Éthique sociale en Église n°85 octobre 2025

1 – Enfants sans école.
Le Tigré est une région de l’Éthiopie qui a connu une guerre civile particulièrement féroce l’opposant au pouvoir central de 2020 à 2022. Le conflit a provoqué des conséquences désastreuses qui durent encore aujourd’hui. Un signe : la moitié des enfants et des jeunes de cette région n’ont pas accès à l’école depuis maintenant cinq ans. À Gaza, la guerre sans pitié et les destructions massives font qu’il ne peut y avoir d’école organisée depuis maintenant plusieurs années. Le conflit au Soudan provoque les mêmes conséquences. Dans l’ouest et le centre de l’Afrique, la baisse drastique de l’aide humanitaire, notamment par les USA, empêche de construire des écoles et de salarier des enseignants. La liste n’est pas exhaustive, nous savons que l’Afghanistan exclut les filles de l’accès aux études.

On sait les conséquences de telles situations : le développement culturel d’enfants et de jeunes se trouve gravement handicapé, au détriment des personnes qui en sont victimes, mais ce sont aussi des pays qui se trouvent privés de compétences. Il s’agit d’une manière de maintenir des populations dans le sous-développement. On ne peut ignorer des volontés délibérées de faire du mal, de détruire et d’abîmer.

Durant la première séquence des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD, 2000-2015) il y avait eu heureuse progression de la scolarisation, notamment au profit des filles. Depuis, la situation s’est dégradée en raison des conflits mais aussi d’un recul déplorable en matière d’aide internationale. On ne parle même plus des Objectifs pour un développement durable (ODD, 2015-2030). Amartya SEN a pourtant montré il y a déjà longtemps que la scolarisation des filles est un facteur déterminant pour le développement d’un pays. La vengeance en certaines régions et le désengagement de pays plus favorisés maintiennent dans la pauvreté et deviennent la cause de conflits actuels et à venir.

 

2 – Enjeux politiques.
Il arrive que des journalistes, avec un sourire en coin, présentent la situation en notre pays comme le règne de la popol, traduction la politique politicienne, c’est-à-dire centrée sur des tactiques au jour le jour et parfois même d’heure en heure, pour coincer un adversaire qui était l’allié de la veille, pour asséner une phrase assassine qui sera reprise en boucle. Une situation qui comporte un risque majeur : réduire la politique à des manœuvres stériles, à des jeux de pouvoir. Il nous revient de rappeler à ceux qui nous représentent leur devoir élémentaire : organiser la vie commune au quotidien, mais aussi à moyen et long terme.

En effet, nous nous trouvons face à des défis majeurs. Il y a les dangers en matière écologique qui mettent en cause l’avenir de la vie sur terre. Or, la polarisation sur le court terme et la préférence donnée aux groupes qui cherchent un intérêt immédiat provoquent des reculs dans la prise de conscience des dangers et bloquent les nécessaires mutations dans nos manières de produire et de consommer. On peut parler d’inconscience collective.

Nous remarquons aussi un désamour à l’égard de la démocratie qui s’exprime avec force au niveau mondial, qui désagrège l’esprit citoyen chez nous. Or, jusqu’à preuve formelle du contraire, on ne peut mettre sur un pied d’égalité différents modes d’exercice du pouvoir politique. À la différence des régimes autoritaires, la démocratie repose sur le respect de la dignité humaine, l’état de droit accorde des garanties au bénéfice des citoyens. Il faut encore vérifier que dans un régime démocratique chacun peut bénéficier de l’accès aux biens élémentaires, souvent nous sommes loin du compte.

 

3 – Esprit citoyen.
+ Nous avons sans doute raison d’être exigeants vis-à-vis des élus, mais il ne faut pas oublier tout ce qu’ils donnent d’eux-mêmes au service de la vie commune. À quelques mois des élections municipales, nous pouvons avoir une pensée pour celles et ceux qui vont se présenter à nos suffrages. Quand les électeurs se manifestent comme des râleurs, obsédés par des intérêts individuels qui ne dépassent pas le bout de leur jardin, il est bon de leur rappeler qu’ils sont d’abord des citoyens, qu’ils ont à assumer leur part dans la vie de la cité.

+ On voit que l’info en continu, les notifications importunes, les réseaux sociaux risquent de fournir un flot incessant de nouvelles non hiérarchisées dans lesquelles la promotion d’un gadget à la mode se trouve sur le même pied qu’un féminicide ou un massacre d’innocents. Pensons par exemple au temps d’antenne consacré aux propos intempestifs et souvent incohérents du personnage qui préside un très grand pays. Il ne reste alors guère de place pour mettre en lumière des initiatives prometteuses, des actes courageux, des soutiens au quotidien qui ne font pas de bruit.

+ Il nous faut donc apprendre à sortir d’un zapping épuisant pour réguler le flot des opinions et des émotions, pour nous poser afin de réfléchir et de méditer en vue de fonder nos propres choix de vie. Il y un enjeu de rapport au temps pour ne pas rester immergé dans l’immédiat, il y a l’apprentissage d’une sagesse ouverte aux autres qui peut se faire en des groupes de réflexion. Pour continuer à grandir en humanité, il importe de résister aux ambiances affolantes et parfois désespérantes, pour discerner ce qui vaut vraiment et fonder un art de vivre qui mise sur une fraternité vécue au quotidien.

 

4 – Engagement sociétal.
Notre manière de nous situer dans le monde dépend d’abord du regard que nous portons. Nous pouvons nous réjouir de la vivacité des enfants qui ont envie de grandir, de l’affection dont ils sont les bénéficiaires et les acteurs. Il est bon d’entendre les jeunes qui réfléchissent au sens qu’ils souhaitaient donner à leur vie, de reconnaître leur goût pour l’amitié et pour la paix. Il est juste de saluer les élus qui s’investissent pour le bien commun, les éducateurs et les soignants, les professionnels qui fournissent des biens et des services, l’immense confrérie des bénévoles qui aident et font du bien… En prenant un peu de temps je peux penser à toutes celles et ceux dont je croise le chemin, j’entends alors un appel : que fais-tu, toi, pour que notre monde se porte un peu mieux, pour que la vie et la relation – toujours fragiles – soient vraiment promues ?

 

François, Fratelli tutti § 178 : « Face à tant de formes mesquines de politique à courte vue, je rappelle que la grandeur politique se révèle quand, dans les moments difficiles, on œuvre pour les grands principes et en pensant au bien commun à long terme, (…) dans un projet commun pour l’humanité présente et future. »

Téléchargez le n°85-octobre-2025 (PDF)