Les mécanismes pervers des dettes privées. Newsletter n°9

«Remets-nous nos dettes, comme nous-mêmes nous remettons leurs dettes à nos débiteurs.» (Matthieu 6, 12)

 

A savoir

La dette crée un système de dépendance entre un prêteur et un emprunteur. Les emprunteurs peuvent être des particuliers (ménages et/ou entreprises) ; on parle alors de dette privée. Ils peuvent être des Etats ou des institutions internationales : on parle de dette publique. Si l’emprunteur est entré dans ce système de dépendance, c’est qu’il avait des besoins financiers pour acquérir certains biens ou services, mais aussi pour rembourser d’autres dettes restées impayées.

Si le prêteur accepte ce contrat, c’est qu’il y trouve des avantages : des intérêts qui rémunèrent son risque, une bonne allocation de ses actifs financiers en excédent, un pouvoir de domination. Les ménages empruntent pour financer des achats (immobilier, biens de consommation, etc.), pour payer des loyers ou rembourser des crédits plus anciens. D’autres encore empruntent pour investir dans des créations d’entreprises ou pour acheter des actions ou obligations. Ces acteurs se tournent vers leurs banquiers (ou leurs amis si ces derniers sont à l’abri du besoin). Les entreprises se livrent à des pratiques semblables pour investir dans du matériel, acheter leurs matières premières, pour leur trésorerie et leur développement, voire pour produire ou fonctionner, tout simplement.

C’est là la fonction traditionnelle des banques : financer des demandes d’emprunteurs. Elles signent un contrat avec leurs clients qui s’engagent à rembourser (extinction de l’endettement) à des périodes précises avec un surplus (l’intérêt). Cette forme de dette contractée auprès de banquiers, stimule l’économie, sauf si l’emprunteur n’est pas en mesure de rembourser à temps ce qu’il doit ou la totalité de ce qu’il doit. Ainsi, en 2016 la dette des ménages en France a dépassé 1225 milliards d’Euros (55,9% du PIB, Produit intérieur brut) et a représenté près de 87% de leur revenu disponible.

La France présente une situation modérée en comparaison des USA, du Danemark où les ménages vivent souvent surtout à crédit. En parallèle, les entreprises (non financières) ont contracté des dettes pour un montant de plus de 1500 milliards d’Euros en 2016, soit 68,7% du PIB. Les taux d’intérêt faibles, qui ont suivi la crise financière, poussent à emprunter. Ils augmentent donc le risque d’un trop fort taux d’endettement. Ces deux types de dettes sont communément appelés Dette privée. Si un emprunteur accumule les défauts de paiement, vient un moment où il ne parvient plus à vivre : il a dépassé le seuil du surendettement. Un cadre législatif, via la Commission de Surendettement, permet d’effacer une partie ou la totalité des dettes de certains ménages, mais 842 000 dossiers de surendettement étaient toujours en cours de traitement en France à la fin de 2015, ce qui représente plus de 34 milliards d’Euros de dette. Emprunter pour investir est un bon réflexe pour l’économie, mais les investissements doivent être efficaces et permettre, outre un profit, une possibilité de remboursement des capitaux empruntés.

Ce n’est pas toujours le cas : en moyenne 61 000 entreprises (surtout des micro et petites entreprises) font faillite chaque année en France. Les entreprises, en particulier les plus importantes, ont cependant d’autres moyens pour se financer que de faire appel au crédit des banques, néanmoins, en juillet 2016 la BCE a racheté des créances des grandes entreprises (cotées au CAC 40) pour un total européen de 10 milliards d’ d’euros. Les banques sont donc fragilisées devant cette situation de non-remboursement. Face à ce risque, le prêteur qui a étudié un dossier (avec des critères communs à la profession) va prendre des mesures pour se couvrir des pertes éventuelles liées à celui-ci. Il va demander des cautions, des garanties, des assurances ou prendre des hypothèques, mais cela peut parfois ne pas suffire. C’est cette situation qui a entraîné en 2007 la crise des subprimes1 : les banques n’ont pas pu récupérer les crédits qu’elles avaient accordés trop largement à des emprunteurs peu solvables. Pour éviter une nouvelle crise, la profession bancaire s’est dotée de critères limitant le volume de crédits autorisés par rapport à leurs dépôts et les Etats ou la BCE sont intervenus pour éviter des faillites de banques.

