Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.
Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.
Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.
Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.
On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.
Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.
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Ce début d’année 2013 est marqué par un événement et un anniversaire concernant l’enseignement social de l’Église catholique.
Un anniversaire : quelques semaines avant sa mort, le 11 avril (jeudi saint) 1963, Jean XXIII publiait l’encyclique Pacem in Terris dont le retentissement fut important ; elle intégrait largement l’héritage des droits humains, notamment des droits sociaux, et en appelait fermement à l’instauration d’une autorité politique de compétence mondiale (n° 136-137). Un événement : la renonciation de Benoît XVI à sa charge d’évêque de Rome et donc de pape, ce qui offre l’occasion de discerner les accents propres qu’il a apportés à l’enseignement social de l’Église, notamment à propos de justice et de paix. Avant d’effectuer ce travail spécifique, il faut rappeler un peu d’histoire.
Un demi- siècle jalonné de textes importants
Le concile Vatican II s’est déroulé de 1962 à 1965 ; l’encyclique de Jean XXIII prend donc place durant la première étape du concile ; elle met particulièrement l’accent sur les conditions de la paix. Peu de temps après la fin du concile, le 26 mars 1967 (Pâques), Paul VI publie l’encyclique Populorum Progressio (PP). ce document honore l’enseignement de son prédécesseur : Jean XXIII a mis en lumière la nécessaire solidarité de tous les peuples qui forment une même humanité. Il explicite aussi le message délivré par le concile, notamment dans la Constitution Gaudium et Spes (GS), en soulignant une solidarité humaine croissante. La définition du développement proposée par l’encyclique de Paul VI demeure une référence centrale : « C’est un humanisme plénier qu’il faut promouvoir (…), le développement intégral de tout l’homme et de tous les hommes. » (PP n° 42) Le pape fait ainsi écho à la volonté des Nations unies de promouvoir le développement de tous les peuples. Notons encore que cette encyclique annonce la création de la Commission pontificale Justice et Paix (PP n° 5) ; elle va de fait soutenir et promouvoir la naissance de différents et nombreux organismes ecclésiaux qui travaillent au service de la solidarité internationale. Ce texte rencontre aussi un écho public tout à fait important.
Il n’est donc pas étonnant que Jean-Paul II considère le message de Paul VI comme un acte fondateur et il tient à publier une nouvelle encyclique pour en marquer le 20ème anniversaire : Sollicitudo Rei Socialis, (SRS, 30 décembre 1987). Ce texte intègre notamment la notion de solidarité à l’enseignement social de l’Église, la présentant même comme une « vertu chrétienne » (n° 40), alors que ce terme était considéré avec suspicion par nombre de catholiques puisque, au XIXème siècle, il avait été posé en concurrent de la charité. Continuant cette nouvelle tradition, Benoît XVI manifestera sa volonté de marquer le 40ème anniversaire d’une publication et le 20ème de l’autre, même si, en raison de retards dus entre autres au désir de prendre en compte la crise financière, l’encyclique Caritas in Veritate (CV) ne fut présentée que le 29 juin 2009.
Les insistances du pape Benoît XVI
Quels accents particuliers et nouveaux peut-on repérer dans l’enseignement de Benoît XVI ? On note tout d’abord une continuité, tout spécialement dans la référence aux principes majeurs qui structurent l’enseignement social de l’Église et qui ont été rappelés par le Compendium de la doctrine sociale de l’Église (2004). Cependant, une accentuation apparaît manifeste, concernant l’anthropologie théologique : l’explicitation d’une vision de l’humain comme être social qui se réfère à l’héritage biblique et à la théologie chrétienne : « L’amour est le don le plus grand que Dieu ait fait aux hommes. » (n° 2)
Au cœur, l’amour
Voici le trait majeur qui sous-tend l’ensemble du message de Benoît XVI : l’amour. Sa première encyclique, qui profile l’axe de son pontificat, est intitulée Deus caritas est, Dieu est amour (25 décembre 2005). Mais cette conception de l’existence humaine et de la vie en société peut-elle représenter une sorte de monopole réservé aux seuls chrétiens ? Ce serait ignorer les travaux de sociologues, tels que Luc Boltanski, de philosophes, tels que Paul Ricoeur, sans oublier les réflexions et les recherches actuelles à propos de la bienveillance, de la sollicitude, du soin mutuel, comme autant de catégories essentielles qui caractérisent une vie commune vraiment humaine. Cette insistance de Benoît XVI s’appuie donc sur un travail soutenu en philosophie et en sciences humaines, tout en confessant la foi chrétienne comme une référence centrale, comme une source spécifique. La particularité chrétienne s’inscrit alors dans la quête commune d’une vie bonne, tout en apportant une note originale qui induit des effets pratiques.
