Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.

Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.

Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.

Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.

On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.

Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.

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La situation économique et sociale de l’Argentine est délicate. Une politique d’ajustement économique sévère est mise en œuvre, qui a fortement réduit le pouvoir d’achat des salaires, des pensions, des revenus des petites et moyennes entreprises et des coopératives et mutuelles. Les effets ont été ressentis par les secteurs les plus vulnérables de la société, augmentant la pauvreté et la misère.

Dans le même temps, des organismes publics ont été supprimés et des centaines de fonctionnaires ont été licenciés, ce qui a affecté certains domaines particulièrement sensibles, comme la fourniture de médicaments coûteux à des patients sans ressources, y compris ceux en phase terminale. Parallèlement, la consommation a fortement diminué, ce qui a entraîné la fermeture de nombreuses petites et moyennes entreprises, qui constituent l’une des principales sources de travail décent en Argentine, augmentant ainsi le chômage. En juillet dernier, la baisse de la consommation d’une année sur l’autre a été la plus forte des trois dernières années.

Comme axe et fondement des politiques menées, le Congrès national, sur proposition du pouvoir exécutif, a adopté une loi déclarant l’état d’urgence en matière administrative, économique, financière et énergétique pour une période d’un an, déléguant au pouvoir exécutif national des pouvoirs propres au pouvoir législatif, liés à la réorganisation de l’État. Elle établit également des mesures fiscales pour une politique d’ajustement économique et crée un régime d’incitation pour les grands investissements. La loi a fait l’objet de commentaires critiques de la part de l’Église, notamment de la part de la Commission nationale pour la Justice et la Paix de la Conférence épiscopale argentine (https://www.c5n.com/politica/la-iglesia-catolica-dispara-contra-el-dnu-y-la-ley-omnibus-n142803) et de l’évêché de Quilmes dans la province de Buenos Aires.

En outre, sur ce registre, l’aide de l’État aux cantines communautaires, soutenues par des organisations sociales et diverses Églises, y compris la Caritas de notre Église, a été considérablement réduite. Cela a donné lieu à des déclarations de la part de divers organes ecclésiaux. Il y a également eu des actions concrètes, comme celles de Mgr Jorge García Cuerva, archevêque de Buenos Aires, d’ouvrir les portes de la cathédrale pour offrir des repas partagés, ou celles de Mgr Eduardo García, évêque de San Justo, province de Buenos Aires, de célébrer une messe en hommage aux femmes qui, malgré la pénurie alimentaire, gèrent des soupes populaires qui nourrissent 20 000 personnes par jour dans son diocèse.

La situation sociale a augmenté l’insécurité. La réponse du gouvernement a été de proposer d’abaisser l’âge de la responsabilité pénale, qui est actuellement de 16 ans en Argentine, à 14 ans. La réponse de l’Église à cette proposition a également été claire : il faut éliminer les causes qui poussent les enfants et les adolescents à enfreindre la loi, en rappelant publiquement que la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant a une hiérarchie constitutionnelle en Argentine. Le président de la Commission épiscopale de pastorale sociale, Mgr. Jorge Lugones sj, a exprimé son rejet de l’initiative, critiquant en même temps la réduction du budget de l’éducation : « nous ne nous occupons pas de l’éducation, mais nous nous occupons de générer une loi qui ne nous sera d’aucune utilité ».

Enfin, il convient d’ajouter que le régime des avantages pour les grands investissements est principalement orienté vers les investissements dans les méga-mines, en particulier de lithium, et les hydrocarbures, notamment dans les fonds marins ou par fracturation. L’exploitation du lithium se fait par extraction de saumure au fond des salines dans le nord de l’Argentine et du Chili et dans le sud de la Bolivie, ce qui entraîne des dommages irréparables aux zones humides de haute altitude, affectant les animaux et les personnes. Il en va de même pour l’exploration et l’exploitation du pétrole et du gaz dans les fonds marins. À cet égard, le gouvernement a nié que le changement climatique soit causé par l’activité humaine.

*Humberto Podetti, Président de la commission Justice et Paix de la conférence des évêques d’Argentine,
professeur titulaire de la chaire de Doctrine sociale de l’Église dans le cadre de la spécialisation en pensée latino-américaine à l’université nationale de Lanús.

