L’Église dans le monde de ce temps

Le pape François a ouvert le jubilé de la Miséricorde le 8 décembre 2015 en célébrant le cinquantième anniversaire de la conclusion du concile Vatican II.

À ce propos, il a mentionné deux textes majeurs qui ont été promulgués le 7 décembre 1965 : Gaudium et Spes, qui porte un discernement chrétien sur les grands enjeux de la vie humaine, et Dignitatis Humanae qui, au nom même de la foi chrétienne, proclame la dignité de toute personne, ainsi que la liberté de conscience et la liberté religieuse. Ces deux documents manifestent la volonté de l’Église catholique de témoigner de l’Évangile au cœur même de l’expérience humaine, personnelle et collective : « cette communauté sait par expérience qu’elle est réellement et intimement solidaire du genre humain et de son histoire » (GS 1).

Le chrétien et tous les hommes de bonne volonté

Cependant, avant d’arriver au vote final de la constitution pastorale Gaudium et Spes, par 2 309 voix contre 75, l’élaboration du texte fut tumultueuse ; un Français, Pierre Haubtmann, a joué un rôle décisif au cours de la dernière phase. Ce long travail, porté par l’ensemble de la dynamique conciliaire, a permis un approfondissement théologique centré sur la foi trinitaire, avec un accent concernant Jésus Christ Sauveur. Ainsi, la parole chrétienne sur la vie en société s’enracine explicitement dans des références théologiques et spirituelles qui dessinent les lignes d’une anthropologie sociale. Cet accent théologique replierait-il l’Église sur un discours particulier ? Non, puisque dans le même temps, la démarche conciliaire atteste sa foi en l’action de l’Esprit en dehors des frontières ecclésiales et promeut le dialogue : « Devenu conforme à l’image du Fils qui est le Premier-né d’une multitude de frères, l’homme chrétien reçoit les prémices de l’Esprit qui le rendent capable d’accomplir la loi de l’amour. (…) Cela ne vaut pas seulement pour ceux qui croient au Christ, mais aussi pour tous les hommes de bonne volonté dans le cœur desquels la grâce agit de façon invisible. » (GS 22) Ainsi, l’anthropologie promue par la réflexion chrétienne est appelée à entrer en débat avec d’autres expressions.

Trois approches

La démarche suivie par Gaudium et Spes articule étroitement trois approches. Chacun de ces pôles suppose un travail exigeant, pour ne pas s’en tenir à la répétition de discours convenus.
Tout d’abord, une attention précise aux réalités économiques, écologiques, sociales, politiques, en explicitant les enjeux humains de ces situations : que deviennent concrètement les personnes, à commencer par les plus fragiles, quelles relations sociales sont ainsi promues ? Une telle attention au réel suppose que l’on prenne en compte les travaux effectués en sciences humaines et sociales, sans oublier l’approche critique de la philosophie ; sinon, un pseudo bon sens, reposant sur des préjugés anthropologiques, risque de légitimer des dénis de la dignité humaine, des injustices, des oppressions.

Toute réflexion chrétienne comprend une mise en rapport de la compréhension des situations humaines avec un travail biblique et théologique. Oui, il s’agit bien d’un travail, pour éviter tout concordisme hâtif entre tel fait de société et telle phrase de la Bible. Cette réflexion, liée à des engagements concrets, nourrie par une vie sacramentelle, va prendre corps en une anthropologie sociale, une vision de l’homme en société. Dans l’espace public, cette anthropologie se trouve en débat avec d’autres approches : une confrontation qui met en lumière des accords et des différences.

Cette démarche conduit à formuler une éthique sociale qui pourra inspirer les projets communs. Dans le cadre d’une vie démocratique, les interprétations des enjeux humains et sociaux, notamment en ce qui concerne l’avenir de notre monde, dialoguent et parfois s’affrontent. Une parole chrétienne, assumée comme telle, a toute sa place au sein de cette recherche commune, à condition qu’elle prenne en compte la complexité du réel et qu’elle suscite des modes de vie accordés aux principes énoncés.

Dialogues

De ce point de vue, l’encyclique du pape François, Loué sois-tu !, représente une mise en œuvre actualisée de la dynamique promue par Gaudium et Spes. Ce document assume une question majeure, mais peu présente il y a un demi -siècle : l’écologie. Il se situe résolument en dialogue et en débat au sein de la recherche commune, en recourant aux sources proprement chrétiennes, notamment dans le chapitre 2, tout en assumant les dossiers techniques relatifs à l’avenir de notre terre ; ceci avec l’ambition de proposer des repères éthiques et pratiques susceptibles d’inspirer de nouveaux modes de vie.

Alors, comment demeurer fidèle à l’esprit de Gaudium et Spes ? En citant tel propos qui éclaire nos enjeux de vie aujourd’hui, mais surtout en continuant le travail. Les différents groupes chrétiens ont donc à assumer les défis les plus actuels en examinant les situations avec une attention fine et informée, en puisant aux sources de la foi, en élaborant dans un dialogue ouvert et exigeant les perspectives d’un avenir humain pour tous.