Bon sens et désobéissance
Fin septembre, le Conseil municipal de Poitiers a accordé à l’association Alternatiba une subvention que le préfet de la Vienne entend faire annuler, au motif que cette association non violente organise des formations à la désobéissance civile. Peu après, un collectif de « scientifiques en rébellion », spécialistes du climat, déclarait que les actes de désobéissance civile sont légitimes pour « alerter la population, les décideur·ses et les entreprises sur l’urgence de la situation ». Ces affaires, et bien d’autres (notamment les agressions contre de célèbres œuvres d’art) braquent les projecteurs sur une forme d’action qui se répand, surtout parmi les jeunes que scandalise le retard des pouvoirs publics à prendre les décisions nécessaires pour que la planète reste vivable.
Ces actions sont, il est vrai, illégales. Et on comprend que cela pose question ; l’argument du préfet de la Vienne – des fonds publics ne sauraient financer des formations visant à enfreindre des lois – a l’apparence du bon sens et ne peut être balayé d’un revers de main. Il traduit cependant une grave méconnaissance de ce qu’est la désobéissance civile : une action non violente par définition, qui a été jugée légitime par des penseurs que nul ne saurait soupçonner de vouloir porter atteinte aux principes de la démocratie : Rawls, Arendt, Walzer, Habermas, et bien d’autres. À leurs yeux, des actes de désobéissance civile peuvent, dans certains cas, contribuer au bien commun. On-t-ils eu tort, les ouvriers qui ont incité à la grève à l’époque, lointaine, où la grève était illégale ? Ou les citoyens qui ont nourri et logé des étrangers « sans papiers » avant que le Conseil constitutionnel, en juillet 2018, ne reconnaisse la légitimité de ces actions, à condition qu’elles soient désintéressées ? Gageons que, dans dix ou vingt ans, on louera pour leur courage et leur lucidité celles et ceux qui, par des actes de désobéissance civile non violente, font pression pour que soient prises, en matière de lutte contre le changement climatique, les mesures que tous les experts sérieux jugent urgentes.
Alors que la mouvance écologiste est traversée par un débat sur la légitimité d’un éventuel recours à la violence et où certains, minoritaires certes, franchissent le pas, comme dans l’affaire des « méga-bassines », il serait très grave que les pouvoirs publics affaiblissent ceux qui ont fait le choix de l’action non violente et entendent s’y tenir. Les punir financièrement ou les déconsidérer en les qualifiant d’« éco-terroristes », ce n’est pas seulement une faute morale, c’est une erreur stratégique. Entre le préfet de la Vienne et le Conseil municipal de Poitiers, qui voit plus loin que le bout de son nez ?
* »Bon sens et désobéissance », Revue Projet, vol. 391, no. 6, 2022, pp. 1-1.
Christian Mellon, jésuite, Membre du Ceras, cofondateur de la revue Alternatives non violentes.