Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.

Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.

Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.

Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.

On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.

Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.

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Les positions de l’Eglise sur l’armement nucléaire : une condamnation de principe, un appel à un désarmement progressif menant à un monde sans armes nucléaires

L’emploi de l’arme nucléaire est expressément condamné par l’Eglise : « Tout acte de guerre qui tend indistinctement à la destruction de villes entières ou de vastes régions avec leurs habitants est un crime contre Dieu et contre l’homme lui-même, qui doit être condamné fermement et sans hésitation » (Gaudium et Spes).

En revanche l’Eglise a admis, dans la période de la guerre froide, la stratégie de dissuasion, acceptant qu’on puisse la considérer comme « le plus efficace des moyens susceptibles d’assurer aujourd’hui une certaine paix entre les nations » (Gaudium et Spes). Jean Paul II a ainsi précisé : « Dans les conditions actuelles, une dissuasion basée sur l’équilibre, non certes comme une fin en soi mais comme une étape sur la voie d’un désarmement progressif, peut encore être jugée comme moralement acceptable » (Jean Paul II, Message à l’Assemblée générale des Nations Unies, 1982).

Dans son message de 1982 à l’Assemblée générale des Nations Unies, le Pape Jean Paul II rappelait que l’Église demandait, s’agissant des armes nucléaires, « une progressive réduction mutuelle et vérifiable ainsi que de plus grandes précautions contre les possibles erreurs dans l’usage » de ces armes. Mais il complétait cet appel au désarmement en soulignant qu’en même temps l’Eglise réclamait « pour chaque nation le respect de l’indépendance, de la liberté et de la légitime sécurité ». Il précisait ainsi que le désarmement, notamment nucléaire, devait être conduit dans des conditions préservant la sécurité de toutes les parties. Or, depuis la fin de la guerre froide, les conditions de la sécurité internationale et donc les termes du jugement éthique à porter sur l’armement nucléaire ont profondément changé.

La nécessité de maintenir un équilibre par rapport au surarmement du bloc de l’Est a disparu. La supériorité des pays occidentaux et en particulier des Etats-Unis est désormais écrasante. L’indépendance, la liberté et la sécurité des pays européens ne sont plus menacées. En revanche la prolifération des armes nucléaires représente un danger grandissant pour la paix.

Dans ce contexte transformé l’Eglise désapprouve la stratégie de dissuasion : « Que dire des gouvernements qui comptent sur les armes nucléaires pour garantir la sécurité de leurs pays ? Avec d’innombrables personnes de bonne volonté, on peut affirmer que cette perspective, hormis le fait qu’elle est funeste, est tout à fait fallacieuse. En effet, dans une guerre nucléaire il n’y aurait pas des vainqueurs, mais seulement des victimes. La vérité de la paix demande que tous — aussi bien les gouvernements qui, de manière déclarée ou occulte, possèdent des armes nucléaires depuis longtemps, que ceux qui entendent se les procurer — changent conjointement de cap par des choix clairs et fermes, s’orientant vers un désarmement nucléaire progressif et concordé » (Benoît XVI, 2006). Devant les dangers de la prolifération, la voie du désarmement est préconisée : « Alors que le processus de non prolifération nucléaire se voit ralenti, je me sens obligé d’exhorter les Autorités à reprendre avec une détermination plus ferme les négociations visant au démantèlement progressif et concerté des armes nucléaires existantes » (Benoît XVI, 2008).

L’objectif d’un monde sans armes nucléaires est expressément approuvé : « Il est plus que jamais souhaitable que les efforts de la communauté internationale visant à obtenir un désarmement progressif et un monde privé d’armes nucléaires dont la seule présence menace la vie de la planète et le processus de développement intégral de l’humanité actuelle et future – se concrétisent et trouvent un consensus » (Benoît XVI, 2010).

La dissuasion nucléaire, fondement des équilibres de la guerre froide

Après avoir été utilisée par les Etats-Unis pour obtenir la capitulation immédiate et sans conditions du Japon, l’arme nucléaire est devenue, pour les Etats Unis et l’URSS la garantie de l’équilibre des forces. Cet équilibre reposait sur la parité des arsenaux américains et soviétiques, que des traités de limitation puis de réduction des armements nucléaires stratégiques avaient fini par consacrer (traités SALT et START). Le Royaume Uni, la France puis la Chine se dotaient dans le même temps de l’arme nucléaire pour acquérir une marge d’autonomie stratégique dans le contexte de la confrontation des deux superpuissances. Dès la fin des années 1960, Israël avait pour sa part développé, sans le déclarer officiellement, un armement nucléaire destiné à le prémunir contre le risque d’une invasion (alors théoriquement possible) par les pays arabes environnants.

