Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.

Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.

Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.

Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.

On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.

Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.

Télécharger la Lettre n°304 septembre 2024  (PDF)   

Comment parler des enjeux écologiques, briser le mur de l’indifférence ou du scepticisme, sans entretenir l’angoisse des citoyens, leur sentiment d’impuissance ? Les Semaines sociales de France, cette association qui s’appuie depuis de très longues années sur l’enseignement social-chrétien et inspirée par les textes du pape François (voir en pages centrales), veulent porter le débat sur l’écologie, un débat informé et respectueux. Pour leur 97e Rencontre nationale, qui se tiendra à Lyon du 24 au 26 novembre, avec le large concours de l’Antenne sociale de Lyon et en partenariat avec l’Université catholique, les SSF ont choisi leur combat et affirmé leur engagement : « Écologie : préparons-nous à un changement radical* ». Car s’il en va de la responsabilité des gouvernants, des puissances économiques, c’est aussi à chacun de nous qu’il revient d’œuvrer.

L’occasion sera offerte de comprendre la gravité de la situation, d’entendre des opinions différentes, voire divergentes, mais grande place sera faite aux solutions, aux initiatives déjà engagées qui portent leur fruit et peuvent être reproduites, aux militants qui vivent une conversion « radicale », à tous ceux qui jugent que la transition écologique doit s’accompagner de justice sociale. Car, dans notre pays, ou ailleurs, ce sont les plus fragiles et les plus pauvres qui subiront (et pour certains subissent déjà) les dérèglements climatiques.

*En présentiel à l’Université catholique de Lyon et en ligne.

Renseignements et inscriptions sur www.ssf-fr.org

L’Ukraine, depuis des mois, mobilise l’attention et le soutien des pays occidentaux. Désormais, la violente attaque des terroristes du Hamas contre Israël accapare les autorités du monde entier et les médias de nos pays. La séquence d’actualité qui a vu la quasi-totalité des quelque 120 000 Arméniens du Haut-Karabakh contraints à l’exil après une attaque éclair menée par les forces azerbaïdjanaises s’en trouve trop vite éclipsée. Or le conflit qui a éclaté en septembre dernier avait été précédé de plusieurs secousses qui pouvaient laisser entrevoir l’explosion actuelle. Sous les cendres, ces conflits non réglés, que l’on pense « gelés », menacent sans fin la paix et la vie des populations civiles.

Le Haut-Karabakh (l’Artsakh de son nom arménien) est, sur le territoire azerbaïdjanais, une enclave peuplée d’Arméniens de tradition chrétienne qui la considèrent comme une terre ancestrale ; elle illustre l’un de ces conflits ethno-territoriaux nés de la dislocation de l’empire soviétique. Elle fut rattachée en 1921 par l’Union soviétique à l’Azerbaïdjan ; après la chute du mur, le Haut-Karabakh avait proclamé son indépendance, une indépendance non reconnue internationalement. Depuis, les conflits sanglants se sont succédés : de 1988 à 1994, ils se conclurent par un succès arménien et l’exode de 300 000 à 500 000 Azéris de territoires annexés, d’où un profond ressentiment de la population azerbaïdjanaise. En 2020, c’est Bakou, fortement aidée par la Turquie, qui s’imposait et il avait fallu la médiation russe pour stabiliser la situation et protéger le couloir qui permet de relier l’enclave à l’Arménie, le corridor de Latchine.

Depuis la situation n’a cessé de se dégrader, Bakou créant un climat d’insécurité et bloquant le corridor de Latchine, et donc les approvisionnements, dans le but de « chasser les Arméniens comme des chiens », selon les propos du président azerbaïdjanais Ilham Aliev lors de son succès en 2020. En septembre dernier, il n’a fallu que 24 heures (et selon les séparatistes arméniens 200 morts et 400 blessés) pour que les combattants du Haut-Karabakh déposent les armes ; ni la communauté internationale, ni le « groupe de Minsk » censé rechercher une solution diplomatique à cet interminable conflit, ni même l’Arménie ne sont intervenus, sinon pour demander que soient respectées les règles humanitaires de protection des populations civiles. Moscou, engagé ailleurs, détournait le regard et préférait se ranger du côté de la Turquie, puissant soutien de l’Azerbaïdjan. Rappelons que depuis la guerre en Ukraine et les sanctions contre la Russie, les exportations de gaz de l’Azerbaïdjan vers l’Europe ont largement augmenté !

