Guerre Russie-Occident : Que va-t-il se passer ?

Deux ans après le début de la guerre à grande échelle russo-ukrainienne, une guerre en réalité commencée il y a dix ans par la Russie le 20 février 2014, on peut s’interroger sur les scénarios possibles d’évolution du conflit. Si les historiens sérieux se méfient de toute prédiction, ils n’en sont pas moins capables de proposer des modèles d’anticipation.

Tout dépend en réalité du diagnostic que l’on fait de cette guerre. Si, comme pour la majorité des observateurs qui se présentent comme réalistes, cette guerre n’est que la reconfiguration de l’ordre international consécutive aux « justes ressentiments » d’un pays « encerclé », de vastes portions de populations « humiliées » et d’un « Sud global » ignoré, alors cette guerre est déjà perdue par un Occident démocratique devenu incapable, dans un monde de carnivores, de défendre ses idéaux d’herbivore.

Si en revanche, comme nous le croyons[1], il s’agit d’une guerre de civilisations, comparable aux guerres franco-allemandes des XIX-XXe siècles, on reconnaît que le conflit est profond sans être pour autant déjà perdu par l’Occident. Car au-delà des illusions géopolitiques manichéennes, ce conflit oppose d’un côté, en Europe orientale comme en Occident, les énergies destructrices de la post-modernité, hostiles à toute formulation métaphysique de la vérité et à toute mise en adéquation de la justice et du droit, et de l’autre, en Europe orientale comme en Occident, les forces créatrices d’un nouvel humanisme qui sait reconnaître les sources transcendantes de la vérité et croit en la supériorité de l’État de droit fondé sur un horizon de justice.

Certes les Occidentaux n’ont pas encore pris conscience qu’ils étaient agressés dans leur être même par la Russie post-soviétique, une puissance de chaos devenue mafieuse rêvant d’imposer son « État-civilisation », un modèle qui rejette toute participation de la société civile à la vie politique de la nation et bannit la civilisation démocratique occidentale jugée par trop décadente. Alors que l’Ukraine consacre 26 % de son PIB à cette guerre en 2023, et la Russie 6 %, dans le même temps, comme l’écrit le député européen Andrius Kubilius, en 2022-2023 l’Union européenne a fourni à l’Ukraine 29 milliards de dollars d’aide militaire[2], à la fois à partir de son propre budget (6 milliards d’euros) et de celui de tous les États membres de l’UE réunis, soit 0,075 % de son PIB annuel. Il ne faut pas être grand clerc pour comprendre qu’à ce rythme l’Ukraine a peu de chances de récupérer ses territoires annexés par la Russie.

En revanche, si l’opinion prend conscience que cette guerre menace directement l’éthos européen – non seulement parce que la Russie s’est alliée à tous les partis anti-européens en Europe mais aussi parce que la Russie a déjà annoncé qu’elle remettait en cause la participation des pays de l’Europe centrale à l’OTAN –, alors les élites politiques européennes responsables seraient en mesure de mettre en place une économie de guerre[3]. Et il est bien évident en ce cas que la guerre pourrait s’achever bien plus rapidement qu’on ne l’imagine habituellement. On sait en effet que, même sans les États-Unis, l’UE est dix fois plus puissante que la Russie.

Bien entendu tout va dépendre en premier lieu de la capacité des Ukrainiens à résister, en attendant que les démocraties se décident à aider sérieusement l’Ukraine, sur un plan militaire, économique et financier, et à sanctionner durement la Russie, par exemple en cessant d’importer des hydrocarbures en provenance de Russie. On sait en effet que le budget russe repose à plus de 40 % sur cette source de revenus.

Dans ce combat, le rôle des différentes traditions religieuses à maintenir la cohésion de la nation autour de l’État ukrainien sera déterminant. Pour l’instant seule l’Église orthodoxe ukrainienne relevant du patriarcat de Moscou pose problème compte-tenu de ses liens avérés avec la machine de guerre russe. Pour aider cette Église à prendre définitivement ses distances avec le patriarcat de Moscou, mais aussi, plus profondément, avec le logiciel civilisationnel impérial, il serait utile que les Églises, en Ukraine et dans le monde, mettent en place des séminaires de formation œcuménique à la théologie politique néo-humaniste. En sommes-nous capables en Occident ?[4]

[1] A. Arjakovsky, Pour sortir de la guerre, Paris, DDB, 2023.
[2] https://united4ukraine.network/andrius-kubilius-on-the-reality-of-war/
[3] https://www.pourlukraine.com/post/davantage-armes-francaises
[4] Le Collège des Bernardins prévoit une soirée de solidarité avec les Églises en Ukraine le mardi 4 juin 2024.