Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.
Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.
Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.
Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.
On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.
Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.
Télécharger la Lettre n°304 septembre 2024 (PDF)
Un an. J’écris tôt tandis que commence, insolente, une nouvelle magnifique journée d’automne. À Jérusalem, ma vie sera encore sans le moindre danger.
La guerre est totale, elle n’est pas partout. Elle est totale mais elle est asymétrique.
Les destructions infligées à Gaza sont épouvantables et ont fait plus de 40 000 morts. 2,3 millions de Gaziotes vont entrer dans l’hiver sans avoir de toit, vivant dans des décombres ruisselants ou sous des tentes plantées dans un sable gorgé d’eau. Sans nourriture, sans eau salubre, sans savon ni shampoing, sans vêtement, sans autre perspective que de nouveaux bombardements, de nouvelles épidémies, de nouveaux morts.
En Israël, les kibboutz à la frontière de Gaza, attaqués le 7 octobre, commencent à se reconstruire. Là, les vrais dégâts sont dans la stupeur intacte des familles et amis des 1 200 morts du 7 octobre, des otages morts et de ceux toujours captifs.
Le plus grand dommage visible occasionné par les roquettes en provenance du Liban, ce sont les milliers d’hectares incendiés. Le bilan humain, ce sont 48 morts et des dizaines de milliers d’Israéliens déplacés, vivant à l’hôtel depuis un an. Ils sont à bout et demandent à leur gouvernement une guerre avec le Hezbollah.
En Cisjordanie, la situation économique est catastrophique. Pour éviter que le territoire Palestinien ne se révolte, il fait l’objet d’un lourd quadrillage qui l’étrangle. La Cisjordanie ploie sous la botte de l’armée et les exactions des colons.
Mais la guerre finalement n’est ni dans un bilan de vies humaines, ni dans celui des destructions ou des répercussions économiques. La guerre est dans la fabrique de mensonges et de propagandes, de tous les côtés.
Pire, la guerre est dans les cœurs et dans les âmes. Dans l’appétit de victoire, dans les sentiments de revanche, de haine, dans les envies de tuer, d’anéantir, de détruire. La guerre est dans le « Gott mit uns », Dieu avec nous. Ce bilan-là est d’une noirceur insondable.
Il fait nuit en plein soleil. Dans le silence de cet enfer, j’ai appris à entendre les pulsations de cœurs qui refusent les logiques mortifères. Je les écoute, j’en rencontre. D’autres sortiront de leur torpeur. Dieu ne fera pas de miracle, il nous attend. J’ai hâte.
La violence inouïe de l’extractivisme
Le terme lui-même est inconnu de l’opinion publique. Si l’on vous dit « extractivisme », à quoi pensez-vous ? Au mieux ferez-vous le rapprochement entre ce mot et l’activité minière… Au pire, oui « au pire », vous souviendrez-vous de ces catastrophes qui ont endeuillé des communautés entières, dans la Province brésilienne du Minas Gerais (Itabirito 2014 ; Mariana 2015 ; Brumadinho 2019), province la plus riche du pays en minerais… Ou encore en différents pays d’Afrique Centrale, de l’Est ou du Sud, avec leurs mines d’uranium et de métaux précieux… ou en Amazonie, ce poumon de notre humanité, où les groupes autochtones résistent avec souffrance aux investisseurs, aux machines et aux agresseurs sans foi ni loi, qui découpent les arbres, creusent sans répit et pillent, sans discontinuité, l’or et autres richesses minérales…
L’extractivisme échappe à l’opinion et parfois même aux institutions publiques internationales parce qu’il se pratique fréquemment à l’abri des regards. À Brumadinho (Brésil), lieu d’une terrible catastrophe (25 janvier 2019), lorsqu’un barrage minier, où l’on déverse les résidus miniers traités avec des produits chimiques à haute toxicité, a cédé, faute d’un entretien sérieux de l’entreprise gestionnaire, entraînant la mort de 272 personnes… on peut lire un panneau, au cœur de cette nature qui fut luxuriante : « Passage interdit au-delà de ce point ». Ce point est désormais un lieu de terre informe à l’intérieur de laquelle reposent les corps de certains mineurs ensevelis par la coulée de boue toxique. N’avancez pas : vous êtes ici sur une terre de mort.
L’extractivisme commence dans les bureaux feutrés d’établissements bancaires nord-américains, européens, canadiens, suisses ou anglo-saxons. C’est là que se débattent et se décident, sur fond de plans géologiques et d’échéanciers de production-exportation, les grandes étapes de ce que certains osent appeler « les bases du développement ». Les capitaux ne manquent pas car les retours sur investissements sont énormes et de plus en plus rapides, eu égard aux moyens techniques engagés. C’est une chaîne qui implique les autorités locales (nationales et gouvernementales), elles-mêmes associées à une part des bénéfices en octroyant des permis d’exploitation minière qui conduisent à la défiguration pure et simple d’un environnement naturel très souvent unique, quant à sa faune, sa flore et sa capacité à absorber, grâce à certaines forêts primaires en particulier, le CO2 que produisent nos usines et nos transports, partout dans le monde.
