« Dans la vie ordinaire de Samarie, en Amazonie, et dans le monde entier »
Annoncée le 15 octobre 2017, précédée d’un processus d’écoute des communautés de l’Amazonie, la célébration du Synode des Évêques pour la Région panamazonique approche : L’Instrumentum Laboris, publié ce 17 juin, s’intitule : « Nouveaux Chemins pour l’Église et pour une Écologie intégrale »
« 4. L’Instrumentum Laboris comporte trois parties : la première s’intitule La voix de l’Amazonie et elle a pour finalité de présenter la réalité du territoire et de ses populations. Dans la deuxième partie, Écologie intégrale : la clameur de la terre et des pauvres, est abordée la problématique écologique et pastorale et, dans la troisième partie, Église prophétique en Amazonie : défis et espérances, les questions ecclésiologiques et pastorales. »
« 5. De la sorte, l’écoute des peuples et de la terre par une Église appelée à être toujours plus synodale, commence par une prise de contact avec la réalité contrastée d’une Amazonie pleine de vie et de sagesse. Elle continue avec l’écoute de la clameur provoquée par la déforestation et la destruction dues à l’extraction minière, qui appelle une conversion écologique intégrale.
Et elle s’achève par la rencontre avec les cultures qui inspirent les nouveaux chemins, les défis et les espoirs d’une Église « samaritaine » qui veut être prophétique à travers […] trois conversions auxquelles nous invite le Pape François :
- la conversion pastorale, dans son Exhortation Apostolique Evangelii Gaudium – EG, 24 novembre 2013 – (regarder-écouter) ;
- la conversion écologique décrite par l’Encyclique Laudato Si’ – LS, 24 mai 2015 –, qui donne le cap (juger-agir) ;
- la conversion à la synodalité ecclésiale grâce à la Constitution Apostolique Episcopalis Communio – EC, 15 septembre 2018 –,
qui structure cette « marche ensemble » (juger-agir). Tout cela en un processus dynamique d’écoute et de discernement des nouveaux chemins par lesquels l’Église en Amazonie annoncera l’Évangile de Jésus-Christ dans les prochaines années. »
La « Panamazonie », multiculturelle (79), pars pro toto et lieu théologique
Un Synode des Évêques, réuni en Assemblée spéciale[3], traite de matières concernant « principalement une ou plusieurs aires géographiques déterminées »[4] (EC 1 §2 3°). Le document de travail reconnaît « l’Amazonie comme nouveau sujet … un interlocuteur privilégié » (2), « le fleuve Amazone [étant] comme une artère du continent et du monde » (8) couvrant neuf pays[5], dont la Guyane française. Les communautés de l’Amazonie sont situées au sein de l’Église latino-américaine et caribéenne (109 129 d1).
L’aire géographique n’exclut pas une dimension planétaire du message (33), l’Amazonie étant notamment un « poumon de la planète » (70, LS 38). Mais le texte va plus loin : « Depuis son incarnation, la rencontre avec Jésus-Christ s’est toujours produite dans l’horizon d’un dialogue cordial, historique et eschatologique… [selon] « un pacte social et culturel » (EG 239). Pour ce pacte, l’Amazonie représente une pars pro toto, un paradigme, une espérance pour le monde » (37) ; « la culture de l’Amazonie, qui intègre les êtres humains à la nature, constitue la référence pour construire un nouveau paradigme de l’écologie intégrale » (56)[6] ; « l’évangélisation en Amazonie est un banc d’essai pour l’Église et la société ».
Le territoire est un espace pour expérimenter Dieu : « l’Amazonie […] n’est pas seulement un ubi (un espace géographique), mais également un quid, un lieu qui a un sens pour la foi ou l’expérience de Dieu dans l’histoire. Le territoire est un lieu théologique à partir duquel la foi est vécue ; il est aussi une source particulière de la révélation de Dieu » (19).
