Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.

Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.

Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.

Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.

On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.

Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.

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Depuis 2000, Ensemble contre la peine de mort (ECPM), organisation de référence du combat abolitionniste, agit pour lutter contre la peine capitale.

ECPM est à l’initiative de la création de la Coalition mondiale contre la peine de mort (126 membres sur les 5 continents) et organise tous les 3 ans le Congrès mondial contre la peine de mort, le dernier s’est tenu à Genève en 2010.

 Le 9 octobre 1981, la France devenait le 35ème  pays à abolir la peine de mort. 58 pays continuent d’exécuter dans le monde. Le mouvement est inéluctable vers l’abolition, vers l’universalité, ou plus simplement l’abolition universelle.

Sans remonter à l’Assemblée Constituante de Le Pelletier de St Fargeau et de Robespierre qui avait présenté le premier projet de loi d’abolition en France, il y a 220 ans, ni aux combats acharnés de Hugo, Jaurès, Briand, Fallières et bien d’autres, il suffit de rappeler qu’il y a 30 ans, la France, par l’intermédiaire de son infatigable Garde des Sceaux, Robert Badinter, fut seulement le 35e pays abolitionniste dans le monde, et l’un des tous derniers pays d’Europe occidentale.

 

UNE EVOLUTION ABOLITIONNISTE

Aujourd’hui, 97 pays ont aboli la peine capitale pour tous les crimes ; 8 pays l’ont abolie pour tous les crimes, sauf les crimes exceptionnels (génocide, crimes en temps de guerre) et 34 pays peuvent être considérés comme abolitionnistes de facto : la peine capitale est toujours prévue par leur législation, mais ils n’ont procédé à aucune exécution depuis plus de 10 ans. Ce sont ainsi 139 pays qui sont abolitionnistes de jure ou de facto.

Quelle chemin parcouru en 30 années de lutte infatigable contre la barbarie qu’est la peine de mort ! En effet, après la fin de l’esclavage, puis de la torture, l’abolition de la peine de mort est fondamentalement le dernier combat de civilisation universelle.

On note en particulier une accélération de ce mouvement depuis 1990 : 57 pays ont aboli la peine de mort pour tous les crimes. L’Europe (sauf la Biélorussie) et l‘Amérique latine sont aujourd’hui quasi entièrement abolitionnistes.

 

Afrique : le prochain continent abolitionniste ?

Selon Yvonne Mokgoro, ancienne juge à la Cour constitutionnelle d’Afrique du Sud, la notion d’ubuntu est au cœur de la philosophie africaine. Ce terme est présent dans toutes les langues bantoues, résumé par le proverbe « Umuntu ngumuntu ngabantu », signifiant approximativement : « Je suis ce que je suis parce que vous êtes ce que vous êtes ». C’est pour cette raison qu’ontologiquement il n’y pas plus étranger aux coutumes africaines que la peine de mort. Pour de nombreux analystes, ce sont les colonisateurs qui ont importé la peine capitale sur le continent où malheureusement beaucoup l’ont gardée, comme trace de l’oppression coloniale passée. Il faut maintenant décoloniser la justice en abolissant une fois pour toute la peine de mort.

Rose Mukantabana, présidente de la Chambre des Députés du Rwanda rappelle le processus d’abolition au Rwanda qui s’est appuyé notamment sur l’enquête dans les couloirs de la mort effectuée par ECPM en 2007-2008.

Aujourd’hui, de plus en plus de pays osent l’abolition, pouvant laisser espérer un continent dépourvu de peine de mort à un horizon proche: 16 Etats abolitionnistes, 20 Etats abolitionnistes de fait, 16 Etats rétentionnistes.[1]En 1990, seul le Cap Vert avait aboli. C’est dire le chemin parcouru. Le Rwanda et le Burundi ont aboli en 2008, le Togo en 2009, le Gabon en 2011. Il faut noter le rôle central des ONG et de la société civile dans ce processus inexorable.

Et le pape Benoît XVI rappelle la position de l’Eglise dans l’exhortation apostolique post-synodale Africae Munus  du 19 novembre 2011 : « Avec les membres du Synode, j’attire l’attention des responsables de la société sur la nécessité de faire tout ce qui est possible pour arriver à l’élimination de la peine capitale. » (n°83)                                                                                                                                       

58 pays continuent de pratiquer le châtiment suprême !

