Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.

Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.

Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.

Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.

On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.

Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.

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1– Parlons enfants !
* Une bonne nouvelle : des communes et des villes de plus en plus nombreuses proposent de planter un arbre à l’occasion de la naissance d’un enfant, avec une plaque indiquant son prénom. On peut y voir une confiance en l’avenir de la vie ; quant à l’enfant, en venant contempler la croissance de « son » arbre, il trouvera une occasion de se relier plus charnellement à la nature, tout se raccordant au temps long : un arbre pousse lentement ! Planter un arbre, une action simple et généreuse qui peut porter de beaux fruits, surtout s’il s’agit d’un arbre fruitier !

* Une nouvelle plus ambiguë : le bilan démographique de 2023 en France. Le nombre des décès est en baisse, après la surmortalité due à la pandémie (on peut s’en réjouir). Mais le nombre des naissances est également en baisse, une diminution de 6,6% par rapport à 2022 et de 20% par rapport à 2010. Le taux de fécondité actuel ne permet pas le renouvellement des générations, une raison parmi d’autres de considérer autrement l’immigration. Cette baisse de la natalité a été largement commentée, mais avec des arguments qu’il vaut la peine de questionner. Laissons de côté le vocabulaire politique à tonalité guerrière. La plupart des débats portaient sur des évaluations financières, avec une polarisation affligeante sur les coûts : l’accompagnement des grossesses, puis de la petite enfance, et bien sûr la scolarisation ; mais, bonne nouvelle du côté bénéfices, ces petits devenus adultes pourront payer nos retraites ! À juste titre, on évoque aussi l’impact de la maternité sur le parcours professionnel des femmes, devenir mère apparaît parfois comme un handicap. Ce type de débat axé sur le « rendement » est révélateur d’une mentalité courante. La confiance en l’avenir de la vie se réduit-elle à une évaluation monétaire ? Osons plutôt mettre en avant la portée sociale du sourire d’un bébé qui s’éveille à la vie, et la chance que cela représente pour notre vie commune ! Sinon, c’est le triomphe d’un matérialisme plat qui regarde un enfant en se demandant ce qu’il va « rapporter » : un déni du désir de donner la vie, avec ce que cela comporte d’amour…

* La question démographique ne se pose pas seulement dans notre pays, Population et sociétés (INED) de janvier note que, en 2021, il y avait près des 2/3 de la population mondiale qui vivait en des zones où la fécondité est sous le seuil du renouvellement des générations. Certes, la population mondiale continue d’augmenter puisque les générations en âge de procréer sont encore nombreuses. Mais la question socio-politique pertinente à propos de démographie porte moins sur le risque de surpopulation que sur la vitalité de populations vieillissantes, en termes de dynamisme et d’ouverture à l’avenir. Quel goût avons-nous pour l’avenir de la vie ?

2– Des enfants qui souffrent et qui meurent
* Selon Emmaüs (qui marque les 70 ans de l’appel de l’abbé Pierre), la France compte environ 330 000 sans abri et, parmi eux plus de 3 000 enfants, des chiffres qui connaissent de notables augmentations. Quand il gèle en hiver, on en parle, mais en matière de solutions durables on reste loin du compte. Quel avenir pour des enfants à la rue, ou en hébergement provisoire, dont la nourriture dépend des aides alimentaires ? Certes, les personnes et les familles qui n’ont pas de logement fixe ne peuvent guère manifester et elles ne se bousculent sans doute pas dans les bureaux de vote, mais la démocratie se dénature lorsqu’elle oublie ses membres les plus fragiles. Sur ce point également, l’analyse en reste souvent aux stricts rapports de force : on honore ceux qui disposent des biens et du pouvoir, et tant pis pour les pauvres ! Il s’agit bien d’une violence sociale qui légitime la domination des puissants et se contente de mesurettes passagères à l’égard des démunis. Un tel matérialisme vulgaire conduit à un déni de fait de l’humanité de gens sans défense, la situation de faiblesse étant redoublée chez les enfants.