Une Église samaritaine
Le texte renvoie notamment à deux passages de l’Évangile de Jésus, « le bon Samaritain (Lc 10,25-36)[1] » (115). Le contexte d’héritage religieux différent, le dialogue, l’amour, le rôle missionnaire d’une femme auprès de son peuple y sont soulignés :
« 36. Comme l’Amazonie est un monde pluriethnique, pluriculturel et plurireligieux, la communication, et donc l’évangélisation, exigent des rencontres et une convivialité propices au dialogue […] Ainsi nous voyons [Jésus] « avec la Samaritaine … (Jn 4, 7-26) » (EG 72) ; « à peine eut-elle fini son dialogue avec Jésus », la Samaritaine retourna auprès de son peuple, « devint missionnaire, et beaucoup de Samaritains crurent en Jésus “ à cause de la parole de la femme ” » (EG 120). [Jésus] fut capable de dialoguer et de l’aimer au-delà de la particularité de son héritage religieux samaritain. L’évangélisation se réalise ainsi dans la vie ordinaire de Samarie, en Amazonie et dans le monde entier. »
« 39. De nombreux peuples amazoniens sont constitutivement ouverts au dialogue[2]… [Voilà qui] exige une approche cordiale des diverses cultures. Le respect de cet espace ne signifie pas relativiser ses propres convictions [cf. 144], mais reconnaître d’autres chemins qui cherchent à percer le mystère infini de Dieu. L’ouverture non sincère à l’autre, de même qu’une attitude corporatiste, qui ne réserve le salut qu’à sa propre foi, détruisent cette même foi[3]. C’est ce qu’expliqua Jésus au Docteur de la Loi dans la parabole du bon Samaritain. L’amour vivant dans toute religion plaît à Dieu… »
Point de départ, lieux théologiques et options
Il s’agit de « partir de la rencontre avec le Christ » (43), « dans sa toute-puissance libératrice et humanisante » (7), manifeste dans des « lieux théologiques … à partir desquels il faut penser la foi » : « les cris [et les chants (42 79b)] des peuples et de la terre » (18), « le territoire » (19), « la voix des pauvres » (109 126e 144). Pour le dire autrement, « le visage amazonien de l’Église trouve son expression dans la pluralité de ses peuples, de ses cultures et de ses écosystèmes » (107), et « [il] est celui d’une Église qui a posé une option claire pour (et avec) les pauvres et pour la sauvegarde de la création » (109), et « pour les jeunes » (à travers « une pastorale dont ils sont eux-mêmes les acteurs », 135i). De là, « on peut entreprendre des chemins de conversion, de communion et de dialogue, des chemins de l’Esprit, … de “ bien vivre ”… [qui] se basent sur des relations interculturelles dans lesquels la diversité n’est pas une menace, ne justifie aucune hiérarchie de pouvoir des uns sur les autres, mais ouvre une possibilité de dialogue entre des visions culturelles différentes… » (18).
Apprendre le « bien-vivre »
Des peuples autochtones, l’Église désire « apprendre » et « désapprendre » (43 102 129d3), et, dialoguant, entrer dans un processus d’inculturalité (enrichissement mutuel des cultures en dialogue, 108 121) et d’inculturation de la Bonne Nouvelle (29-30 106-115 122-124 129d5), évitant homogénéisation ou uniformisation culturelles (119a 140), car « la grâce suppose la culture (EG 115] » (122). Qu’apprendre ? « La recherche de la vie en abondance chez les peuples autochtones amazoniens se concrétise dans ce qu’ils appellent le “ bien vivre ”… en « harmonie avec soi-même, la nature, les êtres humains et l’être suprême, car il existe une interrelation entre tous les éléments du cosmos » (12). Il s’agit aussi de bien faire.
« 11. Jésus offre une vie en plénitude[1] (Jn 10, 10), une vie pleine en Dieu, salvifique (zoè), qui commence dès la création et se manifeste dans ce que la vie a de plus élémentaire (bios). En Amazonie, elle se perçoit à travers une abondante biodiversité et dans les cultures… « Notre service pastoral », comme l’affirmèrent les évêques à Aparecida, est un service « de la vie dans toute sa plénitude pour les peuples indigènes [qui] exige d’annoncer Jésus-Christ et la Bonne Nouvelle du Royaume de Dieu, de dénoncer les situations de péché, les structures de mort, la violence et les injustices internes et externes, d’encourager le dialogue interculturel, interreligieux et œcuménique ».
Il y a à apprendre de « la transmission de l’expérience ancestrale, des cosmologies, des spiritualités et des théologies des peuples autochtones, en ce qui concerne la protection de la Maison commune … car la Création est à Dieu et Dieu continue son œuvre … » (50). Il convient aussi de « respecter une organisation communautaire spécifique (famille/clan/communauté) » (79).
« Semences du Verbe » et théologie
On peut « découvrir la présence incarnée et active de Dieu [19] dans les manifestations les plus variées de la création, dans la spiritualité des peuples natifs, dans les expressions de religiosité populaire, dans les différentes organisations populaires qui résistent aux grands projets et dans la proposition d’une économie productive, durable et solidaire qui respecte la nature » (33). Le document s’appuie sur la théologie des « semences du Verbe » (saint Justin, 29 108 120) :
« 120. L’Esprit créateur qui remplit l’univers (Sg 1, 7) est celui qui durant des siècles a nourri la spiritualité de ces peuples bien avant l’annonce de l’Évangile et celui qui les conduit à l’accepter à l’intérieur même de leurs cultures et de leurs traditions. Cette annonce doit tenir compte des « semences du Verbe » présentes dans ces cultures et traditions… Chez beaucoup d’entre eux, la semence a grandi et a porté du fruit. Elle suppose une écoute respectueuse, qui n’impose pas de formulations de la foi exprimées à partir d’autres références culturelles étrangères à leur contexte vital. Mais, au contraire, elle écoute « la voix du Christ qui parle à travers tout le peuple de Dieu » (EC 5) ».