Au cours de l’année 2010, au moins 527 prisonniers (en dehors de la Chine où le nombre d’exécutions se situe entre 6 000 et 10 000 annuellement) ont été exécutés dans 23 pays, et 2 024 personnes ont été condamnées à mort dans 67 pays. Ces chiffres reflètent uniquement les cas dont Amnesty International a eu connaissance et sont certainement en- deçà de la réalité. En 2010, la grande majorité des exécutions recensées ont eu lieu en Arabie Saoudite, en Chine, en Corée du Nord, aux États-Unis, en Iran et au Yémen.

ASIE : PLUSIEURS FRANÇAIS RISQUENT LA PEINE DE MORT

L’Asie est considérée par la plupart des ONG comme le continent qui exécute le plus. Avec un chiffre qui oscillerait chaque année entre 75 et 95 % des exécutions mondiales, l’Asie montre très peu de signes favorables à l’abolition. Comment parler de peine de mort en Asie, sans évoquer la Chine ? Comme d’autres pays de la région, tels que le Viet Nam, la Corée du Nord et la Malaisie, elle ne communique pas de chiffres officiels sur les exécutions, classées secret d’État, ce qui fait dire à certains que la peine de mort en Chine est aussi tabou que la question nucléaire.

Malgré tout, on note une évolution dans la politique du pays. Depuis 2007, la Cour Suprême de Beijing réexamine toutes les décisions de condamnation à mort et invalide en moyenne 10 % des jugements qui lui sont présentés. Cette même Cour Suprême a établi des lignes directrices afin que ne soient condamnés que les auteurs de crimes extrêmement graves. Enfin, la Chine a fait un pas significatif sur le chemin de l’abolition en excluant, en février 2011, 13 des 68 chefs d’accusation passibles de peine de mort, concernant des crimes économiques non violents (la corruption, le proxénétisme, le trafic de peaux de panda).

L’Asie, dont la plupart des pays ont refusé de signer le moratoire sur les exécutions, utilise la peine de mort comme instrument de pression pour maintenir la stabilité sociale et politique. Elle est réputée pour l’appliquer de manière discriminante en violation des droits de la défense (Tibétains, Ouïghours, membres du Falung Gong sont souvent les premiers touchés). Le fait le plus notable est que l’Asie pratique le châtiment suprême pour des crimes non-violents, notamment en cas de trafic de stupéfiants. De plus, le nombre de condamnés à mort d’origine étrangère dans les couloirs de la mort asiatiques est assez important. A Singapour, par exemple, entre 25 et 50% des condamnés à mort sont étrangers, et à l’heure actuelle plusieurs Français sont en attente de leur exécution pour trafic de stupéfiants. Phoumy Chan Thao, Français d’origine laotienne, a été condamné à mort en août 2010 en Chine et Serge Atlaoui est dans les couloirs de la mort indonésiens depuis mai 2007.

L’opinion publique asiatique semble largement favorable au maintien de la peine de mort, ce qui s’explique notamment par un manque d’information. Malgré cela, la Mongolie a eu le courage de mettre en place un moratoire sur les exécutions le 14 janvier dernier. Reste à espérer que les autres pays de la région suivent cet exemple.

Le Monde MUSULMAN : Le POIDS DE LA CHARIA ?

C’est un tout petit État qui sauve l’honneur : Djibouti. Il s’agit en effet de l’unique pays, parmi les 22 membres de la Ligue arabe, qui soit abolitionniste. Pour le reste, les chiffres parlent d’eux-mêmes : le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, deuxième grande région sur le podium des pays appliquant la peine de mort, regroupent 21 % des personnes exécutées dans le monde. Le Proche et le Moyen Orient demeurent les incontournables lieux du combat abolitionniste. Dans des pays comme l’Arabie Saoudite, l’Iran, le Yémen, l’Irak et d’autres, la justification de la peine de mort est avant tout morale et divine. Il est alors beaucoup plus difficile de lutter contre la Shari’a et contre des considérations religieuses. C’est dans cette partie du monde que ce situe le cœur du combat de demain.

