Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.
Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.
Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.
Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.
On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.
Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.
Télécharger la Lettre n°304 septembre 2024 (PDF)
On peut bien se l’avouer, ces premières semaines de l’année 2015 furent éprouvantes, pour la France aussi.
Les tueries menées les 7 et 8 janvier comme des opérations commando et les cibles choisies, humoristes, juifs, policiers, ont causé l’une des émotions populaires les plus fortes de ces dernières décennies. Les rassemblements organisés partout ont ensuite répondu à un vrai désir de communion citoyenne: on avait besoin de sentir la présence des autres, presque physiquement.
Un grand désir d’unité s’est exprimé. Mais l’ampleur de la tâche n’échappe à personne. Car l’engagement dans le « vivre ensemble » ne passe pas simplement par le fait d’être ou non Charlie. Pour l’avenir la bonne question serait plutôt: « Voulons-nous être citoyens, ensemble »? Et je l’assortirais volontiers d’une seconde qui me vient souvent devant la diversité de notre société: « Nous réjouissons-nous de ce bonheur d’être divers? »
Si nos réponses ne semblent pas encore très assurées, une chose retient pourtant très fortement mon attention : notre pays où la peur est aujourd’hui très vive s’est cependant réveillé avec une image des musulmans qui se consolide positivement (enquête Ipsos de fin janvier). Paradoxe? Non, car les déclarations des responsables musulmans, des divers responsables religieux et des hommes d’État ont été à la hauteur d’un pays uni pendant les dernières semaines. Non doublement, parce que les attentats ont démontré l’absurdité de confondre ces barbares avec des citoyens français musulmans assumant leur quotidien comme tout le monde. Cette enquête est un signe encourageant pour ces derniers, au comble de l’inquiétude actuellement.
Mais le bonheur d’être divers reste à découvrir. Un changement de regard des institutions républicaines sur les religions peut y aider. Car la religion ne peut pas être vue simplement comme un obscurantisme, ou au mieux un archaïsme à faire disparaître grâce aux lumières de la raison. Si les grandes religions ont traversé les siècles, c’est d’abord grâce à la foi de leurs fidèles, ensuite en bénéficiant de soutiens politiques, mais aussi en élaborant peu à peu une pensée complexe sur le monde, l’homme et les fins ultimes. Cette pensée honore par bien des aspects les nobles exigences de la raison. Il faudrait donc développer les échanges et les débats entre tous ceux qui raisonnent, y compris les théologiens.
Peut-être redécouvrirons-nous alors que la religion est moins une affaire privée qu’une affaire personnelle. Nos principes républicains garantissent la liberté de chaque personne d’adhérer ou non à une conviction. Ils défendent avant tout cette liberté de choix personnel. Mais cette liberté garantie, pourquoi l’évocation d’une conviction religieuse hors de l’espace privé deviendrait-elle forcément une menace ? De toute façon, le législateur continuera à réguler l’expression publique des convictions afin qu’elles se rencontrent d’une manière civilisée. Et en ce qui concerne les mentalités, peut-être conviendrait-il d’accueillir vraiment la manière dont chacun cherche le sens de sa vie: parler ensemble du sens de la vie n’est pas impossible ! Dans le respect de la conviction de chacun, cela devrait être possible, même au sein des écoles.
En mettant la personne au centre, le Concile Vatican II a pu réajuster son regard sur les autres religions. Reconnaître l’autre, c’est découvrir ce qui est précieux pour lui, ce qui lui permet d’affronter la question du sens. Cette quête s’exprime souvent dans la piété populaire qui ressaisit des siècles de culture. Enracinés en elle, certains ont développé un sens presque inné de ce qui est bénéfique ou néfaste. Nombreux sont les musulmans et les chrétiens sans grande formation religieuse qui ont la ferme conviction que tuer au nom de Dieu est un parfait non-sens. On peut regretter qu’ils ne sachent pas l’argumenter, mais l’authenticité de leur conviction les mène vers les sommets, comme ces soldats quittant leurs tranchées pour quelques heures de trêve spontanée, la nuit de Noël 1914, ou comme le garde-champêtre algérien à qui Christian de Chergé[1] devait la vie.
Tout ce qui nous permet de comprendre que nous sommes une même famille humaine est à développer: rencontres, convivialité, entraide, action solidaire, partage, espaces d’échanges libres et gratuits, tel ce forum national islamo-chrétien, qui a lieu chaque année en Rhône-Alpes depuis 4 ans. Une simple journée « portes ouvertes » permet au citoyen lambda de découvrir la mosquée de son quartier ou la paroisse ainsi que leurs communautés. Sans syncrétisme, il est tout à fait possible d’élargir l’espace de nos tentes, comme cela sera proposé aux chrétiens et aux musulmans le 21 mars 2015 à la basilique de Longpont-sur-Orge (Essonne), pour un rassemblement « ensemble avec Marie ». Inspirée d’une pratique libanaise cette rencontre proposera aux chrétiens et aux musulmans de méditer ensemble la visite de l’ange à Marie/Maryam relatée dans l’Évangile et dans le Coran. .
