Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.
Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.
Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.
Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.
On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.
Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.
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Les Secrétaires généraux des Commissions Justice et Paix d’Europe se sont réunis à Berlin du 9 au 11 février, au lieu de la ville de Lviv qui n’a pas été jugée suffisamment sûre en raison de la guerre qui se poursuit en Ukraine. A Berlin, nous avons écouté des réfugiés d’Ukraine et des organisations qui les soutiennent. Samedi soir, nous avons prié pour la paix devant l’ambassade de Russie, et dimanche, nous avons célébré la Sainte Eucharistie avec la paroisse ukrainienne gréco-catholique locale. L’invasion russe à grande échelle et sans provocation de l’Ukraine, y compris les bombardements de terreur contre la population civile, des crimes de guerre et une occupation brutale, a forcé plus de 6 millions de personnes à quitter leur patrie et à se réfugier à l’étranger. En outre, 3,6 millions de personnes ont été déplacées à l’intérieur du pays.
Jusqu’à présent, l’espoir des réfugiés de retourner dans une patrie libérée est déçu. Deux ans après la nouvelle escalade de la guerre, la Fédération de Russie n’a pas cessé d’infliger des souffrances et la mort à la population ukrainienne. Nous sommes conscients que le plus grand sacrifice est néanmoins consenti par le peuple ukrainien. Ils risquent aussi leur vie pour la liberté et la sécurité du reste de l’Europe. C’est pourquoi nous avons le devoir moral d’accroître notre aide à ce peuple afin de protéger sa vie[1]. Nous nous félicitons vivement de la décision du Conseil de l’Europe d’ouvrir des négociations avec l’Ukraine en vue de son adhésion à l’Union européenne. Nous espérons que ce processus débouchera également sur un renforcement des relations culturelles, économiques et personnelles.
En tant que chrétiens, mais aussi en tant qu’Européens, nous sommes appelés à pratiquer une solidarité continue. Nous sommes appelés à faire preuve d’empathie et de compréhension à l’égard du peuple ukrainien, y compris des réfugiés, qui craignent constamment pour leurs proches, qui sont restés en Ukraine et dont la vie, la dignité et la liberté sont menacées.
Les marchands de désinformation tentent de diviser nos sociétés. Dans leur propagande, ils montent les uns contre les autres différents groupes de personnes dans le besoin. Ils utilisent comme toile de fond l’augmentation du coût de la vie dans toute l’Europe comme résultat de la guerre[2] pour tenter de briser la solidarité avec les victimes de l’agression russe. En tant que chrétiens, nous sommes appelés à prendre fermement position contre une telle agitation, qui est en contradiction flagrante avec l’enseignement social de l’Eglise. Aucune forme de nationalisme ethnocentrique et de racisme n’est compatible avec les valeurs chrétiennes.
Nos valeurs chrétiennes nous obligent à aimer tout le monde. Comme le dit le pape François dans son encyclique Fratelli Tutti, « l’amour ne se préoccupe pas de savoir si un frère ou une sœur dans le besoin vient d’un endroit ou d’un autre. Car l’amour brise les chaînes qui nous isolent et nous séparent ; à leur place, il construit des ponts. L’amour nous permet de créer une grande famille, où tous peuvent se sentir chez soi… L’amour respire la compassion et la dignité. » Nous sommes appelés à créer un cadre qui permette aux réfugiés – et pas seulement ceux d’Ukraine – de vivre une vie qui leur permette au moins un certain degré de normalité et d’intégration dans la société d’accueil. Cela nécessite un soutien psychosocial suffisant, la possibilité de participer à la vie de la communauté et d’accéder au marché du travail.
Nous remercions les nombreux bénévoles et collaborateurs à temps plein qui s’engagent pleinement à soutenir les réfugiés. Un tel engagement énergique doit être encouragé et soutenu.
Notre plus profond respect va aux nombreux efforts entrepris par les réfugiés eux-mêmes. Malgré l’énorme pression psychologique causée par la guerre et l’inquiétude pour leurs proches, de nombreux réfugiés s’efforcent d’apprendre la langue de leur pays d’accueil. Ils en soutiennent l’économie par leur travail et établissent des contacts avec la population locale. Cela devrait être non seulement encouragé, mais aussi apprécié.
Tous les moyens diplomatiques disponibles au niveau de la coopération multilatérale doivent être utilisés pour accroître la pression sur la Fédération de Russie pour qu’elle mette fin à l’effusion de sang et aux souffrances et qu’elle cesse immédiatement ses attaques contre les fondements du droit international, des droits de l’homme et contre l’ordre international de paix.