Selon le rapport annuel d’Iran Human Rights, au moins 546 personnes ont été exécutées en Iran en 2010 ; 312 exécutions ont été confirmées officiellement ou officieusement par les autorités. Au Yémen, au moins 53 personnes ont été exécutées en 2010 ; l’Arabie Saoudite a exécuté au moins 27 condamnés, cette année là, contre 69 en 2009 et 102 en 2008. ECPM travaille particulièrement sur le monde arabe et musulman, pour d’une part pousser à l’abolition dans les pays musulmans comme le Maroc et la Tunisie, qui deviendraient alors de formidables leviers de la cause abolitionniste dans la région et, d’autre part, pouvoir appréhender la loi islamique à l’aune de considérations abolitionnistes en prenant en compte les droits de l’homme. Ce processus est porté par des associations locales et des théologiens musulmans, afin de faire bouger les barrières invisibles.

ETATS-UNIS: CE N’EST PAS DIGNE D’UNE DEMOCRATIE

Alors que la tendance au recul des sentences de mort et des exécutions s’est confirmée en 2010, les Etats-Unis continuent inlassablement de tuer au nom d’une justice qui se veut équitable et sans reproche. Sur 50 Etats fédérés, 34 pratiquent encore aujourd’hui la peine de mort ; en 2010, 12 États ont procédé à des exécutions, ôtant la vie à 46 personnes, contre 52 en 2009, portant ainsi à 1 234 le nombre total de personnes exécutées depuis le rétablissement de la peine capitale en 1977.

Après le New Jersey en 2007 et le Nouveau Mexique en 2009, l’Illinois est devenu, en mars 2011, le 16ème État à abolir la peine capitale, alors que le Connecticut est passé à une voix de l’abolition et que plusieurs États, dont le Montana, le Nebraska, le Kansas et d’autres ont longuement débattu de ce sujet pendant la session législative. En proie à une crise économique majeure, la Californie tente à son tour de sauter le pas et deviendra peut-être le 17ème État abolitionniste. Un rapport récent a évalué le coût de la peine capitale dans cet État à quatre milliards de dollars depuis 1976 et estime que celle-ci coûtera neuf milliards de plus d’ici à 2030. Quant au coût du processus, du procès à l’exécution, il y est estimé à trois cent trente millions de dollars. Ce coût exorbitant d’une mort programmée soulève la question de l’utilité de cette sentence que certains aimeraient remplacer par une vraie perpétuité, sans possibilité de liberté conditionnelle.

Comme toujours à l’approche d’échéances électorales importantes, les mises à mort restent un outil de campagne facile et efficace, car porteur de résultats pour une société avide d’immédiateté face à une criminalité galopante. La campagne des primaires suscite de semblables velléités dans des États qui n’avaient pas exécuté depuis longtemps, comme le Delaware, la Floride, le Nebraska ou l’Arkansas.

1261 exécutions ont eu lieu aux USA depuis 1976, dont 471 au Texas.

Si la peine de mort aux États-Unis est désormais un cancer en phase terminale, elle n’en a pas pour autant fini de tuer. Troy Davis, symbole durant des années du combat contre la peine capitale a été exécuté le 22 septembre dernier à Savannah dans l’Etat de Géorgie. Hank Skinner, marié à une française, Sandrine Ageorge-Skinner (administratrice d’ECPM) n’a toujours pas obtenu le droit d’effectuer les tests ADN qu’il demande. Ces nombreux cas mettent aussi l’accent sur les conditions d’incarcération indignes d’une démocratie (cf. infra le rapport d’enquête et le film Honk).

 

ECPM publie un rapport d’enquête sur la peine de mort au Etats-Unis, « 999, Au cœur des couloirs de la mort », éditions Max Milo ; disponible auprès de l’association[2].

 

Dans cette enquête, il ne s’agit pas tant des supplices de l’exécution que de tout ce qui précède en termes de conditions d’enfermement, de perspectives castrées, de recours judiciaires aléatoires, de manque d’indulgence et de foi dans des êtres que pourtant la vie éduque.

 «On est vus comme des nuls, on est méprisés et oubliés. Les gens ne savent même plus qu’on est là. Et jamais personne ne peut imaginer qu’il y a des innocents ici. Personne n’a de vision critique du système. Les gens croient à la justice comme un système juste qui fonctionne. Ça les rassure. Nous, on est les mauvais. Mais de quel droit ils vont nous tuer, nous les Blacks, les pauvres ? Ils nous possèdent comme on possédait des esclaves avant. C’est de la torture. » Kevin Cooper, détenu à San Quentin, Californie.