Bien sûr, il reste beaucoup à faire pour nous autoriser à aller les uns vers les autres. Il reste à consentir dans nos différentes communautés, un grand effort pédagogique pour former des consciences fraternelles devant la diversité religieuse. N’attendons plus pour donner place à l’autre dans nos discours, nos catéchismes, nos prêches et nos homélies. N’attendons plus pour lui donner place en nos cœurs ! La route est longue mais certains l’ont déjà ouverte : à Carcassonne, une nuit de Noël 2013, des musulmans poussaient la porte d’une église alors que la procession se dirigeait vers la crèche et remettaient des cadeaux pour Jésus aux célébrants assez étonnés. Récemment, dans une église de Lorraine que je connais bien, le concepteur de la crèche n’a pas hésité à placer dans le décor, la reproduction d’une mosquée existant dans un bourg voisin. C’est anachronique bien sûr, mais je crois me rappeler que le Christ vient naître au milieu des hommes et pas simplement au milieu des chrétiens. Il faut préparer la route au Seigneur.
La situation des chrétiens à Alep et en général la situation politique sont très pénibles, surtout depuis l’apparition du groupe Etat islamique sur la scène locale et régionale.
Ce groupe a réussi à semer la terreur. Il semble que nous entrions dans une nouvelle étape de la crise syrienne sans mesurer encore l’ampleur de ce qui va advenir. Depuis les évènements de Mossoul et de la plaine de Ninive et le déplacement de plusieurs milliers de chrétiens irakiens, l’inquiétude est encore montée d’un cran. Beaucoup de familles qui n’avaient jamais pensé à émigrer y songent désormais sérieusement. Pour l’Eglise et pour le pays, c’est une grande perte dont l’Occident est complétement inconscient.
Nous aurions souhaité une plus grande mobilisation, notamment des médias. Reconnaissons au pape François le courage qu’il a eu d’exprimer sa solidarité avec les chrétiens de la région. Je sais aussi que les chrétiens de France sont très généreux vis-à-vis des chrétiens de Syrie (…) Disons que nous souhaitons une défense politique plus engagée encore. (…)
Prier, cela peut nous rappeler que la dernière parole n’est pas aux armes, contrairement à ce que pensent les puissants de ce monde, mais à l’amour de Dieu manifesté en Jésus mort et ressuscité pour le salut des hommes. (…).
Extraits d’une interview par Romain Mazenod, Prions en Eglise, janvier 2014.
Transparence dans les industries extractives : au 1er janvier 2015 une nouvelle loi imparfaite.
Communiqué de presse du 18 décembre 2014 des Plateformes « Publiez Ce Que Vous Payez » et « Paradis Fiscaux et judiciaires », dont Justice et Paix est membre.
La loi qui introduit l’obligation pour les entreprises pétrolières, gazières, minières et forestières de publier tous les paiements faits à des gouvernements, projet par projet dans chaque pays où elles mènent des activités d’exploitation ou d’exploration, a été définitivement adoptée par le Parlement ce 17 décembre. Cette loi transpose en droit français les directives européennes Transparence et Comptable adoptées par le Parlement européen en juin 2013.
Il s’agit d’une étape importante vers la transparence et la lutte contre la corruption dans un grand nombre de pays riches en ressources naturelles.
« Les deux tiers des populations les plus pauvres vivent dans des pays riches en ressources naturelles. Cette loi va permettre de renforcer les normes mondiales sur la transparence et la gouvernance de ces secteurs où l’opacité a privé les populations de revenus essentiels pour le financement des services publics et des infrastructures nécessaires à leur développement », souligne Martin Willaume, coordinateur de la coalition PCQVP en France.
A partir du 1er janvier 2015, les grandes entreprises minières, pétrolières, gazières et forestières enregistrées et/ou cotées en bourse en France, telles que Total, Areva ou Eramet devront en effet rendre publics tous les paiements égaux ou supérieurs à 100 000 € versés à toute autorité nationale, régionale ou locale d’un pays tiers, projet par projet dans chaque pays d’exploration ou d’exploitation. Les premiers rapports sur l’activité 2015 seront publiés en France en 2016.
« Cette loi est un pas en avant pour la transparence en Afrique. Nous allons pouvoir obtenir le détail des paiements effectués par les entreprises françaises comme Total à notre gouvernement. Cela nous permettra de demander des comptes à notre pays pour que ces revenus issus du pétrole profitent à tous. Ces rapports seront accessibles gratuitement sur internet et il est important qu’ils puissent être publiés sous un format utilisable et ouvert », ajoute Brice Mackosso, coordinateur de PCQVP pour la République du Congo.
Si le vote de cette loi française est un progrès important dans la lutte contre la corruption, il reste cependant une occasion manquée pour les autorités françaises de combattre l’évasion fiscale. En refusant d’utiliser cette loi de transposition pour obliger les entreprises extractives et forestières à publier les chiffres sur leurs implantations pays par pays – une obligation pourtant faite aux banques depuis cette année –, les députés et sénateurs privent les citoyens français et ceux des pays hôtes d’un outil indispensable pour traquer les montants qui transitent par les paradis fiscaux.
Revisiter l’institution à partir de la fragilité
Article du groupe Développement de Justice et Paix (Elena Lasida, Luc Champagne, Jacques Debouverie, Jean-Luc Dubois, Michel Lepetit, Bernard Perret, André Talbot) publié dans Etudes de décembre 2014.
La relation entre institution et fragilité est paradoxale. Pourtant, si l’on comprend la première comme base de la société, lieu où l’individu se construit avec d’autres, sa fragilité contribue à sa plasticité et à sa capacité de renouvellement. Elle corrige en particulier le danger de domination qui caractérise souvent l’institution et entraîne son rejet. L’individu peut se sentir créateur de l’institution, plutôt que sa victime.