Pour le premier ministre arménien, Nikol Pachinian, parfois critiqué dans son pays pour n’avoir pas pu protéger le Haut-Karabakh et avoir accepté qu’il fasse désormais partie de l’Azerbaïdjan, l’avenir est tendu : il lui faut recevoir et loger les exilés ; assurer leurs besoins vitaux alors qu’ils sont arrivés sans rien, en ayant tout abandonné de leur passé et convaincus qu’ils ne pourront jamais revoir leurs maisons. En outre, l’Arménie redoute que Bakou veuille, dans le sud de l’Arménie, prendre possession de certains villages peuplés d’Azéris, et notamment de l’enclave du Nakhitchevan. Le feu couve encore sous la cendre. L’Europe ne doit pas oublier l’Arménie.

 

 » Parce qu’un être humain qui prétend prendre la place de Dieu devient le pire danger pour lui-même « . (LD 73)

À la veille de la COP 28 qui se tiendra aux Émirats Arabes Unis, pays riches du pétrole et du gaz qui assoient leur pouvoir et peuvent être considérés comme un frein dans la lutte contre le changement climatique, le pape François rappelle avec son exhortation apostolique Laudate Deum publiée le 4 octobre, fête de Saint François d’Assise et date de l’ouverture du Synode, l’urgence de changer radicalement de politique afin d’éviter, tant qu’il en est encore temps, la destruction de la planète et de tous ceux qui y vivent.

Présentée comme une encyclique sociale, parce que l’impact du dérèglement climatique se fait d’abord sentir chez les plus pauvres, les contraignant à une adaptation difficile voire impossible et à la migration, Laudato si’ avait analysé en profondeur les causes et les conséquences du changement climatique, mettant l’accent sur le fait que « tout est lié » et que la responsabilité humaine, en particulier celle des puissants du monde économique comme du monde politique, était première dans la recherche de solutions durables qui permettent d’arrêter le processus de dégradation engagé.

Huit ans après Laudato si’, Laudate Deum est un cri lancé par le pape François. Il considère que la volonté exprimée dans l’Accord de Paris et certaines des COP qui ont suivi n’est pas suffisamment suivie d’effet, et que le risque de basculer dans une situation de non-retour s’est aggravé. Son cri est un appel à changer de paradigme maintenant, avant qu’il ne soit trop tard. La COP 28 doit permettre cette révolution alors que trop d’indicateurs montrent que les puissances économiques en particulier freinent des quatre fers.

Dans le premier chapitre, le Pape revient sur la crise climatique mondiale en présentant le cri d’alarme des scientifiques du climat qu’il fait sien, commentant les résistances et les confusions qu’il relève.

« Nous avons beau essayer de les nier, de les cacher, de les dissimuler ou de les relativiser, les signes du changement climatique sont là, toujours plus évidents. Nul ne peut ignorer que nous avons assisté ces dernières années à des phénomènes extrêmes, à de fréquentes périodes de chaleur inhabituelle, à des sécheresses et à d’autres gémissements de la terre qui ne sont que quelques-unes des expressions tangibles d’une maladie silencieuse qui nous affecte tous. » (LD 5)

« Si la température globale augmente de 1,5°C… les vagues de chaleur seront beaucoup plus fréquentes et plus intenses. Si l’on dépasse 2°C, les couches de glace du Groenland et une bonne partie de celles de l’Antarctique fondront complètement, ce qui aura des conséquences énormes et très graves pour tous. » (LD 5)

« Nous ne pouvons plus arrêter les énormes dégâts que nous avons causés. Nous avons juste le temps d’éviter des dégâts encore plus dramatiques. » (LD 16)