L’importance de la dette privée reste mal mesurée car il existe des circuits informels. La situation dans les pays en voie de développement est encore plus difficile à évaluer. La dette privée reste forte en raison de la pauvreté, parfois de certaines pratiques sociales (mariage, funérailles qui requièrent des dépenses importantes) ou encore de la pratique de certains taux usuraires : elle conduit parfois le débiteur en situation de dépendance envers le prêteur, à des situations d’esclavage (travail des enfants…), voire à des violences. Les plans d’ajustement et d’austérité auxquels doivent se soumettre les pays trop endettés peuvent aussi avoir des impacts sur les ménages. Ils ont alors conduit à des « révoltes de la faim ».

L’approche de Justice et Paix

Tout emprunt doit être remboursé ; ceci est un des principes de la justice, mais lorsque l’endettement conduit à des situations non respectueuses de la dignité de la personne humaine, Justice et Paix ne peut que dénoncer ces réalités. L’endettement est autant source de pauvreté que le résultat de celle-ci. Il faut alors négocier et trouver des solutions de rééchelonnement ou de réduction de la dette par des moyens légaux, car l’obligation d’honorer une dette ne peut pas être systématiquement outrepassée : une dette doit être remboursée. Il en va de la justice commutative comme l’affirme le catéchisme de l’Eglise catholique aux points 2407 et 24112.

L’Eglise ne peut cependant pas accepter que l’endettement conduise à l’assujettissement d’un être humain, à l’esclavage, à la destruction des familles, à l’exclusion dans la misère. Jésus appelle à aimer les plus petits, les plus fragiles ; il délie les humains de toutes les chaines et la dette est bien souvent une chaîne qui condamne les plus pauvres sur plusieurs générations. L’Eglise se préoccupe donc de libérer ceux qui sont écrasés pour leur rendre leur dignité de fils et filles de Dieu. La Bible connait ces situations d’endettement et elle appelle à des attitudes de compassion. Le Jubilé est le temps par excellence d’annulation des dettes (Lev 25) et de libération des esclaves.

Le livre de l’Exode (ch 22,25) limite le prêt à gages. L’Evangile présente le prêt comme une manière d’aider les plus pauvres : « A qui te demande, donne ; à qui veut t’emprunter, ne tourne pas le dos » (Mt 5, 42) Jésus n’hésite cependant pas à raconter des paraboles où le Maître (Dieu) remet des dettes (Mt 18 ; Lc 16), mais il appelle aussi à payer ce qui est dû. Si Saint Paul affirme qu’il ne faut avoir de dette que celles de l’amour (Rm 13,8), il veut par-là signifier que nos relations ne doivent pas se restreindre à des rapports selon la logique économique.

Le taux d’intérêt imposé aux emprunteurs est, lui aussi, l’objet des préoccupations de la Doctrine sociale de l’Eglise, à la suite des débats théologiques sur l’illégitimité du taux d’intérêt pris par le créancier (cf. fiche Finances & Ethique n°1 : Argent. Ce que dit la Bible ). La conception moderne concerne l’interdiction d’un taux usuraire entendu comme taux trop élevé. L’interdit du taux d’intérêt (Vix Pervenit3, n’a pas été formellement annulé) visait à protéger le pauvre qui devait emprunter pour survivre. L’endettement des entreprises ou de certains particuliers à des fins spéculatives pose d’autres problèmes comme la question de l’éthique de l’investisseur. L’Etat doit aider des entrepreneurs à prendre des risques et faciliter leur recours au crédit, mais pas à spéculer.