À chaque stade de cette extraction, chaque acteur impliqué, financier, économique et politique, reçoit son enveloppe. Ainsi, pour exemple, les constructeurs et vendeurs d’engins d’extraction dont les lames et la puissance des moteurs sont toujours plus « efficaces ». À Brumadinho, l’un des ingénieurs, sur le chantier, me confiait qu’avec le prochain type d’extractors, la montagne qui était face à nous disparaîtrait en l’espace de deux années, moyennant une activité continue, jour et nuit. Et ce n’est pas les catastrophes à répétition qui arrêteront l’exploitation dont les promoteurs sont convaincus de l’enjeu dans le développement des pays concernés et l’avenir de la croissance mondiale… Au Brésil, on a même prévu une enveloppe pour les familles endeuillées après les catastrophes, certaines ayant perdu un père et des fils… Ce qui a révolté les familles endeuillées : c’est combien la vie d’un mineur ? La question a à voir avec ce qu’il faut bien appeler le « cynisme d’un développement immoral ».
L’extractivisme s’appuie aussi sur des moyens mécaniques de plus en plus puissants et sophistiqués
Et nous, ici, dans tout cela ?
Inspirés par des démarches que nous disons « écologiques » et « vertueuses », nous ignorons que le prix de nos batteries ou de nos composants électroniques est terrible car nous ne savons pas (encore) parcourir le chemin intellectuel et moral entre la mine des métaux dits précieux et notre téléphone portable ou notre véhicule dit « électrique ». Car le développement a sa face cachée et cette face cachée est d’autant plus « entretenue » qu’elle apparaît parfois comme une possibilité d’avenir pour les « pays producteurs » eux-mêmes. C’est, en tout cas, ce que déploie le discours de propagande idéologique des États-producteurs, qui peinent encore à atteindre un niveau de richesses partagées et des pays-clients acheteurs qui restent encore les pays industriels développés, en dépit des crises endémiques qui les traversent.
Vient alors la question centrale : est-il possible de promouvoir une « éthique des activités extractivistes », c’est-à-dire une maîtrise raisonnée et responsable de cette activité humaine qui en vient, dans « l’illimité » de la production actuelle, à épuiser la terre et à épuiser les communautés humaines, directement concernées ? Cette manière de parler pourra surprendre, tant ce type d’activité semble échapper à tout contrôle, et en appelle à trois conditions qui relèvent de l’ordre de la conversion des esprits et des institutions :
1- La participation des communautés locales – ethniques et sociales – dont la mémoire et la culture portent en elles une source de connaissances des lieux et de discernement des possibles. Mais il y a urgence : à ne pas écouter les populations « indigènes » et « locales », on va vers la catastrophe, c’est-à-dire la mort de la terre et des écosystèmes. Les vivants ont en effet partie liée : l’homme et la faune, l’animal et le végétal. Voulons-nous la mort ou la vie ? Voilà la question qui est au commencement de la mémoire communautaire et de la pensée du « bien commun » ? « Devant toi se trouvent deux chemins, dit le Livre du Deutéronome, le chemin de la vie et le chemin de la mort ; choisis le chemin de la vie » (Livre du Deutéronome 30, 19).
2- L’option éthique et politique fondamentale d’une « visée internationale de protection des richesses naturelles ». Cela engage des décisions et des choix qui sollicitent les lieux de la recherche scientifique et de la production technique. À titre d’exemple, on pourra s’interroger sur ce que devient la recherche scientifique sur les matériaux de synthèse ou, par exemple sur « la lumière infinie » qui peut, on le sait, constituer une alternative aux centrales thermiques ou nucléaires, lesquelles ne fonctionnent qu’avec le charbon ou l’uranium… Mais ce type de réflexion exige de dépasser la vision à très court terme dans laquelle nous évoluons et qui nous contraint à maintenir un « système de production » qui est aussi un « système de dette » (à payer ou à reconduire). On connaît l’argument qui est fréquemment opposé : l’impossible « décroissance » ou le caractère irréaliste d’une réduction de la productivité… C’est pourtant bien ce type de démarche éthique et critique – au sens premier de « discernement » et de « responsabilité » – qui a déjà conduit à fermer certaines mines de charbon ou de minerais et à poser des limites impératives aux chantiers forestiers africains ou amazoniens…
3- Le choix délibéré de protection des générations futures, soumises à nos investissements présents. À l’heure même où les plus jeunes, dans les pays marqués par l’extraction intensive, peinent à trouver les moyens d’une existence digne, notre devoir moral consiste à poser directement la question : quelle proportion des bénéfices produits par les compagnies extractives est affectée à la formation, à la santé et à l’emploi des jeunes générations ? Outre le fait que, dans certains pays concernés (Afrique de l’Est), les jeunes sont interdits de travailler sur certains chantiers d’extraction, on pourra et on devra interroger les filières extractivistes (retour aux bureaux feutrés des investisseurs) pour savoir qui est « maître » de ce développement et de l’avenir de ceux qui viennent au monde dans les régions et les cités minières… Il serait évidemment plus que souhaitable que l’Église s’interroge sur les placements des capitaux qu’elle détient et sollicite une réflexion rigoureuse auprès des leaders chrétiens du monde économique et financier.
