tard, lorsque l’armée russe a envahi la Crimée.
Aujourd’hui, les Ukrainiens regrettent d’avoir cédé aussi facilement. Mais ayant enterré ce mémorandum, les alliés occidentaux de l’Ukraine craignent plutôt une escalade et s’efforcent toujours de laisser une porte de sortie à Vladimir Poutine. Ils ne veulent pas donner à l’Ukraine des armes trop sophistiquées. Ils souhaitent lui permettre de se défendre, mais pas de contre-attaquer sur le territoire russe. Ils ne veulent pas inviter formellement l’Ukraine dans l’Otan.
Et la Russie, de son côté, a fixé des conditions qui semblent inacceptables : elle veut le contrôle total de cinq régions qu’elle a entrepris d’envahir, soit amputer l’Ukraine d’un quart de son territoire. Elle voudrait également une Ukraine neutre et désarmée, dirigée par un régime favorable à la Russie. Or comment imaginer que les Ukrainiens l’acceptent, quand ils rentrent dans leur troisième hiver de guerre ?
Tandis que les alliés occidentaux de l’Ukraine hésitent sur leur stratégie, la Russie bénéficie du soutien de la Chine, de l’Iran ou de la Corée du Nord, en passe d’envoyer des soldats nord-coréens combattre aux côtés des Russes. La poursuite de cette guerre démontre une nouvelle fois l’échec du système Onusien. Dans un monde de plus en plus fragmenté, plus personne n’est en mesure de contraindre les belligérants à négocier.
Depuis des mois, tous ont l’œil rivé sur la présidentielle américaine. Une victoire de la candidate démocrate n’ouvrirait aucune perspective nouvelle. Mais le candidat Républicain, Donald Trump, s’est vanté de pouvoir « faire la paix en 24 heures ». Pour cela, il pourrait mettre fin à toute aide militaire, obligeant l’Ukraine à se soumettre. Un tel choix pourrait amener ce pays à la défaite. Mais le sacrifice de l’Ukraine ne ferait que nourrir d’autres conflits futurs.
Car la Russie pourrait bien ne pas s’arrêter là, tandis que de nombreux autres pays ayant des prétentions contre leur voisin, pourraient aussi se croire autorisés à l’envahir. Toute solution durable au conflit passe plutôt par des changements en Russie. Et même s’ils ne semblent pas pour demain, il faut miser sur les sanctions économiques pour, un jour, les imposer.
Rencontre avec Dominique Potier, député de Meurthe et Moselle
Invité à s’exprimer devant des membres de Justice et Paix pour analyser l’état de notre démocratie, Dominique Potier a choisi, à son habitude, d’emprunter un chemin de traverse. Pas question de jouer les experts politologues, lui qui refuse de considérer la politique comme un métier. Il a donc témoigné de ce qui le poussa à s’engager, sur plusieurs fronts et aujourd’hui en politique. En mettant l’accent sur ce qui l’a construit, nourri, sans doute voulait-il désigner – en creux – ce qui manque aujourd’hui à beaucoup de nos concitoyens et fragilise notre démocratie.
Pour lui, « la source » d’un engagement est fondamentale. Agriculteur de son métier, député socialiste de la 5e circonscription de Meurthe et Moselle, seul député de gauche à avoir été élu dans son département lors des élections législatives de 2024, il explique n’être jamais où on l’attend. Il est par exemple en désaccord avec le PS sur certains sujets de bioéthique, sur le projet de loi sur la fin de vie, ou sur l’alliance avec LFI.
Radio locale, coopérative agricole, conversion au bio il y a 35 ans, maire de sa commune, puis président de la communauté de communes jusqu’à se présenter pour la première fois à l’élection législative en 2012 contre Nadine Morano… : tel est le parcours d’un « enraciné » dans un « territoire où se vit une démocratie apaisée, où l’on coopère, on partage ». Lui, d’ailleurs, l’« indien », se définit comme très transpartisan : « je n’ai pas de problème à agir avec d’autres ». Et il aurait souhaité que sur cette séquence politique, jusqu’à l’élection de 2027, les partis se soient mis d’accord sur trois ou quatre sujets essentiels pour les mener ensemble.
La source qui abreuve Dominique Potier est triple, à vrai dire : sa famille, une famille engagée ; son engagement à la Jeunesse agricole catholique puis le MRJC, lieu d’éducation populaire ; et l’école de la République, le lycée agricole où il fit ses études avant de les reprendre plus tard pour se former en sociologie et en géographie humaine. Cette source, il la définit comme un « enracinement populaire, inscrit dans une tradition spirituelle ». Avec pour inspiration, Emmanuel Mounier, Jacques Delors et l’encyclique Laudato si’ du pape François. C’est ainsi qu’il créa en 2013 le cercle de réflexion Esprit Civique nourri de la pensée personnaliste et du christianisme social, lieu d’échanges, de formation, notamment à l’occasion d’une université populaire annuelle.
On a vu, déplore-t-il, depuis quelques années, arriver en politique, des jeunes hommes et femmes, « un nouveau monde », des gens culturellement vifs, brillants, mais « vides sur le plan anthropologique », manquant de structuration personnelle. Et Dominique Potier regrette que sa famille politique, la gauche, ait doublement démissionné : à l’égard des idées intellectuelles, à l’égard de la classe populaire.
Selon lui, le christianisme, affaibli, ne se retrouve plus aujourd’hui face à l’athéisme, mais face au paganisme. Il parle aussi de « servitude marchande ». « Nous connaissons une forme de paganisme politique où l’on se situe « dans l’air du temps », où l’on cultive les passions tristes. Or, nous venons de vivre un grand moment avec les JO, et quand on circule dans les territoires on voit plein de pépites,
d’actions remarquables, mais hélas la vie politique exprime peu cette espérance, cette joie. Elle manque de souffle ».
« Nous vivons un moment de bascule maximum, un moment tragique devant le péril écologique. Nous avons besoin de femmes et d’hommes qui s’engagent pour la dignité de la personne humaine, pour plus d’universalité, une interdépendance qui témoigne de notre commune humanité ». Il le sait : des jeunes sont là, prêts à des engagements radicaux auprès des plus fragiles, pour la sauvegarde de la planète, pour plaider des causes qui leur tiennent à cœur. Mais, souvent, « l’engagement politique ne leur apparaît pas comme une bonne nouvelle, comme la forme la plus haute de la charité, selon les mots de Pie XI. Avec eux, pourtant, il nous faut déchiffrer le monde qui vient et retrouver les eaux souterraines qui nous relient ».
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Quelques 500 personnes, jeunes professionnels, étudiants, familles se sont réunis à la Ferme de la Chaux en Bourgogne fin août 2024, pour la 2e édition du Festival des Poussières organisé par le collectif Anastasis. Ce furent quatre journées de conférences, d’ateliers et de vie commune pour des citoyens souvent (mais pas toujours) chrétiens, pour la plupart en colère contre l’hypocrisie et l’inaction des autorités politiques et religieuses face au dérèglement climatique et à l’injustice sociale.
L’expérience fut riche : écouter Marion Muller-Collard revisiter la notion d’Idolâtrie à partir de l’Autre Dieu, son magnifique texte sur Job ; parler du monde paysan avec la présidente de Solidarité Paysans engagée depuis 50 ans, échanger sur la question de l’action non-violente, réfléchir à la décolonisation du Christianisme… Mais aussi éplucher les carottes, danser, prier, faire de la musique. Les débats étaient parfois vifs mais les postures d’inclusion et d’écoute m’ont réjouie. Ces jeunes, et moins jeunes, sont en chemin.
Cécile Dubernet – JPF
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