Éthique sociale en Église n°30 mars 2021
1 – Il y a un an, la menace du Covid commençait à marquer nos vies. Il a fallu adapter nos modes d’organisation, depuis la sphère familiale jusqu’aux politiques publiques. Alors que nous prétendions tout maîtriser -et même dominer le monde-, nous avons pris conscience de nos fragilités individuelles et collectives. Mais les vieux réflexes ont la vie dure, ceux qui disposent d’une certaine puissance, notamment grâce à l’argent, essaient de passer les premiers, nous le voyons actuellement en ce qui concerne la distribution des vaccins à l’échelle mondiale. Avec les points retenus pour ce n° de DIÈSE, nous retrouvons ce réflexe de domination : la puissance liée à la richesse et au statut social, donnerait des droits à tous niveaux, au détriment des plus faibles. Mais le point de vue éthique nous rappelle que l’on peut juger la qualité humaine d’une société à la manière dont elle traite ses membres les plus fragiles. Veillons donc à ce que la politique ne laisse pas libre cours à l’emprise dominatrice des puissants.
2 – Traite des personnes humaines. On entend par « traite » différentes formes d’exploitation des êtres humains, notamment la prostitution, l’esclavage, le travail forcé.
Selon un rapport de l’Organisation internationale du travail (OIT), dans le monde, plus de 40 millions de personnes sont soumises à différentes formes d’esclavage moderne. Dans 1 cas sur 4 il s’agit un enfant. Les victimes sont surtout des femmes, des filles, avec notamment plus de 15 millions de mariages forcés. Plus de 25 millions de personnes, sont soumises au travail forcé. C’est le cas notamment en Chine.
Nous sommes concernés de deux manières. Dès qu’un être humain se trouve soumis à des traitements dégradants, c’est notre commune humanité qui est affectée; s’il est légitime de revendiquer pour soi-même les droits humains élémentaires nous avons aussi la responsabilité de travailler pour que ces droits soient reconnus pour tous. La question de la traite des être humains renvoie l’image d’un monde où prime la domination sur les plus faibles. Retenons un critère décisif pour vérifier comment la justice est vécue dans notre société : quelle est la situation des plus fragiles ?
En ce qui concerne le travail forcé, nous en sommes parfois « bénéficiaires » puisque ce mode de production diminue les coûts ; mais nous pouvons faire pression sur les entreprises afin qu’elles vérifient dans quelles conditions les vêtements et d’autres produits de consommation sont réalisés ; la course au prix le plus bas ne peut être le critère décisif de choix. D’autant que cela nous place dans une situation de dépendance vis-à-vis de pays, de puissances qui ne font pas grand cas des droits humains et qui ont une stratégie d’influence : la pandémie révèle les aveuglements liés à une mondialisation naïve, polarisée sur les avantages à court terme.
3 – Valeurs républicaines. Nous savons bien que la vie commune suppose que nous partagions une culture qui valorise des références fortes, à commencer par la liberté, l’égalité et la fraternité. Une loi en cours d’élaboration comprendra un « contrat d’engagement républicain » destiné aux 2 millions d’associations qui assurent pour une bonne part la vitalité de notre société. L’intention peut être louable à deux conditions. À propos de références qui laisseraient une grande marge d’appréciation, il faut veiller à ce que des fonctionnaires « trop zélés » n’en viennent pas à décourager les initiatives de bénévoles qui accompagnent notamment les populations les plus fragiles ; d’autant que l’opinion s’enflamme vite et on risque alors de livrer des boucs émissaires à la vindicte publique, qu’il s’agisse d’associations ou de personnes qui les animent.
Mais il faudrait aussi que les services de l’État soient exemplaires à propos des droits humains, ainsi que les politiques qui impulsent la marche à suivre.
Ce n’est pas toujours le cas, la commission consultative des droits de l’homme (CNCDH) vient de dénoncer la violation des droits humains fondamentaux des exilés dans le nord de la France : des migrants se trouvent dans un extrême dénuement puisque leurs lieux de vie sont régulièrement démantelés, y compris en plein hiver. La présidente du Secours catholique a vigoureusement dénoncé de telles pratiques qui mettent en danger la santé et la vie d’êtres humains. Des témoins rapportent aussi que, dans les Alpes, des demandeurs d’asile, notamment des mineurs, sont refoulés vers l’Italie dans la neige et le froid, sans qu’ils puissent formuler quelque demande que ce soit; et, dans le même temps, les personnes qui essaient de leur apporter bénévolement un peu de réconfort sont inquiétées. Quand la dignité humaine est ainsi bafouée, les grands principes républicains sont mis à mal.
Des professionnels de santé s’alarment d’un durcissement de l’accès à l’Aide médicale d’État (AME) qui permet l’accès aux soins pour tous, y compris pour les personnes sans papiers. Deux enjeux : une mise en cause du droit de malades à être soignés, mais aussi un problème de santé publique puisque des maladies contagieuses peuvent s’étendre.
Le rappel des grands principes qui fondent notre société est souhaitable, à condition qu’il ne soit pas contredit par des décisions pratiques.
Restons vigilants : certaines idéologies qui font des migrants la source de tous les maux tendent à présenter leurs préjugés comme des évidences et à légitimer des pratiques contraires aux valeurs qui fondent notre vie commune. Apprenons à résister, nos principes humanistes sont précieux, mais ils restent fragiles !
4 – Bonnes nouvelles
* Notre pays s’engage à « s’efforcer » de porter son aide au développement des pays pauvres à 0,7 % du revenu national brut en 2025. Nous pourrons veiller à ce que l’effort soit couronné de succès, alors que l’engagement a été pris il y a déjà plus de 50 ans…
* L’encyclique du pape François, Fratelli tutti, vient d’être traduite en russe, par une organisation musulmane !
5 – Lecture : Corine Pelluchon, Les Lumières à l’âge du vivant, Seuil, 2021.
Un ouvrage philosophique intéressant. L’auteure nous invite à sortir de l’ère de la domination, pour mettre en valeur la considération. Elle dénonce notamment le transhumanisme : celui-ci apparaît comme s’opposant à l’héritage des Lumières puisqu’il conduit fatalement à une organisation inégalitaire et hiérarchique, de telle manière que des « êtres supérieurs » vont dominer les autres. Signe du délire : quelques super riches rêvant d’aller s’installer sur Mars pour abandonner une Terre en perdition. Selon C. Pelluchon, à l’opposé d’un tel danger, il faut rappeler que « le nouveau-né, notion phare de la considération, incarne cette espérance de renouvellement : il nous renvoie à notre responsabilité qui consiste à prendre soin de lui et à lui transmettre un monde habitable » (p. 230).
André Talbot
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