Notons qu’une telle attitude spirituelle et intellectuelle s’inscrit dans la ligne théologique et pastorale promue par le concile Vatican II. On peut cependant remarquer une différence de ton d’un pape à l’autre. Par exemple, lorsque Paul VI traite de la charité (PP n° 66 à 75), il évoque des actions concrètes telles que l’accueil des étudiants étrangers et des travailleurs émigrés. Parlant de charité, Benoît XVI veut fonder les multiples actions de solidarité en partant de l’amour même de Dieu Trinité, avec ce que cela comporte de gratuité, de don sans attente de retour.
En relation vitale avec la vérité
Le titre de l’encyclique CV relie explicitement l’amour et la vérité. « La vérité est logos qui crée un dià-logos et donc une communication et une communion. » (n° 4) Cette conjonction vive tend à éviter deux travers. Tout d’abord la réduction de l’amour à un « réservoir de bons sentiments » (n° 4), reproche qui a souvent été adressé aux chrétiens, même si « les œuvres de charité » ont effectivement pris corps en des institutions qui ont marqué notre histoire commune. La volonté de faire la vérité conduit à vérifier la qualité et – osons le mot – l’efficacité des activités fondées sur la charité. L’autre travers consiste à privilégier les seules techniques, d’une manière telle que les actions entreprises manquent leur but en négligeant l’engagement humain et solidaire des différents acteurs. L’agir réduit à la seule logique d’efficacité peut contrevenir au bien des personnes concrètes. Une telle mise en garde concerne des projets entrepris sans lien avec les « bénéficiaires », des aides qui se transforment en assistanat, etc. Le vrai développement « ouvre à la réciprocité des consciences et des libertés. » (n° 9). Le message de CV met en cause tant les attitudes hautaines et dominatrices qui dévaluent le beau mot « charité » que les actions qui, au nom de l’efficacité, infantilisent les bénéficiaires. Importe avant tout une qualité de la relation humaine entre les différents partenaires, faite de respect et de confiance.
Un autre « couple » revient souvent en CV : la raison et la foi. La raison sans la foi, celle-ci étant perçue comme ouverture à l’autre et à l’Autre, peut se perdre dans l’illusion de la toute-puissance, tandis que la foi sans la raison risque de devenir étrangère à la vie concrète des personnes (n° 74). Il faut cependant reconnaître que l’affirmation « L’humanisme qui exclut Dieu est un humanisme inhumain » (conclusion CV) a blessé des personnes qui ne se réfèrent à aucune religion, qui y ont vu comme un déni de leur propre exigence éthique. Il importe donc de s’expliquer sur la signification de l’évocation réitérée d’un « humanisme ouvert à l’Absolu » : cette expression met l’accent sur une vérité qui suppose la communication, sur un Amour qui est vécu sous le signe du don.
Dans une dynamique du don
Aussi, en rapport avec une éthique du don, se trouve évoquée à plusieurs reprises une « ouverture à la transcendance ». Cette dimension rappelle la centralité de la personne humaine dans la manière de traiter les problèmes techniques. Elle redit surtout la dignité inaliénable de la personne, mais aussi le caractère social et relationnel de l’identité humaine. Le recours à la transcendance ne polarise pas immédiatement sur le domaine religieux, il peut rejoindre des approches philosophiques valorisant une reconnaissance de la dignité humaine qui précède, fonde et soutient le droit positif. Selon une telle perspective, l’organisation de la vie commune ne se réduit pas à une série de problèmes techniques, elle comporte avant tout une référence fondamentale aux droits humains.