Le caractère « occulte » de l’extractivisme étouffe le « cri de la terre et le cri des pauvres » (Encyclique « Laudato si’ » du Pape François, 2015, n°49). Cette terre belle et riche qu’on a prostituée depuis plusieurs générations… et les pauvres qui aspirent à une vie saine et partagée. Cela dit, l’extractivisme ne saurait être réduit à cette « activité au loin », dans ces pays dont certains osent dire qu’ils sont émergents ou « en développement ». Leur nature est riche mais bien souvent volée. Ne soyons pas surpris que l’extractivisme, aujourd’hui silencieux, devienne, un jour prochain, une bombe sociale. Il y a urgence à ouvrir largement la réflexion pour un développement pacifique, limité et solidaire. Cette réflexion touche essentiellement à la double question de l’appropriation des terres par les extracteurs qui en chassent les paysans et en disloquent les communautés locales… et des guerres locales qui ont, pour une part déterminante, à voir avec le contrôle et le partage des richesses naturelles. Ce double questionnement reprend la question récurrente de la colonisation des terres et de la violence infligée aux indigènes.
Gardons en mémoire le texte de l’Exhortation apostolique post-synodale du pape François, « Querida Amazonia », au peuple de Dieu et à toutes les personnes de bonne volonté (Rome, 2 Février 2020).
« La protection des personnes et celle des écosystèmes sont inséparables. Cela signifie en particulier que là où la forêt n’est pas une ressource à exploiter, elle est un être, ou plusieurs êtres avec qui entrer en relation » (Cf. Pape François, Message pour la Journée Mondiale de la Paix 2007 n°8). La sagesse des peuples autochtones d’Amazonie encourage « la protection et le respect de la création, avec la conscience claire de ses limites, interdisant d’en abuser. Abuser de la nature, c’est abuser des ancêtres, des frères et des sœurs, de la création et du Créateur, en hypothéquant l’avenir » (Encyclique « Laudato si’ » n° 16 ; 91 ; 117 ; 138 ; 240). Les autochtones, « quand ils restent sur leurs territoires, ce sont précisément eux qui les préservent le mieux » (Instrumentum laboris du Synode sur l’Amazonie, 2019), tant qu’ils ne se laissent pas piéger par le chant des sirènes et par les offres intéressées des groupes de pouvoir. Les dommages faits à la nature les touchent de façon très directe et visible, parce que, disent-ils, « Nous sommes eau, air, terre et vie du milieu ambiant créé par Dieu. Par conséquent, nous demandons que cessent les mauvais traitements et les destructions de la Terre Mère. La terre a du sang et elle saigne, les multinationales ont coupé les veines à notre Terre Mère. » (Document et apports du Diocèse de San José del Guaviare et de l’Archidiocèse de Villavicencio y Granada ; Instrumentum laboris du Synode sur l’Amazonie, n°17)
Voir ici le traité de non-prolifération des combustibles fossiles
3e Caravane pour l’écologie intégrale (Septembre – Octobre 2024)
- Objectif des Caravanes : Promouvoir un dialogue et des processus d’échanges au sein des Églises et des organisations politiques en Europe, sur les thèmes de l’économie extractiviste et de la transition énergétique, à partir des conditions de vie et des dénonciations des communautés martyrisées par l’activité minière, qui résistent et proposent des alternatives en territoires latino-américains.
- Il s’agit d’organiser des journées de réflexion et d’études avec des organisations ecclésiales, des gouvernements, des académies et la société civile du Nord en travaillant particulièrement sur le désinvestissement dans les activités de l’extractivisme de la part des Églises, en particulier… La référence aux droits humains et environnementaux et la défense des communautés affectées par l’extractivisme ainsi que la dénonciation des « fausses solutions » dans le discours sur la transition énergétique sont également au cœur des échanges.
- En Septembre, les Églises catholiques dans le monde sont invitées à vivre « Le Temps de la Création ». Le thème retenu pour cette année 2024 est « Espérer aujourd’hui avec la Création ».
Alors que la société occidentale s’attache à défendre, voire promouvoir « le droit des femmes », nos sœurs afghanes, après un temps de répit durant la présence internationale, luttent aujourd’hui pour le simple droit d’être femme.