Nous implorons sincèrement nos partenaires des autres continents de s’adresser à leurs gouvernements et de plaider en faveur de la paix et de la justice en exerçant des pressions diplomatiques sur la Fédération de Russie et en rejetant clairement l’impérialisme de ce régime.
La vérité et la justice sont les conditions préalables à une paix durable[3]. En ce sens, la façon dont nous traitons les réfugiés détermine également les chances de paix et de réconciliation. Travailler avec les réfugiés et les victimes de la guerre, c’est aussi travailler à la paix.
Berlin, le 11 février 2024
[1] http://www.juspax-eu.org/en/dokumente/220515-Statement-of-JP-Europe-on-War-in-Ukraine.pdf.
[2] Sur la question du traitement constructif des craintes et des préoccupations, voir également l’Action concertée de Justice et Paix Europe 2023/2024 : http://www.juspaxeu.org/de/home/index_include.php?includeDocument=Concerted-Action-2023-2024.php
[3] http://www.juspax-eu.org/en/dokumente/221210-Statement-HRD-EN.pdf
Mardi 12 mars 2024
Depuis neuf ans, le Service National Mission et Migrations de la Conférence des Évêques de France (CEF) organise une journée d’étude annuelle sur un thème lié à l’actualité. Cette année, elle portera sur « Frontières, Méditerranée et Migrations ».
Cette journée, ouverte aux membres du réseau de la pastorale des migrants et plus globalement à toute personne intéressée par le sujet, a pour objectifs de contribuer à éclairer les enjeux d’un sujet différent chaque année, de proposer quelques repères susceptibles de fonder un agir et de faire connaître des bonnes pratiques. L’ouverture à un large public permet d’élargir le réseau et de bâtir des liens entre les acteurs concernés.
Notre sujet 2024 : « Frontières et Méditerranée ».
Voir le programme sur le site Mission et Migrations et télécharger le flyer 2024
1– Parlons enfants !
* Une bonne nouvelle : des communes et des villes de plus en plus nombreuses proposent de planter un arbre à l’occasion de la naissance d’un enfant, avec une plaque indiquant son prénom. On peut y voir une confiance en l’avenir de la vie ; quant à l’enfant, en venant contempler la croissance de « son » arbre, il trouvera une occasion de se relier plus charnellement à la nature, tout se raccordant au temps long : un arbre pousse lentement ! Planter un arbre, une action simple et généreuse qui peut porter de beaux fruits, surtout s’il s’agit d’un arbre fruitier !
* Une nouvelle plus ambiguë : le bilan démographique de 2023 en France. Le nombre des décès est en baisse, après la surmortalité due à la pandémie (on peut s’en réjouir). Mais le nombre des naissances est également en baisse, une diminution de 6,6% par rapport à 2022 et de 20% par rapport à 2010. Le taux de fécondité actuel ne permet pas le renouvellement des générations, une raison parmi d’autres de considérer autrement l’immigration. Cette baisse de la natalité a été largement commentée, mais avec des arguments qu’il vaut la peine de questionner. Laissons de côté le vocabulaire politique à tonalité guerrière. La plupart des débats portaient sur des évaluations financières, avec une polarisation affligeante sur les coûts : l’accompagnement des grossesses, puis de la petite enfance, et bien sûr la scolarisation ; mais, bonne nouvelle du côté bénéfices, ces petits devenus adultes pourront payer nos retraites ! À juste titre, on évoque aussi l’impact de la maternité sur le parcours professionnel des femmes, devenir mère apparaît parfois comme un handicap. Ce type de débat axé sur le « rendement » est révélateur d’une mentalité courante. La confiance en l’avenir de la vie se réduit-elle à une évaluation monétaire ? Osons plutôt mettre en avant la portée sociale du sourire d’un bébé qui s’éveille à la vie, et la chance que cela représente pour notre vie commune ! Sinon, c’est le triomphe d’un matérialisme plat qui regarde un enfant en se demandant ce qu’il va « rapporter » : un déni du désir de donner la vie, avec ce que cela comporte d’amour…
* La question démographique ne se pose pas seulement dans notre pays, Population et sociétés (INED) de janvier note que, en 2021, il y avait près des 2/3 de la population mondiale qui vivait en des zones où la fécondité est sous le seuil du renouvellement des générations. Certes, la population mondiale continue d’augmenter puisque les générations en âge de procréer sont encore nombreuses. Mais la question socio-politique pertinente à propos de démographie porte moins sur le risque de surpopulation que sur la vitalité de populations vieillissantes, en termes de dynamisme et d’ouverture à l’avenir. Quel goût avons-nous pour l’avenir de la vie ?