 

Et le film HONK (novembre 2011) raconte la peine de mort aux Etats-Unis : dans l’indifférence générale ; le quotidien d’une petite ville texane est rythmé par les exécutions.

[1] Retentionniste par opposition à abolitionniste comprend l’ensemble des pays qui ont gardé la peine de mort dans leur législation et qui l’on appliquée depuis au moins 10 ans. Ils sont au nombre de 58 aujourd’hui. C’est le cas pour l’Iran, l’Arabie Saoudite, les Etats-Unis, le Japon ou la RDC qui n’a pourtant pas exécuté de condamnés depuis 2005.

[2] 3, rue Paul Vaillant- Couturier, 92320 Châtillon, France. http://www.abolition.fr

En général, au lendemain d’un crime de masse les tueurs n’avouent pas, ils s’abritent derrière le déni, le mensonge ou l’argument de la soumission à l’autorité.

L’échange est souvent stérile avec les auteurs de crimes de génocide ou alors il reste difficile en raison des stratégies de dénégation et des enjeux de défense personnelle avant un éventuel procès. Toute parole publique représente potentiellement un risque aussi bien d’un point de vue pénal que d’un point de vue social pour des crimes qui relèvent de l’imprescriptible. La journaliste et écrivain Gitta Sereny a été l’une des premières à recueillir les confidences de Franz Stangl, le commandant de Treblinka. Trente ans après les faits, le criminel nazi restait incapable de voir dans ses victimes autre chose qu’une « cargaison ». Lors de son dernier entretien, il évoquait pour la première fois sa culpabilité. « Ma faute, ma faute… » disait-il sans pouvoir aller au-delà. Il est mort dix-sept heures après d’une crise cardiaque[1].

La dimension religieuse et le recours à la notion de pardon pourraient-ils avoir des répercussions politiques ? Au Rwanda, de 1996 à 2006, 146 000 aveux de participation au génocide auraient été enregistrés dans les prisons et pour moitié sur les collines[2]. Si l’aveu et la demande de pardon apparaissent intimement liés, la frontière reste difficile à établir entre ce qui relève de la loi ou de la foi. Les détenus adhèrent-ils aux principes énoncés uniquement pour bénéficier des avantages de la loi (le plaider coupable et la promesse de relaxe) ou par conviction religieuse pour soulager leur conscience et obtenir le salut ? Dans certains cas, probablement un peu des deux, ou alors, tout simplement pour « se tirer d’affaire » et sortir de prison, à plus forte raison que la notion de pardon est communément associée à la suppression du châtiment. La volonté de « purifier son cœur », et plus encore la « peur de l’au-delà » reviennent comme des leitmotiv au cours des entretiens avec les détenus, certains leaders religieux les utilisent comme un moyen de pression.

Au Cambodge, lors du procès de Douch on retrouve cette ambiguïté et l’hybridation du religieux au politique et inversement. Converti au christianisme dans les années 1990, l’ancien responsable du centre de détention et d’exécution S-21 reconnaît l’essentiel de ses forfaits et la nature criminelle de l’idéologie qu’il servait. Contrairement aux quatre autres dirigeants khmers rouges dont le procès a débuté en juin 2011, le prêcheur évangéliste semble vouloir faire amende honorable. « J’ai tout sacrifié à la Révolution, avec sincérité. J’étais plutôt fier à cette époque. Aujourd’hui, avec le recul, cela me fait frémir et le fait que j’ai tué plus de douze mille personnes est une honte ». Hier, il extorquait des aveux par la torture, à présent il avoue… Si au moment de la chute du régime il avait brulé les archives de S-21 aurait-il ainsi parlé ? Dans un ouvrage récent et saisissant, Thierry Cruvellier[3] scrute ce procès unique : « Douch est le premier accusé qui plaide coupable, reconnaît ses crimes, réfléchit et parle ». Le 26 juillet 2010, condamné à trente ans d’emprisonnement, il conteste aussitôt sa peine. Le mystère demeure au cœur d’un imbroglio politico-éthico-religieux.

 

Benoît Guillou

Membre de Justice et Paix

Rédacteur en chef de la Chronique d’Amnesty International

[1] Gitta Sereny, Au fond des ténèbres, Paris, Denoël, 2007.

[2] International Justice tribune, « La facture sociale des aveux », Lettre d’information, 8 mai 2006.

[3] Thierry Cruvellier, Le maître des aveux, Paris, Gallimard, 2011.