L’Etat a des obligations pour faciliter l’accès au crédit pour des opérations qui servent l’économie nationale ; il doit soutenir l’investissement en particulier dans des zones défavorisées. Le crédit et l’endettement (quand il est supportable) ne doivent pas être diabolisés : ils sont nécessaires à la dynamique économique. Justice et Paix invite aussi à ne pas tomber dans le piège de l’endettement à cause de la fascination de la société de consommation. Face aux sollicitations des publicités, il est fréquent que les plus faibles succombent et s’endettent pour acheter des biens non essentiels. Une consommation responsable et critique participe à une société plus juste. La dette ne désigne-t-elle pas le péché en araméen et ne demandons-nous pas dans le Notre Père que nos dettes nous soient remises comme nous- mêmes nous les remettons à ceux qui nous doivent ? (Lc 11 ; Mt 6)

Des pistes pour agir

• Plusieurs initiatives en matière de dette ont été prises par les citoyens pour faciliter le crédit à ceux qui sont exclus des systèmes de crédit. Les initiatives de micro-crédit qui existent en Europe (comme dans les autres continents) participent à ce soutien à l’investissement et à la prise en main de leur vie par les groupes sociaux les plus fragiles. Participer à l’épargne solidaire et faire des prêts à des acteurs locaux ou porteurs de projets à dimension éthique forte, à des conditions plus favorables que celles du marché, va dans le même sens : la dette n’est pas un mal en soi. • Lorsque la dette résulte d’emprunts visant à spéculer, à des détournements de biens sociaux ou à d’autres pratiques illégales, elle n’est pas éthiquement justifiable et ne doit pas être effaçable car elle est le produit d’une injustice.

• Organiser un rééchelonnement de certaines dettes est une stratégie qui est au service de la vie (tant des entreprises que des ménages), si cela inclut un accompagnement pour favoriser des attitudes de dépenses moins irraisonnables ou plus prudentes. L’aide pour lutter contre des taux d’intérêt trop élevés ou usuraires va dans le même sens. Il s’agit de permettre de trouver des moyens pour restaurer des espaces de liberté face à l’étranglement causé par la dette, afin que l’endetté puisse se relever peu à peu. • Dans tous les cas, prendre position en tant que chrétien consiste à rechercher ce qui va permettre que la vie l’emporte et que l’endetté puisse assumer ses responsabilités d’emprunteur. Il ne s’agit pas de faire de l’assistanat, mais de chercher les moyens, souvent progressivement, d’honorer les contrats d’emprunt qui ont été sollicités. La dignité de la personne passe par là.

Pour aller plus loin Il existe plusieurs outils de formation et de conseil (voir les sites internet des associations de consommateurs et des organismes publics d’aide aux consommateurs) aux candidats à l’accession à la propriété, aux locataires qui ne peuvent plus faire face à leur loyer… On peut aussi trouver des conseils auprès des banques. Ils peuvent être utiles s’ils sont comparés avec ceux donnés par d’autres acteurs. La prudence face aux conseillers financiers, sans pour autant verser dans la paranoïa, est toujours de mise. Questions : • Suis-je un accro de la consommation ? Dans quels secteurs ? Jusqu’où peut aller ma fascination pour l’achat de biens ? • Ai-je connaissance d’organismes de micro-crédit ou d’aide financière près de chez moi ? Me suis-je renseigné pour participer à des groupes d’économie solidaire ?

 

ANNEXE

Remets-nous nos dettes ? Falk van Gaver, journaliste et écrivain. Les familiers du latin liturgique sauront tout de suite de quoi je parle : la Vulgate, plus proche du grec évangélique que notre fade version française, porte : « Et dimitte nobis debita nostra, sicut et nos dimittimus debitoribus nostris. » En bon français : « Et remets-nous nos dettes comme nous remettons à nos débiteurs. » Ce que chacun entend en rite vernaculaire, dans une traduction qui est autant une émasculation qu’une spiritualisation : « Et pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensé. » Alors que la nouvelle traduction liturgique de la Bible porte justement : « Remets-nous nos dettes, comme nous-mêmes nous remettons leurs dettes à nos débiteurs. » (Matthieu 6, 12) Tout laisse cependant penser que nous ne réciterons pas ainsi la prière dominicale avant longtemps. Dans cet écart entre l’original christique et la prière liturgique, il y a davantage qu’une simple sensibilité ni même qu’une spiritualité : c’est de toute une anthropologie qu’il s’agit.