Août 2024

Noël Treanor nous a quitté brutalement. Bien trop tôt. Archevêque et Nonce apostolique à Bruxelles auprès de l’Union Européenne depuis 18 mois, il avait été Evêque de Down and Connor en Irlande, très actif à la COMECE (Commission des Conférences épiscopales de l’Union Européenne), ainsi que président du réseau Justice et Paix Europe pendant de nombreuses années.

Les cheveux d’un blanc lumineux, les yeux malicieux, il savait s’adresser à chacun d’une voix forte et bienveillante.  Sa mémoire des personnes rencontrées, de leurs trajectoires, sa connaissance profonde de l’histoire européenne, son multilinguisme faisaient de lui un érudit. Pourtant ce sage aimait rire et ses sermons restaient accessibles, tout en nous renvoyant à nous-mêmes, dans un ‘Well Friends, what do you think ?’

Pour moi, son leadership s’exerçait plus encore dans sa façon inimitable de synthétiser une discussion complexe en nous rappelant à l’essentiel. Lui qui venait d’Irlande, un pays à l’histoire complexe, un peuple déchiré, il cherchait toujours les équilibres entre catholiques de l’Europe de l’Est, de l’Ouest, du Nord et du Sud. Par la présence, l’écoute, la pensée, il nous a appris à faire Eglise dans une Europe en pleine turbulence.

Noël était un tisseur infatigable de liens entre citoyens et institutions européennes, un avocat de la conciliation. Nous avons eu l’honneur de le croiser, c’est cet héritage que nous devons faire fructifier.

Marc de Montalembert, Justice et Paix France

1 – Des stars déboulonnées
La face sombre de personnages adulés continue d’être révélée, c’est le cas notamment avec l’abbé Pierre. Il est sain que les victimes puissent s’exprimer et être reconnues comme telles. Il faut aussi s’interroger sur les conditions dans lesquelles de tels actes destructeurs ont pu être commis, sur les croyances et les habitudes qui favorisent de telles attitudes prédatrices. La mise au pinacle de personnes qui ont parfois réalisé de grandes choses apparaît malsaine. Elle tend à confondre une figure avec l’institution qui met en oeuvre les intuitions fondatrices, et cela a deux conséquences : une personnalité devient une star tandis que l’engagement résolu d’une multitude d’acteurs se trouve relégué au second plan.

+ Quand un humain est élevé au rang de modèle ou de génie on ne veut voir que ses qualités, en masquant ses traits inquiétants ; c’est encore plus prégnant quand le personnage se trouve nimbé de sacré, à la manière d’une « icône ». Le délire de toute-puissance risque alors de s’installer et de conduire à des emprises destructrices, tandis que les victimes ne peuvent dénoncer l’auteur puisque ce serait attenter au sacré.

+ La mise en avant d’un seul personnage ne rend pas compte du fait qu’une institution, notamment lorsqu’elle implique des humains fragiles, ne peut s’établir et grandir que grâce au travail et à la compétence de personnes engagées à tous les niveaux ; pensons notamment aux belles réalisations d’Emmaüs. Il est donc plus juste de mettre en avant l’oeuvre communautaire, ce qui suppose que des responsabilités précises soient assumées, ce qui permet d’éviter le vedettariat qui masque le travail collectif tout en risquant de conduire un personnage à se comporter comme une star, avec tous les dangers que cela comporte. (J’ai développé cette thématique dans un livre : Un goût de fraternité, 2023).
On peut élargir le propos à notre situation politique. La centralisation du pouvoir, ainsi que la mise en avant de personnages singuliers (même s’ils ont reçu « l’onction » électorale), au détriment de projets sérieux et mûris, tout cela conduit à un affaiblissement du politique au sens d’une vie commune assumée positivement par l’ensemble des citoyens.

2 – Promouvoir les droits humains
Un atelier du Centre théologique va continuer de réfléchir aux « repères pour vivre ensemble » en travaillant sur la référence aux droits humains fondamentaux. L’actualité, au niveau mondial mais aussi dans le cadre des débats nationaux, montre que ces droits se trouvent souvent ignorés, voire bafoués. Pour raviver une telle référence et montrer sa fécondité actuelle, il est nécessaire d’articuler correctement éthique et politique. J’assure l’animation des séances, mais il s’agit bien d’un travail collectif qui suppose la participation active de chacun des membres du groupe. Première rencontre : jeudi 5 septembre, de 16h à 17h30, Maison Saint-Hilaire 36 bd Anatole France à Poitiers.

Père André Talbot
Rendez-vous dans un mois pour le prochain numéro de # DIÈSE

 

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