Le déploiement et le maintien en alerte permanente des armes nucléaires, notamment stratégiques, répondaient alors à un objectif de dissuasion de toute action offensive directe dans une situation où l’affrontement idéologique des deux blocs menaçait toujours de conduire à la confrontation militaire ouverte (cas de la crise de Cuba). S’agissant d’une puissance nucléaire secondaire comme la France, la stratégie adoptée consistait à empêcher toute agression dirigée contre les intérêts vitaux du pays par la menace de destructions largement supérieures aux gains escomptés par l’agresseur.

Les bouleversements stratégiques consécutifs à la fin de la guerre froide et les difficultés de la mise en œuvre du régime de non prolifération

L’état des risques et des menaces n’a plus aujourd’hui rien de commun avec celui de la guerre froide. Les scénarios dans lesquels un adversaire s’en prendrait aux intérêts vitaux d’une puissance occidentale sont, dans la situation stratégique actuelle, improbables. Quant aux menaces qui trouvent leur origine dans des conflits locaux, elles ne peuvent être contrecarrées par la menace d’emploi de l’arme nucléaire et se situent en conséquence dans les « angles morts » de la dissuasion. Les menaces terroristes relèvent de cette catégorie. En revanche, la prolifération nucléaire représente un défi permanent pour la sécurité internationale. Le bilan de la mise en œuvre du Traité de non prolifération (TNP) est en effet mitigé.