* De manière bien plus dramatique encore, des enfants meurent dans les différents conflits qui endeuillent notre monde, tout particulièrement à Gaza où ils se comptent en milliers. La banalisation de la mort d’enfants, en raison de famines ou de bombardements, est un déni de notre commune humanité, elle sème les germes des conflits à venir. Il devient plus urgent que jamais de travailler à une paix durable qui permette aux enfants de sourire, de jouer sans peur.

3 – Quel avenir pour l’Union européenne (UE) ?
+ Le 9 juin prochain nous voterons pour élire nos députés au Parlement de l’UE. On peut regretter que les médias évoquent d’abord les enjeux nationaux de cette élection, évaluant le rapport de force entre les différents partis en pensant à la présidentielle de 2027. En France, nous sommes quelque peu malades de l’hyper présidentialisation, il serait urgent de chercher des remèdes !

Quel dynamisme souhaite-t-on pour l’UE ? On a heureusement chanté les louanges de Jacques Delors à l’occasion de son décès, ce qui ne nous dispense pas de suivre son exemple, afin de consolider les bases de cette Union.

+ Il faut se rappeler l’année 1945 avec une Europe en ruines. Déjà des personnes courageuses avaient envisagé un chemin d’union infiniment préférable aux guerres à répétition ; les haines restaient pourtant vives, elles ont pu être surmontées. Cultivons cet esprit ambitieux qui ose ouvrir les voies de l’alliance entre ennemis d’hier. Ce pari courageux pourrait encore aujourd’hui inspirer des régions de notre monde soumises aux conflits à répétition. Notre expérience déjà ancienne montre qu’il est possible de tisser des solidarités sociale, économiques et politiques, alors que nous avons des langues et des cultures différentes ; une union se fait toujours à partir de diversités.

+ Osons donc cultiver une fierté d’être européen, plutôt que considérer l’UE comme la cause majeure des difficultés du quotidien. Il y a au moins deux motifs de se montrer fiers d’une UE qui a fait ses preuves et qui peut continuer à avancer. 1) Tout d’abord la lucidité : quel poids pourrait avoir chacun de nos pays pris isolément face à l’Inde (1er pays en nombre d’habitants), à la Chine, aux USA ? Plutôt qu’amplifier une mondialisation aventureuse, il importe aujourd’hui d’être solidaires, solides ensemble dans le cadre de l’UE, en matière d’alimentation, de santé, de nouvelles technologies, etc. 2) Et surtout, continuons de cultiver une référence positive aux droits humains, à la démocratie, à la solidarité face aux aléas et aux défis de l’existence (pensons notamment à l’urgence écologique). Il s’agit d’un enjeu de civilisation, la guerre en Ukraine nous le rappelle douloureusement. Consolider les fondations de l’UE c’est préparer un avenir mieux assuré aux enfants d’aujourd’hui. Il vaut donc la peine de s’intéresser à l’élection des députés européens pour continuer de promouvoir une Union solide et généreuse.

La Lettre de Justice et Paix propose des éléments de réflexion en vue du scrutin. On peut les retrouver ici  La Lettre de Justice et Paix France   sur le site de Justice et Paix France

 

Télécharger le n° 65, février 24  (PDF)   

La guerre en Ukraine, qui ce mois-ci rentre tristement dans sa 3e année, a soudain remonté l’élargissement dans l’agenda politique européen. Les négociations d’adhésion à l’Union européenne de ce pays ainsi que celles de la Moldavie devraient commencer en mars pour de bon. À rebours du Brexit, qui vit sortir l’un des plus grands pays de l’Union, cette dernière se prépare à accueillir potentiellement neuf nouveaux membres dans les prochaines décennies. Une Europe à 36 s’esquisse à un horizon lointain. Est-ce défigurer l’Union européenne ou, au contraire, lui rendre son visage définitif ?

Fidèle à la vision de Robert Schuman de réconcilier le continent, l’élargissement ne trahit pas le projet européen. Il en marque l’accomplissement mais, ce faisant, il en modifie le cours. Admettre de nouveaux pays n’est pas une simple extension de l’UE existante mais participe à sa transformation en réaction aux nouveaux risques géopolitiques auxquels ces futures adhésions répondent. Ne l’oublions pas, l’Ukraine a déposé sa candidature au lendemain de son invasion par la Russie. Elle a été imitée aussitôt par la Moldavie et par la Géorgie, toujours en réaction au regain d’impérialisme russe.