« Je suis obligé d’apporter ces précisions, qui peuvent sembler évidentes, en raison de certaines opinions méprisantes et déraisonnables que je rencontre même au sein de l’Église catholique. Pourtant, nous ne pouvons plus douter que la cause… en est l’intervention effrénée de l’homme sur la nature au cours des deux derniers siècles. » (LD 14)

Les chapitres 3, 4 et 5 abordent les questions du multilatéralisme, les Conférences sur le climat et la transition énergétique. Il souligne le manque de suivi de la mise en œuvre des décisions prises qui, non contraignantes, ne sont pas vraiment suivies d’effet.

« Les accords [sur le climat] n’ont été que peu mis en œuvre, parce qu’aucun mécanisme adéquat de contrôle, de révision périodique et de sanction en cas de manquement n’a été établi. » (LD 52)

« Les négociations internationales ne peuvent pas avancer de manière significative en raison de la position des pays qui placent leurs intérêts nationaux au-dessus du bien commun général. » (LD 52)

« Malgré de multiples négociations et accords, les émissions mondiales ont continué à augmenter. » (LD 55)

Le Pape lance ensuite un appel au sursaut lors de la COP 28.

« Nous ne pouvons renoncer à rêver que cette COP 28 conduira à une accélération marquée de la transition énergétique. » (LD 54)

« Si l’on souhaite sincèrement faire de la COP 28 un événement historique qui nous honore et nous ennoblisse en tant qu’êtres humains, alors on ne peut qu’attendre des formes contraignantes de transition énergétique qui présentent trois caractéristiques : qu’elles soient efficaces, contraignantes et facilement contrôlables. Ceci, afin de parvenir à initier un nouveau processus radical, intense et qui compte sur l’engagement de tous. » (LD 59)

Il aborde les intérêts et le rôle des entreprises multinationales du secteur des énergies fossiles (l’éléphant dans la pièce) comme frein majeur à la transition énergétique, soulignant leur capacité à bloquer les nécessaires évolutions.

« Les combustibles fossiles fournissent encore 80 % de l’énergie mondiale et leur utilisation continue d’augmenter. » (LD 50)

« Les compagnies pétrolières et gazières ambitionnent de réaliser de nouveaux projets pour augmenter encore leur production. Dire qu’il n’y a rien à espérer serait un acte suicidaire, qui conduirait à exposer toute l’humanité, en particulier les plus pauvres, aux pires impacts du changement climatique. » (LD 53)

« La transition nécessaire vers des sources d’énergie propres telles que l’énergie éolienne et solaire, et l’abandon des combustibles fossiles, ne va pas assez vite. » (LD 55)

« Malheureusement, la crise climatique n’est pas vraiment un sujet d’intérêt pour les grandes puissances économiques, soucieuses du plus grand profit au moindre coût et dans les plus brefs délais possibles. » (LD 13)

« La décadence éthique du pouvoir réel est déguisée par le marketing et les fausses informations, qui sont des mécanismes utiles aux mains de ceux qui disposent de plus de ressources pour influencer l’opinion publique. » (LD 29)

Sur les solutions promues par l’industrie (géo-ingénierie, etc.), il manifeste beaucoup de doutes. « Supposer que tout problème futur pourra être résolu par de nouvelles interventions techniques est un pragmatisme homicide, comme un effet boule de neige. » (LD 57)

Ce qu’il perçoit de positif et qu’il encourage est l’activisme de la société civile et la mobilisation publique comme stimulant la mise en œuvre des réponses nécessaires. Il invite à repenser le multilatéralisme comme venant de la base, rejetant l’incapacité des grandes puissances empêtrées dans leurs conflits d’intérêts à penser le bien commun. Il souligne l’importance des mouvements « radicaux » dans la lutte pour la réforme.