  • A l’origine conçu pour écarter en particulier toute éventualité d’armement nucléaire allemand, il a été ratifié par la quasi-totalité des pays dans les années 1990 (la France l’a ratifié en 1992). Il a pu en outre être prorogé pour une durée indéfinie en 1995. Mais trois puissances nucléaires de fait, Israël, l’Inde et le Pakistan, n’y sont pas parties. L’Inde, qui avait réalisé en 1974 une « expérimentation nucléaire pacifique » a procédé en mai 1998 à une expérimentation nucléaire militaire. Le Pakistan l’a imitée quelques jours après. Le Traité prévoit en outre, dans des conditions discutées, une possibilité de retrait dont la Corée du Nord a fait usage en janvier 2003.
  •  Le Traité de non prolifération présente par ailleurs un caractère discriminatoire puisqu’il reconnaît aux cinq puissances ayant fait exploser un engin nucléaire avant le 1er janvier 1967 (Etats-Unis, Russie, Royaume-Uni, France, Chine) le droit, qu’il refuse aux autres Etats parties, de détenir un armement nucléaire. En contrepartie cependant, il reconnaît à tous les Etats parties le « droit inaliénable … de développer la recherche, la production et l’utilisation de l’énergie nucléaire à des fins pacifiques ». Il soumet aussi les Etats dotés de l’arme nucléaire, à une obligation de « poursuivre de bonne foi des négociations sur des mesures efficaces relatives à la cessation de la course aux armements nucléaires à une date rapprochée et au désarmement nucléaire et sur un traité de désarmement général et complet sous un contrôle international efficace ». Il est en conséquence usuel de parler des « trois piliers » du TNP (renonciation à l’arme nucléaire pour les Etats non reconnus comme détenteurs, droit général au développement de l’énergie nucléaire à des fins pacifiques et désarmement nucléaire).
  • La reconnaissance du droit des parties au développement des usages pacifiques de l’énergie nucléaire soulève de grandes difficultés en ce qui concerne la vérification du respect des engagements de non prolifération. Les technologies nucléaires civiles et militaires présentent en effet un large tronc commun. De fait, des soupçons d’activités illicites ont pesé sur plusieurs pays signataires (Corée du Nord, Irak, Syrie, Iran). Pour écarter ce risque de prolifération le système de contrôle prévu à l’origine par l’article III du TNP a été progressivement renforcé. Les mécanismes de contrôle développés dans le cadre du TNP ont été en outre complétés par des dispositifs élaborés sur la base d’arrangements politiques ad hoc.
  • Un système de vérification sous l’égide de l’Agence internationale de l’Energie atomique (AIEA) avait été élaboré dès le début des années 1970 en application de l’article III du TNP (accord de garanties de 1973). Mais il ne donnait à l’AIEA que des pouvoirs limités en matière d’inspection. La découverte des activités nucléaires illicites de l’Irak a conduit à un renforcement de ce système à partir de 1993. Dans ce cadre, les Etats liés à l’AIEA par un accord de garanties sont encouragés à conclure avec celle ci un protocole additionnel prévoyant notamment la déclaration de toutes leurs activités nucléaires et l’acceptation d’inspections dans tous les lieux où peuvent se trouver des matières nucléaires.
  • Parallèlement ont été constitués des regroupements de pays exportateurs de biens ou technologies nucléaires destinés à garantir que ces biens ou technologies n’étaient pas détournés à des fins militaires. En 1971 a ainsi été créé un comité des exportateurs nucléaires ultérieurement désigné sous le nom de Comité Zangger. Ce comité assure le contrôle des exportations de biens et technologies nucléaires vers les pays non adhérents au TNP. Par la suite, après les premières expérimentations indiennes de 1974, un regroupement à vocation plus large a été institué. Il s’agit du Groupe des Fournisseurs nucléaires (GFN) dont l’objet est de rassembler les pays producteurs et exportateurs de matières, équipements et technologies nucléaires en vue notamment de priver les Etats suspects, même parties au TNP, des deux principales technologies permettant l’accès au nucléaire militaire : le retraitement et l’enrichissement. Le GFN n’est pas une organisation internationale fondée sur un traité juridiquement contraignant mais un régime de contrôle des exportations dont la portée est strictement politique. Certains pays détenteurs de technologies nucléaires n’y appartiennent pas (pays non signataires du TNP ou pays signataires comme l’Algérie, Cuba, l’Egypte, l’Indonésie, l’Irak, la Syrie ou le Venezuela). Il est à noter que le GFN a, en septembre 2008, autorisé les exportations de biens et technologies nucléaires à usage civil vers l’Inde, ce qui peut apparaître comme une tolérance à l’égard du statut nucléaire de ce pays. Le système de contrôle des exportations de biens et technologies nucléaires sensibles a été complété en 1987 par un arrangement analogue dans le domaine des missiles.
  • L’existence de zones dénucléarisées renforce également le régime de non prolifération (traités de Tlatelolco pour l’Amérique latine, Rarotonga pour le Pacifique, Bangkok pour l’Asie du Sud-est et Pelindaba pour l’Afrique).
  • Il apparaît pourtant au total que cet ensemble complexe de règles internationales n’a pas mis un terme aux craintes de prolifération, comme le montre l’exemple de l’Iran. Des réseaux comme celui du scientifique pakistanais Abdul Qadeer Khan illustrent les difficultés de la surveillance et du contrôle des échanges de biens et technologies sensibles.
  • En outre le régime de non prolifération repose sur un consensus international, essentiellement porté par des pays ayant renoncé à l’arme nucléaire, en particulier les pays de la « new agenda coalition » (Egypte, Irlande, Mexique, Nouvelle Zélande, Suède, Afrique du Sud et Brésil).
  • Or ces pays considèrent que le désarmement nucléaire et la non prolifération sont des processus intrinsèquement liés et qui se renforcent mutuellement. Ils estiment que les Etats dotés de l’arme nucléaire n’ont pas rempli leurs obligations en ne progressant pas suffisamment dans le domaine du désarmement nucléaire. Ils peuvent, à cet égard, s’appuyer sur l’avis consultatif rendu le 8 juillet 1998 par la Cour internationale de Justice selon lequel les Etats dotés de l’arme nucléaire sont soumis, en vertu du TNP, à une obligation de « poursuivre de bonne foi et de mener à terme des négociations conduisant au désarmement nucléaire ». Si cette position n’est pas entendue, la conférence d’examen du TNP prévue pour mai 2010 pourrait échouer.