L’introduction d’une philosophie spiritualiste et spiritualisante, issue entre autres du« cogito ergo sum » de René Descartes, a largement imprégné le christianisme occidental – catholique comme protestant –, depuis largement désincarné et désincorporé, en quelque sorte. Et ce partant, désocialisé et dépolitisé. Si le « Remets-nous nos dettes » comprend et l’acception littérale – et donc politique et sociale – et l’acception spirituelle, le « Pardonne-nous nos offenses » gomme la première dimension – pourtant centrale dans la doctrine sociale de l’Église, comme le rappelle son Compendium avec les préceptes bibliques de l’année sabbatique et de l’année jubilaire : « Parmi les multiples dispositions qui tendent à rendre concret le style de gratuité et de partage dans la justice inspirée par Dieu, la loi de l’année sabbatique (célébrée tous les sept ans) et de l’année jubilaire (tous les cinquante ans)4 se distingue comme une orientation importante — bien que jamais pleinement réalisée — pour la vie sociale et économique du peuple d’Israël. En plus du repos des champs, cette loi prescrit la remise des dettes et une libération générale des personnes et des biens: chacun peut rentrer dans sa famille d’origine et reprendre possession de son patrimoine.

Cette législation veut établir que l’événement salvifique de l’Exode et la fidélité à l’Alliance représentent non seulement le principe fondateur de la vie sociale, politique et économique d’Israël, mais aussi le principe régulateur des questions inhérentes aux pauvretés économiques et aux injustices sociales. Il s’agit d’un principe invoqué pour transformer continuellement et de l’intérieur la vie du peuple de l’Alliance, afin de la rendre conforme au dessein de Dieu. Pour éliminer les discriminations et les inégalités provoquées par l’évolution socio-économique, tous les sept ans, la mémoire de l’Exode et de l’Alliance est traduite en termes sociaux et juridiques, de façon à rapporter les questions de la propriété, des dettes, des prestations et des biens à leur signification la plus profonde. » (24)

« Les préceptes de l’année sabbatique et de l’année jubilaire constituent une doctrine sociale « in nuce ». Ils montrent que les principes de la justice et de la solidarité sociale sont inspirés par la gratuité de l’événement du salut réalisé par Dieu, qu’ils n’ont pas seulement une valeur de correctif d’une pratique dominée par des intérêts et des objectifs égoïstes, mais qu’ils doivent plutôt devenir, en tant que « prophetia futuri », la référence normative à laquelle chaque génération en Israël doit se conformer si elle veut être fidèle à son Dieu.

« (25) Non seulement, il y a une obligation de remise des dettes, mais une obligation de prêt sans intérêt qui est qualifié par la doctrine sociale de l’Église de droit du pauvre : « Du Décalogue découle un engagement concernant non seulement ce qui touche à la fidélité envers l’unique vrai Dieu, mais aussi les relations sociales au sein du peuple de l’Alliance. Ces dernières sont réglées, en particulier, par ce qui a été qualifié de : « Se trouvet-il chez toi un pauvre, d’entre tes frères…?

Tu n’endurciras pas ton cœur ni ne fermeras ta main à ton frère pauvre, mais tu lui ouvriras ta main et tu lui prêteras ce qui lui manque« (Deutéronome 15, 7-8). Tout ceci vaut aussi à l’égard de l’étranger: « Si un étranger réside avec vous dans votre pays, vous ne le molesterez pas. L’étranger qui réside avec vous sera pour vous comme un compatriote et tu l’aimeras comme toi-même, car vous avez été étrangers au pays d’Égypte. Je suis le Seigneur votre Dieu » (Lévitique 19, 33-34). »

(23) Donc, contre une traduction appauvrie qui nous permet d’être catholiques pratiquants le dimanche et athées pratiques la semaine (en société, en politique, en économie…), comprenons toujours le « dimitte nobis » comme il se doit, comme l’injonction à remettre toutes les dettes. Et à régler également les dettes que nous avons, la première dette envers notre prochain et envers le plus pauvre étant de lui donner mon superflu qui n’est pas envers lui un don mais un dû : « Le riche, dira plus tard saint Grégoire le Grand, n’est qu’un administrateur de ce qu’il possède; donner le nécessaire à celui qui en a besoin est une œuvre à accomplir avec humilité, car les biens n’appartiennent pas à celui qui les distribue. Celui qui garde les richesses pour lui n’est pas innocent; les donner à ceux qui en ont besoin signifie payer une dette. » (328) « L’enseignement de l’Église revient constamment sur le rapport entre charité et justice: « Quand nous donnons aux pauvres les choses indispensables, nous ne faisons pas pour eux des dons personnels, mais nous leur rendons ce qui est à eux.