« La société civile, avec ses organisations, est capable de créer des dynamiques efficaces que les Nations Unies ne peuvent pas atteindre. » (LD 37)

« Les revendications qui émergent d’en bas partout dans le monde, où les militants des pays les plus divers s’entraident et s’accompagnent, peuvent finir par faire pression sur les sources du pouvoir. » (LD 38)

« Une fois pour toutes, finissons-en avec les moqueries irresponsables qui présentent cette question comme étant uniquement environnemental, « vert », romantique, souvent ridiculisé par des intérêts économiques… Lors des Conférences sur le climat, les actions de groupes fustigés comme « radicalisés »… comblent un vide de la société dans son ensemble. » (LD 58)

Le pape François avait pris l’initiative d’une « rencontre mondiale des mouvements populaires » en 2014, qui en est aujourd’hui à sa 4e édition. Il considère que ces mouvements, qui réclament le droit à la terre, à un travail et à un logement, sont pionniers dans la recherche d’alternatives à la société capitaliste qui enfonce les plus pauvres. Il rejoint en cela les initiatives prises dès l’an 2000 par le Forum Social Mondial. Composé en partie d’organisations d’Église (Caritas Internationalis, la CIDSE [Coopération internationale pour le développement et la solidarité], des congrégations religieuses, le CCFD Terre Solidaire en France…) il promeut une forme d’altermondialisme basé sur la capacité des mouvements populaires à transformer la société à la base.

Les chapitres 2 et 6 abordent la question des racines profondes de cette situation.

La première est celle du « paradigme technocratique » déjà décrit dans l’encyclique Laudato si’.

« L’intelligence artificielle et les dernières innovations technologiques partent de l’idée d’un être humain sans aucune limite, dont les capacités et les possibilités pourraient être étendues à l’infini grâce à la technologie. Le paradigme technocratique se nourrit ainsi lui-même de façon monstrueuse. » (LD 21)

« Dieu nous a unis à toutes ses créatures. Néanmoins, le paradigme technocratique nous isole de ce qui nous entoure. » (LD 66)

« Cessons donc de penser l’être humain comme un être autonome, tout puissant et sans limites, et pensons-nous autrement, de manière plus humble mais plus féconde. » (LD 68)

La seconde est celle des motivations spirituelles qui sont à la source du changement.

« Je ne peux manquer de rappeler aux fidèles catholiques les motivations qui naissent de leur foi [qui] éclaire la relation avec les autres et les liens avec toute la création. » (LD 61)

« Le monde chante un Amour infini : comment ne pas en prendre soin ? » (LD 65)

« Nous et tous les êtres de l’univers sommes unis par des liens invisibles et formons une sorte de famille universelle, une communion sublime qui nous remplit d’un respect sacré, tendre et humble. » (LD 67)

Le pape François termine par un dernier appel à l’action.

« J’invite chacun à accompagner ce chemin de réconciliation avec le monde qui nous accueille et de contribuer à le rendre plus beau. » (LD 69)

« Un changement généralisé du mode de vie irresponsable du modèle occidental aurait un impact significatif à long terme. » (LD 72)

Au-delà de ce que nous pouvons faire individuellement, en famille ou en communauté, nous sommes invités à mobiliser ceux qui doivent prendre les décisions nécessaires. Des signes peuvent être posés, comme le désinvestissement des industries fossiles. Les congrégations religieuses, les diocèses, les institutions catholiques peuvent manifester clairement leur choix à travers leurs investissements, comme les y invite régulièrement le mouvement Laudato si’. Les industries extractives dépendent des banques et des assurances, et le désinvestissement est une invitation au monde financier à participer au nécessaire changement. Il faut soutenir le traité de non-prolifération des combustibles fossiles, qui vise à faire pression sur les négociations internationales et à éliminer complètement les combustibles fossiles.

Comme l’encyclique Laudato si’ avait inspiré les travaux de la COP 21 à Paris, cette exhortation apostolique espère peser sur ceux de la COP 28. Il a été murmuré récemment que le Pape se rendrait lui-même à Dubaï pour peser de toute son autorité sur les décisions importantes qui doivent absolument y être prises. Pour la survie de l’Humanité et de la Création toute entière.