La relance récente du désarmement nucléaire sous la présidence de Barak Obama

Prenant le contre-pied de l’administration Bush Jr qui n’avait accepté qu’un accord de limitation des armements stratégiques très peu contraignant (accord SORT de mai 2002) et envisagé même la possibilité de doter les Etats Unis de nouvelles armes nucléaires tactiques de faible énergie (mini-nukes), le Président Barak Obama s’est prononcé, notamment dans son discours de Prague d’avril 2009, en faveur d’un processus de désarmement nucléaire général. Le 24 septembre 2009, cet objectif de désarment nucléaire a été endossé par le Conseil de sécurité (résolution 1887). Pour progresser sur la voie du désarmement nucléaire, l’administration Obama propose à court terme :

  • la relance des négociations pour l’élaboration d’un traité d’interdiction vérifiée de la production de matières fissiles à des fins militaires (traité dit « cut off »),
  • l’amélioration des mécanismes d’inspection du TNP, le renforcement de son régime de sanctions en cas de violation de ses dispositions ou de retrait non justifié et la mise en place d’un cadre international de coopération pour le développement des usages civils de l’énergie nucléaire,
  • l’intensification de la lutte contre les trafics de biens et technologies nucléaires,
  • la ratification du traité d’interdiction nucléaire complète des essais nucléaires (toujours bloquée par le Sénat américain),
  • la reprise de la discussion avec la Russie en vue d’un traité post START de réduction vérifiée des armements stratégiques.

Cette politique a obtenu certains succès, notamment avec le nouvel accord START de réduction des armements nucléaires stratégiques signé le 8 avril 2010 à Prague par les présidents américain et russe. Cet accord prévoit de limiter à 1550 le nombre de têtes nucléaires stratégiques déployées par chacun des deux pays, à 800 le nombre total de vecteurs stratégiques* qu’ils détiennent et à 700 le nombre de vecteurs stratégiques qu’ils déploient effectivement.

L’importance de cet accord ne réside pas principalement dans les limites qu’il impose. Les plafonds fixés ne sont en effet pas très éloignés du niveau effectivement atteint par les arsenaux des deux puissances, en raison notamment des règles de comptage des têtes nucléaires (les bombes et missiles transportés par chaque bombardier sont comptés comme une seule tête).

Sa portée réside surtout dans les mesures de vérification et d’information mutuelle qu’il prévoit. Les Etats-Unis et la Russie se sont en outre engagés à poursuivre leurs négociations en vue de nouvelles réductions non seulement dans le domaine des armes stratégiques, déployées ou en réserve, mais aussi dans celui des armes tactiques. La politique du Président Obama se heurte toutefois à des résistances fortes. Des incertitudes subsistent sur ses prochaines initiatives en matière de désarmement, notamment en ce qui concerne l’interdiction de la production de matières fissiles à usage militaire. Il semble également que le Sénat américain persistera dans son refus de ratifier le Traité d’interdiction complète des essais.

Existe t il à un horizon prévisible une alternative réaliste à la dissuasion ?

Contrairement aux affirmations du Livre Blanc français, publié en 2008, la dissuasion ne constitue plus, dans la période actuelle, le « fondement essentiel » de la stratégie militaire de la France et ne représente plus « la garantie ultime » de sa sécurité et de son indépendance. Le nucléaire paraît seulement pouvoir, dans la situation stratégique actuelle, dissuader le nucléaire (indépendamment des éléments de statut et de prestige associés à la possession de cette arme). Tout autre menace d’emploi, même dans une optique de pure dissuasion, se heurterait à des objections éthiques fondamentales tenant à la proportionnalité de la riposte et au respect du droit international humanitaire. Même si la dissuasion nucléaire garde actuellement sa pertinence, un processus de désarmement nucléaire équilibré et contrôlé permettrait donc d’envisager d’y renoncer.

On ne peut, dans ces conditions, que regretter les réticences des principales forces politiques françaises à souscrire à l’objectif de désarmement nucléaire complet et contrôlé, pourtant soutenu par de nombreuses personnalités ayant exercé d’importantes responsabilités en matière de défense. La mise en oeuvre de ce désarmement et surtout de son contrôle serait sans doute d’une grande complexité mais la lutte contre la prolifération ne l’est elle pas tout autant ? Seule la remise en cause du caractère discriminatoire du régime actuel de non prolifération et l’accélération du processus de désarmement nucléaire permettront de réunir un consensus international suffisant pour empêcher, au besoin par la contrainte légitime, la multiplication des puissances nucléaires et pour parvenir à l’universalisation du TNP.

Pourtant ce qui risque de disparaître avec les spécificités françaises, mais aussi celles des Etats membres de l’Union mais non-alignés OTAN (Finlande, Autriche, Suède, Irlande…) ce sont les éléments de modernité politique de l’Union.

