Élections européennes 2019 en Autriche
Pourquoi s’arrêter sur l’Autriche (8,7 des 510,1 millions d’Européens (1,7%) au 1er janvier 2017) ? Face au principe d’égalité des pays[1], le tandem franco-allemand – quel que soit sa solidité – ou le poids des grands pays, n’occultent-il pas parfois les autres pays ?
L’Autriche est un pays charnière entre les « deux poumons de l’Europe » (Jean-Paul II), et entre mondes baltique et méditerranéen. Nous citerons des extraits d’une note d’Ingeborg Gabriel, secrétaire générale de Justice et Paix Autriche. Cinq partis se partagent les sièges européens : le Parti populaire autrichien (Österreichische Volkspartei : ÖVP), le Parti social-démocrate d’Autriche (Sozialdemokratische Partei Österreichs : SPÖ), le Parti de la liberté de l’Autriche (Freiheitliche Partei Österreichs : FPÖ) et ses scissions[2], l’alternative verte (Die Grünen – Die Grüne Alternative : GRÜNE) et la nouvelle Autriche et le Forum libéral (Das Neue Österreich und Liberales Forum : NEOS). Trois partis restent sous la barre des 3% : les europhobes de la plateforme EUSTOP en 2014, les europhiles de JETZT en 2019, et le Parti communiste d’Autriche (Kommunistische Partei Österreichs : KPÖ), allié à d’autres en 2014, seul en 2019.
Ibizagate
« Le résultat a été fortement influencé par une crise gouvernementale d’une magnitude unique… Le 17 mai, une semaine avant les élections, une vidéo filmée dans une villa à Ibiza en juillet 2017, mettant en scène le vice-chancelier HC Strache (FPÖ), a été rendue publique par le Süddeutsche Zeitung et le Spiegel. Qui l’a produite ? – et par ordre de qui ? – est encore chose inconnue... Les parties connues à aujourd’hui – la vidéo dure sept heures et d’autres contenus pourraient suivre – montre une conversation avec la nièce présomptive d’un oligarque russe à qui Strache offre son influence dans les médias et l’État autrichiens contre un appui financier au FPÖ…
HC Strache … [a]démissionné le lendemain (20 mai). La Coalition s’est rompue quand le Chancelier Kurz a demandé au Ministre de l’Intérieur, Herbert Kickl (un tenant de la ligne dure du FPÖ), de démissionner. [Kurz] était soutenu par le Président de la République, issu du parti Vert, Van der Bellen. Le gouvernement d’experts formé la semaine suivante, a été désavoué par le SPÖ et le FPÖ, le 28 mai. Le 30 mai, le Président de la République a nommé chancelière la Présidente de la Cour constitutionnelle, Mme Bierlein, jusqu’à la mise en place d’un nouveau gouvernement. Les élections devraient avoir lieu en septembre.
Analyses
Les élections européennes se sont tenues dans ces conditions choquantes… Le FPÖ a moins perdu que prévu, après la vidéo scandaleuse : les méthodes de production, le moment choisi pour la lancer avant les élections, par des journaux allemands, peuvent avoir aidé à limiter le dommage politique pour les tenants de la droite (et traditionnels eurosceptiques). Le parti Vert pourrait maintenir à peu près le nombre de ses votes (il a perdu ses mandats au parlement autrichien en 2017).
Les dispositions constitutionnelles sont assez fortes pour ne pas laisser la crise gouvernementale tourner en crise d’État, même si cela aurait pu être le cas si Van der Bellen n’avait pas été Président. Ce qui est préoccupant, c’est que la politique semble être de moins en moins conduite par la raison, prête au compromis politique, au respect de l’adversaire politique, mais devient hautement conflictuelle, attisée par les médias, sociaux et autres…
Faire coalition avec un parti nationaliste était un risque, mais la continuation d’une large coalition ÖVP-SPÖ aurait rendu le parti de l’aile gauche toujours plus fort, comme ce fut le cas dans le passé. Au fur et à mesure que la morale décline, les divisions sociales croissent. Faire campagne salement (la vidéo y contribue) détruit la confiance, les polarisations tournent en urgence de vengeance, les autres deviennent des ennemis parce que il/elle a une opinion différente. A ceci, on doit ajouter le manque certain de réalisme en politique, que Max Weber a appelé l’art de semer des embûches avec patience et réalisme. L’influence de joueurs politiques étrangers ne présage rien de bon. Ce qui serait nécessaire, c’est plus de raison politique, de réalisme, de respect de l’autre. »
La baisse des votes blancs ou nuls (- 1,5 points) et la hausse de la participation (+ 5 points) indiquent une remontée de l’intérêt pour l’Europe et/ou un « plébiscite » pour le jeune chancelier Kurz (avec un risque de personnification du pouvoir ?). Une alternance avec les sociaux-démocrates est improbable. Les Verts, en chute libre aux législatives (3,8 % en 2017), renaissent : une indication sur les attentes des autrichiens de la part de l’Europe ? Le centenaire du Traité de Saint Germain approche (10 septembre1919) : la monarchie austro-hongroise a été éclatée en sept États. L’Autriche, siège de nombreuses institutions européennes et mondiales, n’a-t-elle pas une vocation spéciale à promouvoir la paix ?