L’ensemble du chapitre III de CV, intitulé « Fraternité, développement économique et société civile » met l’accent sur le don et la gratuité. Cet apport de l’encyclique fut particulièrement remarqué, comme le signe d’une nouveauté dans l’enseignement social de l’Église. Il comporte une dimension anthropologique : « L’être humain est fait pour le don ; c’est le don qui exprime et réalise sa dimension de transcendance. » (n° 34) Si l’expérience du don est centrale dans la vie humaine, elle doit aussi polariser l’activité économique et orienter la mondialisation vers des objectifs d’humanisation solidaire, « en termes de relationnalité, de communion et de partage » (n°42). Il est à noter que cette insistance repérable dans l’encyclique de Benoît XVI se trouve en phase avec des recherches en cours dans la pensée contemporaine.[1]
Et une éthique de la vie, actuelle, à venir
Benoît XVI, tant dans l’encyclique CV que dans son message du 1er janvier 2013 intitulé « Heureux les artisans de paix », met l’accent sur le lien intrinsèque entre éthique de la vie et éthique sociale (CV n° 15). Sur ce point, il reprend et prolonge une insistance déjà mise en lumière par Jean-Paul II dans le but de manifester la cohérence interne du message chrétien. Dans tous les cas, il s’agit de privilégier « Une éthique amie de la personne » (CV n° 45).
Un trait remarquable concerne aussi le souci commun pour l’avenir de la vie sur terre. Si la défense et la promotion de la vie prend en compte toutes les dimensions de l’expérience humaine, y compris les conditions sociales, elle comporte aussi une responsabilité à l’égard des générations à venir. Il s’ensuit que la notion éthique de solidarité, à laquelle on se réfère pour fonder la manière dont les humains prennent soin les uns des autres, est comprise également comme « solidarité et justice intergénérationnelle » (CV n°48).
Conclusion : qu’en est-il de l’originalité de Benoît XVI ?
L’héritage catholique met l’accent sur l’inscription dans une tradition. Mais la reprise de messages précédents, d’autant plus prégnante lorsqu’une encyclique se réfère explicitement à une lignée d’enseignements précédents, n’exclut pas de nouvelles ouvertures ; il est vrai que la simple répétition de ce qui est déjà connu serait sans intérêt. Benoît XVI a de toute évidence apporté des accentuations originales. Tout d’abord, sous forme d’insistance sur des points déjà mentionnés par ses prédécesseurs, ajoutant un touche personnelle, notamment dans le vocabulaire : par exemple à propos du lien entre éthique de la vie et éthique sociale, de la responsabilité écologique présentée comme une solidarité intergénérationnelle. Il a aussi proposé des développements originaux, tout particulièrement en ce qui concerne l’éthique du don et de la gratuité.
Il est intéressant de noter que ces points d’insistance se trouvent en phase avec des recherches actuelles en philosophie et en sciences humaines, recherches qui, elles-mêmes, stimulent le travail théologique. Et, en retour la réflexion proprement chrétienne peut apporter des éléments originaux à la quête commune d’une éthique vraiment humaine. Il s’agit bien d’une interprétation continue, dans le cadre d’une tradition vivante qui articule le travail sur ce qui constitue le cœur de la foi chrétienne avec l’ouverture à la « périphérie existentielle » que représente l’expérience humaine, ainsi que nous y invite le pape François.
[1] Voir notamment Marcel HÉNAFF, Le don des philosophes, Repenser la réciprocité, Paris, Seuil, 2012.
La 12ème édition du Forum social mondial (FSM) qui s’est tenue à Tunis du 26 au 31 mars 2013 a rassemblé plus de 50 000 participants venus du monde entier autour d’un slogan faisant écho à la révolution tunisienne : « KARAMA » – DIGNITE.