Plus qu’accomplir un acte de charité, nous accomplissons un devoir de justice ». Les Pères conciliaires recommandent fortement d’accomplir ce devoir « de peur que l’on n’offre comme don de la charité ce qui est déjà dû en justice ». » (184) Valable dans l’ordre de la charité et de la justice personnelles, ce principe devient criant dans l’ordre de la charité et de la justice sociales, politiques et économiques, et doit contribuer à renverser les « structures de péché » que sont les échanges inégaux entre les peuples et à les remplacer par des structures de solidarité. La question de la dette extérieure y est centrale et dramatique, comme le rappelle avec force le Compendium de la doctrine sociale de l’Église : « Dans les questions liées à la crise de l’endettement de nombreux pays pauvres, il faut avoir présent à l’esprit le droit au développement.

À l’origine de cette crise se trouvent des causes complexes et de différentes sortes, tant au niveau international — fluctuation des changes, spéculations financières, néocolonialisme économique — qu’à l’intérieur des différents pays endettés — corruption, mauvaise gestion de l’argent public, utilisation non conforme des prêts reçus. Les plus grandes souffrances, qui se rattachent à des questions structurelles mais aussi à des comportements personnels, frappent les populations des pays endettés et pauvres, qui n’ont aucune responsabilité. La communauté internationale ne peut pas négliger une telle situation: tout en réaffirmant le principe que la dette contractée doit être remboursée, il faut trouver des voies pour ne pas compromettre le « droit fondamental des peuples à leur subsistance et à leur progrès ». »(450)

L’Église catholique s’est ainsi beaucoup investie dans le combat pour l’annulation de la dette du tiers-monde. À la fin des années 1990, l’Église catholique et plusieurs Églises réformées ont donné un nouvel élan à la campagne internationale contre la dette des pays du Tiers Monde, en vue du Jubilé de l’an 2000, puisque selon la Bible, tous les cinquante ans, une remise exceptionnelle de dettes doit être effectuée. Cela a donné lieu à de nombreuses manifestations, ainsi qu’au dépôt de la plus grande pétition de l’histoire de l’humanité (24 millions de signatures collectées entre 1998 et 2000), à Cologne lors du sommet du G7. Sous la pression populaire, celui-ci a opté pour une nouvelle stratégie basée sur l’annulation des dettes jugées « insoutenables ».

Mais la remise générale des dettes, le grand « jubilé » biblique, reste une exigence à réaliser toujours davantage. Une révolution des consciences est à opérer, qui verrait dans la dette plutôt un don qu’un dû : « Le principe de la solidarité implique que les hommes de notre temps cultivent davantage la conscience de la dette qu’ils ont à l’égard de la société dans laquelle ils sont insérés: ils sont débiteurs des conditions qui rendent viable l’existence humaine, ainsi que du patrimoine, indivisible et indispensable, constitué par la culture, par la connaissance scientifique et technologique, par les biens matériels et immatériels, par tout ce que l’aventure humaine a produit.

Une telle dette doit être honorée dans les diverses manifestations de l’action sociale, de sorte que le chemin des hommes ne s’interrompe pas, mais demeure ouvert aux générations présentes et futures, appelées ensemble, les unes et les autres, à partager solidairement le même don. » (195) Et peut-être pourrait-on dans ce but enrichir l’ « Ite missa est » d’un « Gratis accepistis, gratis date » : « Vous avez reçu gratuitement : donnez gratuitement. » (Matthieu 10, 8) Cet article est la version longue d’une chronique parue dans La Nef N. 261 de juillet-août 2014.