2– Des enfants qui souffrent et qui meurent
* Selon Emmaüs (qui marque les 70 ans de l’appel de l’abbé Pierre), la France compte environ 330 000 sans abri et, parmi eux plus de 3 000 enfants, des chiffres qui connaissent de notables augmentations. Quand il gèle en hiver, on en parle, mais en matière de solutions durables on reste loin du compte. Quel avenir pour des enfants à la rue, ou en hébergement provisoire, dont la nourriture dépend des aides alimentaires ? Certes, les personnes et les familles qui n’ont pas de logement fixe ne peuvent guère manifester et elles ne se bousculent sans doute pas dans les bureaux de vote, mais la démocratie se dénature lorsqu’elle oublie ses membres les plus fragiles. Sur ce point également, l’analyse en reste souvent aux stricts rapports de force : on honore ceux qui disposent des biens et du pouvoir, et tant pis pour les pauvres ! Il s’agit bien d’une violence sociale qui légitime la domination des puissants et se contente de mesurettes passagères à l’égard des démunis. Un tel matérialisme vulgaire conduit à un déni de fait de l’humanité de gens sans défense, la situation de faiblesse étant redoublée chez les enfants.
* De manière bien plus dramatique encore, des enfants meurent dans les différents conflits qui endeuillent notre monde, tout particulièrement à Gaza où ils se comptent en milliers. La banalisation de la mort d’enfants, en raison de famines ou de bombardements, est un déni de notre commune humanité, elle sème les germes des conflits à venir. Il devient plus urgent que jamais de travailler à une paix durable qui permette aux enfants de sourire, de jouer sans peur.
3 – Quel avenir pour l’Union européenne (UE) ?
+ Le 9 juin prochain nous voterons pour élire nos députés au Parlement de l’UE. On peut regretter que les médias évoquent d’abord les enjeux nationaux de cette élection, évaluant le rapport de force entre les différents partis en pensant à la présidentielle de 2027. En France, nous sommes quelque peu malades de l’hyper présidentialisation, il serait urgent de chercher des remèdes !
Quel dynamisme souhaite-t-on pour l’UE ? On a heureusement chanté les louanges de Jacques Delors à l’occasion de son décès, ce qui ne nous dispense pas de suivre son exemple, afin de consolider les bases de cette Union.
+ Il faut se rappeler l’année 1945 avec une Europe en ruines. Déjà des personnes courageuses avaient envisagé un chemin d’union infiniment préférable aux guerres à répétition ; les haines restaient pourtant vives, elles ont pu être surmontées. Cultivons cet esprit ambitieux qui ose ouvrir les voies de l’alliance entre ennemis d’hier. Ce pari courageux pourrait encore aujourd’hui inspirer des régions de notre monde soumises aux conflits à répétition. Notre expérience déjà ancienne montre qu’il est possible de tisser des solidarités sociale, économiques et politiques, alors que nous avons des langues et des cultures différentes ; une union se fait toujours à partir de diversités.
+ Osons donc cultiver une fierté d’être européen, plutôt que considérer l’UE comme la cause majeure des difficultés du quotidien. Il y a au moins deux motifs de se montrer fiers d’une UE qui a fait ses preuves et qui peut continuer à avancer. 1) Tout d’abord la lucidité : quel poids pourrait avoir chacun de nos pays pris isolément face à l’Inde (1er pays en nombre d’habitants), à la Chine, aux USA ? Plutôt qu’amplifier une mondialisation aventureuse, il importe aujourd’hui d’être solidaires, solides ensemble dans le cadre de l’UE, en matière d’alimentation, de santé, de nouvelles technologies, etc. 2) Et surtout, continuons de cultiver une référence positive aux droits humains, à la démocratie, à la solidarité face aux aléas et aux défis de l’existence (pensons notamment à l’urgence écologique). Il s’agit d’un enjeu de civilisation, la guerre en Ukraine nous le rappelle douloureusement. Consolider les fondations de l’UE c’est préparer un avenir mieux assuré aux enfants d’aujourd’hui. Il vaut donc la peine de s’intéresser à l’élection des députés européens pour continuer de promouvoir une Union solide et généreuse.
La Lettre de Justice et Paix propose des éléments de réflexion en vue du scrutin. On peut les retrouver ici La Lettre de Justice et Paix France sur le site de Justice et Paix France
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