Il témoigne du dynamisme du processus du Forum social mondial (FSM).
Ce FSM de Tunis est historique : il y a quelques années, il semblait en effet inimaginable qu’un tel événement puisse se tenir dans cette région du monde.
De plus, l’assassinat du leader d’opposition, Chokri Belaïd, le 06 février dernier, avait créé d’énormes tensions dans la coalition au pouvoir composée du parti islamiste Ennadha et de deux partis de la gauche laïque . Ces derniers accusent Ennadha d’être responsable de cet assassinat.
Il était donc à craindre que le Forum renforce ces clivages par manque d’inclusivité.
Il n’en fut rien, bien au contraire. Ce FSM de Tunis a été un énorme succès. Non seulement par la qualité de l’organisation, mais aussi par la forte présence de la société civile tunisienne, dont de nombreux jeunes (rappelons que ce sont eux qui sont à l’origine de la « révolution du jasmin » tunisienne)!
Ainsi, des questions controversées comme la relation des mouvements sociaux avec l’Islam politique ou les droits des femmes (les femmes ont été très présentes et ont démontré qu’elles n’étaient pas prêtes à se laisser confisquer leur révolution) ont pu être débattues de manière contradictoire et apaisée. .
Parmi les autres thèmes principaux débattus lors du Forum, je retiens celui du modèle économique et social. Comme le soulignait notre partenaire tunisien, le FTDES, lors d’un atelier, la révolution est le produit de l’échec d’un modèle économique. Plus largement, une réflexion autour de l’encadrement des investissements étrangers pour qu’ils bénéficient réellement aux populations locales a été menée : un véritable enjeu pour les pays du Sud.
Autre enjeu primordial, traité lors de ce FSM : celui des migrations internationales. En effet, avec les guerres en Libye puis dans le nord du Mali, les routes migratoires se sont trouvées profondément bouleversées. Le FSM a donc permis aux représentants d’organisations d’aide aux migrants présents dans tous les pays qui jalonnent ces routes de coordonner leurs actions. Dans ce contexte également, la migration des Tunisiens vers l’Europe et le drame des disparus en mer ou « disparus de la révolution » a occupé une place particulière.
Par ailleurs, le FSM de Tunis a rassemblé des milliers de participants de toute la région Afrique du Nord et Moyen Orient – Marocains, Algériens, Egyptiens, mais aussi Syriens, Bahreïnis,…permettant ainsi de créer des réseaux régionaux d’acteurs de la société civile.
De nombreuse organisations catholiques étaient présentes, organisatrices de certains ateliers, comme plusieurs Caritas, dont le Secours catholique et le Comité Catholique contre la Faim et pour le Développement- Terre Solidaire. . Ces organisations voient dans le processus du FSM un « signe des temps » d’une société civile qui se lève à un niveau mondial pour construire un monde plus juste et plus solidaire.
Repères :
Le FSM est né à Porto Alegre au Brésil en 2001 pour permettre à des organisations de la société civile du mode entier (Ong, syndicats, mouvements paysans, association de femmes, de quartier, etc.) de se rencontrer, de débattre ensemble des grands enjeux mondiaux, de créer des réseaux, de monter des campagnes citoyennes pour lutter contre les dérives du néo-libéralismes qui créent pauvretés et injustices et pour faire connaître des propositions concrètes d’alternatives. Des réponses comme l’annulation de la dette des pays pauvres, la taxe sur les transactions financières, le concept de souveraineté alimentaire, etc, ont été portées dans cette enceinte avant d’être reprises par les dirigeants politiques.
La Commission épiscopale Justice et paix du Brésil en est l’un des fondateurs.
Le FSM de Tunis en chiffres :
Participants : 50 000
Organisation : 10 000 bénévoles
Associations présentes : 4 500 dont 1 700 tunisiennes
Participants tunisiens : 20 000
Ateliers 1 700
Budget : 1, 1 million d’Euros