L’OTAN n’a jamais accepté la politique européenne de défense ; elle veut une « identité » européenne. Que cache ce changement de terme ?
Le fait qu’une identité politique ne définit pas une volonté. Elle se présente comme une culture, un mode d’être, non une volonté d’agir. Or la politique européenne de sécurité et de défense, même embryonnaire, reposait sur un long apprentissage de dépassement des conflits, d’acceptation des minorités, d’un dépassement des traumatismes mémoriels. La PESD n’est pas seulement la formation d’une capacité de défense, mais le développement d’un savoir et de moyens civilo-militaires, la mise en place d’une gamme d’outils reliant diplomatie, aides d’urgences et lentes reconstructions, financement et diplomatie préventive ; connaissance des mesures de confiance, soutien aux négociations de limitations des armements, notamment à travers l’Organisation de Sécurité et de Coopération en Europe…
Le vrai débat n’est pas de dire « oui » ou « non » à l’OTAN, mais de s’interroger sur la possibilité d’aller au-delà de cette alliance militaire vers la mise en place de systèmes de sécurité collective, voire coopérative. Ceci appartient à la « culture stratégique européenne », beaucoup moins à celle de l’OTAN, plus classiquement orientée vers l’usage de la force.

Entre la fin de la seconde guerre mondiale, en 1945 et le Traité de Rome de 1957, douze ans seulement. Entre la fin du Pacte de Varsovie (1991) et aujourd’hui, dix huit ans déjà, et la représentation de la menace russe a toujours cours !

Alors que les opinions publiques européennes peinent à imaginer des menaces, que leurs préoccupations sont économiques, sociales, l’OTAN leur demande d’augmenter les dépenses d’armements, d’être prêtes à recourir à la force contre des ennemis non identifiés, virtuels, futurs…
Le discours de l’OTAN, sans conteste largement influencé par les conceptions étasuniennes, risque de recouvrir ces recherches de sécurité s’éloignant de l’affrontement, conduites par des Etats dont la plupart ( Allemagne, Belgique, Espagne, Grande Bretagne, France, Italie …) ont existé comme empire et en ont vécu la fin tragique ! Pensons aussi aux productions d’armements. Le cadre occidental-otanien est certes intéressant pour les industriels : c’est un marché gigantesque, unifié, normé par les exigences opérationnelles de standardisation. Mais ne pourrait-on imaginer que le production d’armes, qui ne sont pas des produits « comme les autres », soit limitée aux besoins de l’Union comme « tout », défini par ses intérêts et ses objectifs stratégiques. Dès lors, au lieu de justifier production en série et exportations par une prétendue recherche d’économie d’échelle, cette production – malheureusement nécessaire – serait consciemment limitée aux seuls besoins reconnus par tous ! Le code de conduite de l’Union serait étendu à une véritable politique !

Si le débat sur la réintégration complète dans l’OTAN n’a pas et n’aura pas vraiment lieu, pensons déjà aux enjeux des élections au Parlement Européen du 9 juin prochain pour que les nouveaux élus reprennent et poursuive la véritable culture européenne, celle d’une stratégie de paix.

En Europe, les puissances vivaient dans la paix armée tout en proclamant leur intention pacifique et en affirmant qu’elles ne songeaient qu’à la défense.

Elles n’avaient pourtant pas répudié l’expérience des guerres antérieures à 1870. En revanche, le recours à la force et aux expéditions militaires était monnaie courante outre-mer, seules ou en coalitions. La Prusse, auréolée de sa victoire de 1870, commanda ainsi l’Etat major général de l’expédition qui rassembla en Chine Allemands, Autrichiens, Britanniques, Belges, Français, Italiens, les Etats-Unis et les Japonais [1]. Bref, mieux que l’Europe, l’Occident ! Et le même Grand Etat Major allemand préparait ce plan d’invasion rapide qui faillit réussir en août 1914.

En 1914, la plupart (toutes ?) des puissances européennes recourraient à la guerre, et la voulaient.

Mais la France s’était aussi préparée à la revanche pendant quarante ans, et son gouvernement voulait une victoire par la force. Cette victoire militaire, sur les marches franco-allemandes, fut si recherchée par la majorité des dirigeants français qu’ils se refusèrent à prêter l’oreille aux efforts de ceux qui, comme Benoît XV, recherchaient en 1917 des voies de négociations notamment avec l’Autriche Hongrie. La victoire de 1918 devait être celle des armes. Elle entraîna en Allemagne la légende du « coup de poignard dans le dos », qu’auraient donné les politiques et l’arrière aux soldats, thème qui fera le lit de la propagande nazie. Ce jusqu’au-boutisme militaire, suivi de l’obligation faite aux Allemands de reconnaître « la responsabilité des hostilités » n’empêcha pas 1940, il le facilita.

