Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.

Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.

Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.

Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.

On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.

Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.

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N’est-ce pas une carence d’éthique qui a donné à la crise financière une telle ampleur ? De fait, trois valeurs fondamentales ont été oubliées pendant les années d’euphorie.

Article publié dans Les Echos des 28 & 29 mars 2014

La première est la transparence. L’économie libérale est fondée sur l’hypothèse que les acteurs économiques sont rationnels et éclairés. Or, l’asymétrie de l’information n’a cessé de progresser aux dépens du grand public, des salariés, des actionnaires et même des administrateurs. Asymétrie aussi lorsque des produits financiers mélangeant actifs toxiques et valeurs sûres sont conseillés aux épargnants. Asymétrie enfin, quand les agences de notations utilisent des critères peu lisibles.

Les voies sont connues pour rendre la finance moins opaque: élargir le champ de la supervision financière aux secteurs non-régulés, hedge-funds, places offshore, agences de notation ; clarifier les normes comptables, les harmoniser au niveau mondial et les déconnecter de la volatilité des marchés ; organiser une vigilance accrue sur la gouvernance des entreprises ; réduire la consanguinité des conseils d’administration ; améliorer l’audit et les contrôles internes ; informer les salariés ; désintoxiquer la notation, comme le dit l’Autorité des marchés financiers. Ces chantiers progressent trop lentement.

La deuxième valeur tombée en désuétude est la tempérance. Alors que l’économie stagne, est-il raisonnable d’exiger un rendement mirobolant ? Cette course effrénée est un pousse-au-crime qui oblige les entreprises à pressurer, voire licencier leur personnel et incite les investisseurs à prendre des risques inconsidérés. La crise et le resserrement des règles prudentielles internationales qu’elle a entraîné ont mis un frein à ces pratiques. Mais le naturel revient vite au galop.

Modération oubliée aussi dans les rémunérations des dirigeants et les bonus des traders, même si ils ont été plafonnés ou taxés dans nombre de pays, ils ont repris leur progression.

La troisième valeur négligée est le sens des responsabilités : envers les clients d’abord, inconscients des risques qu’ils encourent ; envers les salariés victimes entre autres de « licenciements boursiers » ; envers l’environnement parfois malmené par des firmes sans scrupules; envers les actionnaires pour qui la création de valeur s’est parfois révélée être un mirage. Il est normal que des entreprises fassent le gros dos quand leur activité faiblit. Il est moins acceptable que, d’une part, elles réduisent les investissements porteurs d’avenir alors qu’elles dégagent des bénéfices et que, d’autre part, les banques les privent des crédits dont elles ont besoin.

Dans son Exhortation apostolique de novembre 2013 sur la fraternité, le Pape François n’a pas mâché ses mots : « non à une économie de l’exclusion, (…) non à l’argent qui gouverne au lieu de servir. (…) Je vous exhorte à la solidarité désintéressée et à un retour de l’économie et de la finance à une éthique en faveur de l’être humain. »

Comment faire pour rendre plus juste un milieu où l’humain est malmené ?

  • Se ressourcer en se réunissant autour de valeurs de justice et de respect des autres qui rappellent la finalité humaine de l’économie et de la finance.
  • Oser refuser les pratiques douteuses, les mécanismes qui poussent à la faute et dénoncer les dérives du système, qu’il s’agisse d’abus de droit, de fraude, des paradis fiscaux, du blanchiment d’argent ou de la manipulation des prix de transferts.
  • Fabriquer un secteur financier plus juste, en démontant les rouages pervers du système, en sensibilisant le public et les responsables politiques aux niveaux national et européen sur la nécessité de réformes et en assurant la promotion d’une finance plus solidaire et à nouveau tournée vers le long terme.

Le Conseil national pour la solidarité des évêques de France vient de publier un livret pédagogique sur l’exhortation du pape François. Justice et Paix s’y est associé.

Cette nouvelle parution fait suite à celles sur l’encyclique L’Amour dans la vérité, sur les paradis fiscaux, les réfugiés et les migrants, la justice et la paix en Israël et Palestine. Un chapitre est relatif aux changements des « structures de péché » et à la tâche politique désignée comme la forme la plus élevée de la charité.

Il ne suffit pas de mettre en place des plans d’urgence pour les plus démunis. Il faut chercher des solutions pérennes donc structurelles. Il faut, certes, accueillir le démuni, lui faire toute sa place dans la société et l’Eglise mais il est encore plus important d’éradiquer la misère.

 

Développer une solidarité structurelle

La solidarité dans une société moderne et complexe ne peut se limiter à l’aumône donnée aux mendiants de nos rues. Pas même se limiter au chèque qu’on envoie aux associations humanitaires en fin d’année. Il s’agit d’envisager le « prochain structurel », celui auquel nous lient les mécanismes complexes de l’impôt, de l’économie mondiale, des cotisations sociales, du prix du pétrole…celui dont nous sommes solidaires par les décisions politiques qui façonnent l’ordre ou le désordre mondial actuel : « Tant que ne seront pas résolus radicalement les problèmes de la pauvreté…en attaquant les causes structurelles de l’inégalité sociale, les problèmes du monde ne seront pas résolus…L’inégalité sociale est la racine des maux de la société. »(202 de l’exhortation)

La question de l’amour du prochain, de la solidarité, de la lutte contre la misère, de l’accueil du démuni…ne se limite pas à un mouvement romantique du cœur. Il nous faut envisager les mécanismes économiques et politiques qui nous rendent solidaires de 65 millions de Français, de 500 millions d’Européens, et de 7 milliards d’habitants de la planète. Et cela passe aussi (surtout) par des mécanismes structurels, économiques, politiques, culturels. Changer de vie, adopter un style de vie sobre, cela pousse à un changement des structures de notre monde. L’économie, la vie internationale, l’ONU peut être. La vie de notre quartier aussi, pour commencer. Quartier ou immeuble ou famille ou bureau ou atelier.

 

Réhabiliter la dignité de la tache politique

La tâche politique – modifier les structures – est urgente. « La nécessité de résoudre les causes structurelles de la pauvreté ne peut attendre »(202). On peut ne pas limiter l’action des chrétiens aux relations interpersonnelles et estimer que le marché s’autorégule pour ce qui concerne les échanges de marchandises, de travail et de capitaux. Comme si le dynamisme chrétien ne devait se déployer que dans la sphère privée. « Nous ne pouvons plus avoir confiance dans les forces aveugles et dans la main invisible du marché…{il faut} des programmes, des mécanismes et des processus spécifiquement orientés vers une meilleure distribution des revenus, la création d’opportunités d’emplois, une promotion intégrale des pauvres qui dépasse le simple assistanat. »(204) Faire cela, c’est simplement exercer notre responsabilité politique de chrétiens : « La politique tant dénigrée est une vocation très noble, elle est une des formes les plus précieuses de la charité, parce qu’elle cherche le bien commun…Nous devons nous convaincre que la charité est le principe non seulement des micro-relations : rapports amicaux, familiaux, en petits groupes ; mais également des macro-relations : rapports sociaux, économiques, politiques. »(205)

Evangéliser, cela consiste donc aussi à humaniser nos conditions de vie et celles de nos contemporains. (…) « Dieu vit parmi les citoyens qui promeuvent la solidarité, la fraternité, le désir du bien, de vérité, de justice. Cette présence ne doit pas être fabriquée, mais découverte, dévoilée. »(71)