Avant la guerre, cette partie de notre continent était un impensé de la construction européenne. Les Balkans étaient considérés comme le terme du projet d’unité. Terme de facto sans cesse repoussé au point d’avoir fait perdre au processus sa crédibilité dans l’ex-Yougoslavie, où la nouvelle dynamique en faveur de l’élargissement tarde à trouver des relais. Mais nouvelle dynamique il y a car les visées de Poutine interdisent désormais de laisser l’Est du continent en une zone grise, source d’instabilité. Un « État-tampon » vivrait sous menace russe permanente. Aussi, pour les anciennes républiques soviétiques d’Europe, rejoindre l’UE signifie d’abord sauver sa nation, préserver la liberté d’action de son État et l’ancrer hors de la sphère d’influence russe. Les drapeaux étoilés européens fièrement brandis à Kiev ne sont pas ceux d’une organisation internationale mais expriment l’identité revendiquée du pays. Une ferme perspective d’adhésion y est porteuse d’espoir dans l’opinion. Elle rassure les investisseurs privés pour la reconstruction.

L’élargissement apparaît plus dur à admettre à l’Ouest. La France y fut traditionnellement réticente, voyant dans ce mouvement une fuite en avant préjudiciable à une intégration approfondie et plus agile à quelques-uns. L’entrée de nouveaux États est perçue comme un fardeau qui compliquera le fonctionnement de l’UE et en grèvera le budget (PAC, fonds de cohésion) plutôt que comme un impératif géopolitique pour notre propre sécurité, l’affirmation de l’Europe dans un monde multipolaire.

Quel qu’en soit le motif, une adhésion répond d’abord à un choix démocratique de part et d’autre. L’UE ne forme pas un empire en ce qu’elle n’oblige aucun État à y entrer, ni même désormais à y rester (Brexit). Mais on n’y accède pas comme on veut. Outre d’appartenir au continent, les trois conditions sont d’être une démocratie libérale, d’avoir une économie de marché et de respecter le droit européen. D’où les délais nécessaires à négocier secteur par secteur, chapitre par chapitre (35 au total) pour établir un traité d’adhésion, qui devra ensuite être ratifié à l’unanimité par chacun des 27 États membres actuels de l’Union et sans doute assorti de phases transitoires de plusieurs années avant une pleine entrée en vigueur. L’Ukraine n’est pas admise demain. Le processus d’élargissement est affaire d’espace mais d’abord de temps.

Temps aussi pour adapter la gouvernance de l’UE en conséquence. La Commission doit proposer une réforme institutionnelle. Mais en pratique la difficulté à s’entendre n’est pas qu’une question de nombre. C’est la gravité des circonstances, le degré de perception de la menace, qui forgent la volonté politique et forcent le consensus. La pandémie puis la guerre ont conduit les 27 à prendre des décisions rapides et d’envergure. C’est aujourd’hui la sévérité des menaces extérieures à conjurer, Russie en tête, et le besoin mieux admis de capacités propres de production face aux vulnérabilités de sur-dépendance, comme face à la Chine, qui commandent l’unité des Européens, au-delà de toute amélioration institutionnelle nécessaire.

A cet égard, une Europe élargie ne forme pas un bloc d’un seul tenant. Le nombre variable de pays de l’Union rejoignant la zone euro ou l’espace Schengen prouve que l’intégration européenne admet la différenciation. Celle-ci se révèlera plus encore indispensable pour permettre à une Europe à « 30+ » à garder de l’agilité.

L’Europe ne grandira pas non plus d’un seul coup. Le ‘Big Bang’, à la manière de celui il y a 20 ans faisant passer l’UE de 15 à 25 pays, n’est pas l’option préférée. L’idée est plutôt d’organiser des entrées espacées par groupes de 2 ou 3 pays. À ce stade, le Monténégro, l’Albanie et la Macédoine du Nord ressortent comme les plus à même d’avancer. À l’inverse, les entrées de la Bosnie-Herzégovine ou du Kosovo apparaissent encore très lointaines. Mais ici, plutôt qu’une adhésion pleine seulement au terme d’un long processus parfois hésitant et décourageant, l’idée fait aussi son chemin d’une adhésion graduelle. Elle permettrait à toutes les parties, candidat, États membres et institutions européennes, de s’apprivoiser, d’apprendre à mieux se connaître, d’absorber progressivement et d’apprendre à gérer des fonds et mécanismes européens ouverts par étapes successives. En d’autres termes, si l’adhésion est un mariage, il appellerait au préalable un temps de fiançailles.