« 121. Il faut comprendre ce que l’Esprit du Seigneur a enseigné à ces peuples tout au long des siècles : la foi en Dieu Père-Mère Créateur, le sens de la communion et de l’harmonie avec la terre, le sens de la solidarité avec ses compagnons, le projet du “ bien vivre ”, la sagesse de civilisations millénaires détenue par les anciens et qui joue sur la santé, la vie en commun, l’éducation, la culture de la terre, la relation vivante avec la nature et la “ Mère Terre ”, la capacité de résistance et de résilience en particulier des femmes, les rites et les expressions religieuses, les relations avec les ancêtres, l’attitude contemplative et le sens de la gratuité, de la célébration et de la fête, ainsi que le sens sacré du territoire. »
Le principe de l’incarnation (saint Irénée) est rappelé : « Tout ce qui n’est pas assumé n’est pas sauvé », et donc, « la diversité culturelle requiert une incarnation plus forte pour assumer différents modes de vie et de cultures » (113), notamment « la théologie autochtone et l’écothéologie … pour approfondir une théologie indo-amazonienne déjà existante » (98bd). Le dialogue œcuménique et interreligieux doit éviter l’impact négatif des théologies de la prospérité, ou fatalistes, reposant sur le succès, ou la peur (137).
« Intégral »
Notamment parce que « tout est lié », on peut relever un usage massif de l’adjectif intégral [1]. Mais donne-t-on une même acception à ce terme ?
Une Église au visage amazonien
« Un cheminement a commencé avec le Concile Vatican II pour toute l’Église et a trouvé sa reconnaissance dans le Magistère latino-américain à partir de Medellín (1968), pour se concrétiser pour l’Amazonie à Santarém (1972) ».
Il se poursuit (30). Une Église au visage amazonien « entend être « en sortie » (EG 20-23) (92 100 107), « qui laisse derrière elle une tradition faite de colonialisme mono-culturel [et néocolonialisme, 7 76], de cléricalisme [pour vivre fraternité et service comme des valeurs évangéliques qui animent la relation entre l’autorité et les membres de la communauté, 119c] et de domination, et qui sait discerner et assumer sans crainte les diverses expressions culturelles des peuples. Ce visage nous avertit du risque de « prononcer une parole unique, comme de proposer une solution qui ait une valeur universelle » (EG 184). La réalité socioculturelle complexe, plurielle, conflictuelle et opaque interdit d’appliquer « une doctrine monolithique défendue par tous sans nuances » (EG 40). L’universalité ou la catholicité de l’Église se voit donc enrichie par « la beauté de ce visage multiforme » des différentes manifestations des Églises particulières et de leurs cultures, formant ainsi une Église polyédrique (EG 236) » (110).
« L’inculturation de la foi n’est pas un processus de descente vers le bas, ni une imposition de l’extérieur » (122). Besoin est d’une « Église participative, accueillante, créative, harmonieuse » (112) : catéchèse intégrant tradition orale et sens du récit (123), nouvelles radios dans différentes langues et cultures (123), recherche d’une « liturgie inculturée », à travers un processus de discernement quant aux rites, symboles…, adaptation du rituel eucharistique (124-126), accompagnement de la piété populaire (126e), création d’itinéraires adaptés de formation à la lumière de la Doctrine Sociale de l’Église (129b3), ouverture des nouveaux canaux de processus synodaux (129b4), création d’une structure épiscopale amazonienne pour mettre en œuvre le Synode (129f3), mission urbaine et migrations…
Quels ministères ?
En Amazonie, il faudrait passer d’une pastorale de visite à une pastorale de présences (ministères, liturgie, sacrements, théologie et services sociaux 128). L’Église primitive répondait aux besoins en créant des ministères appropriés. En abordant prophétiquement le problème du pouvoir (145) [1], des ministères adaptés sont envisagés (43) ; ainsi celui d’agent pastoral œuvrant pour la sauvegarde de la Maison commune (104k). La question des ministères a concentré l’attention médiatique : éventualité de l’ordination sacerdotale d’aînés autochtones mariés, de ministères conférés à des femmes (129a2.3).