Éthique sociale en Église n° 65 février 2024

1– Parlons enfants !
* Une bonne nouvelle : des communes et des villes de plus en plus nombreuses proposent de planter un arbre à l’occasion de la naissance d’un enfant, avec une plaque indiquant son prénom. On peut y voir une confiance en l’avenir de la vie ; quant à l’enfant, en venant contempler la croissance de « son » arbre, il trouvera une occasion de se relier plus charnellement à la nature, tout se raccordant au temps long : un arbre pousse lentement ! Planter un arbre, une action simple et généreuse qui peut porter de beaux fruits, surtout s’il s’agit d’un arbre fruitier !

* Une nouvelle plus ambiguë : le bilan démographique de 2023 en France. Le nombre des décès est en baisse, après la surmortalité due à la pandémie (on peut s’en réjouir). Mais le nombre des naissances est également en baisse, une diminution de 6,6% par rapport à 2022 et de 20% par rapport à 2010. Le taux de fécondité actuel ne permet pas le renouvellement des générations, une raison parmi d’autres de considérer autrement l’immigration. Cette baisse de la natalité a été largement commentée, mais avec des arguments qu’il vaut la peine de questionner. Laissons de côté le vocabulaire politique à tonalité guerrière. La plupart des débats portaient sur des évaluations financières, avec une polarisation affligeante sur les coûts : l’accompagnement des grossesses, puis de la petite enfance, et bien sûr la scolarisation ; mais, bonne nouvelle du côté bénéfices, ces petits devenus adultes pourront payer nos retraites ! À juste titre, on évoque aussi l’impact de la maternité sur le parcours professionnel des femmes, devenir mère apparaît parfois comme un handicap. Ce type de débat axé sur le « rendement » est révélateur d’une mentalité courante. La confiance en l’avenir de la vie se réduit-elle à une évaluation monétaire ? Osons plutôt mettre en avant la portée sociale du sourire d’un bébé qui s’éveille à la vie, et la chance que cela représente pour notre vie commune ! Sinon, c’est le triomphe d’un matérialisme plat qui regarde un enfant en se demandant ce qu’il va « rapporter » : un déni du désir de donner la vie, avec ce que cela comporte d’amour…

* La question démographique ne se pose pas seulement dans notre pays, Population et sociétés (INED) de janvier note que, en 2021, il y avait près des 2/3 de la population mondiale qui vivait en des zones où la fécondité est sous le seuil du renouvellement des générations. Certes, la population mondiale continue d’augmenter puisque les générations en âge de procréer sont encore nombreuses. Mais la question socio-politique pertinente à propos de démographie porte moins sur le risque de surpopulation que sur la vitalité de populations vieillissantes, en termes de dynamisme et d’ouverture à l’avenir. Quel goût avons-nous pour l’avenir de la vie ?

2– Des enfants qui souffrent et qui meurent
* Selon Emmaüs (qui marque les 70 ans de l’appel de l’abbé Pierre), la France compte environ 330 000 sans abri et, parmi eux plus de 3 000 enfants, des chiffres qui connaissent de notables augmentations. Quand il gèle en hiver, on en parle, mais en matière de solutions durables on reste loin du compte. Quel avenir pour des enfants à la rue, ou en hébergement provisoire, dont la nourriture dépend des aides alimentaires ? Certes, les personnes et les familles qui n’ont pas de logement fixe ne peuvent guère manifester et elles ne se bousculent sans doute pas dans les bureaux de vote, mais la démocratie se dénature lorsqu’elle oublie ses membres les plus fragiles. Sur ce point également, l’analyse en reste souvent aux stricts rapports de force : on honore ceux qui disposent des biens et du pouvoir, et tant pis pour les pauvres ! Il s’agit bien d’une violence sociale qui légitime la domination des puissants et se contente de mesurettes passagères à l’égard des démunis. Un tel matérialisme vulgaire conduit à un déni de fait de l’humanité de gens sans défense, la situation de faiblesse étant redoublée chez les enfants.

* De manière bien plus dramatique encore, des enfants meurent dans les différents conflits qui endeuillent notre monde, tout particulièrement à Gaza où ils se comptent en milliers. La banalisation de la mort d’enfants, en raison de famines ou de bombardements, est un déni de notre commune humanité, elle sème les germes des conflits à venir. Il devient plus urgent que jamais de travailler à une paix durable qui permette aux enfants de sourire, de jouer sans peur.

3 – Quel avenir pour l’Union européenne (UE) ?
+ Le 9 juin prochain nous voterons pour élire nos députés au Parlement de l’UE. On peut regretter que les médias évoquent d’abord les enjeux nationaux de cette élection, évaluant le rapport de force entre les différents partis en pensant à la présidentielle de 2027. En France, nous sommes quelque peu malades de l’hyper présidentialisation, il serait urgent de chercher des remèdes !

Quel dynamisme souhaite-t-on pour l’UE ? On a heureusement chanté les louanges de Jacques Delors à l’occasion de son décès, ce qui ne nous dispense pas de suivre son exemple, afin de consolider les bases de cette Union.

+ Il faut se rappeler l’année 1945 avec une Europe en ruines. Déjà des personnes courageuses avaient envisagé un chemin d’union infiniment préférable aux guerres à répétition ; les haines restaient pourtant vives, elles ont pu être surmontées. Cultivons cet esprit ambitieux qui ose ouvrir les voies de l’alliance entre ennemis d’hier. Ce pari courageux pourrait encore aujourd’hui inspirer des régions de notre monde soumises aux conflits à répétition. Notre expérience déjà ancienne montre qu’il est possible de tisser des solidarités sociale, économiques et politiques, alors que nous avons des langues et des cultures différentes ; une union se fait toujours à partir de diversités.

+ Osons donc cultiver une fierté d’être européen, plutôt que considérer l’UE comme la cause majeure des difficultés du quotidien. Il y a au moins deux motifs de se montrer fiers d’une UE qui a fait ses preuves et qui peut continuer à avancer. 1) Tout d’abord la lucidité : quel poids pourrait avoir chacun de nos pays pris isolément face à l’Inde (1er pays en nombre d’habitants), à la Chine, aux USA ? Plutôt qu’amplifier une mondialisation aventureuse, il importe aujourd’hui d’être solidaires, solides ensemble dans le cadre de l’UE, en matière d’alimentation, de santé, de nouvelles technologies, etc. 2) Et surtout, continuons de cultiver une référence positive aux droits humains, à la démocratie, à la solidarité face aux aléas et aux défis de l’existence (pensons notamment à l’urgence écologique). Il s’agit d’un enjeu de civilisation, la guerre en Ukraine nous le rappelle douloureusement. Consolider les fondations de l’UE c’est préparer un avenir mieux assuré aux enfants d’aujourd’hui. Il vaut donc la peine de s’intéresser à l’élection des députés européens pour continuer de promouvoir une Union solide et généreuse.

La Lettre de Justice et Paix propose des éléments de réflexion en vue du scrutin. On peut les retrouver ici  La Lettre de Justice et Paix France   sur le site de Justice et Paix France

 

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