Le souvenir de Novembre 1918 devrait rappeler aujourd’hui dans les Balkans, aux marges des frontières russes ou dans le Caucase, les dangers des préparatifs militaires. Surtout à l’heure où la plupart des négociations de limitations des armements et des mesures de confiance s’achèvent ou sombrent dans l’indifférence.

Novembre 1918 conforta quelques nations ; il écrasa aussi bien des pauvres.

Novembre 1918 et les mois qui suivirent donnèrent lieu à une répression et une guerre sociale presque partout en Europe.

Le peuple russe paya très cher son respect en août-septembre 1914 des engagements avec les puissances de l’Ouest. Les centaines de milliers de ses soldats morts face aux forces austro allemandes, et les innombrables souffrances civiles devaient entraîner un renversement de régime. Sans cette interminable hécatombe, les bolcheviks n’auraient certainement pas pu gouverner seuls, ouvrant une nouvelle ère d’oppression. Si aujourd’hui, plusieurs peuples d’Europe centrale et orientale ont légitimement des souvenirs douloureux des nazis, puis du communisme, si la Russie utilise à nouveau des fronts pour redéfinir des frontières, souvenons nous aussi de quelles souffrances son peuple paya son implication dans les guerres européennes.

Il ne fut pas le seul dans ces terribles années qui suivirent l’Armistice. En Angleterre, en France, la répression (ou à tout le moins la réaction) politique et sociale accompagna les démobilisations. En Allemagne surtout la guerre civile suivit la défaite. La guerre ne fut pas seulement le tombeau des révolutions, elle ralentit les indispensables réformes sociales. Contre ceux qui susurrent que les guerres contribuent à forger les nations, aujourd’hui en Afrique par exemple, et pourquoi pas pour l’Union Européenne, « puissance faible », rappelons que les portes de Janus, une fois ouvertes, ne se referment qu’avec peine et que les conflits ont toujours donné aux dominants l’occasion d’écraser les aspirations sociales.

Novembre 1918 : ni les Alliances militaires ni les nationalismes ne garantissent autant la paix que les Unions politiques.

Novembre 1918, victoire militaire, fut suivi de traités qui reposaient sur un mélange de « principe des nationalités » et de nationalisme de principe.

Il en naquit tant de rancoeurs qu’aujourd’hui encore les Européens s’ingénient à en dépasser les effets. La multiplication actuelle en Europe et à ses marges (Balkans, Caucase…) d’entités politiques, de plus en plus petites, visant à préserver des nationalismes qualifiés d’identités, rappelle les plus dangereuses idées de ces « Traités de paix ».

Novembre 1918 fut aussi le mélange d’organisations mondiales sans forces et d’accords militaires sans réelle convergence d’intérêts politiques. Pour les premières, avant tout la SDN [2] , le gouvernement américain, et dans une moindre mesure britannique, voulaient un système de pacification mondial, tout en gardant leur autonomie. Ils ne donnèrent pas à la SDN les forces minimales pour accomplir les tâches qu’ils souhaitaient lui assigner. Quant aux petites alliances militaires de revers, trop peu fondées sur des solidarités et des intérêts communs, elles s’évanouirent dans la honte.

Les morts et les souffrances de la victoire militaire ne permirent ni union ni même rapprochement des peuples. Or les dispositifs et alliances militaires ne préservent pas à eux seuls de la guerre : eux-mêmes peuvent y entraîner. Utiliser l’effort de rapprochement franco-allemand pour organiser un Sommet de l’OTAN simultanément à Strasbourg et à Kehl (avril 2009) est une triste utilisation de ce que cet effort représente. La recherche de solidarités voire d’union politique, d’abord régionale, est non pas oubli, mais apprentissage du dépassement des traumatismes. La voie des rapprochements volontaires, non pas contraints, mais équilibrés, s’efforçant de compenser les différences de puissances entre leurs membres, déconstruisent les mécanismes qui ont conduit tant de fois aux affrontements. Ils constituent aussi une reconnaissance pour les innombrables morts et souffrances dont nous nous souvenons en ce 11 novembre.

 

Notes

[1] Face à la révolte des Boxers, les grandes puissances possédant des intérêts commerciaux en Chine ont formé un corps expéditionnaire, placé sous le commandement du général allemand von Waldersee.

[2] Société des Nations