L’entrée par étapes permettrait aussi d’exercer une vigilance plus ferme que lors des précédents élargissements sur le respect de l’État de droit. Indépendance de la justice, liberté des médias, respect de l’opposition, … : les principes qui sous-tendent une démocratie libérale sont indispensables pour la confiance entre États dans l’Union, que l’élargissement ne doit pas éroder. Le précédent avec la Hongrie a conduit à relever le niveau d’exigence en amont.

On le voit, l’élargissement soulève de redoutables défis. Mais il offre aussi des opportunités et pas seulement pour le futur État membre. L’Ukraine ne sera pas qu’un coût pour la politique agricole commune mais apportera à l’Union des terres parmi les plus fertiles. Au moment où l’UE cherche à produire ses propres batteries pour équiper les voitures électriques, la Serbie possède des réserves de lithium, qui pourront réduire notre dépendance extérieure. Il existe d’autres exemples d’apports bénéfiques. L’élargissement, dont l’absence présenterait aussi un coût, invite à renouveler notre regard sur des pays que nous connaissons finalement très peu ou mal, que la perspective européenne va transformer et qui doivent rendre l’Europe plus puissante dans le monde.

 

Propos recueillis par Dominique Quinio, Justice et Paix France

Oxfam (1) a des équipes à Gaza. Tout est urgence, mais, pour vous, quelle est l’urgence des urgences ?
Actuellement ce sont 30 personnes, des Gazaouis, qui y sont à l’œuvre, en partenariat avec d’autres ONG. La priorité des priorités, c’est le cessez-le-feu. Avant les derniers événements, 80 % de la population avait déjà besoin d’aide. Aujourd’hui, la situation est désastreuse sur tous les plans : médical, alimentaire, sanitaire (on compte une douche pour 2 000 personnes, une toilette pour 400 et le système de traitement des eaux ne fonctionne plus). Avec le collectif des ONG engagées sur le terrain, nous disons que se vit là l’une des pires catastrophes humanitaires : la population est en danger de mort.

Peut-on se fier aux chiffres donnés par le Hamas sur le nombre de victimes de l’offensive israélienne (25 000 morts) ?
Il est difficile d’avoir des informations. Mais ces chiffres, d’après nos estimations, semblent fiables et peut-être même sous-estimés, si on ne s’en tient pas aux victimes directes des bombardements, mais aux blessés, aux malades qui n’ont pu être soignés. Vraiment l’urgence, c’est le cessez-le-feu pour que l’aide qui attend d’être acheminée puisse entrer. On a peine à imaginer l’ampleur des besoins : toutes les infrastructures, médicales, scolaires ont été atteintes, de même que l’agriculture.

Au-delà de l’aide humanitaire indispensable, quelle analyse faites-vous de la situation ?
Nous sommes consternés et révoltés par les atteintes aux populations civiles et particulièrement aux enfants, à Gaza comme en Israël. C’est pourquoi, nous condamnons les attaques du 7 octobre dernier et appelons à la libération des otages.

Nous en sommes au temps de la réponse humanitaire. Mais quand des enfants ont vécu de tels traumatismes, on crée un traumatisme collectif durable. Il faut donc agir pour que les populations civiles, israéliennes comme palestiniennes, puissent vivre dans la paix. Les citoyens de tous les pays doivent faire pression sur les gouvernements pour qu’ils exigent un cessez-le-feu. Et ne pas oublier ce qui se passe dans cette région du monde ; cela fait longtemps que Gaza surgit dans l’actualité, il y a un risque de s’habituer, de se résigner. Il faut continuer de soutenir les populations de Gaza.

  1. oxfamfrance.org